Histoire du Parti communiste chinois (8) 1943-1945

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(chapitre 10 : 1947-1949)

(chapitre 9 : 1945-1946)

(chapitre 8 : 1943-1945)

(chapitre 7 : 1941-1943)

(chapitre 6 : 1939-1940)

(chapitre 5 : 1935-1938)

(chapitre 4 : 1931-1935)

(chapitre 3 : 1928-1931)

(chapitre 2 : 1925-1927)

(chapitre 1 : 1911-1924)

Depuis 1931, l’impérialisme japonais étend son occupation de la Chine : en 1937, son armée s’empare du nord et donc d’une grande partie de l’industrie et de l’agriculture. Ce qui reste de la Chine est alors partagé entre le gouvernement officiel du Guomindang nationaliste bourgeois (GMD) de Jiang Jieshi, le bourreau de la révolution chinoise de 1927, et dans une moindre mesure les « zones libérées » sous le contrôle du Parti communiste chinois stalinisé (PCC). Les deux sont officiellement unis contre l’envahisseur japonais sous la pression d’une part de la principale puissance impérialiste, les États-Unis en guerre depuis décembre 1941, et d’autre part de l’État ouvrier dégénéré de l’URSS, en guerre depuis juin 1941, qui sont désormais alliés [voir Révolution communiste n° 55].

1943 : le PCC ménage les exploiteurs des campagnes



L’armée régulière (Armée nationale révolutionnaire) et l’ancienne Armée rouge (renommée Armée populaire de libération) ont en commun d’éviter le plus possible d’affronter directement l’armée japonaise, redoutable mais qui est heureusement pour eux occupée par d’autres fronts. L’ANR se consacre surtout à encercler et contenir l’APL.

Protégé par l’APL, le PCC gère une partie significative du pays, éparpillée entre plusieurs « zones libérées », à l’écart des métropoles. La propriété y est toujours privée même s’il s’efforce d’encourager les coopératives et de réduire les fermages pour conserver sa base, les paysans pauvres. Si tout membre du PCC soupçonné de s’opposer à la direction est arrêté, souvent torturé par la police de Kang Sheng, sommé de s’autocritiquer en public, sinon exécuté, le gouvernement des zones libérées ménage les grands propriétaires terriens.

Les propriétaires sont en majorité antijaponais… Il faut donc leur laisser leurs droits politiques et ménager leurs intérêts… Les paysans riches sont les capitalistes des zones rurales et représentent une force indispensable ; il convient donc d’encourager leur travail… (Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, Payot, vol. I, t. 2, 1975, p. 342)

Les capitalistes marchands sont aussi épargnés par le PCC.

Ce même libéralisme marquera la politique commerciale. L’économie des zones libérées à peu près dépourvues de toute industrie ne pouvait se passer des échanges extérieurs soit avec les régions gouvernementales, soit avec les territoires occupés. (p. 342)

Les impôts sont perçus par le gouvernement du PCC dont la capitale est Yan’an (Yenan). Sur cette base, le PCC édifie une bureaucratie étatique aux privilèges réduits mais consistants par rapport à la pauvreté de la population.

La situation économique est difficile, d’autant que le gouvernement officiel établit un blocus économique et militaire des territoires aux mains du PCC.

L’économie des zones rouges demeura rudimentaire et précaire, fragmentée au niveau des régions qui battaient même leur propre monnaie… La situation relativement bonne de la zone frontalière ne saurait valoir pour l’ensemble beaucoup plus peuplé des régions libérées qui connurent, particulièrement de 1941 à 1943, des années d’effrayante misère. (p. 344)

Le territoire se rétrécit. Le PCC doit dans cette période 1941-1943 démobiliser un quart de son armée, augmenter les impôts. Sa monnaie se déprécie.

Mais en 1943, l’armée allemande est battue à Stalingrad et l’armée japonaise commence à reculer face à l’armée américaine en Océanie. Par conséquent, le blocus se desserre sur les territoires du PCC.

C’est dans ces circonstances que nos bases d’appui ont repris leur expansion, que leur population s’est élevée à plus de 80 millions d’habitants —si l’on compte tous ceux qui nous paient l’impôt en céréales, y compris ceux qui doivent en outre le payer aux autorités fantoches—, que notre armée a vu ses effectifs passer à 470 000 hommes et notre milice populaire à 2 270 000 hommes, que notre parti a pu porter les siens à plus de 900 000 membres. (Mao Zedong, « Notre étude et la situation actuelle », 12 avril 1944, Oeuvres choisies, t. 3, ELE, p. 176)

1943 : la « pensée Mao Zedong » est inventée

Timbre de Yan’an à l’effigie de Mao, 1945


Staline règne en maitre sur l’URSS et l’Internationale communiste, mais ses valets des autres partis sont autorisés à jouir d’un culte analogue à l’échelle nationale. Il est d’autant plus intense en Chine qu’il s’appuie sur un mini-État et que Staline a dissout en 1943 l’Internationale communiste.

