Grèves au Royaume-Uni

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Depuis l’été, les travailleurs poursuivent une lutte pour sauver leur salaire réel. Ce mouvement, avec 3 millions de jours de grève de juin à janvier, est le plus important depuis la grève des mineurs dont la défaite en 1984-1985 avait fait reculer durablement la classe ouvrière. Il se heurte au gouvernement du Parti conservateur et pose la question de la grève générale.

Les travailleurs britanniques luttent contre l’inflation galopante

ONS, 15 février 2023


L’inflation a atteint un pic en octobre 2022 (11,1 %, un record depuis 40 ans) telle qu’elle est mesurée par l’indice des prix à la consommation du Bureau des statistiques nationales (ONS). Depuis, elle ralentissement légèrement mais s’élève encore à 10,1 % sur un an. Autrement dit, l’inflation continue à pénaliser des revenus qui étaient déjà amputés antérieurement. Selon la confédération des syndicats (Trades Union Congress, TUC), les salariés ont perdu en moyenne et en valeur réelle 20 000 livres sterling (environ 23 230 euros) entre 2008 et 2021.

L’inflation a plongé des millions de travailleurs dans la misère et appauvri plusieurs millions d’autres. Selon un sondage du syndicat enseignant NASUWT, 72 % de ses membres ont dû restreindre leurs dépenses pour se nourrir. Face à une telle baisse du niveau de vie et aux conditions de travail dégradées, les directions syndicales multiplient de simples journées d’action.

Les lois antigrèves de Thatcher, qui n’ont jamais été abolies par les gouvernements ultérieurs du Parti travailliste, obligent à déclarer la grève à l’avance et à la soumettre à un vote. Les grèves de solidarité sont interdites. Les grèves sauvages sont prohibées puisque seul un syndicat peut lancer une grève légale. Ce dispositif a été renforcé par le Trade Union Act de 2016 qui impose aux syndicats une consultation de leurs adhérents par voie postale avant toute action. Celle-ci n’est reconnue légale qu’avec un minimum de 50 % de réponses favorables.

Il y a une seule centrale (TUC), mais les syndicats qui y sont affiliés se font souvent concurrence. Fin novembre, une grève de 48 h est menée par les 115 000 postiers du syndicat CWU à Royal Mail, accompagnés de 70 000 salariés des établissements de l’enseignement supérieur britannique et de 50 000 enseignants en Ecosse. Dix autres journées de grèves ont eu lieu en décembre.

De son côté, le syndicat RMT a appelé ses 40 000 membres du Network Rail et des sociétés d’exploitation ferroviaire (TOC) à une série de 8 journées d’action entre le 13 décembre et le 7 janvier. Ils sont rejoints par les milliers de membres d’ASLEF pour leur 5e grève de l’année. Les bagagistes de l’aéroport d’Heathrow, les agents de la sécurité d’Eurostar, les personnels d’autoroute du Grand Londres et du sud de l’Angleterre et les douaniers de Gatwick font grève le 24 décembre.

Le 9 novembre, les travailleurs de la santé (300 000) dont 110 000 infirmières, syndiqués au RCN, suivent deux jours de grève, les 15 et 20 décembre. Une première depuis 106 ans dans l’histoire de ce syndicat. Avec une baisse de 20 % du salaire des infirmières depuis 2010, les 4 % d’augmentation sur un an proposés par Rishi Sunak, le premier ministre, constituent plus exactement une réduction des salaires en termes réels des travailleurs du National Health Service (NHS, le réseau gratuit des hôpitaux publics).

Le gouvernement adopte une nouvelle loi antigrèves

Le Parti conservateur actuellement au pouvoir est le principal parti de la bourgeoisie, il a pour principaux rivaux le Parti libéral-démocrate et le SNP nationaliste écossais. Le Parti travailliste (LP) est issu historiquement des syndicats mais son programme a toujours été bourgeois et son appareil, incarné depuis 2020 par Keir Starmer (qui dans sa jeunesse était pabliste, comme les fondateurs du NPA), est tout aussi vendu à la classe dominante que la bureaucratie syndicale.

Les gouvernements du Parti conservateur ont réduit au fil des ans la fiscalité des riches et étranglé l’enseignement public comme la santé publique. Ils sont hostiles aux augmentations de salaire pour ne pas pénaliser le profit des grands capitalistes qu’ils représentent, et aux syndicats, aussi apprivoisés soient-ils.

L’exigence de Sunak pour le NHS, ce sont des efforts pour plus de productivité exigés des travailleurs déjà épuisés par le manque de moyens. Cette situation est aggravée par un sous-financement du système public de santé depuis plusieurs années. En 2021, 27 000 infirmières et 20 000 sages-femmes ont quitté le secteur public à cause de rémunérations insuffisantes. À cela s’ajoutent, pour les mêmes raisons, les difficultés de recrutement, soit 47 000 postes de soignants non pourvus au sein du NHS, sur un total de 133 400 postes, rien qu’en Angleterre. Ce manque de personnels fait que, dans tout le Royaume-Uni, plus de 7 millions de patients attendent de recevoir leur traitement dans les hôpitaux.

