Critique du texte sur la situation internationale du CCR-RP

Des textes de congrès après les discussions préparatoires ?

Le 28 novembre, la scission du NPA de 2021 (site Révolution permanente) annonçait :

Ces deux dernières semaines, les assemblées de préparation du congrès de fondation d’une nouvelle organisation révolutionnaire ont commencé partout en France. Elles ont réuni 400 personnes et permis d’échanger et débattre sur la situation politique internationale et nationale […] Au programme de ces réunions : trois discussions portant sur la situation internationale, la situation nationale et la nouvelle organisation.

Outre qu’il est douteux qu’il y ait eu « des assemblées de préparation dans toute la France », les trois textes préparatoires à ces discussions sont datés des 3 et 4 décembre et ne sont parus sur le site Révolution permanente que le 4 décembre, ce qui signifie que les « assemblées préparatoires » se sont réunies et ont débattu sans les textes préparatoires au congrès et que dans le meilleur des cas, les militants et délégués n’ont disposé ainsi que de 12 jours pour préparer, textes à l’appui, un congrès de fondation d’une nouvelle organisation révolutionnaire. C’est un peu court pour un objectif aussi grand…

Le document international préparatoire au congrès intitulé « La guerre en Ukraine et l’accélération des tendances aux crises, guerres et révolutions » porte donc la date du 3 décembre 2022. Ce texte est pour l’essentiel la reprise du document international pour le 19e congrès de la maison-mère du CCR-RP, le PTS argentin, de juin dernier.

À cela il n’y aurait en soi rien de répréhensible, si ce n’est que les travers et déviations morénistes du PTS sont donc intégralement repris par le CCR-RP pour poser les fondations de sa nouvelle organisation révolutionnaire. On aurait pu rêver à de meilleures fées penchées sur le berceau de cette nouvelle organisation que ces quelques vielles sorcières affublées des vieux habits troués des révisionnistes des enseignements de Lénine et de Trotsky. Car ce document n’est pas marxiste, son analyse de la situation internationale est au mieux impressionniste, au pire fausse, et les perspectives qu’il ouvre pour l’avant-garde ne sortent pas des vieilles ornières de toutes les organisations centristes à la remorque des appareils bureaucratiques qui gangrènent le mouvement ouvrier.

Marxisme ou « sciences politiques » à la petite semaine ?

Ce document n’est pas marxiste car il utilise largement les concepts, la phraséologie, de la pensée dominante, c’est-à-dire de l’idéologie bourgeoise, pour analyser la situation au lieu des catégories établies et précisées par les communistes depuis 180 ans. Nul « purisme » déplacé ici, mais le constat d’un affaiblissement considérable de la pensée. On trouve ainsi dès la première page :

La guerre en Ukraine confirme qu’avec la crise capitaliste de 2008, qui a mis fin à l’hégémonie néolibérale prolongée, aggravée par la pandémie et la crise écologique, s’est ouverte une période dans laquelle les tendances profondes de l’époque impérialiste – tendances aux guerres, crises et révolutions -sont à nouveau à l’ordre du jour.

Quand est née « l’hégémonie néolibérale » mondiale ? En quoi consistait-elle ? Qu’est-ce qui a causé sa fin ? Comment « l’hégémonie libérale » a-t-elle été capable de suspendre les caractéristiques de l’impérialisme jusqu’en 2008 ?

La crise financière puis économique de 2007 2008 n’est jamais qu’une des multiples crises qui jalonnent l’histoire du capitalisme. Elle ne marque nullement un retour de l’impérialisme, qui a mis depuis la fin du 19e siècle sous sa coupe l’ensemble de la planète. Depuis, le capitalisme en déclin et les États bourgeois alternent, voire conjuguent, le protectionnisme avec le libre-échange, le soutien massif aux banques et à l’industrie ou les privatisations, les concessions aux masses et l’austérité, selon la conjoncture économique et politique, selon la place dans la chaine impérialiste mondial, sans que jamais les « politiques économiques » (qu’elles soient d’inspiration keynésiennes ou néoclassique) mettent un terme aux crises économiques. Les guerres et les crises révolutionnaires n’ont jamais cessé non plus.

