Le Groupe marxiste internationaliste à la fête de LO

La malédiction pour la jeune génération de tous les pays est qu’on a créé, sous l’étiquette de marxisme, une gigantesque fabrique de falsifications historiques, théoriques et autres. (Trotsky, « La Chine et la révolution russe », juillet 1940, On China, Monad, p. 594)

Lutte ouvrière (LO), aujourd’hui la plus grosse organisation à se réclamer du trotskysme en France, organise chaque printemps une fête à Presles (Val d’Oise). LO copie depuis 1971 la fête de L’Humanité du PCF qui reste plus vaste et affiche plus de célébrités. Elle est aussi plus bruyante et moins sure.

LO admet traditionnellement à sa kermesse, assez tristounette, d’autres organisations. Elles peuvent y tenir gratuitement un minuscule stand (un spacieux pour le NPA qui a décliné l’offre cette année) dans la « cité politique » qui n’est pas le cœur de la fête. Elles peuvent aussi présenter des exposés. Cette année, du vendredi 27 au dimanche 29 mai, le Groupe marxiste internationaliste (section française du Collectif révolution permanente) y a vendu plusieurs dizaines d’exemplaires de son bulletin bimestriel Révolution communiste, de la collection de brochures Cahiers révolution communiste et de la revue annuelle du CoReP Révolution permanente.

En outre, ses militants sont intervenus dans plusieurs forums, en particulier sur la guerre en Ukraine qui constitue une épreuve pour tous les courants du mouvement ouvrier.

Le meeting de la porte-parole de LO

LO est l’héritière du groupe français VO, fondé en 1956, dont aucun membre n’avait appartenu à la 4e Internationale, y compris son chef « Hardy » (Robert Barcia).

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3452

Les hardystes révisent le programme communiste sous plus d’un angle : illusions récurrentes dans la police, négligence fréquente d’oppression nationale, reprise de la fausse opposition bourgeoise entre « la gauche » et « la droite », scepticisme de fait sur la capacité révolutionnaire du prolétariat, etc. La direction est spécialiste du grand écart entre marxisme affiché (pour motiver les militants et pour polémiquer contre les autres organisations, pour recruter des succursales à l’étranger) et opportunisme pratique (indulgence envers le PCF, servilité envers la bureaucratie syndicale de la CGT, capitulation devant les obscurantistes antivaccins, applaudissement aux mouvements de flics… Voir Révolution communiste 50).

Les bureaucrates ne sont pas forcément reconnaissants. Mercier, du bureau politique de LO, s’était conformé à la ligne de l’appareil de la CGT lors de la lutte contre la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay en 2013 (voir Révolution communiste 1).

En contrepartie, il était devenu aussi familier des plateaux de télévision que Kazib et Poutou. Cependant, en janvier, Mercier a perdu son poste et la direction de la fédération de la métallurgie a « désaffilié » scandaleusement le syndicat de l’usine PSA-Stellantis de Poisssy. Les hardystes n’en ont pas fait la couverture de leur journal parc que, pour eux, c’est une histoire de famille.

Autre différence avec le Parti bolchevik et la 4e Internationale du temps de Trotsky, le fonctionnement est peu démocratique. Hardy a d’ailleurs souvent expulsé : UO et CC en 1975 (disparus depuis), VdT en 1997 (aujourd’hui dans le NPA), CR-L’Étincelle en 2008 (un pied dans le NPA, un pied dehors)…

https://vdt.npa-dr.org/brochures/pagebroch.html

À Presles, les 28 et 29 mai, à 15 h, tout s’arrête pour que Nathalie Arthaud lise un discours, solennellement écouté par les militants. Il est bien plus radical que ce que la candidate dit dans les médias lors des campagnes électorales puisqu’Arthaud dénonce « l’impuissance réformiste » et « la perspective purement électorale » de la NUPES. Mais un front populaire n’est pas à proprement parler réformiste, il est plutôt la preuve que les partis traditionnels de la classe ouvrière (les soi-disant « réformistes » PS, PCF, LFI) sont des agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier, prêts à toutes sortes de blocs avec des partis bourgeois (comme LO l’a pratiqué elle-même aux élections municipales de 2008). Les agents de la bourgeoisie ne sont pas seulement amateurs d’élections, ils dirigent aussi des organisations syndicales (CFDT, CGT, FO…). Ils défendent le capitalisme français, l’État bourgeois, donc la collaboration de classes.

