Le Parti communiste chinois (PCC) dirigé par Mao Zedong (Mao Tsé-toung) suit les ordres de Staline et s’allie de nouveau au GMD en septembre 1937. Le « front uni national antijaponais » est la forme du front populaire pour la Chine [voir Révolution communiste n° 53]. Le nom d’« armée rouge » est abandonné, de même que « soviétique » pour les zones contrôlées par le parti stalinien à base paysanne, la faucille et le marteau disparaissent des drapeaux. Les défaites de l’armée officielle profitent à la « 8e Armée de route » et à la « Nouvelle 4e Armée » du PCC. Les « zones libérées » dont la capitale est Yan’an s’étendent. L’appareil du PCC qui dirige d’une main de fer ces mini-États se garde bien d’y exproprier les exploiteurs des paysans, les grands propriétaires fonciers et les gros commerçants.
Le territoire perdu par les soldats nationalistes passait peu à peu sous le contrôle des communistes, car les Japonais, qui se concentraient sur les villes et les voies de communication, n’occupaient pas les villages. Les communistes prenaient le contrôle du plat pays en déshérence et y pratiquaient une politique agraire modérée, se contentant d’abaisser le niveau des fermages et de lutter contre l’usure, tout en donnant formellement des responsabilités aux rares notables « éclairés et patriotes ». (Alain Roux, Chiang Kaï-shek, Payot, 2016, p. 321)
Dans un marasme économique croissant et une inflation galopante, le gouvernement officiel rétablit les impôts en nature contre la paysannerie, accentuant la corruption des notables et fonctionnaires. Pour conserver l’appui de la bourgeoisie, il n’envoie pas la jeunesse dorée sur le front. C’est la paysannerie pauvre qui est saignée.
La Chine avait commencé la guerre avec 1 788 000 hommes sous les armes. Elle devait mobiliser 14 millions d’individus sur lesquels plus d’un tiers désertèrent ou périrent avant même d’avoir rejoint leur unité au front. Le choix des recrues était en effet laissé à l’arbitraire des notables locaux, c’est-à-dire que toutes les familles un peu aisées échappaient à la conscription. (Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, t. 2, Payot, 1975, p. 306)
1941 : le GMD piétine le front uni antijaponais
Une partie des conscrits paysans déserte pour rallier les « zones libérées ». Jiang fait le maximum pour contenir son allié officiel.
Au début de la guerre sino-japonaise, le Kremlin rangea de nouveau le parti communiste sous l’autorité de Jiang Jieshi, écrasant dans l’oeuf l’initiative révolutionnaire du prolétariat chinois. Cette guerre, qui approche maintenant de son troisième anniversaire, aurait pu depuis longtemps se terminer par une catastrophe pour le Japon, si la Chine l’avait menée comme une authentique guerre du peuple basée sur une révolution agraire et embrasant les soldats japonais de sa propre flamme. Mais la bourgeoisie chinoise craint ses propres masses en armes plus que ses violeurs japonais. (Léon Trotsky, La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, mai 1940, GMI, p. 22)
En 1941, le gouvernement nationaliste de Chongqing lance une offensive militaire, non contre l’occupant japonais, mais contre la Nouvelle 4e Armée du PCC.
Le GMD a prétendu que la Nouvelle quatrième armée s’était engagée dans l’insubordination et l’expansion illégale et, le 17 janvier, Chiang Kai-shek a ordonné sa dissolution. Les contacts directs entre Chongqing et Yan’an ont été pratiquement abandonnés, et les bureaux de liaison militaire du PCC dans un certain nombre de villes tenues par les nationalistes ont été fermés. Le PCC a affirmé que, bien que les ordres du GMD eussent été respectés, alors qu’elle commençait sa marche vers le nord pour rejoindre la Huitième armée, elle était tombée dans une embuscade tendue par les troupes du GMD. (Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 862)
Minimisant le massacre comme « l’incident de l’Anhui », Mao protège le front uni en accusant l’aile pro-japonaise du GMD de l’agression. Il préfère dénoncer Xiang Ying, le commandant PCC (ancien ouvrier du textile adhérent au PCC dès 1922 et opposant à Mao) qui a été tué sur place.
