Histoire du parti communiste chinois (10) 1947-1949

(chapitre 10 : 1947-1949)

(chapitre 9 : 1945-1946)

(chapitre 8 : 1943-1945)

(chapitre 7 : 1941-1943)

(chapitre 6 : 1939-1940)

(chapitre 5 : 1935-1938)

(chapitre 4 : 1931-1935)

(chapitre 3 : 1928-1931)

(chapitre 2 : 1925-1927)

(chapitre 1 : 1911-1924)

Après la défaite de l’impérialisme japonais en 1945, le pays retrouve son indépendance. Le gouvernement de coalition décidé par Staline et Roosevelt entre le parti nationaliste bourgeois Guomindang (Kuomintang, GMD) et le Parti communiste chinois (PCC) ne voit pas le jour. À la place, s’ouvre une guerre civile larvée entre le gouvernement officiel de Jiang Jieshi (Chiang Kaï-skek) dont la capitale est Nankin et le pouvoir des « zones libérées » dont le chef est Mao Zedong (Mao Tsé-toung) et la capitale est Yan’an [voir Révolution communiste n°51, 53 et 55]. Mao est entravé par les consignes de Staline qui redoute une révolution chinoise qui pourrait contaminer l’URSS et mettre en péril l’usurpation du pouvoir par la bureaucratie privilégiée. Le PCC s’interdit d’exproprier les capitalistes et même les propriétaires fonciers. Il s’affaiblit non seulement dans les villes, mais aussi dans sa base, les campagnes.

Shanghaï, Jiang Jieshi, 1946


À partir de 1946, la tension entre la bureaucratie russe et l’impérialisme étasunien croît. Alors que Washington, une fois ses rivaux impérialistes vaincus, envisage désormais de restaurer le capitalisme en URSS, et arme, finance, informe et conseille Nankin, Moscou ne veut pas se trouver à découvert à sa frontière orientale. Sur le terrain, la guerre civile repart de plus belle et l’Armée nationale révolutionnaire (ANR) surarmée prend initialement le dessus sur l’Armée populaire de libération (APL) [voir Révolution communiste n°59].

1947 : le GMD rompt définitivement avec le PCC

Le 11 octobre, Jiang convoque l’Assemblée nationale par-dessus la tête du PCC. Renonçant à de multiples tentatives de conciliation, sceptique sur les capacités militaires et politiques du régime officiel, le général Marshall quitte la Chine le 7 janvier 1947. La guerre civile se généralise. Son centre névralgique est alors la Mandchourie. L’ANR de Jiang s’y était emparé en 1946 des grandes villes après le retrait russe. En guise de riposte, l’APL reprend la guérilla dans les campagnes.

Aux premiers jours de l’année 1947, au cœur du terrible hiver mandchourien, Lin Biao lance autour de Changchun et de Kirin la première d’une série d’offensives limitées dans le double but d’empêcher les gouvernementaux d’étendre leur occupation et de gêner ou même de rompre leurs liaisons intérieures. (Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, Payot, 1974, p. 409)

Le 10 mars 1947, les contacts officiels entre le PCC et le gouvernement sont rompus. Le 18 mars, le PCC est contraint d’abandonner sa capitale Yan’an.

Dans le but de sauver son régime agonisant, le Guomindang n’a pas seulement convoqué la pseudo-Assemblée nationale, mis sur pied la pseudo-constitution, expulsé de Nankin, Shanghai et Chongqing les missions de notre parti et proclamé la rupture entre le Guomindang et le Parti communiste, il a encore attaqué Yan’an, siège de notre comité central… (Mao Zedong, « Circulaire », 9 avril 1947, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 132)

Malgré la supériorité écrasante de son effectif et de son équipement, l’armée officielle ANR est minée par les contradictions sociales.