La crise de 2007 2008 n’est en rien une rupture dans le mode de production capitaliste au stade impérialiste, ni dans sa manière de fonctionner. Le stade impérialiste a même ceci de particulier que, alors que la surproduction et la baisse du taux de profit le guette à chaque instant, il limite au maximum la destruction de capital sous toutes ses formes dans chacune de ses crises économiques, amoindrissant ainsi les conditions de la reprise et précipitant l’arrivée de la prochaine crise.

On apprend d’ailleurs un peu plus loin dans le même texte que :

Ainsi, si le cycle néolibéral s’était déjà essoufflé depuis la crise de 2008/9, ces interventions étatiques massives et le rôle de la Chine comme moteur de l’économie mondiale au début de la dernière décennie ont permis que se poursuive la mondialisation néolibérale – même si la perte de soutien politique à ce modèle s’aggravait profondément, comme le montre de la façon la plus radicale le trumpisme aux États-Unis (pour citer le nouveau phénomène politique le plus important) et l’augmentation des tensions géopolitiques et protectionnistes et de guerre commerciale

Donc, après la « fin de l’hégémonie néolibérale », la « mondialisation néolibérale » se poursuit, comprenne qui pourra… Pourquoi ne pas dire tout simplement que les tendances protectionnistes s’accroissent à mesure qu’approche la prochaine crise mondiale et en précipitent l’échéance. Ce charabia sur « l’hégémonie néolibérale » obscurcit et dissimule la réalité. Il appartient plus aux discours convenus des doctes professeurs de « sciences politiques » qu’aux communistes révolutionnaires.

On trouve aussi d’autres poncifs de l’analyse bourgeoise et petite-bourgeoise comme :

La tentative des États-Unis de recréer le clivage Est/Ouest datant de la Guerre Froide a une portée limitée au-delà de la scène européenne, comme l’illustre la grande ligne de fracture entre le Nord et le Sud que la guerre en Ukraine a exposé ouvertement.

Le « clivage Est/Ouest », la « Guerre froide », la « fracture Nord/Sud » sont autant de concepts de l’idéologie bourgeoise visant à masquer la réalité de la lutte de classes internationale. Le « clivage Est/Ouest » ou la « Guerre froide » servaient à cacher sous une apparence de confrontation de deux blocs d’un côté la pression continue, économique et militaire, de l’impérialisme pour venir à bout de l’État ouvrier dégénéré de l’URSS et de l’autre côté la politique liquidatrice des possibilités révolutionnaires de la bureaucratie stalinienne usurpatrice des conquêtes de la révolution d’octobre 1917. La « fracture Nord/Sud » est une duperie qui fait flores dans les forums sociaux mondiaux qui consiste à diviser le monde entre pays riches au Nord et pays pauvres au Sud en escamotant la lutte de classes dans chacun de ces pays, en substituant à l’analyse de l’impérialisme un vague concept pseudo-géographique. Il n’y aurait donc plus que des « riches » au Nord et des « pauvres » au Sud.

Elle masque aussi que dans les pays dits du « Sud », l’impérialisme chinois caracole loin devant, que des États comme l’Inde, la Turquie, etc. aspirent au rang de puissances impérialistes, que bon nombre de ces pays sont eux-mêmes dirigés par des bourgeoisies plus ou moins compradores qui exploitent et répriment férocement leur population.

Pour le CCR-RP, la Russie n’est pas un impérialisme

Le document affirme d’emblée que « La guerre de la Russie contre l’Ukraine/OTAN est le centre de gravité de la situation internationale et le restera pour la période à venir ». Si le texte concède que l’invasion russe de l’Ukraine a « un caractère profondément réactionnaire », il ne s’agit nullement de la manifestation de l’impérialisme russe, car « en raison de l’ampleur de son économie et de son rôle dans le système mondial, la Russie n’est pas une puissance impérialiste ».

