Histoire du Parti communiste chinois (4) : 1931-1935

(chapitre 10 : 1947-1949)

(chapitre 9 : 1945-1946)

(chapitre 8 : 1943-1945)

(chapitre 7 : 1941-1943)

(chapitre 6 : 1939-1940)

(chapitre 5 : 1935-1938)

(chapitre 4 : 1931-1935)

(chapitre 3 : 1928-1931)

(chapitre 2 : 1925-1927)

(chapitre 1 : 1911-1924)

Le 10 mai 2022, le président chinois Xi célèbre les 100 ans de la Ligue de la jeunesse « communiste » en rappelant aux futurs cadres du Parti « communiste » chinois (PCC), la cause qu’ils doivent défendre.

Lors du rassemblement de la célébration du centenaire du PCC, les représentants des membres de la LJCC ont prononcé un vœu à haute voix : « Que le Parti soit assuré que nous sommes là pour bâtir la nation ». (Xi Jinping, french.news.cn, 13 mai 2022)

Il n’en fut pas toujours ainsi. Fondé en 1921 par l’opposé des sexagénaires richissimes à la Xi : Chen Duxiu, Li Dazhao et une jeune équipe révolutionnaire, le PCC section chinoise de l’Internationale communiste était alors une organisation ouvrière internationaliste [voir Révolution communiste n° 46]. Mais l’URSS était en train de passer sous le contrôle de la bureaucratie de l’État gangrenant le parti et l’IC. Staline, Zinoviev et Boukharine avaient ordonné au PCC de se soumettre au parti bourgeois nationaliste Guomindang (Kuomintang, GMD), au nom du front unique antiimpérialiste. Le GMD écrasa la révolution chinoise en 1927 et Li Dazhao est assassiné [voir Révolution communiste n° 47]. Staline et Boukharine désignent l’ancien secrétaire général Chen Duxiu comme bouc-émissaire de la défaite. À partir de 1929, le PCC stalinisé misa sur la paysannerie pauvre et non plus sur la classe ouvrière [voir Révolution communiste n° 49].

La Chine était éclatée entre :

  • le territoire sous contrôle du gouvernement de Nankin, reconnu par la Société des nations (SdN, l’ancêtre de l’ONU), à savoir celui du Guomindang dirigé par le « généralissime » Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek) ;
  • des colonies (Macao, Hongkong) et des « concessions » (à Shanghaï, Canton, Hankou, Tientsin…) aux mains d’Etats étrangers (Grande-Bretagne, France, Japon, Belgique…) ;
  • les vastes domaines des « seigneurs de guerre », des despotes féodaux, souvent armées et conseillés par une puissance capitaliste étrangère ;
  • quelques bases « soviétiques » (sans le moindre conseil de travailleurs salariés) sous le contrôle d’armées « rouges » dirigées par le Parti communiste chinois stalinisé.
Elryck, 2016

1931 : le Japon s’empare de la Mandchourie

Avant l’intrusion des États occidentaux en Asie de l’est, le Japon était féodal, contrairement à la Chine, ce qui va faciliter la transition précoce au capitalisme. La classe dominante se divise devant la pression étrangère, surtout américaine. La fraction des shoguns (généraux dirigeant effectivement le pays), conciliatrice, perd la partie en 1868 devant une fraction des daimyos (grande noblesse) et des samouraïs (petite noblesse) qui misent sur la dynastie impériale pour défier les « barbares » (les étrangers). La « restauration Meiji » se traduit par une modernisation par en haut du Japon, non sans analogie avec l’Allemagne de la fin du 19e siècle. Une accumulation du capital autonome a lieu, une exception dans l’Asie de l’est. Une partie de la noblesse devient capitaliste, une partie de la paysannerie et des déclassés devient prolétaire.

Le Japon, quasiment dépourvu de la source d’énergie principale de l’époque (le charbon) et du principal minerai (le fer), affronte victorieusement la Russie en 1905. L’État impérialiste japonais obtient ainsi une partie de l’ile Sakhaline au détriment de la Russie, la Corée entière et la région de Port-Arthur (aujourd’hui Lüshunkou) en Chine.