D’un côté, « faire entendre le camp des travailleurs » au premier tour des élections législatives qui allaient se tenir deux semaines plus tard et, de l’autre, « au capitalisme, il faut opposer la perspective révolutionnaire du communisme ». Pour pouvoir passer de l’un à l’autre, il faut surtout affronter dans les assemblées générales, dans les syndicats, les appareils syndicaux qui, avec l’aide des partis sociaux-impérialistes, émiettent les luttes, dispersent la combattivité dans des « journées d’action » (soutenues par LO, le NPA, le CCR-RP…) et négocient toutes les attaques du gouvernement (sans que LO, le NPA, le CCR-RP… demandent que cela cesse).

Les directions syndicales, c’est la police officieuse de l’État. (Trotsky, « Entretien sur l’ILP », novembre 1935, Œuvres, t. 7, EDI, p.139)

Il faut combattre pour la grève générale, pour l’auto-organisation, pour l’autodéfense. Il faut, pour ouvrir la voie du communisme, la perspective de front unique ouvrier, du gouvernement ouvrier, des États-Unis socialistes d’Europe.

Si le véritable peuple s’arme, les exploiteurs n’auront pas la possibilité de déclencher la guerre civile. Au contraire, si le peuple est désarmé, les exploiteurs aux abois le courberont par des saignées successives… Pour recréer l’économie, il faut un gouvernement du peuple travailleur, un gouvernement ouvrier et paysan. (Trotsky, « Pour un programme d’action », mars 1934, Œuvres, t. 4, EDI, p 93-94)

L’AWL et la grève des livreurs de Sheffield

L’Alliance for Workers’ Liberty (AWL, Alliance pour la liberté des travailleurs de Grande-Bretagne) est un groupe ouvertement shachtmaniste. En 1940, Max Shachtman, un dirigeant du SWP américain, rompit en 1939-1940 avec le programme de la 4e Internationale en refusant de défendre l’URSS contre l’Allemagne ou le Japon, il finit sa carrière politique en soutenant la guerre au Vietnam. L’AWL est de taille bien inférieure au SWP cliffiste, au SP grantiste, mais nettement supérieure à la franchise britannique de LO, WF. Elle a cautionné la campagne de la presse bourgeoise, des sionistes et des blairistes accusant la gauche du Parti travailliste (LP, alors dirigé par Corbyn) d’être antisémite, ce qui n’a pas empêché la direction du LP (aujourd’hui aux mains d’un ancien pabliste nommé Starmer) de l’expulser en mars dernier (comme envers Mercier, les bureaucraties sont souvent ingrates).

Le 27 mai, l’AWL présente Les grèves des coursiers au Royaume-Uni à 30 personnes. Il s’agit d’une question qui concerne aussi la France, la lutte des livreurs précaires de Sheffield (nord de l’Angleterre) dont la grande majorité est issue de l’immigration africaine. L’AWL affirme avoir défendu l’extension de la grève à tout le pays mais l’orateur ne dit rien du rôle joué par la bureaucratie syndicale du Trades Union Congress (TUC). Sur ce point, l’AWL se conforme à l’écrasante majorité des courants centristes (dont LO, si docile envers la direction de la CGT).

Un camarade du GMI dénonce le mépris des bureaucraties syndicales, de chaque côté de la Manche, pour l’unité des travailleurs avec et sans papiers. En effet, l’orateur fait l’impasse sur cette question brulante. Pourtant en Grande Bretagne, la campagne British jobs for British workers, lancée en 2007 par le gouvernement Brown (LP) a eu un effet délétère que le Brexit (soutenu par l’AWL, le SWP, le SP, le CPB…) a renforcé en 2016.

L’EEK et l’invasion impérialiste de l’Ukraine

Le 28 mai, à 18 h, le Εργατικό Επαναστατικό Κόμμα (Parti révolutionnaire des travailleurs de Grèce, EEK), a présenté devant une vingtaine de personnes un forum sur La guerre en Ukraine, l’OTAN et la Grèce. L’EEK était l’organisation de la « 4e Internationale » healyste de 1971 à 1986. Ensuite, elle a rejoint le CCRQI (dont la principale organisation était le PO loriste d’Argentine). En 2019, le PO a scissionné et le CCRQI a disparu, la guerre en Ukraine opposant ses anciennes composantes.

Son ancien représentant en Italie, le PCL (absent cette année à la fête de LO) a signé avec le Collectif révolution permanente une déclaration contre l’invasion de l’Ukraine et une autre contre l’élargissement de l’OTAN. (voir notre déclaration internationale et Révolution communiste 51)

À l’opposé, l’EEK (avec le DIP de Turquie), tout en comprenant que la Russie est impérialiste) considère que Poutine n’est pas coupable : « Le monde est témoin d’une agression de l’OTAN, pas d’une agression russe ». Malheureusement, le camarade du GMI présent lors de l’exposé n’a pu rester au débat.

