Histoire du Parti communiste chinois (6) : 1939-1940

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(chapitre 10 : 1947-1949)

(chapitre 9 : 1945-1946)

(chapitre 8 : 1943-1945)

(chapitre 7 : 1941-1943)

(chapitre 6 : 1939-1940)

(chapitre 5 : 1935-1938)

(chapitre 4 : 1931-1935)

(chapitre 3 : 1928-1931)

(chapitre 2 : 1925-1927)

(chapitre 1 : 1911-1924)

Contrairement à la continuité affichée par Xi pour des raisons nationalistes, on trouve sous le même nom de PCC des organisations qui sont de plus en plus éloignées du communisme :

  • une petite organisation ouvrière révolutionnaire, née de la révolution russe [1921-1923, voir Révolution communiste n° 47]
  • l’auxiliaire du parti nationaliste bourgeois GMD [1923-1927, voir Révolution communiste n° 48]
  • un parti-armée basé sur la paysannerie et lié à la bureaucratie de l’URSS [1927-1949, voir Révolution communiste n° 49, 50, 51]
  • l’instrument politique de la bureaucratie d’un État ouvrier analogue à l’URSS stalinienne [1950-1992]
  • le parti unique de la nouvelle bourgeoisie chinoise [1992-…].

1939 : le front uni antijaponais

Lancée en 1937, l’invasion impérialiste est d’une rare cruauté, même si le Japon évite le terme « guerre » pour éviter les sanctions internationales. Après la perte de Wuhan fin 1938, Jiang Jieshi (Chiang Kaï-shek) replie le gouvernement du parti nationaliste bourgeois Guomindang (GMD) sur Chongqing. Un tiers de la Chine est occupé au nord et à l’est ; les grandes villes et les voies ferrées sont sous contrôle nippon. Son armée est mal équipée, d’autant que plusieurs usines d’armement sont tombées aux mains de l’envahisseur.

Pour préserver ses frontières face au Japon et défendre ses privilèges de caste sociale, la bureaucratie du Kremlin fournit un soutien conséquent.

Entre 1937 et 1941, l’Union soviétique fournit à la Chine 904 avions, 82 chars, 1 140 pièces d’artillerie, 9 702 mitrailleuses, 50 000 fusils d’assaut, 180 millions de munitions, 31 600 bombes, 2 millions d’obus, 602 tracteurs, 1 516 automobiles, plusieurs milliers de conseillers militaires et quelques pilotes de chasse. L’URSS devint ainsi un énorme fournisseur d’armes pour la Chine. (Kristian Gautier, La Bataille de Nomonhan, Université du Québec, 2016, p. 86)

Malgré des pertes importantes, le gouvernement GMD tente deux contre-offensives qui échouent au printemps et à l’automne 1939.

L’année 1939 sera marquée par la conquête de Hainan (10 février), par la bataille de Nanchang (mars-avril) qui donnera la capitale du Kiangsi aux Japonais. La première bataille de Changsha en septembre et en octobre sera le grand évènement de l’année. Les Japonais y engageront près de 100 000 hommes et s’empareront d’une bonne part de la récolte de cette riche province. (Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, Payot, 1975, t. 1, p. 296-297)

La signature du traité germano-soviétique le 23 aout 1939 change les relations entre l’URSS et Jiang. Le front uni entre le PCC et GMD est voulu conjointement par Staline et Mao Zedong. Selon Staline, l’armée du PCC doit se ranger sous la discipline de l’état-major du GMD. Officiellement, l’Armée rouge disparait et devient la 8e armée de route de l’Armée nationale révolutionnaire. Mais Mao manœuvre et maintient intelligemment un commandement indépendant.

Renforcer l’unité entre tous les partis antijaponais, en particulier l’amitié entre le GMD et le PC —ce sont les principes de base pour surmonter le danger en Chine, et faire en sorte que le gouvernement soit en mesure d’atteindre ses objectifs, surmonter la situation actuelle et vaincre l’agresseur japonais. (CC du PCC, « Notre opinion sur le travail passé de l’Assemblée et la situation actuelle », 8 septembre 1939, dans Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 896)

Comme celles des autres partis « communistes » de l’époque, la direction du PCC n’oublie pas de fêter l’anniversaire du chef suprême.

Fêter Staline, ce n’est pas une formalité. Fêter Staline, c’est prendre parti pour lui, pour son oeuvre. (Mao Zedong, « Staline, l’ami du peuple chinois », 20 décembre 1939, Oeuvres choisies, ELE, t. 2, 1967, p. 357)

1939-1940 : l’extension des zones libérées

La guerre et le blocus japonais font grimper les prix des importations de 72 % en 1938 et de 100 % en 1939. Le recours à la planche à billets conduit à une inflation galopante : 49 % en 1937, 83 % en 1939, 124 % en 1940.