Une partie conséquente de l’armée de Jiang était pourvue des armes américaines les plus modernes. Mais elle souffrait de deux failles. Premièrement, la plupart des soldats étaient recrutés dans les campagnes par la conscription forcée, certains étant même enlevés, si bien qu’ils reflétaient, plus ou moins l’insatisfaction et la haine des paysans. Deuxièmement, tous les généraux et officiers de haut rang étaient corrompus, maltraitaient leurs troupes et réduisaient régulièrement les rations. Ce traitement nuisait aux soldats, nourrissait leur mécontentement et leur détestation. Quand cette haine put trouver un débouché adéquat, il se transforma en un déluge de fuites et de redditions. (Peng Shuzhi, « Rapport au 3e congrès de la 4e Internationale », juillet 1951, dans The Chinese Communist Party in Power, Monad, 1980, p. 75-76)

1947 : poussée des luttes ouvrières et étudiantes dans les villes

De 1945 à 1947, une vague de grèves secoue les métropoles.

Le gouvernement de Jiang ne s’en sortait qu’en émettant de la monnaie en billets. Par conséquent, le taux d’inflation augmenta de manière géométrique. Le commerce et l’industrie s’arrêtèrent et s’effondrèrent si bien que les classes populaires et intermédiaires (incluant les fonctionnaires exécutants et du bas de la hiérarchie des institutions gouvernementales) furent plongés dans le désespoir. Poussés par la famine, les ouvriers se levèrent sous la forme d’une vague de grève totale, 200 000 travailleurs en grève rien qu’à Shanghaï. (Peng Shuzhi, « Rapport au 3e congrès de la 4e Internationale », juillet 1951, dans The Chinese Communist Party in Power, Monad, 1980, p. 75)

Le PCC exprime les intérêts d’une couche petite bourgeoise, la bureaucratie étatique des zones libérées et l’appareil de l’APL. Sa stratégie est la guerre révolutionnaire contre le régime du GMD qui cherche à l’exterminer, pas la révolution socialiste. Dans les villes, le PCC ne cherche pas à organiser la jeunesse étudiante, encore moins la classe ouvrière. Il se contente d’envoyer clandestinement ses membres au sein des organisations de jeunesse et des organismes syndicaux de cogestion encadrés par le GMD et les mafieux. Cela est facilité par l’affaiblissement du gouvernement.

Le 16 février 1947, le gouvernement cédant à la pression des industriels, avait tenté une réforme d’ensemble pour stabiliser une économie chancelante : il avait décidé de geler les salaires et fixé un prix plafond pour le riz, le coton et le charbon, le tout assorti d’une interdiction faite aux particuliers de détenir de l’or et des devises. L’effet de l’ensemble des mesures fut limité par l’inefficacité et la corruption des fonctionnaires chargés de leur application, d’autant plus que son champ d’application ne dépassait pas la région de Shanghai-Nankin. D’autre part, les ouvriers avaient obtenu en mai 1947 par des grèves et des manifestations le rétablissement de l’échelle mobile des salaires. (Alain Roux, Chiang Kaï-shek, Payot, 2016, p. 409)

La lutte antiimpérialiste des étudiants reprend, cette fois-ci contre la présence américaine.

De décembre 1946 à février 1947, les étudiants de Pékin, puis ceux de Shanghai et des autres grandes villes, dénoncèrent les brutalités de la soldatesque américaine, après l’émotion soulevée par le viol d’une étudiante de l’université de Pékin par des marines la nuit de Noël. Les étudiants communistes, très peu nombreux sur les campus, ne jouèrent qu’un très faible rôle dans ce mouvement qui s’inscrivait dans leur stratégie d’opposition à la guerre civile et au soutien américain à Chiang Kai-shek. (Alain Roux, Chiang Kaï-shek, Payot, 2016, p. 409)

Le gouvernement officiel réprime le mouvement ouvrier.