Le portrait de Mao était peint sur les murs des villages et sur les bâtiments publics à travers toute la Chine rouge. On donnait son nom aux écoles : l’école des jeunes cadres Zedong de Yan’an, l’école de la jeunesse Zedong au Shandong. Dès qu’ils avaient trois ans, les enfants apprenaient à chanter : « Nous sommes tous les bons petits enfants du président Mao ». L’hiver suivant, les héros du travail envoyèrent des messages, saluant Mao comme « l’étoile salvatrice » de la Chine – un terme qui, dans les esprits chinois, évoquait le lien entre l’empereur et le ciel. Au printemps 1944, Mao fut invité à semer les premières graines de millet comme autrefois l’empereur labourait symboliquement le premier sillon. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, 1995, Fayard, p. 344)

En 1935, Liu Shaoqi s’était rangé du côté de Mao quand ce dernier prit le contrôle du PCC, en dehors d’un congrès, lors de la conférence de Zunyi [voir Révolution communiste n° 51]. En 1942, Mao l’appelle à Yan’an. En 1943, il inaugure le règne de « la pensée de Mao Zedong ».

Tous les membres du parti doivent étudier avec zèle et incorporer les doctrines sur la révolution chinoise et les autres sujets du camarade Mao Zedong. Ils doivent s’armer de la pensée de Mao Zedong. (Liu, « Liquider la pensée menchevik dans le parti », 6 juillet 1943, dans Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 1151)

Liu minimise les leçons de l’étranger, oppose le « vrai communisme » de Staline, et par-dessus tout de Mao, au menchevisme (sic) de Chen, Peng ou Li Lisan.

Le vingt-deuxième anniversaire de la fondation du PCC a été l’occasion de lancer deux initiatives qui allaient dominer la période suivante. Il s’agit de la construction publique de la personne de Mao Zedong et de la révision de l’histoire du parti pour montrer le rôle central et correct que Mao a joué dans cette histoire… Mao Zedong était au centre de ce processus et devait « pénétrer dans toutes les sections et tous les départements de travail ». (Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 987-988)

Instaurer son propre culte était étranger au mouvement ouvrier avant le stalinisme.

Il y a deux sortes de pensée de Mao. La première est sa véritable pensée, l’autre est un système de pensée artificiellement fabriqué pour élever le statut de Mao dans le parti et le pays à un rang divin, toujours parfaite, toujours juste, égale, voire supérieure au marxisme. (Wang Fanxi, Mao Zedong Thought, 1972, Haymarket, p. 86)

Liu ne risque guère d’être contredit par la base. Pour façonner l’appareil et marginaliser définitivement Wang, qui a encore des appuis, il est épaulé du sinistre Kang. Les délégués au congrès sont même chapitrés pendant 4 ans avant qu’il se tienne.

En mars 1943, son nouveau favori rejoint le secrétariat du comité central nouvellement réorganisé, aux côtés de Ren Bishi. Liu a également été nommé adjoint de Mao au conseil militaire révolutionnaire et dirige également le département de l’organisation et le bureau d’enquête du comité central. Son influence au sein du parti s’accroit rapidement, même si formellement il n’est pas membre à part entière du bureau politique. Mao a confié à Liu Shaoqi la responsabilité principale de préparer le septième congrès du PCC, initialement prévu pour le printemps 1941, mais retardé à plusieurs reprises et finalement convoqué en avril-juin 1945. Les délégués qui sont arrivés à Yan’an en 1941 ont dû prendre part, pendant deux à trois ans, à toutes les activités du mouvement zhengfeng [mouvement de « rectification »] sous le contrôle de Liu Shaoqi et de Kang Sheng. Le seul qui refusa de faire son autocritique fut Wang Ming. (Alexander Pantsov et Steven Levine, Mao, the Real Story, Simon & Schuster, 2007, p. 336-337)

1944 : négociations pour remplacer l’occupant japonais



Après plusieurs défaites militaires dans l’océan Pacifique, l’état-major nippon essaie de relier l’Indochine et le nord de la Chine, d’en finir avec les bases américaines du sud de la Chine (d’où l’aviation bombarde ses positions). La possession de toute la Chine et du Vietnam lui assurerait du riz, du caoutchouc, du pétrole, du charbon, du fer… nécessaires à son économie de guerre. Le 17 avril 1944, l’impérialisme japonais lance « l’offensive Ichigo » : plus de 140 000 soldats envahissent le sud de la Chine. L’armée gouvernementale (ANR) est incapable de résister.