En Asie, les conditions du développement le plus complet de la production marchande, de l’essor le plus libre, le plus large et le plus rapide du capitalisme n’existent qu’au Japon, c’est-à-dire uniquement dans un État national indépendant ? Cet État est bourgeois ; aussi a-t-il lui-même commencé à opprimer d’autres nations et à asservir des colonies. (Vladimir Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, mai 1914, Progrès, 1973, p. 13-14)

En 1929, la crise capitaliste mondiale affecte particulièrement l’économie japonaise : krach financier, chômage… L’état-major mène un coup d’État qui lui donne le pouvoir politique.

Site Hérodote

Le 13 septembre 1931, l’armée japonaise envahit la Mandchourie, au nord de la Chine, qui est riche en charbon et en minéraux. En outre, la Mandchourie permet de menacer l’URSS. À une époque où la plupart des « trotskystes » refusent de voir que la Russie et la Chine sont devenues des puissances impérialistes, il est bon de rappeler que la 4e Internationale considérait que le Japon en était une, même s’il n’était pas le site d’entreprises d’envergure mondiale et n’investissait guère à l’étranger.

Le 26 septembre 1931, un meeting de 100 000 personnes se tient à Shanghai exigeant la réunification des cliques du GMD qui se font la guerre « pour affronter l’ennemi ». La jeunesse étudiante manifeste à nouveau. Face à la répression policière, début décembre, des milliers d’étudiants contestent le pouvoir qui se refuse à lutter pour l’indépendance nationale et chasser l’envahisseur.

L’invasion de la Mandchourie suspend la 3e offensive des troupes du gouvernement contre les armées paysannes dirigées par le Parti communiste chinois (PCC) qui contrôlent une partie du Jiangxi. Les troupes nationalistes se replient vers le nord, moins une partie qui passe en janvier 1932 avec armes et équipements à « l’Armée rouge ».

En avril 1932, la République soviétique chinoise émit une déclaration de guerre officielle contre le gouvernement de Tokyo et appela à la formation d’une « armée antijaponaise de volontaires ». Mao et Zhu De proposèrent de signer une trêve avec tout commandant nationaliste qui accepterait de cesser de combattre les communistes pour, à la place, s’opposer au Japon. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, Fayard, 1999, p. 269)

L’État japonais rebaptise la province conquise Mandchoukouo et y installe le dernier empereur chinois, Puyi. La SdN proteste, le Japon la quitte. Une trêve de six ans s’ensuit.

1932 : Bo Gu marginalise Mao Zedong

Mao Zedong (Mao Tsé-Toung) qui dirige la plus grosse des « armées rouges » jouit depuis 1927 d’une autonomie certaine vis-à-vis de la direction du PCC installée à Shanghai. Le bureau central est en relation avec la direction de l’Internationale communiste stalinisée de Moscou (IC) qui finance le PCC stalinisé et l’oriente.

Le 7 novembre 1931, Mao semble tenir son heure de gloire en devenant président de la « République soviétique du Jiangxi » dont la capitale est Ruijin.

La Constitution soviétique chinoise tient en 17 articles. Le premier en définit tout de suite le but : « garantir la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie dans les districts soviétiques et l’étendre à la Chine entière ». (Jacques Guillermaz, Histoire du parti communiste chinois, t. 1, Payot, 1975, p. 208)

Mais la direction du PCC formée à Moscou s’efforce d’appliquer avec zèle la ligne aventuriste de l’Internationale communiste (dite de « la 3e période », 1928-1934) fixée par Staline… et de supplanter Mao.

Les nouveaux venus lui reprochent deux erreurs à leurs yeux fondamentales. L’une concerne la politique agraire : pour eux, la réforme mise en route fait le jeu des paysans riches. En fait, Mao Zedong a pris intelligemment la mesure du terrain : dans une région où les mentalités sont encore très arriérées, il a choisi la réforme agraire… Le second reproche porte sur la ligne militaire : les vingt-huit bolcheviks se moquent de cette guerre de partisans, du guérillérisme… Fini la partie de cachecache, fini les attaques surprises, fini les subterfuges qui avaient donné aux Rouges la victoire dans les trois premières campagnes. (Claude Hudelot, La Longue marche vers la Chine moderne, Gallimard, 1986, p. 50)

L’invasion de la Mandchourie suspend la 3e offensive des troupes du GMD contre les armées paysannes dirigées par le PCC qui contrôlent une partie du Jiangxi. Les agresseurs se replient vers le nord, moins une partie qui passe en janvier 1932 avec armes et équipements à « l’Armée rouge ».

