Le réarmement de l’impérialisme français

Le 20 janvier, Macron présentait ses « voeux aux armées ». Il a annoncé devant un aréopage de galonnés de tout poil le montant de la future loi de programmation militaire pour la période 2024-2030.

Je solliciterai la représentation nationale pour que nous puissions consacrer sur la période 2024-2030 un effort budgétaire de 400 milliards d’euros, ce qui permettra de couvrir un total de 413 milliards d’euros de besoins militaires afin de renouveler ainsi ce précieux outil militaire qui sert notre liberté, notre sécurité, notre prospérité et notre place dans le monde.

413 milliards d’euros, un montant encore jamais atteint, un tiers de plus que la précédente loi couvrant 2019-2025 qui ne faisait, si l’on ose dire, que 300 milliards. Cette nouvelle loi de programmation porte donc le budget militaire annuel moyen à 59 milliards d’euros, soit exactement l’équivalent du budget 2023 de l’Éducation nationale. Mais, à tous ceux qui penseraient que cet argent serait mieux employé pour les hôpitaux ou les écoles, Macron répond par avance : « Il n’y a dans ce projet ni luxe, ni aise, ni confort. Il n’y a que le nécessaire ».


Macron se veut visionnaire pour le compte de l’impérialisme français : « Nous devons avoir une guerre d’avance… tirer les conséquences de ce que notre époque porte en germe ».

Le vice-président LR de la commission des affaires étrangères du Sénat juge même ce montant insuffisant, estimant que « à moins de 430 milliards, on ne conservera pas un modèle d’armée complet ». Macron se veut visionnaire pour le compte de l’impérialisme français : « Nous devons avoir une guerre d’avance… tirer les conséquences de ce que notre époque porte en germe ».

Il n’est pas le seul à trouver le militarisme français encore insuffisant. Voici ce qu’a déclaré à l’Assemblée un des nombreux députés LFI membres de la commission défense lors de la discussion du budget 2023 de l’armée :

Vous aviez promis une marche budgétaire de 3 milliards d’euros : le compte n’y est pas. Vous aviez promis une revalorisation de la rémunération des militaires : le compte n’y est pas davantage. Vous aviez promis une LPM à hauteur d’homme : le compte n’y est toujours pas. La marche se révèle une illusion budgétaire ; votre prétendue hausse est d’ores et déjà amputée de 10 % par la revalorisation du point d’indice, sans parler de l’inflation. (Bastien Lachaud, 27 octobre 2022)

La capitulation des partis ouvriers bourgeois (LFI, PS, PCF) devant les exigences de l’état-major, dont le poids retombe surtout sur les prolétaires et qui pourrait servir à écraser une menace de révolution, est totale. Elle s’explique par la même raison que leur hostilité à la grève générale en défense des retraites : ne pas pénaliser la bourgeoisie nationale dans un monde où les rivalités s’exaspèrent.

Le monde est entré dans une nouvelle phase d’instabilité, structurée fondamentalement par :

  • l’opposition irréductible entre les deux première puissances impérialistes, les Etats-Unis et la Chine,
  • la poursuite de l’affaiblissement d’États impérialistes européens de second rang comme la France ou le Royaume-Uni alors que l’Allemagne se renforce,
  • la place laissée aux initiatives d’autres impérialismes de moindre force qui tentent leur chance pour accroitre leur influence comme l’impérialisme russe en Ukraine
  • le renforcement de puissances régionales qui n’hésitent plus à engager des opérations militaires dans leur voisinage comme la Turquie ou l’Azerbaïdjan.

« Les conséquences de ce que notre époque porte en germe », ce sont les risques accrus d’affrontements militaires entre puissances impérialistes que les crises récurrentes de l’impérialisme, période des guerres et des révolutions, mettent à nouveau à l’ordre du jour. Dès lors, tous arment et réarment à tour de bras.

GRIP, 3 novembre 2022


La guerre en Ukraine a accéléré puissamment cette tendance, notamment dans tous les pays membres de l’Otan et pas seulement ceux limitrophes de la Russie, comme la Pologne ou les pays baltes.

Depuis l’arrivée de Macron au pouvoir en 2017, le budget des armées est en augmentation chaque année. « L’armée française n’avait jamais connu un effort aussi soutenu depuis quasiment la fin de la guerre d’Algérie », notent Les Échos le 27 septembre 2022. L’évolution des montants budgétaires militaires est éloquente. En 2019, le budget de la défense était de 35,9 milliards d’euros, il passe à 37,9 milliards en 2020, à 39,2 milliards en 2021, à 41 milliards en 2022 et enfin à 43,9 milliards pour 2023. « Au total, ces deux lois de programmation militaire auront donc conduit à un doublement des budgets de nos armées » s’est félicité Macron le 20 janvier.