Jiang Jieshi avait perdu la quasi-totalité de l’équipement de 40 divisions, dont celui des unités qui avaient été modernisées par les Américains. 750 000 de ses soldats avaient été tués. Seules avaient été épargnées les armées [du GMD] commandées par Hu Zongnan, qui bloquaient toujours les armées communistes du Nord-Shaanxi et du Gansu. (Alain Roux, Chiang Kaï-shek, Payot, 2016, p. 372)

La déroute chinoise ne fait pas l’affaire de l’armée américaine. Sous la pression du gouvernement Roosevelt, le gouvernement officiel doit négocier avec le PCC. Mais les conditions de Jiang sont inacceptables.

Les propositions gouvernementales (mémorandum du 5 juin) cherchent à replacer effectivement l’administration et l’armée communiste aux ordres directs du gouvernement… Quant aux questions politiques et d’organisation, elles sont repoussées jusqu’à la convocation d’une assemblée nationale à élire après la fin des hostilités… La levée du blocus militaire et commercial des régions communistes est subordonnée à l’acceptation des propositions du gouvernement. (Jacques Guillermaz, Histoire du Parti communiste chinois, vol. I, t. 2, Payot, 1975, p. 358)

Malgré la ligne de la « démocratie nouvelle » et le respect de la propriété privée, Mao peut difficilement céder à de telles exigences. C’est alors l’entrée en scène de l’impérialisme étasunien. Le 22 juillet 1944, une « mission Dixie » arrive à Yan’an pour s’entretenir directement avec la direction du PCC.

Cette fois-ci, des journalistes étrangers et des militaires américains se sont rendus dans notre région frontalière et dans les zones de base situées derrière les lignes ennemies. C’est le début de contacts réels après leur compréhension initiale de notre nouvelle Chine démocratique. Par conséquent, nous ne devons pas considérer leurs visites et leurs observations comme des événements ordinaires, mais comme le développement de notre front uni international et le début de nos relations diplomatiques. (Comité central du PCC, « Directive sur le travail diplomatique », 11 aout 1944, dans Tony Saich et Benjamin Yang, The Rise to Power of the Chinese Communist Party, Routledge, 2015, p. 1212)

1944, Yan’an : de gauche à droite, Zhu, le colonel Barrett de la mission Dixie, Mao


Mais rien n’en sort. Moscou et Washington augmentent la pression.

Staline, qui craignait la création d’un protectorat américain en Chine voulait établir des relations par traité avec le gouvernement nationaliste qui garantirait la neutralité de la Chine dans tout combat futur entre les grandes puissances et la reconnaissance des intérêts spéciaux de la Russie en Mandchourie, en particulier les chemins de fer et les concessions portuaires. Il préconisait aussi un accord entre le GMD et les communistes. Le Généralissime, lui, était catégoriquement opposé à des négociations GMD-PCC. Mais sous la pression commune de Washington et de Moscou, il céda à contrecoeur. Le 7 novembre 1944, l’émissaire personnel du président Roosevelt, le général de division, Patrick Hurley, se mit en route. (Philip Short, Mao Tsé-Toung, 1995, Fayard, p. 348)

Grossier, prétentieux, le militaire est le stéréotype du « yankee » arrogant. Hurley rédige un projet d’accord GMD-PCC que Mao valide avec la mention d’un « gouvernement de coalition ». Cette fois, c’est Jiang qui repousse l’accord. Pendant ce temps, l’issue de la guerre mondiale ne fait plus de doute.

Le 11 février 1945, à la conférence de Yalta, le sort de la Chine est apparemment scellé. Zone tampon entre l’URSS et les États-Unis, le pays restera sous influence de l’impérialisme et Staline promet, à l’insu du PCC, de ne pas soutenir l’Armée populaire de libération face au régime reconnu par les Alliés.

