100 ans après la fondation du Parti communiste chinois (1)

TelegramWhatsappTwitter Facebook

(chapitre 10 : 1947-1949)

(chapitre 9 : 1945-1946)

(chapitre 8 : 1943-1945)

(chapitre 7 : 1941-1943)

(chapitre 6 : 1939-1940)

(chapitre 5 : 1935-1938)

(chapitre 4 : 1931-1935)

(chapitre 3 : 1928-1931)

(chapitre 2 : 1925-1927)

(chapitre 1 : 1911-1924)

Le Parti communiste chinois, avec Xi Jinping à sa tête, a fait le choix d’écrire sa propre histoire. Et c’est normal, c’est bien que les choses se déroulent de cette manière. (Fabien Roussel, premier secrétaire du Parti communiste français, Xinhua, 21 juin 2021)

On ne sait pas si Roussel, chef d’un parti qui n’est plus communiste depuis longtemps, a lu 1984 mais il est sûr que le faussaire admire un maître qui le surpasse : Xi Jinping. Ce capitaliste (sa famille détient une villa estimée à plus de 30 millions de dollars à Hongkong et un patrimoine financier de centaines de millions d’euros dans la téléphonie mobile, l’immobilier, les minerais), à la tête de la deuxième puissance impérialiste du monde, ose célébrer la fondation d’un parti révolutionnaire prolétarien.

2021, la célébration du 1er juillet, une falsification historique

Le 1er juillet 2021 sur la Place Tiananmen, le secrétaire général Xi Jinping fête officiellement le prétendu 100e anniversaire de son parti. Triés sur le volet, les 70 000 membres présents applaudissent le défilé militaire et le discours du chef suprême.

Xi veut apparaître en « grand timonier » guidant le peuple. Habillé d’une veste identique à celle de Mao, il s’affiche, entouré de ministres et de son prédécesseur Hu Jintao, au-dessus de l’immense portrait de Mao qui décore en permanence la place la plus policière du monde.

Comme Mao en son temps, Xi purge ses adversaires du PCC. Comme auparavant la « pensée Mao Zedong », le parti a incorporé la « pensée Xi Jinping » (sic) à sa charte. Comme depuis la prise du pouvoir par le PCC, les grèves et toute expression ouvrière indépendante sont réprimées par l’État dirigé par le parti « communiste ».

Mais les apparences sont trompeuses. Si Xi use des mêmes recettes que celles de Mao, en se parant des mêmes rites, ils ne recouvrent pas le même contenu social. La République populaire de Chine, fondée par le PCC en octobre 1949, prend rapidement les traits d’un État ouvrier dégénéré sur le modèle de l’URSS en expropriant face à la menace impérialiste, puis en planifiant l’économie étatisée. Jamais la classe ouvrière ni la paysannerie pauvre n’exercent le pouvoir. Il est aux mains d’une couche parasitaire, privilégiée et totalitaire dont le PCC est l’expression politique.

La lutte entre les fractions de la bureaucratie secoue le pays « socialiste » à plusieurs reprises (en particulier en 1967) sans que la classe ouvrière puisse s’emparer du pouvoir en et ainsi sauver les conquêtes économiques et sociales.

Après la mort de Mao en 1976, Deng Xiaoping (1904-1997) procède d’abord à des réformes pro-capitalistes analogues à celles qui ont eu lieu en URSS et dans les pays de l’Est dans les années 1960 et 1970. Puis sa fraction, après avoir écrasé le soulèvement de la jeunesse rejoint par la classe ouvrière en 1989, décide le rétablissement du capitalisme en 1992. Les restaurationnistes conservent le parti unique, terrorisés par le précédent de l’URSS où le multipartisme a débouché sur l’éclatement du pays.

Par conséquent, en 2021, il n’est pas question d’exactitude historique. Xi fête « le renouveau de la nation chinoise » en promettant que ce « processus historique irréversible » aboutira en 2049 quand la Chine dépassera économiquement les États-Unis. Il affirme qu’« édifier un État puissant requiert une armée puissante en mesure de se hisser au premier rang mondial ». L’exploitation capitaliste à l’intérieur, la rivalité avec les autres puissances impérialistes à l’extérieur sont les préoccupations du PCC aux ordres du gouvernement et au service de la bourgeoisie nationale. Mais la lutte des classes ne peut pas être totalement contrôlée par Xi et son « parti ».