Il est vrai que quand on parle armement, la moindre babiole coute les yeux de la tête. Un avion Rafale, « tout équipé, c’est une centaine de millions d’euros », selon le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier (Le Monde, 29 janvier 2021). La loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit l’acquisition de 30 exemplaires auxquels devront s’ajouter 12 autres pour remplacer ceux déjà en service mais vendus d’occasion à la Croatie, l’objectif étant de porter la flotte d’avions de chasse à 225 Rafale. Quant au char Leclerc, mis en service à partir de 1993, son prix unitaire était d’environ 16 millions d’euros en 2000. Les 4 régiments blindés de l’armée de terre en comptent 240 exemplaires.

Dès le 13 juin 2022, Macron avait déclaré au Salon international de la défense : « la France et l’Union européenne sont entrées dans une économie de guerre dans laquelle… nous allons durablement devoir nous organiser ». C’est que la guerre en Ukraine bouleverse brutalement tous les paramètres. Par exemple, les 20 000 obus tirés quotidiennement par la Russie sur le champ de bataille correspondent au total des obus de 155 commandés annuellement pour l’armée française. Pour l’industrie d’armement nationale, c’est une opportunité considérable qui s’ouvre. Ainsi, l’entreprise Nexeter qui fabrique les canons à longue portée Caesar est passée en janvier 2023 à une production de 6 unités mensuelles (à quelques 5 millions d’euros pièce) au lieu de 2 avant le déclenchement de la guerre en Ukraine.

L’État français livre gratuitement des armes à l’Ukraine en puisant dans ses stocks. Comme il est en grande partie remboursé par l’Union européenne, il peut ensuite se réapprovisionner en matériels neufs auprès de ses fournisseurs : des équipements individuels, gilets pare-balles, lunettes de visée nocturne, munitions diverses, etc. mais aussi 18 canons Caesar, 6 canons TFR1 de 155 mm, 2 lance-roquettes et bientôt 14 chars AMX TRC et 2 systèmes Crotale de défense antiaérienne. A quoi s’ajoute une enveloppe de 200 millions mis à disposition de l’Ukraine pour que celle-ci puisse passer commande directement auprès des groupes capitalistes français d’armement. Le gouvernement met toutes ses forces pour gagner des marchés en Europe et renforcer ainsi la place de l’impérialisme français.

Dépenser beaucoup pour acheter ailleurs n’est pas une bonne idée… Nous avons besoin de renforcer une industrie et une base industrielle et technologique de défense européenne beaucoup plus forte et beaucoup plus exigeante. (Macron, 13 juin 2022)

Avec un succès très mitigé car il se heurte de plus en plus à l’impérialisme allemand qui entend recouvrer la puissance militaire correspondant à sa place de première puissance économique européenne. Certes, l’Allemagne part de loin puisque, même en ajoutant le récent paquet de 100 milliards pour moderniser son armée, son budget militaire atteint à peine 1,5 % de son PIB alors que la France approche déjà les 2 % et va les dépasser avec la nouvelle loi de programmation militaire. Mais l’Allemagne a déjà choisi d’acquérir des F16 américains plutôt que des Rafale français, elle projette un bouclier anti-aérien européen appuyé sur de l’armement américain et israélien, mais pas français, elle relance son budget militaire, elle s’est décidée à fournir des chars lourds Léopard 2 à l’Ukraine, encourage vivement les autres pays, nombreux, à qui elle en a vendus, à faire de même, assure être prête à assurer la formation des soldats ukrainiens, Scholz ajoutant au sommet de Munich le 17 février : « j’y vois un exemple du type de leadership que chacun est en droit d’attendre de l’Allemagne ». Comme cela, les choses sont claires.