Les communistes sont extrêmement influents dans une vingtaine de syndicats officiels, où il est même fréquent qu’ils occupent la présidence, pendant quelque temps. Et pourtant, quand, à partir de septembre 1947, le Guomindang passe à l’offensive contre les plus importants de ces syndicats, il les détruit sans peine. En mars, puis en avril 1948, une nouvelle vague d’arrestations frappe 182, puis 400 syndicalistes soupçonnés d’être communistes. (Alain Roux, « La double méprise. Les ouvriers de Shanghai et leur rôle politique à la veille de la victoire communiste », Études chinoises, vol.  8, n° 2, automne 1989)

Quoique affaiblie en 1941 par la démission de Chen Duxiu et la scission d’une fraction dirigée par Wang Fanxi et Zheng Chaolin qui considérait que l’URSS était impérialiste et qui condamnait la lutte nationale contre l’impérialisme japonais, la Ligue communiste (LCC, section chinoise de la 4e internationale) défend le communisme révolutionnaire.

À cause de son attitude de collaboration à l’égard de la bourgeoisie chinoise, de l’impérialisme et de la bureaucratie soviétique, le Parti communiste chinois est incapable de prendre les mesures révolutionnaires qui s’imposent et sont seules capables de résoudre les problèmes de la Chine… Il va jusqu’à passer sous silence la lutte pour les libertés fondamentales du peuple, telles que la liberté de réunion, d’association, de grève, de manifestation, d’opinion, de presse. Le PC ne s’est jamais prononcé pour les 8 h et l’échelle mobile, alors que ces revendications constituent depuis longtemps l’objet des luttes ouvrières, mais il a défendu « l’augmentation de la production ». (LCC, « Manifeste au peuple chinois », 25 janvier 1949, La Vérité n° 232, 15 avril 1949)

La LCC intervient courageusement dans les grèves de Shanghai et participe à la guérilla contre l’armée du GMD. Mais ne pouvant pas s’appuyer sur l’URSS voisine ni se réfugier dans les zones libérées, calomniée et assassinés par les staliniens (« La lutte héroïque des trotskystes chinois », La Vérité n° 175, 20 juin 1947) et réprimée par le pouvoir, elle reste faible (environ 300 militants mal reliés entre eux).

1947 : le PCC relance la réforme agraire

Confronté à l’offensive militaire qui vise à l’exterminer, la direction du PCC opère un brusque virage. Si elle ménage toujours les propriétaires fonciers et les paysans riches dans les territoires qu’elle a conquis récemment, elle mène à nouveau une réforme agraire dans les « zones anciennement libérées ».

Pour conserver le soutien dans les zones de base, Mao a souligné l’importance de la réforme agraire et l’a liée à la victoire dans la guerre civile. (Tony Saich, From Rebel to Ruler: 100 years of the CCP, 2021, Harvard University Press, p. 182)

Le principe de la confiscation des terres publiques et des terres des propriétaires était plus formellement posé. Ces confiscations seraient plus importantes et toucheraient le bétail et l’outillage. Aussi bien que les champs. L’on saisirait aussi le surplus de terres des plus riches. Un an plus tard, cent millions de paysans s’était vu distribuer des terres. (Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, Payot, 1974, p. 435)

Le bloc antérieur entre la bureaucratie étatique des zones libérées et les propriétaires terriens est mis en cause, ce qui déclenche un nouveau « mouvement de rectification » pour briser l’influence de ces derniers… qui n’est pas mince.

Les cadres villageois et les membres des sections du parti sont pour la plupart des paysans moyens. Parmi eux, de nombreux propriétaires terriens et paysans riches occupent, directement et indirectement, des postes de pouvoir. Bien que les ouvriers agricoles aient constitué la majorité au sein du parti au début de la guerre contre le Japon, ils ne forment aujourd’hui, en général, qu’une minorité et ne jouent aucun rôle. Ils constituent toujours la couche sociale la plus opprimée. Il n’y a pas beaucoup de cadres villageois d’origine paysanne moyenne et pauvre qui ne soient pas influencés par les propriétaires fonciers et les paysans riches en dehors du parti. La plupart des officiers de l’armée sont issus de familles locales de propriétaires terriens et de paysans riches. La plupart des cadres vétérans ont épousé des filles de propriétaires terriens. Ils ont aidé leurs beaux-pères lors de la réforme agraire. (Liu Shaoqi, « Rapport au CC à la Conférence agraire sur les conditions et les suggestions pour l’avenir », 4 aout 1947, dans Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 1289-1290)

Le tournant de l’été 1947 permet au PCC de sauver les « zones libérées » et de recruter largement. Il passe « de 1 200 000 à 2 700 000 membres entre 1945 et 1947 » (Guillermaz, p. 440).