1911, l’incapacité de la bourgeoisie naissante à unifier et moderniser la Chine

L’introduction du capitalisme dans ce pays paysan, le plus peuplé du monde (400 millions de personnes) se fait par la guerre coloniale, en particulier britannique, et les « traités inégaux » imposés par les puissances impérialistes (Grande-Bretagne, France, Pays-Bas, Allemagne, Russie, États-Unis, Autriche-Hongrie, Portugal, Japon) à l’État chinois.

La guerre en Chine a donné un coup fatal à la Chine antique. Son isolement est devenu impossible, et l’introduction du chemin de fer, des machines à vapeur, de l’électricité et de la grande industrie devient dès lors une nécessité, ne serait-ce que pour des raisons militaires. Ainsi, s’effondre tout le vieux système économique de la petite culture paysanne, où l’on produisait aussi les articles industriels pour toute la famille, donc tout le système social traditionnel qui permettait de faire vivre une population relativement dense. (Friedrich Engels, « Lettre à Sorge », 10 novembre 1894, Marx et Engels, La Chine, 10/18, p. 320)

À la fin du XIXe siècle, sur fond de révoltes paysannes et de déliquescence de l’empire, la bourgeoisie chinoise naissante se divise. Une aile est dépendante de l’impérialisme, beaucoup sont liés à la grande propriété foncière, une faction veut s’emparer du pouvoir au détriment de la monarchie et de l’étranger.

Expression politique de cette dernière, Sun Zhongshan (Sun Yat Sen, 1866-1925) fomente en 1895 un coup d’État pour renverser la dynastie mandchoue des Qing mais échoue. En 1911, une révolution spontanée éclate à Wuchang, elle renverse l’empereur et donne le pouvoir à Sun. Mais la nouvelle république est tenue en échec par Yuan Shikai (1859-1916), placé à la tête de l’armée par l’impératrice et soutenu par les puissances occidentales et les grands propriétaires ruraux. En 1912, Sun fonde un parti nationaliste, le Guomindang (Kuomintang, Parti nationaliste chinois, GMD). Son programme en 3 points promet l’indépendance nationale, la démocratie et un accès égalitaire à la terre.

L’autre classe qui émerge au même moment, en particulier à Canton, Hongkong et Shanghai, est la contrepartie de l’apparition de capitalistes, même si elle est encore très minoritaire à l’échelle du pays.

Plus il y aura de villes comme Shanghai, plus le prolétariat se développera. Il formera vraisemblablement tel ou tel parti ouvrier social-démocrate chinois, qui, en critiquant les utopies petites-bourgeoises et les points de vue réactionnaires de Sun Zhongshan, saura probablement isoler avec soin, sauvegarder et développer le noyau démocratique révolutionnaire de son programme politique et agraire. (Vladimir Lénine, « Démocratie et populisme en Chine », 15 juillet 1912, Oeuvres, Progrès, t. 18, p. 168)

En 1913, des élections se tiennent. Le GMD obtient la majorité à l’assemblée nationale. Mais Yuan renverse Sun et réprime le GMD. À la mort de Yuan Shikai, le territoire est émietté entre gouverneurs militaires (les « seigneurs de guerre »).

Dans l’empire russe voisin à cheval entre Europe et Asie, le prolétariat renverse la monarchie en février 1917 mais deux des trois partis socialistes remettent le pouvoir à la bourgeoisie « démocratique ». Le Parti bolchevik, devenu majoritaire dans les soviets, renverse le gouvernement bourgeois et donne le pouvoir à la classe ouvrière et à la paysannerie. La révolution d’Octobre déclenche une vague révolutionnaire dans le reste de l’Europe et de l’Asie.