Mais quelle est la nature de la Russie pour le CCR-RP ? Pays capitaliste ? État ouvrier dégénéré ? On peine à s’y retrouver car si le CCR-RP reconnait que le capitalisme a été réintroduit après la chute de l’URSS, on apprend qu’une « caste dirigeante parasitaire [qui] s’est emparée du butin de l’ex-URSS en accord avec les oligarques privés ». Donc ce ne sont pas les oligarques qui se sont emparés du butin de l’ex-URSS, mais une caste parasitaire, ce qui rappelle curieusement la bureaucratie stalinienne. Quelle est la base sociale de cette « caste dirigeante parasitaire » ? Mystère…

En réalité, le CCR-RP refuse de reconnaitre que le capitalisme a pleinement été restauré en Russie, que le gouvernement russe est un gouvernement bourgeois qui défend le capitalisme russe et que la Russie est bel et bien un impérialisme aujourd’hui, même s’il est de bien moindre force que l’impérialisme américain ou chinois. C’est un impérialisme émergent qui maintient par la force la Tchétchénie en 1994-1996 puis en 1999-2000, dispute aux impérialismes occidentaux le contrôle de son voisinage : intervention militaire en Moldavie en 1991-1992, en Géorgie en 2008, contre l’Ukraine en annexant la Crimée et en s’emparant d’une partie du Donbass en 2014, soutien au despote biélorusse Loukachenko contre les manifestations à l’automne 2020, au Kazakhstan en soutien au despote Tokaïev contre les puissantes manifestations ouvrières en janvier 2022. Au-delà de l’Europe, en Syrie au côté du dictateur sanglant El Assad (où la Russie obtenu une base militaire), en Libye en soutien au satrape Haftar via les mercenaires du groupe capitaliste russe Wagner qui agissent également en Centrafrique, au Tchad et au Mali, au Mozambique, au Soudan… Le colonel à la tête des mercenaires de Wagner, Outkine, qui a ses entrées au Kremlin, est un nazi avéré et les journalistes russes qui enquêtaient sur ses agissements ont été assassinés.

Le capitalisme russe n’est qu’au 12e rang mondial par son PIB, mais il comprend des groupes capitalistes d’envergure (armements, énergie, distribution, automobile, transport aérien). En son sein, il opprime des minorités nationales (Tchétchènes…) et il possède un important arsenal nucléaire, des capacités de guerre cybernétique parmi les plus développées. Il est à la tête de gigantesques gisements de pétrole et de gaz, il est le premier exportateur mondial de céréales, le premier producteur de nickel et de palladium, le troisième exportateur d’acier…

Les impérialismes émergents (Russie, Chine…) remettent forcément en cause l’ancien partage du monde. Ils ne peuvent se maintenir ou s’étendre qu’au détriment des impérialismes installés (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Japon…). Pour l’État russe, la priorité accordée par l’État américain à la lutte contre le capitalisme chinois en plein essor, son désengagement relatif des pays d’Europe, d’Asie de l’Ouest, son retrait désordonné d’Afghanistan, offrent l’occasion de desserrer l’étau économique et militaire de ses rivaux occidentaux. Ceux-ci ayant fait savoir qu’ils n’interviendraient pas militairement, Poutine a lancé ses troupes dans l’objectif d’annexer totalement l’Ukraine ou d’y installer un gouvernement fantoche à sa botte.

L’Ukraine n’est pas une nation, mais une invention de Lénine et des bolcheviks. Staline a tenté de remédier à cette « invention folle » mais il n’y est pas parvenu. (Vladimir Poutine, 21 février)

Cela indique d’ailleurs parfaitement que, contrairement à ce que prétend le CCR-RP, le centre de gravité de la situation mondiale ne réside pas aujourd’hui dans l’affrontement entre la Russie et l’Ukraine, mais dans la rivalité grandissante entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois, et que l’agression de l’impérialisme russe contre l’Ukraine n’est qu’un épiphénomène de cette situation mondiale.

Pour le CCR-RP, si d’un côté la guerre contre l’Ukraine est condamnable et si, de l’autre côté, la Russie n’est pas un impérialisme, mais seulement un pays de plus en plus menacé par les soutiens impérialistes à l’Ukraine, alors il faut rester « indépendant », à la fois contre l’invasion russe et contre l’OTAN, en oubliant au passage un simple détail, celui de l’existence de l’Ukraine !