Dans ces conditions, la construction d’une « défense européenne » largement assise sur l’industrie militaire française, dans deux domaines en particulier, le futur avion de combat et le futur char d’assaut, que Macron appelle régulièrement de ses voeux, a du plomb dans l’aile. Depuis deux ans, un sourd bras de fer oppose Dassault et les filières allemande et espagnole d’Airbus pour savoir qui va remporter la plus grosse part de la conception et de la fabrication du futur avion de combat européen baptisé SCAF. Maintes fois annoncé, l’accord est à chaque fois démenti par Dassault qui n’y trouve pas son compte. Au point que lors de l’examen du budget 2023, le Sénat a demandé au gouvernement « de donner des garanties sur la préservation d’un certain nombre d’intérêts stratégiques de la France » et d’envisager un plan B avec le financement d’études « destinées à établir les conditions de faisabilité d’un projet de chasseur de nouvelle génération financée par la France en dehors de toute coopération » tandis que le Bundestag de son côté adoptait dans le même temps une résolution exigeant du gouvernement allemand « une meilleure prise en compte des intérêts de l’industrie, tant pour le SCAF que dans le projet du futur char de combat MGCS ».

L’impérialisme français est peu à peu repoussé de certaines de ses positions en Afrique par d’autres impérialismes (russe, chinois et même américain). Après le renvoi des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso, une réduction des forces engagées et un recentrage sur les points d’appui qui tiennent encore comme la Cote d’Ivoire ou le Niger se sont imposés.

Et l’État français est également inquiet pour toutes ses possessions outre-mer, en particulier celles se situant dans la zone indopacifique où l’impérialisme chinois est de plus en plus actif, « aux premières loges des possibles confrontations de demain » selon Macron le 20 janvier. L’impérialisme français possède le deuxième espace maritime mondial en superficie, derrière les États-Unis mais bien avant l’Australie et la Russie, avec près de 11 millions de km² dont presque la moitié pour la Polynésie française, suivie par les Terres australes et antarctiques pour presque 2 millions de km2, la Nouvelle-Calédonie pour 1,5 million de km2 et l’île de La Passion-Clipperton avec 440 000 km2 pour les zones principales hors de la Métropole. Cet espace maritime représente un enjeu de souveraineté à la fois militaire et économique considérable. En effet, en application des traités internationaux, il se décompose en une mer territoriale qui s’étend jusqu’à 24 milles nautiques des côtes (44 km) où l’Etat côtier jouit d’une souveraineté totale, puis en une zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques (370 km) où il a l’exclusivité de l’exploration et de l’exploitation des eaux, fonds marins et sous-sols, et enfin en un plateau continental qui peut s’étendre jusqu’à 350 milles nautiques (647 km) où il peut également mener des explorations et des exploitations, mais doit éventuellement les partager avec d’autres. Ressources halieutiques, possibilités d’exploitation de gaz ou de pétrole offshore, course aux métaux rares sur les fonds marins, etc. se combinent donc avec des intérêts militaires et stratégiques. Tout cela mérite bien la construction d’un nouveau porte-avions nucléaire qui devra à terme remplacer le Charles de Gaulle vieillissant et le maintien opérationnel de 15 frégates de premier rang à l’horizon 2030. Toutefois, dans la même période, le tonnage de marine de guerre turque devrait progresser de 32 % et celui de la flotte chinoise de 138 %… La concurrence promet d’être rude.

Enfin, les efforts de l’impérialisme français pour tenir sa place sur le terrain militaire se doublent d’une offensive patriotique en particulier en direction de la jeunesse. L’idée a en effet été avancée de rendre le service national universel obligatoire. Pour le moment celui-ci fonctionne sur la base du volontariat. Mais le programme vanté par le site du gouvernement est sans ambigüité. Il s’agit d’un endoctrinement aux valeurs républicaines qui ont cours dans l’armée française et qui ont accompagné aussi bien les massacres des communards que les guerres coloniales.

Le séjour de cohésion dure 2 semaines. Chaque journée a un programme bien défini. Elle commence par le lever des couleurs, rituel républicain pendant lequel on lève le drapeau français et on chante l’hymne national, « la Marseillaise ». (site snu.gouv.fr)

À mesure que sa situation devient plus difficile sur la scène internationale, la bourgeoisie française non seulement renforcera ses moyens militaires, mais aussi en appellera de plus en plus au chauvinisme. Les communistes rejettent fermement et le militarisme de la bourgeoisie et son idéologie mensongère.

Dans la question de la guerre, plus que dans toute autre question, la bourgeoisie et ses agents trompent le peuple par des abstractions, des formules générales, des phrases pathétiques : « neutralité », « sécurité collective », « armement pour la défense de la paix », « défense nationale », « lutte contre le fascisme », etc. (Trotsky, Programme de transition, 1938)

Il faut arracher le pouvoir aux bourgeoisies impérialistes, à commencer par la nôtre, avant qu’elles conduisent l’humanité à une nouvelle guerre mondiale.

18 février 2023