1947 : le gouvernement de Nankin commence à perdre pied

L’inflation galopante mine l’État bourgeois.

En 1947, l’inflation plus encore que la fortune toujours incertaine des armes a un effet démoralisateur, et même déstabilisateur : on assiste à la fois à une chute de la production et à une hausse prodigieuse des prix. En juin 1947, il faut 36 000 dollars chinois pour obtenir 1 dollar américain, en novembre de la même année, 500 000 sont nécessaires, un million en mars, dix millions en aout 1948. (Roland Lew, 1949, Mao prend le pouvoir, Complexe, 1981, p. 17)

Corruption, rackets, arnaques sont les activités préférées de l’état-major de l’ANR du GMD. À l’été 1947, la roue tourne en Mandchourie. Le PCC réactive la réforme agraire et renoue avec la guerre de mouvement.

En novembre 1947, les forces communistes avaient réussi à isoler les principales villes du centre et du sud de la Mandchourie et à couper les liaisons de communication avec la Chine du Nord… Ces progrès ont permis à Mao de rédiger une directive du CC, datée du 1er septembre 1947, pour analyser la guerre et la stratégie pour l’année suivante. Le repli stratégique n’était plus nécessaire ; au lieu de cela, une contre-offensive à l’échelle nationale serait lancée dans les zones tenues par le GMD… (Tony Saich, From Rebel to Ruler: 100 Years of the CCP, 2021, Harvard University Press, p. 182)

La déliquescence de l’armée officielle se propage. Les désertions massives, les redditions et retournements de bataillons entiers ébranlent le moral des troupes mal nourries.

L’URSS aide discrètement par des armes et la construction d’infrastructures.

En juin 1948, lorsque l’armée de Mao préparait la dernière offensive qui devait lui permettre de s’emparer de toute la Mandchourie, Staline envoya son ancien ministre des chemins de fer, Ivan Kovalev, superviser les travaux. Au total, les Russes présidèrent à la réfection de plus de 10 000 kilomètres de voies ferrées et de 120 ponts importants. Le système ferroviaire joua un rôle crucial, car dès l’automne les communistes purent déplacer très vite de grandes quantités de soldats et d’artillerie lourdes afin d’attaquer les villes principales. (Jung Chang et Jon Halliday, Mao, l’histoire inconnue, 2005, Gallimard, 2006, p. 328)

Fin 1947, le rapport de force entre l’armée du GMD et celle du PCC s’inverse. La croissance du PCC reprend et passe « de 1 200 000 à 2 700 000 membres entre 1945 et 1947 » (Guillermaz, p. 440). Sans soviets, le parti stalinien voit arriver « de nombreux transfuges de l’administration et des armées gouvernementales » (Guillermaz, p. 440).

L’Histoire, 2019


1948 : le PPC s’inscrit toujours dans la perspective du capitalisme

Le PCC s’oppose à l’expropriation des propriétaires fonciers, sans parler de celle des capitalistes, tout en partageant partiellement les terres dans les territoires conquis.

Par exemple, quand notre armée remporte des victoires, c’est contre les déviations « de gauche » qu’il nous faut être en garde ; quand elle subit des défaites ou ne gagne que peu de batailles, c’est contre les déviations de droite. Dans la réforme agraire, nous devons combattre les déviations de droite là où les masses ne se sont pas encore véritablement soulevées et où la lutte ne s’est pas encore déployée, et nous garder des déviations « de gauche » là où les masses se sont véritablement soulevées et où la lutte s’est déjà déployée. (Mao Zedong, « Sur quelques questions importantes de la politique actuelle du parti », 18 janvier 1948, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 188)

En 1948, l’APL remporte victoire sur victoire. Contre les vues des anarchistes et des populistes, le socialisme scientifique tenait le prolétariat urbain pour l’acteur central de toute révolution. Or, la cruauté des sièges menés par l’Armée populaire de libération témoigne de l’indifférence du parti stalinien pour la classe ouvrière.