Dans ce contexte, Sunak a décidé une nouvelle restriction au droit de grève, la Strikes Minimum Service Levels Bill qui instaure un service minimum dans la santé, l’éducation, les transports et les secours. Un gréviste pourrait ainsi être réquisitionné, voire licencié s’il refuse, et les syndicats seraient passibles d’amendes.

Le texte, adopté le 30 janvier à la Chambre des communes en dernière lecture, applicable dès cet été, s’étend aux douanes et à l’énergie nucléaire. Il couvre un total de plus de 5 millions de travailleurs. Il prévoit que les employeurs puissent définir le nombre de salariés devant rester à leur poste même en cas de grève, sous peine de poursuite judiciaires.

La nouvelle loi ne permet pas « seulement » de licencier un travailleur qui défie un ordre de travailler. Elle permet le licenciement massif de tous les travailleurs impliqués dans une action de grève s’il est considéré qu’un syndicat n’a pas pris de « mesures raisonnables » pour s’assurer que les travailleurs spécifiés respectent les avis de travail.

Au même moment, la presse a révélé que le président du Parti conservateur, Nadhim Zahawi, avait fraudé le fisc.

Les dirigeants des syndicats ont déclaré qu’ils n’engageraient que des actions juridiques pour s’opposer à la nouvelle loi. Pour toute opposition, une journée de manifestation dite « journée nationale pour le droit de grève » a été convoquée le 1er février par la direction confédérale. Ni le TUC, ni aucun de ses 48 syndicats affiliés n’organise de grève pour le combattre. Le secrétaire général du TUC, Paul Nowak, s’est engagé à ce que les syndicats respectent les dispositions de la loi une fois adoptée, en attendant qu’un futur gouvernement travailliste l’abroge.

Le chef du Parti travailliste répond que, oui, il faudra la revoir, mais que ce n’est pas si important, puisqu’elle ne marchera pas (!).

Lors de la réunion du TUC, la secrétaire générale du RCN, Pat Cullen, « a clairement exprimé son opposition à une action coordonnée de différents syndicats et a déclaré que le RCN ne se joindrait pas à une telle initiative » (The Guardian). Cullen a montré son mépris pour la revendication des infirmières en déclarant que le RCN serait prêt à « couper la poire en deux » en acceptant une augmentation de 10 %. Malgré cette reculade humiliante, le RCN n’a pas reçu de réponse favorable du gouvernement.

Courtney de la NEU (National Education Union) appelle les enseignants d’Angleterre et du Pays de Galles à une nouvelle journée d’action le 15 mars. En Ecosse, le syndicat EIS décrète une journée d’action le 28 février, une autre le 1er mars, puis des grèves tournantes du 13 mars au 21 avril.

Les travailleurs ne désarment pas mais butent sur la dispersion des actions et la collaboration de classes


Et pourtant, des milliers d’infirmières des 55 établissements dépendant du NHS ont renouvelé une deuxième série de deux jours de grève, les 18 et 19 janvier, montrant ainsi que leur détermination était toujours intacte. Elles ont été rejointes par des milliers d’ambulanciers à l’appel de 3 syndicats (GMB, Unison, Unite).

Le 1er février, 300 000 enseignants (près d’une école publique sur deux était fermée), ont cessé le travail, rejoints par 70 000 universitaires dans 150 établissements d’enseignement supérieur.

Comme lors des mois précédents, la plupart des secteurs d’activité sont concernés : les transports ferroviaires et maritimes, les services publics et commerciaux (les agences pour l’emploi, les musées, les postes-frontières). La manifestation à Londres a rassemblé près de 40 000 personnes, malgré l’abstention du RCN et du Parti travailliste.

La direction confédérale du TUC a semé des illusions parlementaires alors que les partis bourgeois ont une majorité écrasante dans les deux chambres. De même, Nowak a déposé une pétition ridicule au siège du premier ministre à la fin de la manifestation de Londres.

Les ambulanciers de Unison et du GMB ne font même pas grève le même jour. Le RCN appelle les différentes catégories de soignants à des journées d’action distinctes.

Les grèves d’un ou deux jours, entre lesquelles des négociations secrètes ont lieu, n’ont débouché sur aucune victoire significative. Les augmentations patronales ou gouvernementales ne compensent jamais l’inflation.

Le chef du syndicat RMT, Mick Lynch, intime aux travailleurs d’accepter un accord salarial au rabais, inférieur à l’inflation, tout comme la direction de la NEU qui fait mine de lancer un ultimatum :

Aujourd’hui, nous avons la secrétaire à l’Éducation à l’oeil. Elle a jusqu’à notre prochain jour de grève en Angleterre, le 28 février, pour changer de position.