Le 9 janvier 1932, Bo Gun et Luo Fu émettent une directive pour prendre rapidement une grande ville. Mao résiste. À Moscou, Mif reprend l’idée qui est approuvée par Staline. Zhou Enlai (Chou En-Laï) applique la ligne, en dépit de l’opposition de Mao et Zhu De, et décide de s’emparer de Ganzhou. L’opération, menée de janvier à mars par Peng Dehuai, est un échec.

Mao est rappelé à la rescousse en mars. Participant lui-même aux opérations, il attaque et pille Zhangzhou. Cela renforce sa stature auprès des cadres militaires mais exaspère la direction qui veut étendre significativement la zone sous contrôle du PCC.

En avril 1932, la République soviétique chinoise émit une déclaration de guerre officielle contre le gouvernement de Tokyo et appela à la formation d’une « armée antijaponaise de volontaires ». Mao et Zhu De proposèrent de signer une trêve avec tout commandant nationaliste qui accepterait de cesser de combattre les communistes pour, à la place, s’opposer au Japon. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, Fayard, 1999, p. 269)

Le 12 mai 1932, le bureau condamne l’orientation de Mao en son absence (il est sur le front) et communique sa résolution au comité exécutif de l’internationale. L’IC n’est plus démocratique depuis longtemps, mais si le dernier mot revient à Staline, l’appareil en charge des affaires courantes ne suit pas Mif et ses élèves.

Des personnalités autrement importantes que Mif intervinrent… Le 15 mai 1932, les staliniens avérés Otto Kuusinen, Dmitri Manouïlski, Josef Pianitsky et Wilhelm Pieck, membres de la commission politique du secrétariat politique, la plus haute instance de l’IC, se penchèrent sur le conflit de Ruijin. Mao fut mis sous la protection de Moscou. (Alexander Pantsov et Steven Levine, Mao, the Real Story, Simon & Schuster, 2007, p. 261)

Zhou tente dès lors de concilier les deux fractions. En vain, Ren, Xiang, Deng et Gu, en septembre 1932, convoquent le bureau central à Ningdu qui éloigne Mao de toute responsabilité militaire. Néanmoins, Mao est intouchable, même si Staline ne prend pas parti dans la lutte entre ses disciples chinois avant 1934. Le nouvel envoyé de Moscou, Arthur Ernest, conseille de ménager Mao. La sanction n’est pas publique et Mao reste président de la République soviétique.

En 1932, Zhang Guotao, un des fondateurs du PCC, conduit la quatrième Armée rouge au Sichuan et établit une zone « rouge » au travers de réformes agraires. Liu Zhidan et Gao en font autant au Shaanxi. De même, Mao procède au Jiangxi à des enquêtes rurales et mène une réforme agraire.

Les paysans moyens pouvaient être exemptés du programme de distribution des terres si la « majorité » d’entre eux le souhaitait. De plus, il n’y avait aucune mention de la nationalisation des terres. Aucune mention n’a non plus été faite de la collectivisation. (Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 515)

Le PCC émancipe juridiquement les femmes, fixe le droit de vote à 16 ans (en excluant les marchands, les propriétaires fonciers, les paysans riches, les prêtres). Mao confie la police politique du Jiangxi à Deng Fa et Li Kenong. Comme dans toutes les zones contrôlées par le PCC en guerre civile, la « démocratie » proclamée est inexistante et les purges sont incessantes.

En janvier 1933, Bo Gu, Luo Fu et Chen Yu quittent Shanghaï pour Ruijin. Au printemps 1933, Zhou Enlai et Zhu De, tournant le dos aux consignes d’offensive, font échouer la 4e campagne de Jiang Jieshi en recourant à la stratégie habituelle. Néanmoins, Bo rejette la demande de Mao d’être réintégré dans l’état-major.