1945 : Le 7e congrès du PCC mise sur la collaboration entre les classes

Le 6e congrès datait de… 1928. Il s’était tenu à Moscou. La bureaucratie de l’URSS qui avait pris le contrôle du PCR et de l’Internationale communiste avait alors choisi Li Lisan pour diriger le PCC alors que Mao Zedong conduisait déjà les principales forces militaires dans les campagnes [voir Révolution communiste n° 49].


7e congrès, Yan’an, 1945 : Zhu De, Mao Zedong, Zhou Enlai



Le rapport de Mao au 7e congrès, avril 1945


Pour la première fois, du 23 avril au 11 juin1945, un congrès entérine la suprématie de Mao : sa pensée guide le parti, l’histoire du PCC réécrite lui donne raison contre tous ses rivaux, il en est le chef suprême. Il présente le rapport politique au congrès. Celui-ci trace une ligne de collaboration avec la bourgeoisie à l’échelle internationale et nationale. Sous le premier angle, il soutient les conférences internationales où les bourgeoisies américaine et britannique s’accordent avec la bureaucratie de l’URSS pour partager les dépouilles de l’Allemagne et du Japon, pour empêcher la révolution d’éclater dans le monde entier comme elle l’avait fait en Europe en 1917-1919.

Le Parti communiste chinois approuve la Charte de l’Atlantique, ainsi que les décisions des conférences internationales de Moscou, du Caire, de Téhéran et de Crimée. (Mao Zedong, « Du gouvernement de coalition », Oeuvres choisies, t. 3, p. 272).

Au lieu d’une transition au socialisme mondial menée par les conseils d’ouvriers et de paysans, il préconise « un régime d’État, que nous appellerons démocratie nouvelle et qui sera une alliance démocratique à caractère de front uni » (p. 242). C’est la chimère d’une démocratie qui ne serait ni accaparée par les capitalistes et les propriétaires fonciers, ni exercée par des conseils de travailleurs des villes et des campagnes.

Certains se demandent si, une fois au pouvoir, le Parti communiste ne va pas, à l’instar de la Russie, instaurer la dictature du prolétariat et un régime de parti unique. Nous leur répliquerons qu’entre l’État de démocratie nouvelle, fondé sur l’alliance de plusieurs classes démocratiques, et l’État socialiste, fondé sur la dictature du prolétariat, il y a une différence de principe. (p. 248)

Le PCC repousse la révolution socialiste car « à l’étape actuelle, le peuple chinois n’a pas la possibilité d’instituer un régime d’État socialiste » (p. 242). Il suit la voie tracée par le parti nationaliste bourgeois à sa fondation.

Ce que nous préconisons coïncide entièrement avec les thèses révolutionnaires du Dr Sun Yat-sen. Celui-ci écrivait dans le Manifeste du 1er Congrès national du Guomindang : « Dans les États modernes, le système dit démocratique est le plus souvent monopolisé par la bourgeoisie et est devenu un simple instrument pour opprimer le peuple. Par contre, selon le principe de la démocratie du Guomindang, le système démocratique est le bien commun de tout le peuple, et non quelque chose qu’une minorité peut s’approprier ». (p. 243)

Seules les grandes entreprises seront gérées par l’État, les petits entrepreneurs auront un gouvernement qui veut « assurer le libre développement de cette économie privée capitaliste » (p. 244) durant cette « étape de la révolution démocratique bourgeoise » (p. 245). Pour y parvenir, Mao défend « un gouvernement de coalition qui groupera des représentants de toutes les classes » (p. 256).

Un gouvernement d’union nationale est le débouché politique du front uni antijaponais. Il n’exclut que ceux qui ont collaboré avec l’envahisseur étranger, ce qui se concrétisera en Italie et en France pour désarmer les travailleurs et empêcher la révolution

Il importe avant tout de mettre immédiatement fin à la dictature du seul Guomindang, et de constituer, avec l’approbation de tout le pays, un gouvernement central provisoire, qui soit un gouvernement démocratique de coalition réunissant les représentants de tous les partis et groupements politiques antijaponais, ainsi que des personnalités antijaponaises sans-parti. (p. 252)

Le 7e congrès se termine le 11 juin. Il recense 95 millions de personnes dans les « bases libérées », 1,2 million de membres, une armée de 900 000 soldats, une milice de 2,2 millions d’enrôlés.

La défaite japonaise ne verra pas naitre de coalition avec les partis bourgeois incluant le GMD, ni de « démocratie nouvelle ». C’est une nouvelle guerre civile entre le PCC et le GMD, entre l’Armée populaire de libération et l’Armée nationale révolutionnaire qui décidera du sort de la Chine.

(à suivre)