La faillite de l’opportunisme du camarade Xiang Ying au cours de la dernière campagne anticommuniste doit être un sérieux avertissement pour tout le parti. (Mao Zedong, « Bilan de la victoire remportée sur la 2e campagne anticommuniste », 8 mai 1941, OEuvres, t. 2, p. 501)
1941 : l’invasion de l’URSS par l’Allemagne et l’attaque japonaise des possessions américaines d’Océanie
Changeant de position en fonction des tournants de la bureaucratie de Moscou, Mao Zedong fait passer le traité, signé en avril 1941, de neutralité entre l’URSS et le Japon pour une avancée. En réalité, l’accord avalise l’occupation japonaise du nord de la Chine.
Puis il faut très vite s’adapter à la rupture du Pacte germano-soviétique par l’impérialisme allemand et à l’invasion de l’URSS en juin 1941. Staline ordonne aux partis communistes de pactiser avec les ennemis d’hier, y compris les États-Unis. La direction du PCC obtempère.
Les tâches du Parti communiste chinois, dans tout le pays, sont les suivantes : 1) Persévérer dans la politique de front uni national antijaponais, poursuivre fermement la politique de coopération entre le Guomindang et le Parti communiste, chasser de Chine les impérialistes japonais et aider ainsi l’Union soviétique. 2) Combattre résolument toute activité antisoviétique et anticommuniste des éléments réactionnaires de la grande bourgeoisie. 3) Dans les relations extérieures, s’allier contre l’ennemi commun avec tous ceux qui, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et dans les autres pays, prennent position contre les dirigeants fascistes de l ‘Allemagne, de l’Italie et du Japon. (Mao Zedong, « À propos du front uni international contre le fascisme », 23 juin 1941, Oeuvres, t. 3, p. 25)
Le Japon, pour sécuriser des ressources en pétrole et en matières premières, attaque la base américaine de Pearl Harbor (Hawaï), en décembre 1941, pour empêcher la flotte des États-Unis de venir en aide aux colonies de ses alliés européens.
L’armée nippone s’empare de Hongkong et de la Birmanie (qui étaient aux mains de la Grande-Bretagne), des Philippines (soumises aux États-Unis), de l’Indonésie (colonie des Pays-Bas), du Vietnam, du Cambodge et du Laos (colonies de la France). Mais la stratégie de l’état-major et de l’empereur est condamnée à terme par la supériorité industrielle, technique, scientifique et démographique des États-Unis.
La reconfiguration des alliances internationales en 1941 fait que la Chine se retrouve aux côtés des « Alliés » (États-Unis, URSS, Grande-Bretagne) contre « l’Axe » (Allemagne, Italie, Japon). Sur exigence américaine, le gouvernement du GMD cesse son offensive contre le PCC. Sur consigne russe, le PCC met plus que jamais en sourdine les revendications ouvrières, ce qui n’est pas difficile puisqu’il a quasiment disparu des villes, mais aussi paysannes, ce qui ne va pas de soi dans les vastes territoires que la bureaucratie stalinienne gère.
1942 : une purge du parti à grande échelle
Mao s’empresse d’aligner complètement le parti et de consolider sa position personnelle au sommet de la couche privilégiée des « zones libérées ».
Reconnaitre que le mode de production capitaliste est la méthode la plus progressiste dans la Chine d’aujourd’hui et que la bourgeoisie, en particulier la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale, représente les éléments sociaux et les forces politiques comparativement les plus progressistes dans la Chine d’aujourd’hui. Le mode de production des paysans riches présente des caractéristiques capitalistes ; ils représentent les capitalistes dans les zones rurales et constituent une force indispensable dans la lutte antijaponaise et dans la bataille pour la production. La petite bourgeoisie, la bourgeoisie nationale et les paysans riches ne veulent pas seulement résister aux Japonais, mais réclament également plus de démocratie. (Comité central du PCC, « Décision sur la politique agraire dans les bases antijaponaises », 28 janvier 1942, in Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 1040)
Là où est appliquée la « démocratie nouvelle », l’indépendance de pensée chère à Marx passe pour un crime politique. Trop lire est suspect.
Beaucoup aiment à parader devant les non-communistes, qu’ils regardent avec condescendance ou mépris, se refusant à les respecter et à reconnaitre leurs qualités. C’est bien là une tendance sectaire. La lecture de quelques ouvrages marxistes les rend plus arrogants au lieu de leur inspirer plus de modestie. (Mao Zedong, « Pour un style de travail correct dans le parti », 1er février 1942, Oeuvres, t. 3, p. 45)
Tout opposant est accusé de « subjectivisme », de « dogmatisme » ou de « sectarisme ». Il lui faut non seulement accepter la discipline, appliquer sans broncher la ligne du moment de la bureaucratie de l’URSS, mais renier ses opinions, s’accuser publiquement.