La bourgeoisie nationale est plus préoccupée de détruire tout potentiel révolutionnaire que de mobiliser le peuple contre l’envahisseur impérialiste.

Le plénum du GMD a décidé d’intensifier ses mesures de restriction des activités du PCC et a adopté une série de mesures en janvier et février à cet effet. Au cours du printemps et de l’été, les conflits armés se sont multipliés. En outre, le GMD a commencé son blocus de la région frontalière de Shaan-Gan-Ning, et en octobre 1939, il a coupé le soutien financier et logistique. En décembre, les forces du gouvernement central et les forces locales dirigées par Yan Xishan ont commencé à attaquer la région frontalière. Les mesures répressives se poursuivent et de nombreux affrontements ont lieu autour des zones de base de la Chine du Nord. (Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 854)

Sans affronter l’armée japonaise, alors redoutable, le PCC progresse dans les zones paysannes qu’elle délaisse.

Ainsi, à la fin de 1939, les communistes se trouvent-ils sur cinq provinces. Cependant, les nouvelles administrations auront beaucoup de mal à s’implanter et leur pouvoir demeurera jusqu’à la fin précaire. L’importance de la région détermine les Japonais à l’assainir périodiquement. Des « campagnes de nettoyage » démantèlent fréquemment les structures administratives communistes et décourage les populations qui restent autant qu’elles le peuvent à l’écart de compromettantes élections et fournissent peu de responsables. Mais il arrive parfois que la brutalité des représailles japonaises serve au contraire les communistes en engageant de leur côté nombre de paysans ruinés. (Jacques Guillermaz, Histoire du parti communiste chinois, t. 2, Payot, 1975, p. 314-315)

Dans un rapport à Staline de janvier 1940, Zhou Enlai écrit qu’un million de soldats chinois sont morts depuis le début de la guerre. Par dizaines de milliers, des citadins rejoignent les « zones libérées » (elles ne sont plus appelées soviétiques), dont Jiang Qing, une actrice de Shanghaï. Avalisée par le chef de la sécurité du PCC, Kang Sheng, elle devient en novembre 1939 la quatrième épouse de Mao alors que la règle, pour la base, est le puritanisme.

1939-1940 : la Nouvelle démocratie selon Mao

En octobre 1939, avec l’aide de Chen Boda, son secrétaire particulier depuis 1937, et de Zhang Wentian (Luo Fu), le secrétaire général du PCC, Mao entreprend de justifier idéologiquement sa variante du menchévisme : le renouvèlement, malgré l’expérience tragique de 1927, du front unique anti-impérialiste avec le GMD.

Mao fit ses débuts en tant que stalinien accompli dans le débat sur la stratégie de la révolution chinoise avec « La Révolution chinoise et le Parti communiste chinois » en 1939… En 1940, dans « La nouvelle démocratie », il exposa sa stratégie avec plus d’aisance et de profondeur… En substance, c’est une reprise du vieux menchevisme. (Wang Fanxi, Mao Zedong Thought, 1961-1964, Haymarket, 2021, p. 139-140)

Pour cela, Mao fait allégeance aux « 3 principes » creux (nationalisme, démocratie, bienêtre du peuple) de Sun Zhongshan (Sun Yat Sen) et se réclame du Manifeste du premier congrès du GMD, en 1924, du temps où celui-ci cherchait l’aide de l’URSS et à se soumettre le prolétariat chinois.

Nous, communistes, nous admettons « les trois principes du peuple » comme base politique du front uni national antijaponais. (Mao Zedong, « La démocratie nouvelle », janvier 1940, Oeuvres choisies, ELE, t. 2, 1967, p. 389)

Grâce à sa clairvoyance, Sun Zhongshan, avec l’aide de l’Union soviétique et du Parti communiste chinois donna une nouvelle interprétation des trois principes… ce qui permit d’établir pour la première fois une coopération entre le Guomindang et le Parti communiste, d’obtenir l’adhésion de toute la nation et d’entreprendre la révolution de 1924-1927. (p. 394)

Mao et Chen soutiennent que la Chine n’est toujours pas capitaliste, que les forces productives et les rapports de production précapitalistes prédominent, alors qu’ils sont depuis plusieurs décennies déstructurés et soumis au capitalisme mondial.

C’est le régime féodal ou semi-féodal qui prédomine. Tel est le caractère de la société chinoise actuelle, telle est la situation de la Chine d’aujourd’hui. La politique et l’économie de cette société sont à prédominance coloniale, semi-coloniale et semi-féodale, et la culture qui prédomine, reflet de cette politique et de cette économie, est aussi coloniale, semi-coloniale et semi-féodale. C’est contre ces formes politique, économique et culturelle dominantes qu’est dirigée notre révolution. (p. 365)

Du caractère colonial (le territoire occupé par le Japon) et semi-colonial (ce qui lui échappe) de la Chine découlerait le rôle révolutionnaire que conserve sa bourgeoisie.