1921, la naissance du PCC dans la vague de la révolution d’Octobre

Le 4 mai 1919, la jeunesse étudiante de Pékin s’oppose au nouveau partage impérialiste décidé par les vainqueurs (États-Unis, Grande-Bretagne, France) lors du traité de Versailles. Celui-ci octroie les concessions allemandes de la province du Shandong au Japon. Les étudiants reçoivent le soutien d’une partie des bourgeois et de la classe ouvrière. Le boycott des produits japonais est décrété, les ouvriers usent de leurs méthodes : assemblées générales, grèves, manifestations. Quand le gouvernement emprisonne 400 jeunes à Pékin, une grève générale s’engage à Shanghai pour leur libération. Parmi les détenus du 4 mai, figure un professeur de 40 ans, Chen Duxiu (1879-1942), le modernisateur de la langue écrite. À l’initiative de Li Dazhao (1888-1927), lui aussi professeur, Chen se tourne vers le marxisme. Les premiers cercles et revues communistes voient le jour. Le contact est établi avec la 3e Internationale, la Comintern, fondée en mars 1919.

Pour l’IC, deux aspects stratégiques différencient les pays avancés et les pays dominés comme la Chine semi-coloniale : l’importance des revendications démocratiques (indépendance nationale, réforme agraire, assemblée constituante, libertés démocratiques…) ; des accords du parti prolétarien de taille réduite avec la bourgeoisie nationale, quand elle mène une lutte anti-impérialiste réelle, sont envisagés. Le 2e congrès est si confus qu’il adopte deux textes passablement contradictoires, celui de Manabendra Roy (1887-1954) et celui de Lénine qui dit :

L’Internationale communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire. (« Thèses sur la question coloniale », juillet 1920, Quatre premiers congrès, Librairie du travail, p. 58)

En 1920, le russe Grigori Voïtinsky (1893-1953) est envoyé par la Comintern en Chine. Voïtinsky, Li Dazhao et Chen Duxiu discutent de la plateforme d’un futur parti pour unifier la mouvance communiste dispersée politiquement et géographiquement.

Du 23 au 30 juillet (pas le 1er fêté par Xi) 1921, à Shanghai, le premier congrès se tient. Voïtinsky est reparti en Russie. Chen et Li ne peuvent y participer. 13 délégués venus de 6 provinces (dont un jeune instituteur, Mao Zedong, recruté par Li Dazhao qui ne joue pas de rôle significatif). Ils représentent 53 militants dont l’influence rayonne par des syndicats et des associations de masse. Il y a aussi un envoyé de la Comintern, le néerlandais Henk Sneevliet (1883-1942) dit Maring, qui est plutôt réticent.

En juillet 1921, des représentants des groupes locaux se sont réunis à Shanghai et ont décidé de former un parti communiste… bien qu’il eût été préférable de demeurer un groupe de propagande. (Maring, « Rapport au Comité exécutif de l’IC », 11 juillet 1922, dans Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 30-32)

Le congrès fonde la section chinoise de l’Internationale communiste. Chen Duxiu est élu président. Le but du PCC est de « renverser les classes capitalistes et reconstruire la nation à partir de la classe ouvrière jusqu’à l’élimination des distinctions de classes ». Son activité immédiate est définie ainsi :

Notre parti, en adoptant la forme du soviet, organise les ouvriers et les soldats de l’industrie et de l’agriculture, propage le communisme et reconnaît la révolution sociale comme politique principale. (« Programme », 30 juillet 1921, dans Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 16-17)

À partir de décembre 1921, Maring rencontre Sun Zhongshan à Guinlin après que ce dernier a formé un gouvernement à Canton. Il est autant impressionné par le GMD, influent sur les masses locales, que déçu par le PCC qu’il qualifie de « petite secte communiste ». De retour à Shanghaï, en avril 1922, Maring fait pression pour que le PCC rejoigne le Guomindang. La direction repousse l’adhésion, expliquant que le GMD collabore avec les cliques militaires et les États-Unis, ce qui est « incompatible avec le communisme ».

Lors du 2e congrès du PCC, du 16 au 23 juillet 1922, l’effectif est de 196 militants. Les thèses de Lénine sur la question coloniale sont examinées. Le congrès lance un appel aux « éléments révolutionnaires du Guomindang et aux socialistes révolutionnaires » pour une conférence commune. Les communistes chinois s’ordonnent pour une tactique « temporaire » mais « sans jamais fusionner ».