Si celui qui a commis une erreur ne dissimule pas sa maladie par crainte du traitement et ne persiste pas dans son erreur au point de ne plus pouvoir être guéri, mais manifeste honnêtement, sincèrement, le désir de se soigner, de se corriger, nous nous en réjouirons et nous le guérirons, afin qu’il devienne un bon camarade. (Mao Zedong, « Pour un style de travail correct dans le parti », 1er février 1942, Oeuvres, t. 3, p. 47)
Pour briser les résistances, l’inquisition maoïste brandit la menace.
L’argumentation consiste avant tout à secouer le malade en lui criant : « Tu es malade ! » pour qu’il transpire d’effroi, puis à lui dire gentiment de suivre un traitement. (Mao Zedong, « Contre le style stéréotypé dans le parti », 8 février 1942, Oeuvres, t. 3, p. 53)
La révélation des inégalités est pour l’appareil stalinien intolérable.
L’écrivain Wang Shiwei publia en mars 1942 dans le journal du parti un article qui dénonçait « le côté sombre de Yan’an » : « les trois catégories de vêtements et les cinq catégories de nourriture » qui étaient allouées aux hauts dirigeants, alors « que les malades ne pouvaient même pas avoir un bol de nouilles et que les jeunes avaient seulement deux bols de soupe de riz par jour » ; l’accès privilégié aux jeunes femmes dont jouissaient ceux qui détenaient le pouvoir politique ; l’élitisme et l’attitude distante des cadres envers la base. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, Fayard, 2005, p. 338)
L’inquisition frappe.
Wang fut soumis à un procès spectaculaire… Deux semaines durant, ses collègues du parti débattirent de ses erreurs. Chen Boda, le secrétaire politique de Mao, donna le ton, comparant Wang à une sangsue et parlant de lui comme du « camarade pue-merde »… (p. 339)
Wang refusant de se rétracter, il est exclu de l’Association des écrivains (ce qui lui interdit d’écrire) puis est accusé par Kang Sheng, l’homme de main de Mao, d’être un agent du GMD. Arrêté, jugé et condamné à la prison à vie en juin pour « calomnies, idées trotskystes et subversion ». Il sera exécuté en 1947.
Kang a carte blanche pour éliminer « les mauvais éléments et les espions ». Jusqu’à l’automne 1943, la police secrète du PCC interroge au moins 40 000 membres. Elle pratique systémiquement la torture.
1943 : le culte du chef
Comme gage à ses alliés impérialistes, Staline dissout en 1943 l’Internationale communiste sans même l’apparence d’un congrès. Officiellement, c’est un signe de maturité des partis nationaux. Accessoirement, cela légitime que chaque parti stalinien copie la servilité qui règne dans le parti russe qui continue à commander les autres et singe son culte du chef.
Il est devenu plus nécessaire pour les PC dans divers pays de résoudre leurs problèmes de manière indépendante, en fonction de leurs conditions nationales et historiques particulières, et de s’efforcer d’élargir et d’accélérer la marée haute nationale et la mobilisation nationale afin de remporter la victoire totale. Une autre raison est que le PC dans chaque pays dispose d’un cadre dirigeant bien développé et politiquement mature. (Comité central du PCC, « Concernant la décision de dissoudre l’Internationale communiste », 26 janvier 1943, in Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 1144)
Au cours de l’été 1943, la « campagne de rectification » est contestée par Zhou Enlai et Ren Bishi, vraisemblablement sidérés de la tournure dangereuse de l’épuration.
Les éliminations durent porter sur 40 000 à 80 000 personnes. Les effectifs du Parti tombent de 800 000 en 1940 à 736 151 en 1942, tandis qu’aucun chiffre n’est publié pour 1943. Les témoignages d’anciens communistes marquent le caractère généralisé des expulsions et font état de nombreuses exécutions. (Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, t. 2, Payot, 1975, p. 371)
Wang Ming et Zhou Enlai n’ont la vie sauve que grâce à Dimitrov. En décembre, Mao convient qu’il faut arrêter. Au sein du secrétariat du comité central (Politburo), il détient désormais une voix prépondérante : si les autres membres ne se mettent pas d’accord, c’est lui qui décide. À partir de ce moment, il est idolâtré.
Le PCC « tient compte des intérêts respectifs du propriétaire foncier et du paysan. » (Mao Zedong, 1er octobre 1943, Oeuvres, t. 3, p. 138).