LO et l’invasion impérialiste de l’Ukraine

Le 29 mai, à 12 h, un responsable de LO présente Les révolutionnaires et la guerre en Ukraine devant 100 personnes. Il ne semble pas connaitre grand-chose à la Russie et à l’Ukraine contemporaines, ni à la théorie léniniste de l’impérialisme et à la théorie trotskyste de l’État ouvrier dégénéré. Il affirme sans rire que la Russie n’est pas capitaliste. Tout au plus, la Russie aurait rejoint « le marché mondial ». Cela justifierait de renvoyer en 2022 dos à dos l’Ukraine et la Russie.

Un membre de la LTF, un groupe robertsoniste qui double LO dans l’imprégnation stalinienne (et qui ne publie plus son journal depuis deux ans), assure que l’agression est le fait… de l’UE et de l’OTAN.

Un militant du GMI répond que la Russie et l’Ukraine sont toutes deux capitalistes depuis 1992 et qu’il y a agression de l’État russe contre une nationalité à qui est refusé le droit à la séparation. La Russie est devenue une puissance impérialiste avec des multinationales comme Gazprom et des exportations d’armes massives, l’écrasement de la Tchétchénie, des interventions militaires en Géorgie, en Libye, en Syrie, au Mali, au Centre-Afrique, au Kazakhstan… (voir Révolution communiste 48)

Il rappelle que la fraction dominante de la bureaucratie parasitaire de l’ex-URSS a décidé la restauration du capitalisme en 1991-1992. Que sont les « oligarques » russes, biélorusses ou ukrainiens, sinon des capitalistes ? Certes, la Russie capitaliste n’est pas de taille égale aux États-Unis, mais cela ne permet pas d’en faire la victime dans cette guerre. Et si la Russie est impérialiste, alors l’Ukraine a le droit de se défendre, contrairement à ce que dit la LTF qui soutient Poutine et à LO qui préconise de ne surtout pas s’armer.

Admettons que dans une colonie française, l’Algérie, surgisse demain un soulèvement sous le drapeau de l’indépendance nationale et que le gouvernement italien, poussé par ses intérêts impérialistes, se dispose à envoyer des armes aux rebelles. Quelle devrait être en ce cas l’attitude des ouvriers italiens ? Je prends intentionnellement l’exemple d’un soulèvement contre un impérialisme démocratique et d’une intervention en faveur des rebelles de la part d’un impérialisme fasciste. Les ouvriers italiens doivent-ils s’opposer à l’envoi de bateaux chargés d’armes pour les algériens ? (…) Si même se déroulait alors dans l’Italie fasciste une grève générale des marins, en ce cas, les grévistes devraient faire une exception en faveur des navires qui vont apporter une aide aux esclaves coloniaux en rébellion ; sinon ils seraient de pitoyables trade-unionistes, et non des révolutionnaires prolétariens. (Léon Trotsky, « Il faut apprendre à penser », 22 mai 1938, Œuvres, t. 17, ILT, p 245)

L’IBT et l’invasion russe de l’Ukraine

La Tendance bolchevik internationale (IBT) est une variante du robertsonisme, actuellement divisé dans le monde entre LCI-QI, LQI, IBT, BT, LBI-QI… À rebours des autres, l’IBT progresse en comprenant que la Russie est impérialiste. Cela a conduit en 2018 à une scission avec la BT qui s’obstine dans l’aveuglement antérieur. Le problème est que l’IBT maintient bizarrement que la Chine reste un État ouvrier. Si la Russie est impérialiste, c’est encore plus vrai de la Chine. (voir L’impérialisme aujourd’hui : le cas de la Chine

Le 29 mai, à 12 h, devant une dizaine de participants, Barbara Dorn, de l’IBT de Grande-Bretagne, présente Conflit impérialiste sur l’Ukraine : défaitisme révolutionnaire et l’ennemi principal. Il s’agit selon elle d’un « conflit entre impérialismes » quoique « provoqué par l’OTAN ». Par conséquent, suivant l’exemple de Lénine, il faut se prononcer pour la défaite des deux camps. Dans chaque camp, l’ennemi principal est son propre impérialisme.

Une militante de la BT de Grande-Bretagne, traduite par un militant de LO, prétend que, comme la Russie n’est pas capitaliste, il faut la défendre contre les nazis qui dirigent l’Ukraine.