Cependant, les travailleurs ne doivent pas devenir l’appendice de la petite bourgeoisie dans ce front uni démocratique ; ils doivent simultanément lutter pour les intérêts de leur propre classe. Par conséquent, il est très important d’avoir des organisations de travailleurs tant dans le parti que dans les syndicats afin de rappeler fréquemment aux travailleurs qu’ils constituent une classe indépendante et qu’ils puissent former leurs capacités d’organisation et de combat, se préparer à unir les paysans pauvres pour former des soviets, et atteindre le but de l’émancipation complète. (« Manifeste », The Rise to Power of the Chinese Communist Party, p. 42-43)

Si Sun accepte volontiers l’appui de l’URSS, il rejette catégoriquement l’unité avec le PCC et la convocation d’une conférence commune.

1922, l’IC adopte le front uni anti-impérialiste et demande au PCC de rejoindre le GMD

Le PCC envoie des militants se former en Russie. Mais l’orientation de la Comintern, au moment où Lénine tombe malade, va peu à peu changer. La direction du parti russe (la troïka secrète de Zinoviev, Kamenev et Staline) va pousser, dans sa recherche éperdue d’alliances pour l’URSS, à la fusion en Chine du PCC et du GMD. À Moscou, en août, Maring suggère l’adhésion du PCC au GMD. Il est totalement approuvé et reçoit pour mandat de l’imposer (« Consigne de la Comintern au CC du PCC », juillet 1922).

À Shanghai, en août 1922, Maring se heurte toujours à l’opposition du comité central du PCC. Celui-ci conçoit le rapport au GMD comme une alliance, pas comme une adhésion. Fort de l’appui de Radek et Zinoviev, Maring ne se gêne pas pour négocier malgré tout l’entrée avec Sun Zhongshan. Celui-ci refuse l’adhésion du PCC en tant que telle, envisagée à Moscou, mais accepte que les communistes rejoignent un par un, individuellement son parti.

Pour annuler les décisions du 2e congrès, Maring convoque un « plénum » à Hangzou du 28 au 30 août 1922.

Il suggéra au parti communiste de rejoindre le Guomindang. Il affirma vigoureusement que le Guomindang n’était pas un parti de la bourgeoisie, mais un parti commun de classes diverses et que le parti prolétarien devait y entrer pour l’améliorer le pousser vers la révolution. (Chen Duxiu, « Lettre à tous les membres du PCC », 10 décembre 1929, dans Pierre Broué, La Question chinoise dans l’IC, EDI, 1976, p. 443)

Bien que la majorité du CC ne soit pas convaincue, elle cède par discipline envers l’internationale.

Lors du 4e congrès de l’Internationale communiste, en novembre 1922, Zinoviev et Boukharine (Staline ne joue aucun rôle dans la Comintern) n’osent pas défendre ouvertement leur ligne d’adhésion au nationalisme bourgeois en Chine. Cependant, Radek et Zinoviev font adopter le mot d’ordre de « front uni anti-impérialiste » qui, en termes encore prudents, systématise l’alliance avec les partis capitalistes qui se présentent comme anti-impérialistes.

Il est indispensable de forcer les partis bourgeois nationalistes à adopter la plus grande partie possible de ce programme agraire révolutionnaire. (« Thèses sur la question d’Orient », novembre 1922, Quatre premiers congrès, Librairie du travail, 1934, p. 175)

Le texte pour le front uni anti-impérialiste en Asie évoque « une lutte à longue échéance contre l’impérialisme mondial » qui « durera toute une période historique » (p. 177). En conséquence, la nécessité de défendre l’URSS justifierait l’alliance des communistes locaux avec leur bourgeoisie dans les pays coloniaux et semi-coloniaux comme la Chine.

La revendication d’une alliance étroite avec la République prolétarienne des Soviets est la bannière du front unique anti-impérialiste. (« Thèses sur la question d’Orient », p. 177)

Un délégué indien, sans condamner cette ligne rappelle le rôle décisif de la classe ouvrière, même dans les pays arriérés.