Comme la Chine est un pays colonial et semi-colonial, victime d’agressions, la bourgeoisie nationale peut avoir à certains moments et jusqu’à un certain point un caractère révolutionnaire. (p. 365)

La révolution à l’ordre du jour reposerait sur une large alliance de classes incluant la majorité des exploiteurs et impliquerait une révolution locale d’envergure limitée.

Dans le cours sinueux de la révolution chinoise réapparait, mais en plus vaste, le front uni des quatre classes. Il comprend en effet, dans la couche supérieure de la société, de nombreux représentants des milieux gouvernants, dans la couche moyenne, la bourgeoisie nationale et la petite bourgeoisie et, dans la couche inférieure, tous les prolétaires. (p. 403)

Le bloc avec la bourgeoisie « nationale », et même avec « une couche supérieure » à celle-ci, repousse à un horizon très lointain toute révolution socialiste.

Ce type de révolution se développe actuellement en Chine et dans tous les pays coloniaux et semi-coloniaux, nous l’appelons la révolution de démocratie nouvelle. Elle fait partie de la révolution socialiste prolétarienne mondiale, elle combat résolument l’impérialisme, c’est-à-dire le capitalisme international. Politiquement, elle vise à instaurer la dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires sur les impérialistes, les traitres et les réactionnaires ; elle lutte contre la transformation de la société chinoise en une société de dictature bourgeoise. Économiquement, elle a pour but de nationaliser les gros capitaux et les grandes entreprises des impérialistes, des traîtres et des réactionnaires, ainsi que de distribuer aux paysans les terres des propriétaires fonciers, tout en maintenant l’entreprise capitaliste privée en général et en laissant subsister l’économie des paysans riches. (Luo Fu, Mao Zedong & Chen Boda, « La révolution chinoise et le Parti communiste chinois », 10 octobre 1939, Oeuvres choisies, ELE, t. 2, 1967, p. 348)

La « nouvelle démocratie » diffère de la « république de démocratie bourgeoise » (Europe, Amérique) et de la « république de dictature prolétarienne » (URSS). Ce sera une « république de dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires » (p. 375, p. 377) : « Aujourd’hui, en Chine, cet État de démocratie nouvelle prend la forme du front uni antijaponais » (p. 376).

La réalité politique des « zones libérées »

En fait, la « nouvelle démocratie » n’a pas grand-chose à voir avec la démocratie. Ni le terrritoire du GMD, ni les zones du PCC ne sont démocratiques, pas même au sens de la démocratie tronquée du parlementarisme bourgeois et encore moins au sens de la démocratie réelle du pouvoir des travailleurs de la Commune de Paris de 1871, des soviets russes de 1905 et de 1917. Il s’agit avant tout d’éloigner le spectre de la révolution prolétarienne.

Dans le cours de son histoire, la révolution chinoise doit passer par deux phases ; la première, c’est la révolution démocratique, la seconde, la révolution socialiste ; ce sont deux processus révolutionnaires de caractère différent. (Mao Zedong, « La démocratie nouvelle », janvier 1940, Oeuvres choisies, ELE, t. 2, 1967, p. 366)

Dans son rapport à Staline de janvier 1940, Zhou Enlai indique que le PCC compte 498 000 adhérents (dont 290 000 soldats) et que son budget est financé à « 40 % par l’impôt foncier et diverses taxes, 42 % provenant d’une aide fournie par l’IC et 18 % par le gouvernement » (Alain Roux, Chiang Kaï-shek, Payot, 2016, p. 320).

Une bureaucratie, privilégiée par rapport au niveau de vie de la masse des paysans, mais encore modeste, administre les zones libérées. Les élections y sont peu démocratiques, la direction stalinienne nommant les candidats et décidant de la proportion de représentants de « chaque classe sociale ». Sur le modèle du PC de l’URSS, le secrétariat, qui est permanent, contrôle de fait le PCC à la place des réunions du comité central et même du bureau politique.

La terreur y règne, dont le maitre d’œuvre n’a même pas participé à la Longue marche mais a été formé à l’école des tortionnaires de la GPU de l’URSS.

Avec l’appui de Mao, Kang Sheng élargit constamment son domaine au-delà de la simple police politique. Le Jardin des dattes au nom poétique est bientôt synonyme d’« antre du démon » ; il est honni par les cadres du PCC, car il est devenu non seulement le QG de Kang mais il est assorti de salles d’interrogatoires et de prisons, construites dans les collines de Loess, où l’on enferme des suspects qu’on interroge jusqu’à ce qu’ils aient prononcé leur autocritique et rédigé leur confession en bonne et due forme. Ce qui leur vaudra, selon les cas, une balle dans la nuque ou de figurer comme cible d’une réunion publique de « lutte de masse » dans laquelle ils s’autoflagelleront. (Roger Faligot, Les Services secrets chinois, Nouveau monde, 2010, p. 81-82)

[à suivre]