Un militant du GMI leur répond qu’il faut s’appuyer sur l’analyse de la guerre inter-impérialiste de Lénine, mais aussi sur son analyse des minorités nationales de la même époque. La lutte contre l’oppression nationale est décisive pour la révolution prolétarienne, contrairement à l’opinion de Luxemburg (dont l’influence sur Radek et Boukharine a contribué à paralyser la Gauche de Zimmerwald). Pourquoi les camarades de l’IBT n’écoutent pas Poutine quand il déclare que l’existence de l’Ukraine est une « erreur des bolcheviks » et qu’il faut annuler cette invention et cette bêtise par « l’opération spéciale » ? C’est évidemment la négation du droit du peuple ukrainien de se séparer s’il le désire de la Russie. Nous n’avons pas affaire, du moins pour l’instant, à une opération militaire des États-Unis contre la Russie, mais à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le peuple ukrainien a le droit à l’existence, donc a le droit de se défendre.

Le CCR-RP et la perspective d’une organisation supplémentaire

Le Courant communiste révolutionnaire dont le site est Révolution permanente (CCR-RP) est un groupe français créé par la FT-QI. Outre la FT-QI, la mouvance moréniste internationale comporte aussi l’UIT-QI, la LIT-QI, la LIS, SoB, la FLTI-QI et plusieurs autres de moindre dimension. Outre son adaptation au nationalisme bourgeois dans les pays dominés et son addiction à l’assemblée constituante, les héritiers de « Moreno » (Hugo Bressano) sont réputés pour leurs zigzags et leur manque de scrupules. Ainsi, les militants qui tiennent le stand du CCR-RP expliquent aux curieux avoir été « exclus du NPA ». En fait, leurs chefs ont quitté en 2021 le NPA pour tenter, en vain, de présenter un candidat à l’élection présidentielle. (voir https://groupemarxiste.info/2022/02/15/deux-reunions-publiques-de-kazib/)

Le 29 mai à 16 h, Daniela Cobet et Anasse Kazib doivent traiter du thème Face au quinquennat Macron 2, union de la gauche ou perspective révolutionnaire devant 60 personnes. En fait, Cobet trace un tableau enjolivé de la situation mondiale et française en égrenant « les luttes » de toutes sortes. Elle se garde, comme son comparse Kazib, d’examiner les rapports entre les classes sociales (bourgeoisie, petites bourgeoisies, classe ouvrière). Au lieu de démonter et dénoncer les trahisons des directions actuelles de la classe ouvrière, des bureaucraties syndicales et des partis ouvriers-bourgeois, elle les minimise : « la gauche n’a pas su organiser ». Kazib bavarde et reprend l’accusation de ses meetings que « Poutou ne lui a rien twitté quand il était menacé par l’extrême-droite ».

Lors de la discussion, un militant du NPA s’indigne qu’ils prétendent que le CCR-RP a été exclu, ce que le CCR-RP ne peut pas prouver, et proteste que le NPA a manifesté immédiatement sa solidarité, ce qu’il peut prouver.

Une militante du GMI note que le PS est dénoncé, mais que le PCF est curieusement oublié. Cela n’a rien de très nouveau et ressemble beaucoup à ce que font LO et le NPA. La campagne de Roussel a pourtant battu les records d’opportunisme et de chauvinisme. (voir Révolution communiste 49)

Elle demande quel est l’objectif, la méthode de construction, le programme de « l’organisation d’extrême-gauche » que le CCR-RP annonce.

Ni le militant du NPA, ni la militante du GMI n’auront de réponse à leurs questions. Les morénistes noient le poisson. Plusieurs personnes discutent avec la militante du GMI à l’issue du forum.

Construire un parti ouvrier révolutionnaire et démocratique

Ce qu’illustrent les fêtes françaises de L’Humanité et de Lutte ouvrière, c’est que le mouvement ouvrier n’est pas mort mais qu’il est en mauvais état théorique et politique. La crise de direction de la classe ouvrière se prolonge et s’aggrave. Le réformisme nouveau (LFI) ou ancien (PS, PCF) renchérit dans le crétinisme parlementaire et le chauvinisme tandis que le « trotskysme » apprivoisé, qu’il soit social-patriote (POID, POI…), économiste (LO…) ou mouvementiste (NPA, CCR-RP…), sombre dans le pacifisme (tout sauf l’autodéfense, tout sauf les armes).

Le GMI espère prolonger les débats engagés avec les éléments d’avant-garde rencontrés sur son stand et dans les forums. Y compris en se rendant à « l’université d’été » du CCR-RP. Notre but est clair : le renversement du capitalisme face à l’opportunisme généralisé et à la dispersion incroyable, construire une internationale communiste révolutionnaire et un parti de type bolchevik en France. Sans quoi, il n’y aura pas de révolution socialiste mondiale.