Un mouvement national bourgeois dans les pays coloniaux est objectivement révolutionnaire… La lutte révolutionnaire nationale ne peut parvenir à une victoire définitive que sous la direction des ouvriers et paysans, c’est-à-dire d’un parti politique qui représente les ouvriers et les paysans. (Manabendra Roy, 22 novembre 1922, cité par Pierre Frank, Histoire de l’Internationale communiste, La Brèche, t. 1, 1979, p. 221)

Le rapporteur conclut :

Le 2e congrès de l’IC avait décidé de soutenir le mouvement nationaliste bourgeois dans les colonies : c’était une décision juste et il faut continuer. En Orient, la révolution n’est pas proche. (Karl Radek, « Conclusion », 23 novembre 1922, dans Enrica Collotti Pischel et Chiara Robertazzi, L’Internationale communiste et les problèmes coloniaux, Mouton, 1968, p. 99)

1923, Zinoviev oblige le PCC à rejoindre le GMD

En 1923, un cap est franchi. Le 4 janvier, le bureau politique du PCR décide de soutenir le Guomindang. Le comité exécutif de l’Internationale communiste se réunit le 6 janvier. Voïtinski et Maring s’y opposent. Nicolaï Boukharine (1888-1938) qui préside la séance donne raison à Maring, les ouvriers ne constituant qu’une petite minorité, un front uni de tous les éléments démocratiques et révolutionnaires est la seule solution. Voïtinski cède. Le CEI confie à Maring le soin de convoquer un nouveau congrès pour briser les dernières résistances du PCC.

L’ambassadeur de l’URSS, Adolf Ioffé (1883-1927), signe une déclaration commune avec Sun Yat-Sen qui tient Shanghaï. Non seulement elle annonce la collaboration, ce qui n’a rien d’incorrect pour l’URSS, mais elle entérine la mainmise du GMD sur le mouvement révolutionnaire.

Le Dr Sun Yat-sen pense que le système communiste et même celui des soviets ne peuvent pas être introduits en Chine où n’existe aucune condition favorable à leur application. Ce sentiment est entièrement partagé par M. Ioffé qui pense que le problème le plus important et le plus urgent pour la Chine est celui de son unification et de son indépendance nationale. (« Déclaration commune de Sun et Ioffé », 26 janvier 1923, cité par Pierre Broué, Histoire de l’Internationale communiste, Fayard, 1997, p. 283)

La confusion entre concessions inévitables de l’URSS et politique de l’IC, qui a pour précédents la Turquie et l’Iran, est grave. Elle va justifier une réhabilitation de la « révolution par étapes » du vieux POSDR et même l’alliance avec la bourgeoisie chère à son aile menchevik. Elle s’explique par l’émergence d’une bureaucratie d’État qui tire des privilèges au sein même de l’URSS. Lénine l’avait vu se constituer et avait proposé un bloc politique à Trotsky dès 1922 pour contrer Staline qui en était le représentant. La maladie de Lénine, l’isolement de l’URSS et l’échec de la révolution allemande en octobre 1923 permirent à la clique bureaucratique privilégiée d’échapper au contrôle du prolétariat et de s’emparer du parti.

La direction de l’IC est sous le contrôle de la troïka du PCR. Au nom de la « bolchévisation » de la Comintern, son président Zinoviev est de plus en plus autoritaire, excluant ses opposants, destituant les dirigeants qui lui résistent, etc.

Maring propose à la direction de l’IC un rapprochement avec le GMD bien au-delà ce que le 2e congrès de l’IC avait envisagé. Avec succès, il est envoyé en Chine avec les pleins pouvoirs, afin d’imposer la fusion au PCC.

Trotsky entame une lutte ouverte au sein du Parti communiste russe contre la déformation bureaucratique de l’État ouvrier. Il rejette la politique opportuniste en Chine, malgré certains de ses camarades de l’Opposition de gauche du parti russe, dont Karl Radek (1885-1939).

Personnellement, depuis le tout début, c’est-à-dire 1923, j’étais résolument opposé à l’entrée du parti communiste dans le Guomindang comme à l’admission du Guomindang dans la Comintern. Radek a toujours été avec Zinoviev contre moi. (Lev Trotsky, « Lettre à Shachtman », 10 décembre 1930, On China, Monad, 1976, p. 490)

Pourtant, les signes d’une poussée des luttes ouvrières sont évidents. Les militants communistes participent à des grèves des cheminots et dans le textile. Ils aident à la fondation de la première confédération nationale syndicale en mai 1922.