1933 : l’armée du Guomindang assiège le Jiangxi

Site Matérialisme dialectique



En septembre 1933, Jiang Jieshi, plus préoccupé de la révolution agraire menée par le PCC que de l’occupation japonaise, déclenche avec l’appui de conseillers militaires allemands (envoyés par le régime nazi), une 5e opération qui mobilise au total un million de soldats.

Jiang avait réuni 800 000 hommes. Il fit construire des routes, commença à bâtir un maillage de blockhaus qui se couvraient entre eux afin d’immobiliser les forces communistes, asphyxiées par ailleurs par un blocus économique qui les privaient de sel et de médicaments. (…) Au même moment, les communistes, en grande difficulté, avaient durci leur politique agraire et s’étaient aliéné une grande partie d’une population accablée par les impôts et la conscription, alors qu’elle les avait initialement bien accueillis. (Alain Roux, Chiang Kaï-shek, Payot, 2016, p. 243-244)

L’armée du GMD procède lentement mais surement, en édifiant unes ligne fortifiée et en misant sur l’aviation dont est dépourvue celle du PCC. Bo Gun et le conseiller militaire allemand de l’IC Otto Braun, qui arrive au même moment, récusent toute guerre de mouvement pour une guerre de position, ordonnant de ne pas reculer. Mao, tenu à l’écart, enrage. En janvier 1934, le comité central du PCC se réunit à Ruijin.

Le rapport de Bo, qui fut adopté comme la résolution politique du plénum, oubliait toute prudence, proclamant qu’une « situation révolutionnaire immédiate » existait « à travers le pays tout entier ». Rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, 1999, Fayard, 2005, p. 276-277)

À cette occasion, Mao est critiqué pour ses « opinions opportunistes de droite » et le CC décide de le remplacer au poste de président de la République soviétique par Luo Fu (Zhang Wentian). Paradoxalement, Mao est nommé 11e membre (sur 11) du bureau politique. Comme il tombe malade, Bo tente de l’envoyer en URSS sous prétexte de soins. L’appareil de l’IC, pas dupe, refuse en invoquant les risques du voyage. La presse de l’URSS commence à publier des articles sur Mao et ses écrits.

Comprenant où le vent soufflait, Wang Ming et Kang Sheng, les représentants du PCC au comité exécutif de l’IC recommandèrent au comité central de suivre l’exemple de Zhu De et de Mao Zedong et de participer aux troupes de la guérilla. (p. 271)

Le territoire de la République « soviétique » rétrécit inexorablement, les désertions se multiplient et les provisions manquent. Les propriétaires fonciers et les « paysans riches » sont massacrés en riposte. En dehors du bureau politique, Bo, Zhou et Braun discutent de la situation avec les bureaucrates de l’IC. Bo et Zhou divergent de plus en plus. Bo, qui a toujours le soutien de l’appareil de l’IC, prétend qu’il faut faire face à l’offensive du GMD, Zhou qui préconise le repli est écarté et Mao discute assidument avec lui. Au même moment, Luo Fu se convainc que Mao a raison contre Bo.

Durant le printemps et l’été 1934, trois armées échappent au blocus. Au début de l’été 1934, Bo et Braun renoncent. La fuite est approuvée par la direction de l’IC qui envoie aussi de l’argent. En octobre, le PCC quitte Ruijin, force le blocus avec environ 100 000 personnes et marche vers l’ouest sans destination précise. L’armée blanche pille, viole et massacre les paysans travailleurs après leur départ.

La déroute, qui s’opère d’abord en ligne droite, se heurte aux obstacles naturels et les troupes pâtissent de la supériorité numérique et matérielle (aviation, artillerie moderne) de l’armée du GMD. En deux mois, la principale armée du PCC perd la moitié de son effectif. La plupart des commandants militaires penchent, par expérience, pour Mao. En décembre 1934, il reprend les rênes et la guerre de mouvement.

1935 : Mao prend la tête du PCC en déroute

S’ensuivent les premiers succès, comme la prise de Zunyi le 7 janvier 1935. Cela permet aux troupes, réduites à 30 000 personnes, de se reposer et au bureau politique du PCC et aux commandants militaires de se réunir le 15 janvier. Durant trois jours, le bilan est tiré : Bo Gu, Otto Braun et Kai Feng sont mis en minorité par Mao Zedong, Luo Fu, Wang Jiaxiang, Zhu De, Peng Dehuai, Nie Rongzhen et Lin Biao. Après toute une période de guérilla, un but est fixé lors de la réunion du bureau politique, en mai 1935 à Huili.