En avril 1948, Lin Biao commença un siège de cinq mois de la ville clé de Changchun, dans le nord-est du pays, où environ 500 000 civils cherchaient refuge. La stratégie consistait à affamer les troupes du GMD pour qu’elles se rendent, transformant Changchun en une « ville de la mort » et ne laissant personne s’échapper. Peut-être jusqu’à 160 000 personnes ont péri. Un siège de dix mois a été mis en place contre Shenyang, une ville clé du nord-est. (Tony Saich, From Rebel to Ruler: 100 Years of the CCP, 2021, Harvard University Press, p. 182-183)

Cinquante ans plus tard, ses disciples khmers iront encore plus loin en vidant les villes du Cambodge en 1975. En 1948, De la Mandchourie à Pékin, partant des campagnes et assiégeant les villes, ses généraux disposent de troupes plus déterminées et de mieux en mieux armées.

Grâce à l’aide de l’URSS, au matériel japonais et américain pris à l’ANR ennemie, les conquêtes des villes du nord s’enchainent. Des centaines de milliers de soldats des troupes de Jiang, paysans pauvres dans l’immense majorité, passent à l’autre camp.

La question de ce qui remplacera le régime du GMD se pose. Malgré le tournant militaire, la stratégie du PCC reste la même : empêcher une révolution prolétarienne prenant la tête des masses paysannes et des étudiants.

La révolution chinoise, à son étape actuelle, a pour but non pas d’abolir le capitalisme en général, mais de renverser la domination de l’impérialisme, du féodalisme, du capitalisme bureaucratique et d’établir une république de démocratie nouvelle des masses populaires, avec les travailleurs comme force principale… (Mao Zedong, « Directive du CC au parti », 1 mars 1948, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 215)

Le PCC subordonne plus que jamais la classe ouvrière et les paysans travailleurs à la bourgeoise nationale.

Dans ces circonstances, il nous est nécessaire et possible de gagner la majorité de la bourgeoisie nationale. (p. 217)

1948 : le PCC conquiert les villes sans exproprier la bourgeoisie

L’APL chasse l’ANR de Manchourie. La dictature nationaliste souffre du chaos de l’hyperinflation, de divisions au sein du Guomindang, de l’abandon de fractions de la bourgeoisie qui lui préfèrent la Ligue démocratique de Chine. L’État bourgeois se décompose.

Néanmoins, la conquête des villes par le Parti « communiste » n’entraine pas la remise du pouvoir au prolétariat, ni même la satisfaction de ses revendications élémentaires.

Quand vous venez d’entrer dans une ville, ne lancez pas à la légère les mots d’ordre pour l’augmentation des salaires et la réduction des heures de travail. En temps de guerre, c’est déjà fort heureux si la production peut continuer et si les heures de travail et le niveau des salaires peuvent être maintenus tels quels. Qu’il soit possible ou non, plus tard, de réduire les heures de travail et d’augmenter les salaires dans une mesure appropriée, cela dépendra des conditions économiques, c’est-à-dire de la bonne marche des entreprises. Ne vous hâtez pas d’organiser la population urbaine dans la lutte pour des réformes démocratiques et pour l’amélioration des conditions de vie. (Mao Zedong, « Télégramme au commandant du front de Louoyang après la reprise de la ville », 8 avril 1948, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 260)

Même la réforme agraire est différée.

