La Poste : ce que cache l’abandon de la tournée journalière et la distribution en J+1

Transformée en société anonyme en 2010, La Poste (séparée des télécoms depuis 1991), doit toujours accomplir des missions d’intérêt public. Elle reçoit même des subventions pour cela (2,2 milliards d’euros pour 2020 et 2021).

Or, ce n’est pas sur la distribution du courrier que le groupe engrange ses plus forts profits. Au contraire des branches colis, banque et logistique, ce segment est même déficitaire. Alors desserte de toutes les boîtes à lettres, certes, mais à moindre cout. C’est pourquoi le PDG Philippe Wahl a décidé la fin de l’acheminement en J+1 (timbre rouge pour les courriers urgents) depuis le 1er janvier. Toutes les lettres (timbre vert et même recommandées) seraient désormais distribuées en J+3. Avec le J+3 et le J+5 pour les courriers publicitaires, le facteur ne s’arrêtera plus que lorsque le courrier adressé à l’usager sera arrivé au terme de son délai. Le facteur déposera alors dans la boite, l’intégralité des plis qui lui sont adressés (soit jusqu’à 3 jours de courrier).

Ne s’arrêtant plus tous les jours chez vous (même si vous avez du courrier en attente au centre de distri), le facteur pourra parcourir plus de distance, voire faire 2 tournées comme c’est déjà le cas le samedi (pour « octroyer » un samedi libre sur 2 La Poste a imposé au facteur de service ce jour-là, d’effectuer, en plus de la sienne, la tournée de son collègue).

Présentée comme une solution hybride et écologique par La Poste, la fin du timbre rouge va surtout permettre à l’entreprise de réaliser entre 120 et 130 millions d’euros d’économie. (Ouest-France, 29 décembre 2022)

La Poste est capable de faire du J+1 sur le secteur concurrencé du colis, mais n’entend pas faire le moindre effort sur le courrier, alors même que l’État a augmenté sa contribution au titre du service universel, à hauteur de 520 millions d’euros, ce qui ramène le déficit de la branche courrier de 699 à 179 millions. La péréquation qui existait du temps du service public des PTT entre la poste et les télécoms ne saurait exister dans une multinationale comme le groupe La Poste pour lequel chaque branche doit dégager des bénéfices ou être abandonnée. Si sa délégation de service public lui interdit cette dernière extrémité, elle peut toujours interpréter la mission à sa sauce. D’ailleurs, cette attitude répond au vœu du gouvernement puisqu’en juillet 2021, le Premier ministre Jean Castex avait demandé de trouver des solutions pour en diminuer le coût.

Le déficit de La Poste a atteint, en 2020, 1,3 milliard d’euros… Jean Castex, Premier ministre, a déclaré vouloir allouer une dotation d’un montant entre 500 et 520 millions d’euros par an à La Poste, et ce dès 2022 et en amont de la renégociation du contrat prévue pour 2023. Mais le groupe La Poste ne va pas uniquement compter sur l’État pour redresser la barre : un nouveau plan, basé sur une nouvelle grille tarifaire et de services, a été annoncé pour fin 2022, et devrait entrer en vigueur en 2023. Le principe ? Ralentir le courrier pour réaliser des économies d’échelle. (Les Carnets de l’économie du 23 juillet 2022)

Le facteur s’arrêtant moins souvent, c’est autant d’emplois qui seront récupérés. Les syndicats parlent de 15 000 à 20 000 suppressions, alors que la branche courrier a perdu 73 000 postes depuis 2005.

Pour remplacer le J+1, la poste propose de troquer l’écrit (la lettre papier, physique) contre un courrier numérique imprimé par le bureau distributeur et délivré le lendemain pour un envoi effectué avant 20 h. Sachant pertinemment que ceux qui continuent d’écrire ne sont pas ceux qui maîtrisent le plus internet, la e-lettre est appelée à une belle mort, en J+très peu.

De plus, La Poste vient d’annoncer « à titre expérimental » la suppression de la tournée quotidienne dans 68 communes. Le facteur ne passant plus qu’un jour sur deux. À partir du mois de mars, seules les lettres urgentes, recommandées, la presse et les colis continueront à être distribués quotidiennement. Nul doute que « l’expérience » sera concluante !

Cela fait des années que La Poste réorganise ses services, supprime des bureaux de postes, retire nombre de ses boîtes aux lettres jaunes (30 % en 10 ans) et de ses distributeurs de billets. Elle se vante toujours de sa présence sur l’ensemble du territoire, grâce à ses 17 000 points de contact. Mais ce qu’elle se garde bien de dire, c’est qu’il ne s’agit pas d’autant de bureaux où l’usager peut effectuer toutes ses opérations (courrier, colis, banque et épargne). De 13 905 bureaux de « plein exercice » en 1960, La Poste a ramené ce chiffre à environ 5 300. Ailleurs, il faut se contenter de points poste, de relais chez un buraliste. Pourtant là encore, La Poste bénéficie de 175 millions d’euros pour maintenir une présence publique postal sur l’ensemble du pays. Là encore La Poste fait du détournement d’argent public puisqu’elle continue de fermer ses bureaux.

Le but de toutes ces mesures est clair : la suppression d’une partie du personnel qui n’est plus protégé par son statut et l’exploitation à outrance de l’autre partie, menacée d’être remplacée par un personnel plus docile sous peine de licenciement.

La mesure a été appliquée le 1er janvier. Hormis quelques réactions de postiers dans certaines localités, la force collective des 70 000 agents du courrier et des 130 000 autres travailleurs du groupe n’a pas été mobilisée par les fédérations CGT, SUD, FO ou CFDT.

1 mars 2023, correspondant