À partir de cette position indépendante et anti-impérialiste, contre l’invasion russe et contre l’OTAN, nous avons polémiqué à la fois avec le secteur de la gauche « campiste », aligné sur la Russie (et la Chine) en raison de ses contradictions avec l’impérialisme américain, et avec le secteur de la gauche « libérale » qui considère que l’on se trouve face à une « guerre de libération nationale », sans voir que les États-Unis et les puissances impérialistes dans leur ensemble agissent derrière le gouvernement de Zelensky et que, par conséquent, sa victoire renforcerait l’impérialisme.

L’Ukraine étant un enjeu entre les différents impérialismes, les impérialistes occidentaux, États-Unis en tête, cherchent dans la défaite de l’impérialisme russe l’occasion de renforcer leurs positions, tout comme la victoire de l’impérialisme russe renforcerait sa position au détriment des autres impérialismes. Malgré le soutien massif indéniable des impérialismes occidentaux à l’Ukraine, la guerre reste encore celle d’un impérialisme, le russe, contre un pays dominé, l’Ukraine, et n’a pas -ou pas encore- basculé dans un affrontement inter impérialiste direct. De ce fait, les communistes internationalistes défendent inconditionnellement l’Ukraine contre l’agression impérialiste russe, sans apporter un quelconque soutien au régime bourgeois réactionnaire et corrompu de Zelensky.

Les communistes internationalistes sont résolument du côté du pays dominé contre l’agression d’une puissance impérialiste, comme l’ont toujours défendu Lénine et Trotsky. Le renforcement de la pression de l’OTAN sur la Russie par le développement de ses bases militaires est indiscutable, mais les rivalités entre puissances ne justifient en aucun cas que l’existence même de l’Ukraine soit mise en cause. Et la tâche du prolétariat ukrainien comme du prolétariat mondial consiste à défendre, sur une base d’indépendance de classe, ce droit à l’indépendance tout en combattant pour la révolution socialiste en Ukraine, pour l’internationalisme, pour la fédération des Etats-Unis socialistes d’Europe.

La victoire de l’Ukraine « renforcerait l’impérialisme » prétend le CCR-RP.

Les communistes internationalistes sont pour la défaite de l’impérialisme russe en Ukraine. L’Ukraine a le droit de se procurer des armes pour se défendre, même si les impérialismes états-uniens et européens qui les lui fournissent poursuivent leurs propres objectifs, qui sont au moins de garder l’Ukraine sous leur influence. La défaite de l’Ukraine signifierait l’écrasement du prolétariat ukrainien, le renforcement de l’impérialisme russe et de la dictature de Poutine sur le prolétariat russe. À l’inverse, la défaite de l’impérialisme russe ouvrirait la voie au soulèvement du prolétariat russe tout en permettant au prolétariat ukrainien de s’organiser et de se battre pour son propre compte ! Voilà notre perspective !

Voilà pourquoi le CCR-RP tourne le dos au prolétariat ukrainien comme au prolétariat russe. 

Contrairement à d’autres guerres qui avaient clairement un caractère impérialiste, comme la guerre en Irak, cette fois-ci aucun mouvement anti-guerre n’a émergé.

Effectivement, la confusion du CCR-RP sur cette question, identique à celle de nombre d’organisations, n’aide pas à la mobilisation sur une base de classe internationaliste. Et pourtant, dans les pires difficultés, un mouvement anti-guerre a tenté de s’organiser en Russie contre Poutine. Loin de lui venir en aide, la position du CCR-RP renvoie le prolétariat russe sous la coupe du dictateur.

Pour le CCR-RP, la Chine n’est pas un impérialisme

Voici comment le CCR-RP analyse la nature de la Chine :

Pendant des décennies, la Chine a connu une période de croissance économique spectaculaire et s’est hissée au rang de puissance régionale et mondiale. Mais, en raison de la crise de la mondialisation néolibérale, de la politique extérieure de plus en plus agressive des États-Unis, et sur le plan intérieur, en raison des difficultés croissantes à assurer la transition vers un nouveau modèle économique (accentuées par la politique du zéro COVID qui a généré des tensions avec la classe moyenne, principale base de soutien réactionnaire du régime), les marges de manœuvre historiques de la bureaucratie restaurationniste de Pékin se réduisent considérablement.