Nous ne devons pas appliquer tout de suite notre politique de réformes sociales consistant à distribuer les biens mobiliers et la terre… Au bout d’un an ou deux, ou même trois, quand, dans de vastes bases d’appui, les réactionnaires du Guomindang auront été éliminés, que la situation se sera stabilisée, que les masses ayant pris conscience se seront organisées et que la guerre aura été portée dans des régions éloignées, nous pourrons alors aborder l’étape de la réforme agraire : la distribution des biens mobiliers et de la terre, comme elle a été faite dans la Chine du Nord. On ne peut bruler l’étape de la réduction des fermages et du taux d’intérêt dans aucune nouvelle région libérée. (Mao Zedong, « Problèmes tactique du travail rural dans les nouvelles régions libérées », 24 mai 1948, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 263-264)

Le 24 avril 1948, l’APL reprend Yan’an à l’ANR. À l’été 1948, pour la première fois, l’APL a autant de soldats que l’adversaire. Malgré l’absence d’aviation, l’armée du PCC remporte victoire sur victoire à l’est et au centre du pays. Mao Zedong convoque une direction élargie en septembre 1948. La circulaire qui en découle préconise de « réduire les frais dans la production industrielle, augmenter la productivité du travail », que le parti « surmonte la cécité qui frappe les marchés » (p. 290).

L’affrontement pour Pékin, Nankin et Shanghai engage des millions de soldats.

Chaque camp réunit approximativement un demi-million d’hommes, mais les communistes reçurent l’aide de 2 millions d’auxiliaires paysans, dirigés par Deng Xiaoping, pour fournir le soutien logistique. Comme en Mandchourie, la bataille commença par la destruction de l’une des unités les plus fiables de Jiang. Les colonnes de secours furent bloquées par l’action de guérilla communiste et, lorsque des renforts à grande échelle se mirent en route, ils tombèrent dans un gigantesque piège que Liu Bocheng avait tendu près de Xuzhou. Le 10 janvier, quand s’acheva la campagne du Huaihai, 200 000 soldats nationalistes étaient morts ou blessés et 300 000 s’étaient rendus. Alors que Jiang n’était toujours pas revenu de cette défaite, Lin Biao resserrait l’étau autour de deux villes du Nord. Tianjin tomba le 15 janvier. Une semaine plus tard, le commandant nationaliste de Pékin, le général Fu Zuoyi, négocia la reddition de la capitale, prétendument pour lui épargner un bombardement communiste. Ses 200 000 hommes furent intégrés dans l’APL et, plus tard, il lui fut attribué une sinécure dans le nouveau gouvernement communiste. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, 1999, Fayard, 2005, p. 363)

1949 : le parti stalinien s’empare du pouvoir et musèle la classe ouvrière

En janvier 1949, malgré Staline, Mao Zedong évince le GMD de tout futur gouvernement. Il invoque déjà l’exemple des « démocraties populaires » d’Europe centrale où, s’appuyant sur l’armée de l’URSS, des partis staliniens ont nationalisé l’économie et expulsé du gouvernement les partis bourgeois. Et il songe sans doute au précédent de la Yougoslavie et de l’Albanie où la guérilla stalinienne locale a pris directement le pouvoir, ce qui confère aux bureaucraties de ces pays une légitimité lui permettant de défier celle de l’URSS.

Pour autant, les huit conditions de Mao pour négocier ne mettent aucunement en cause l’État bourgeois.

Le Parti communiste chinois est prêt à engager des négociations de paix avec le gouvernement réactionnaire GMD de Nankin, ou bien avec tout gouvernement local ou groupe militaire du GMD, sur la base des conditions suivantes : 1) Punir les criminels de guerre ; 2) Abolir la pseudo-Constitution ; 3) Abolir le pseudo-système juridique ; 4) Réorganiser toutes les troupes réactionnaires selon les principes démocratiques ; 5) Confisquer le capital bureaucratique ; 6) Réformer le système agraire ; 7) Dénoncer les traités de trahison nationale ; 8) Convoquer une conférence consultative politique sans la participation d’éléments réactionnaires et former un gouvernement démocratique de coalition. (Mao Zedong, « Déclaration sur la situation actuelle par le président du comité central du Parti communiste chinois », 14 janvier 1949, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 334-335)

L’APL entre dans les grands centres urbains de l’est et du sud.

