Lettre de lecteur : réflexion après la visite du salon de l’agriculture

Le paysan est un petit-bourgeois qui se rapproche plus ou moins du prolétariat et qui, dans certaines conditions, peut-être plus ou moins solidement conquis par le prolétariat à la cause de la révolution. (Lev Trotsky, Les Communistes et les paysans en France, 22 avril 1922)

Mercredi 28 février, je suis allé au Salon de l’agriculture. J’y ai côtoyé, bien involontairement, Lassalle (ex-MoDem), Le Pen (RN), j’ai évité de peu Philippot (LP) qui y était la veille.

Marine Le Pen au salon de l’agriculture, 28 février 2024


Maréchal Le Pen et Zemmour au salon de l’agriculture, 29 février 2024


La stratégie communiste repose sur l’hégémonie du prolétariat, neutralisant ou ralliant les classes intermédiaires, dont les « paysans », les travailleurs indépendants de l’agriculture. Bien évidemment, cela n’a plus la même importance qu’au XIXe siècle, surtout avec l’instauration de la politique agricole commune (PAC) en 1962. L’agriculture est désormais bien différente. Les changements induits par la PAC ont modifié les rapports de production des denrées agricoles. La petite exploitation paysanne est remplacée de plus en plus par la grande exploitation de type « openfield », fortement mécanisée avec l’emploi massif de pesticides et de nombreux défrichements.

De plus, le monde agricole n’a jamais été et n’est pas un bloc monolithe : les intérêts divergent en fonction des secteurs d’activité, certains bénéficiant plus que d’autres des financements de la PAC depuis les réformes de 1992 et 2003 renforçant la priorité aux gros exploitants.

Agreste, Info Rapides n° 24, mars 2024


En 2023, les agriculteurs ont été touchés par des couts de production à la hausse en raison de l’augmentation des prix de l’énergie, de l’outillage, des tensions sur le marché mondial en plus d’être confronté la concurrence capitaliste. Les revenus sont aussi de plus en plus instables. Cette incertitude est provoquée par l’instabilité des marchés. S’y ajoute l’endettement auprès de grandes entreprises comme Monsanto ou Bayer.

La France est certes encore une puissance agricole mais aussi une puissance impérialiste déclinante, même si elle résiste encore bien sur les exportations de céréales.

La diminution du nombre d’exploitations agricoles n’est pas tant le fruit d’une absence de « renouvèlement générationnel », comme le déclarent les chambres d’agriculture, que d’une concentration des terres.



Entre 2010 et 2020, le nombre de micro exploitations diminue de 4,0 % par an en moyenne, tandis que celui des grandes exploitations augmente de 0,4 % par an. En 2020, ces dernières représentent 20 % des exploitations, contre 28 % pour les plus petites. (INSEE, Transformations de l’agriculture et des consommations alimentaires, 27 février 2024, p. 98)

Symptomatiques de cette évolution, les dirigeants de la FNSEA sont pour beaucoup de véritables capitalistes.

Ces évolutions ne peuvent être ignorées par les marxistes pour mener une politique à destination des agriculteurs.

L’influence des réactionnaires dans le monde agricole ne peut être contrecarrée par les petites phrases des sociaux-patriotes en visite au salon.

Le sauciflard, l’apéro c’est aussi notre culture. (Olivier Faure, La Dépêche, 29 février 2024)

Penser que revendiquer des traditions populaires suffirait à faire revenir les ouvriers, qui se sont détournés de ces partis en raison des multiples trahisons, sans parler des paysans, pour stopper cette décrépitude électorale, est un leurre.

La stratégie bolchevik-léniniste doit reposer sur l’abolition du capitalisme qui pille les ressources. Par conséquent, il faut un programme révolutionnaire défendu par un parti d’avant-garde et non une chasse aux postes (maires, députés, ministres…) reposant sur le jeu électoral.

Le paysan français ne se risquera sérieusement que lorsqu’il verra que les conditions sont telles qu’elles assurent le succès ou tout au moins le rendent extrêmement vraisemblable. Il doit voir devant lui la force lui inspirant la confiance par sa masse et sa discipline. Si elle était éparpillée sur la ligne politique et syndicale, la classe ouvrière ne saurait représenter cette force aux yeux du paysan. Une condition préliminaire de la révolution triomphante en France, c’est l’attraction d’une partie aussi grande que possible des paysans vers la classe ouvrière. (Lev Trotsky, « Les communistes et les paysans en France », L’Humanité, 22 avril 1922)

Ainsi, les révolutionnaires doivent défendre l’unité de la classe ouvrière et des agriculteurs sur la base du programme de la IVe Internationale et exiger :

  • expropriation sans indemnités des grands groupes agricoles capitalistes, des grands propriétaires fonciers et du système bancaire
  • annulation des dettes
  • sécurité sociale de l’alimentation avec l’indexation des salaires sur l’inflation pour permettre aux plus démunis de manger correctement
  • revenu minimum garanti pour les agriculteurs
  • maintien du respect des normes environnementales, de la jachère, des reboisements…
  • planification pour éviter un épuisement des ressources et freiner l’empreinte de l’agriculture sur l’environnement

29 février 2024, Jonathan

Chambres d’agriculture France, Les chiffres 2022 de l’agriculture française

INSEE, Tableaux de l’économie française, Exploitations agricoles

Léon Trotsky, Les communistes et les paysans en France, avril 1922