La bureaucratie restaurationniste serait donc toujours à l’œuvre à Pékin ? La réintroduction du capitalisme serait toujours en cours, mais sans que la quantité ne se soit transformée en qualité, sans que le capitalisme ait été restauré délibérément et consciemment en 1991 après des réformes pro-capitalistes entamées dès 1978 ? Décidément, après la Russie, la Chine, il se confirme que le CCR-RP a du retard à l’allumage ! S’obstiner à prétendre que la Chine reste un État ouvrier est absurde, 30 ans après le rétablissement d’un « marché du travail », de la transformation de la force de travail en marchandise achetable par le capital. Pire, ne pas comprendre que l’économie chinoise est capitaliste empêche d’aider le prolétariat en Chine et interdit de comprendre le repartage en cours du monde entre grandes puissances capitalistes


Cahier révolution communiste n° 31

Faut-il rappeler au CCR-RP que :

  • L’État chinois opprime des minorités nationales au sein de ses frontières (un critère d’État impérialiste pour Lénine et Trotsky).
  • La Chine est la base de 136 entreprises (« monopoles » dans le vocabulaire de Lénine) parmi les 500 premières mondiales en fonction du chiffre d’affaires selon le classement Fortune du 3 aout 2022 contre 124 pour les États-Unis, 47 pour le Japon…
  • La Chine est la base de 19 des 100 plus grandes banques du monde en fonction des actifs détenus selon le classement Fxssi du 28 juillet 2022 contre 11 aux EU, 8 au Japon…

    Stocks d’IDE sortants par État / site OCDE consulté le 21 décembre 2022

  • Selon les dernières données disponibles de l’OCDE, en décembre 2022, les firmes chinoises ont investi dans des filiales à l’étranger 2 600 milliards de dollars (stock d’IDE sortant en 2021, de « l’exportation de capital » dans le vocabulaire de Lénine) contre 9 800 pour les groupes américaines, 2 200 pour les groupes allemands…

    GRIP, Dépenses militaires, novembre 2022, p. 11

  • Le budget militaire de la Chine, selon le classement SIPRI du 25 avril 2022, est le 2e du monde (293 milliards de dollars en 2021), loin derrière les EU (800), mais loin devant la Russie (66), la France (57), l’Allemagne (56), le Japon (54)…
  • La Chine a établi des bases militaires à Djibouti et au Tadjikistan.

Aveuglé par une analyse aussi déficiente, le CCR-RP ne prend pas position pour la révolution sociale. Certes, à ses yeux, la bureaucratie a bien des défauts :

D’autant plus que la bureaucratie de Pékin, malgré son nouveau discours sur la « prospérité commune » vite mis au second plan, refuse de stimuler la consommation par une redistribution massive des revenus aux ménages moyens. Malgré des années de discours sur le « rééquilibrage », le gouvernement chinois n’a jamais eu pour objectif d’augmenter la part de la consommation dans le PIB, ce qui changerait fondamentalement les bases du modèle chinois fondé sur la surexploitation de la main-d’œuvre.

Ce qui ne laisse pas d’autre choix ni d’autre perspective au prolétariat, à moins qu’il ne s’agisse des « ménages moyens » que de lutter, non pas pour la révolution, mais pour une meilleure répartition du revenu national !

En réalité, un changement radical dans la distribution du revenu national ne peut être imposé que par une lutte qui vienne d’en bas

Minable horizon réformiste ! Alors même que le mot d’ordre de « XI démission » est apparu dans les récentes manifestations en Chine.

Quand le CCR-RP additionne des choux et des raves

Pour RP, pas moins de deux vagues révolutionnaires ont parcouru la planète depuis 2008, et la deuxième est toujours en cours.

Depuis la crise capitaliste de 2008, il y a eu deux grandes vagues de lutte de classe, qui se sont étendues au niveau international avec des inégalités. La première, en réponse directe aux effets de la Grande Récession, a connu son point culminant avec le Printemps arabe, une rébellion généralisée contre les dictatures arabes pro-américaines, déclenchée par rien de moins que la hausse du prix du pain. Cette vague a trouvé son expression en Europe avec le mouvement des Indignados en Espagne et les dizaines de grèves générales en Grèce, capitalisées surtout par les organisations néo-réformistes comme Podemos et Syriza.