Quand le PCC investit Tianjin en 1949, Liu Shaoqi est dépêché sur place pour mettre fin à une brève période d’anarchie et de revendications radicales et appliquer la ligne modérée du parti. Il reconnait aux capitalistes le droit de licencier, exige la discipline et admet même la possibilité de journées de travail de plus de huit heures. (Roland Lew, 1949, Mao prend le pouvoir, Complexe, 1981, p. 58)

Pour faire taire toute initiative ouvrière que les grèves contre l’inflation laissent entrevoir, le PCC infiltre ce qui reste des administrations du régime officiel.

La plupart de ses adhérents sont des « taupes », qui demeurent dans l’ombre à attendre le signal qui les mettra en activité, comme 500 d’entre eux infiltrés dans la police ou quelques dizaines d’officiers de la garnison. Ce redéploiement militant s’inscrit en effet dans une stratégie clairement militaire, qui repose sur la force des armes. Les ouvriers sont invités à ne pas trop participer à leur libération. (Alain Roux, « Le syndrome de Ye Gong : le Parti communiste chinois et les ouvriers à la veille de la prise de Shanghai », Citadins et citoyens dans la Chine du XXe siècle, Maison des sciences de l’homme, 2010, p. 473-49)

Lors de la réunion plénière du comité central, en mars 1949, le PCC adopte un programme économique. Il s’agit de préserver le capitalisme, en s’en tenant à la doctrine du fondateur du GMD, Sun Yat-sen.

Du fait que l’économie chinoise est encore retardataire, il sera nécessaire, pendant une période assez longue après la victoire de la révolution, d’utiliser autant que possible les facteurs positifs du capitalisme privé des villes et de la campagne dans l’intérêt du développement de l’économie nationale. Pendant cette période, il faudra permettre à tous les éléments du capitalisme urbain et rural qui sont profitables et non nuisibles à l’économie nationale d’exister et de se développer. Ceci est non seulement inévitable, mais encore économiquement indispensable… Il nous est nécessaire et utile de nous servir du mot d’ordre de Sun Yat-sen « contrôle du capital ». (Mao Zedong, « Rapport à la deuxième session du CC », 5 mars 1949, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 386-387)

Shanghai, le premier centre prolétarien du pays, fait donc figure de test. L’inflation atteint alors des sommets et la lutte pour se nourrir fait rage. Après avoir traversé le fleuve Yangzi, l’APL est aux portes de la ville. Mao Zedong et Zhu De font diffuser un appel contre toute grève et donc contre tout comité de grève, comité d’action ou soviet.

Que le peuple de tous les milieux, sans distinction de classe, de croyance ou de profession, respecte l’ordre public et adopte une attitude de coopération envers l’Armée populaire de libération. Celle-ci, de son côté, adoptera la même attitude envers le peuple de tous les milieux… Nous espérons que les ouvriers et employés de toutes professions poursuivront leur travail comme à l’accoutumée et que tous les magasins resteront ouverts… Toute grève perlée et tout sabotage seront punis. (Mao Zedong & Zhu De, « Proclamation de l’APL de Chine », 25 avril 1949, Œuvres choisies, t. 4, ELE, p. 415-416)

Shanghaï, 2 octobre 1949


L’APL entre à Pékin le 23 janvier 1949. Le 24 avril, Nankin, la capitale du régime du GMD, tombe. Le 3 mai, c’est au tour de Hangzhou. Le 15 mai, l’APL prend Wuhan ; le 27 mai, Shanghaï.

Le 30 septembre 1949, le PCC forme un gouvernement de coalition avec tous les partis bourgeois, sauf le GMD. Le 1er octobre, Mao, entouré des politiciens bourgeois « progressistes », proclame à Pékin la République populaire de Chine. Le 2 octobre, le GMD fuit le continent pour Taïwan.

(à suivre)