Le problème demeurait de savoir où irait ensuite l’Armée rouge. En raison de destinations improvisées qui avaient été abandonnées l’une après l’autre, la « Marche vers l’ouest » était devenue la « Longue marche »… À Huili, enfin, une décision fut prise. Ils iraient droit vers le nord, pour rejoindre la 4e armée de Zhang Gutao. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, 1999, Fayard, 2005, p. 286)

En juin 1935, ce qui reste de la 1re armée de front venue du Jaingxi fait sa jonction avec la 4e venue du Sichuan dirigée par Zhang.

Si l’ambiance entre les soldats est joyeuse, celles des réunions des chefs est beaucoup plus tendue. C’est la direction du mouvement communiste qui est en jeu à travers les personnalités et le déséquilibre des forces. Les troupes de Mao se sont considérablement réduites et ne comptent plus que 10 000 hommes. Zhang Guotao a lui aussi subi des pertes mais son armée est encore forte d’au moins 45 000 soldats. (Claude Hudelot, La Longue marche vers la Chine moderne, Gallimard, 1986, p. 92)

Contrairement au conflit entre Bo et Mao, qui divergeaient réellement sur la stratégie militaire, la rivalité entre Zhang et Mao n’a aucun contenu. Il s’agit de la lutte pour le pouvoir de deux chefs staliniens d’accord sur tout, sauf sur leur place dans le PCC. Le juge ne peut plus être joint.

Dans le passé, l’arbitre ultime de tels problèmes était toujours la Comintern. Mais le contact direct avec Moscou ne sera pas rétabli avant l’été 1936… Mao, avec un cynisme à couper le souffle, mit l’accent sur le rôle d’Otto Braun comme preuve du soutien de la Comintern. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, 1999, Fayard, 2005, p. 291)

L’armée temporairement unifiée continue à fuir vers le nord sous la direction formelle de Zhang. Le conflit sous-jacent éclate lors d’une réunion du bureau politique le 20 juin 1935, la clique de Mao dressant une accusation mensongère. Un compromis est trouvé : l’armée rouge se divise en deux colonnes, une dirigée par Zhang, Zhu De et Liu Bocheng ; l’autre par Mao, Zhou Enlai, Wang Jiaxiang, Luo Fu, Bo Gu, Peng Dehuai et Lin Biao. Initialement, elles devaient se rejoindre rapidement, mais le conflit devient public et leurs trajectoires divergent fin aout 1935 : face à d’immenses marais désertiques qui engloutissent les troupes sans fournir de nourriture, la colonne de Zhang rebrousse vers le sud, celle de Mao réduite à 10 000 soldats l’attend un temps, puis poursuit vers le nord quand l’armée du Guomindang s’approche en nombre à l’est.

Mao envisage de partir en direction de l’URSS quand il découvre, à la suite de la victoire du col de Lazikou, l’existence à l’est d’une zone « soviétique » proche, au Shaanxi, une région très pauvre.

La situation semblait si désespérée que Mao relança une idée qu’il avait émise une première fois au Sichuan. S’ils pouvaient faire une brèche vers le nord, ils se dirigeraient vers l’Union soviétique et essaieraient d’établir une autre base, avec le soutien russe, sur la frontière de la Mongolie extérieure ou du Xinjiang… Le 21 septembre, la 1re armée entrait dans Hadapu, dans le sud du Gansu. Là, ils apprirent par un journal du GMD qu’il existait une base communiste au Shaanxi. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, 1999, Fayard, 2005, p. 295)

Le 22 octobre 1935, la 1re armée de front sous la direction du bureau politique y parvient après avoir parcouru 12 000 kilomètres difficiles à pied et avoir affronté durant un an non seulement l’armée du GMD mais les seigneurs de guerre ainsi que des guérillas de minorités nationales. D’autres armées rouges erreront encore un an avant de rejoindre la base du Shaanxi. Mais Mao peut présenter la « Longue marche » erratique comme un plan calculé à l’avance. La légende nait : d’une débâcle militaire, Mao et son équipe feront une épopée.

(à suivre)