Une menace vide, qui montre que les dirigeants syndicaux ont cherché à « raisonner » le gouvernement. Le syndicat concurrent n’est pas plus ferme. Le secrétaire du NASUWT, Roach, s’est adressé le 22 février au gouvernement conservateur en ces termes.

Le gouvernement a écrit aux syndicats mais il exige des préalables arbitraires et artificiels qui n’auraient pour effet que d’empêcher un dialogue significatif de se dérouler. Nous avons déjà eu des rencontres cordiales avec la secrétaire à l’Éducation mais maintenant nous avons besoin d’échanges et de négociations constructifs.

La secrétaire du RCN Cullen a déclaré le 16 février :

Ces grèves n’auraient pas besoin d’avoir lieu si le gouvernement vient simplement à la table de négociations.

Les travailleurs ne peuvent se contenter de l’ouverture de négociations, ils veulent compenser au plus vite la baisse de leur niveau de vie, défendre la valeur de leur force de travail.

Quant au Parti travailliste, qui est financé par les syndicats, il se réjouit des sondages favorables et croit prudent, pour gagner les prochaines élections législatives, de prendre ses distances vis-à-vis des grèves. Lors de sa dernière conférence de presse, sur fond de drapeau britannique, Starmer, qui a purgé l’aile gauche, a déclaré que son prédécesseur Corbyn ne pourrait plus être candidat du parti puisqu’il est antisémite (en fait Corbyn soutient les droits des Palestiniens).

Nous pouvons dire, fermement, avec assurance, que le Parti travailliste a changé de manière permanente, fondamentalement, irréversiblement, passant d’un parti de dogme à un parti de patriotisme.

Les organisations politiques ouvrières des staliniens défroqués (CPB…) ou des révisionnistes du trotskysme (SWP, SPEW…) restent prisonnières du travaillisme et du mouvementisme. Par exemple, le SWP, le SPEW et le CPB ont défendu le Brexit [voir Révolution communiste n° 19, n° 33].

Les organisations à la gauche du LP sont souvent liées à des appareils syndicaux, au point que le SPEW (comme son correspondant français GR) et le CPB expliquent que les flics sont des travailleurs comme les autres. Elles se coulent donc dans les journées d’action et dans la division catégorielle qui risquent d’épuiser les travailleurs sans jamais menacer le patronat et Sunak.

Grève générale pour sauver le NHS, supprimer le service minimum et instaurer l’indexation des salaires !

Dans quelques entreprises, les travailleurs ont réussi à déborder les appareils syndicaux et, par la grève illimitée, à compenser pour un temps l’inflation. En octobre, les 2 000 conducteurs de bus d’Arriva London ont obtenu une hausse des salaires de 11,2 % et ceux d’Arriva North West 11,1 % après 4 semaines de grève. 250 travailleurs des bus Stagecoach de Hull ont conduit une grève totale jusqu’à l’augmentation de 20 %.

Les travailleurs doivent exiger que les négociations salariales soient publiques.

Ils doivent imposer qu’il n’y ait qu’un seul syndicat pour tous les métiers dans chaque branche.

Ils doivent se regrouper dans des comités d’action et en une fraction lutte de classe dans chaque syndicat, pour organiser les piquets de grève, imposer que les décisions soient prises dans des assemblées générales, préparer l’autodéfense contre la police, élire des comités de grève élus et les centraliser.

Grève illimitée de toutes les branches en même temps pour :

Augmentation immédiate de 12 % des salaires, des retraites, des allocations chômage pour compenser l’inflation. Indexation des salaires, des pensions sur l’indice des prix à la consommation.

Abrogation du service minimum et de toutes les lois qui entravent le droit de grève.

Embauche massive dans les hôpitaux, l’éducation, les services essentiels à la population.

Gel des loyers, des prix de l’énergie.

Pour déborder les dirigeants syndicaux, il faut commencer à construire dans tout le Royaume-Uni un parti différent du travaillisme, basé sur l’exemple du bolchevisme, dans le cadre d’une internationale ouvrière révolutionnaire.

Expropriation sans rachat ni indemnité des cliniques privées, des groupes capitalistes de l’énergie, du transport, du commerce, du logement…

Nationalisation de l’enseignement privé. Annulation des dettes étudiantes. Gratuité de l’enseignement.

Mêmes droits pour les travailleurs immigrés. Libre entrée aux réfugiés, aux travailleurs et aux étudiants. Droit de l’Irlande à s’unifier. Droit de l’Ecosse à l’autodétermination.

Fin des privilèges de l’Église anglicane, séparation complète de l’État et des religions. Abolition de la Chambre des Lords et de la monarchie. République.

Sortie de l’OTAN. Remplacement de l’armée de métier et des forces de répression par le peuple en armes.

Gouvernement ouvrier. Fédération socialiste des iles Britanniques au sein des États-Unis socialistes d’Europe.

22 février 2023