Malgré la répression sanglante des seigneurs de guerre contre les cheminots, le PCC conquiert l’avant-garde ouvrière. Lors du 3e congrès tenu à Canton du 12 au 20 juin 1923, environ 30 délégués représentent 420 militants. Chen reste président. Mais Maring impose de faire adhérer « individuellement » les militants communistes au parti nationaliste.

Puisque la classe ouvrière n’est pas devenue puissante, naturellement un PC fort, un grand parti de masse, ne peut être développé pour répondre aux exigences de la révolution actuelle. Par conséquent, le comité exécutif de l’IC a adopté une résolution selon laquelle le PC chinois doit coopérer avec le GMD. Les membres du PC doivent rejoindre le GMD. (« Résolution sur le mouvement nationaliste et la question du GMD », 22 juin 1923, dans Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, p. 78)

Pour la première fois, Mao Zedong est élu au comité central. Il est un des plus fervents adeptes de la soumission à la bourgeoisie, censée diriger la révolution chinoise. Les directives du comité central manifestent l’adaptation au GMD camouflée sous le phrasé anti-impérialiste.

Dans le mouvement nationaliste, le mouvement d’opposition à l’impérialisme est plus important que le mouvement contre les seigneurs de la guerre. Lorsqu’il y a un conflit entre les seigneurs de la guerre et les impérialistes, nous devons soutenir les seigneurs de la guerre. (« Résolution du CC du PCC », 24 novembre 1923, dans par Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, p. 85)

Dans la pratique, le Guomindang reçoit de l’argent et des armes d’URSS. Des conseillers militaires de l’Armée rouge sont envoyés en Chine ; les officiers du GMD sont formés en URSS comme Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek, 1887-1975), un ancien de la mafia de Shanghai. Sun est lui-même conseillé par Mikhaïl Borodine (1884-1951) qui n’est pas envoyé par l’IC mais directement par le bureau politique du parti russe en voie de bureaucratisation. Borodine décide à la place des instances du PCC.

Le parti bourgeois clame 400 000 membres à son congrès de 1924. En matière sociale, il se contente de peu, il promet une amélioration du code du travail et une réduction des loyers des terres agricoles. Le PCC est intégré au GMD. Mao fait partie de sa direction qui comporte 3 communistes sur 24 membres. Zhou Enlai (Chou En-lai, 1898-1976) fait partie de l’académie militaire dirigée par Jiang.

La lutte pour la libération de la Chine et l’idéologie de Sun Yat-sen sont une lutte démocratique et une idéologie progressiste, mais bourgeoises. En Chine, nous sommes pour le soutien des communistes au Guomindang, s’ils le poussent vers l’avant. C’est essentiel, mais en même temps, il y a là un danger de dégénérescence. De même, dans tous les pays d’Orient qui forment l’arène de la lutte nationale de libération de l’esclavage colonial. Le prolétariat naissant d’Orient doit s’appuyer sur ce mouvement progressiste ; mais il est absolument évident que dans la période à venir, il y a pour les jeunes marxistes d’Orient, un danger d’être séparé des groupes « Émancipation du Travail » et de se dissoudre dans l’idéologie nationaliste. (Lev Trotsky, « Discours pour le 3e anniversaire de l’Université communiste des peuples d’Orient », 21 avril 1924, site www.marxists.org)

Le fer de lance de la révolution est pourtant la classe ouvrière.

Le 1er mai 1924, à Shanghai, 100 000 ouvriers défilèrent dans les rues ; à Canton, il y eut le double. (Harold Isaacs, La Tragédie de la révolution chinoise, 1938-1961, Gallimard, p. 99)

Son alliée la plus sûre, comme l’avait avancé Marx et Engels après 1848 et comme l’a prouvé la révolution russe de 1917, est la paysannerie exploitée. Les premières associations de paysans voient le jour. La montée révolutionnaire est en cours mais le parti du prolétariat est désorienté.

(à suivre)