La deuxième vague a commencé en France en 2018 avec la mobilisation des gilets jaunes contre la hausse des carburants, qui s’est transformée en une rébellion majeure contre le gouvernement Macron. Cette vague a atteint l’Amérique latine avec le soulèvement en Équateur (contre la hausse du prix des carburants ordonnée par le FMI), les protestations et grèves nationales en Colombie et la révolte au Chili en octobre 2019, qui aurait pu ouvrir la voie à la révolution mais n’a pas dépassé le caractère de révolte, canalisée par la Constituante puis par le gouvernement Boric.

Cette vague s’est interrompue à cause de la pandémie de coronavirus, mais après les premiers confinements, la lutte des classes est revenue en force, aux États-Unis notamment, avec le déclenchement du mouvement Black Lives Matter, un processus de mobilisations en réponse au meurtre de George Floyd, un Afro-américain tué par la police, auquel plus de 25 millions de personnes ont participé.

Le moins que l’on puisse dire est que d’une part ces vagues sont faites de bric et de broc et que d’autre part, bien loin d’un mouvement continu qui s’amplifierait, tous les mouvements cités par le CCR-RP se sont cassés les dents à cause des trahisons des directions ouvrières, secondées par les organisations centristes.

Les mouvements révolutionnaires en Tunisie, Égypte et Syrie (laquelle était et reste une dictature, mais certainement pas « pro-américaine ») ont tous été défaits, faute d’une direction révolutionnaire, ce que le texte du CCR- RP ne dit pas, soit grâce au replâtrage de l’État bourgeois organisé à partir de l’assemblée constituante en Tunisie, soit par la répression féroce en Égypte, soit par la répression et les massacres en Syrie, doublés par la mainmise progressive de l’islamisme fasciste sur la résistance à Assad. D’ailleurs combien d’organisations soi-disant révolutionnaires, voire soi-disant trotskystes, ont soit soutenu Assad au nom de l’anti-impérialisme, soit se sont rangées sous la bannière des islamistes ? Voilà les obstacles décisifs qui se sont opposés au développement de ces mouvements révolutionnaires, dont le CCR-RP ne dit mot, feignant de croire à la montée continue de la révolution dans le monde.

L’assemblée constituante dans des pays de démocratie bourgeoise ?

Quelle est la position exacte du CCR-RP sur le mot d’ordre d’assemblée constituante avancé en Argentine par ses grands frères du PTS durant la crise révolutionnaire de 2001, tout comme il le fut au Chili ou en Tunisie et qui a conduit à dévoyer le mouvement des masses dans les palabres parlementaristes ? Pour le Chili, le CCR-RP préconise toujours une bonne constituante.

La canalisation électorale de l’explosion sociale a mis fin au mouvement des masses dans la rue et a transformé la Convention en une Constituante truquée, où l’utopie de mettre fin pacifiquement au Chili de la transition post dictature, en laquelle beaucoup plaçaient leurs espoirs, s’est écrasée contre un mur.

En Argentine, c’est toujours la ligne du front électoral quasi-réformiste du PTS avec le PO, l’IS et le MST.

18) Pour la défaite du pacte Macri-FMI et des gouverneurs. Pour une Assemblée constituante libre et souveraine qui discute et résout les mesures d’urgence nécessaires pour répondre aux besoins urgents de la population active et promouvoir une transformation du pays sur de nouvelles bases sociales. (Plateforme en 20 points du FIT-Unitad)

Et le PTS va jusqu’à voter le 3 septembre, au parlement de Buenos-Aires (la Legislatura), une motion avec des partis bourgeois (comme son ancêtre le PST avait signé une déclaration commune avec des partis bourgeois le 21 mars 1974).

Les mouvements révolutionnaires bien réels en Tunisie, Égypte ou Syrie n’avaient pas grand-chose à voir avec les Indignés en Espagne, mouvement pacifiste préempté dès le départ par des organisations petites-bourgeoises qui n’a jamais pris ni le caractère ni la dimension d’un mouvement révolutionnaire. Enfin il n’y a jamais eu en Grèce des « dizaines de grèves générales », mais des dizaines de journées d’action interprofessionnelles, justement pour empêcher la grève générale, soigneusement encadrées par les appareils syndicaux et les organisations soi-disant révolutionnaires, mais RP confond volontairement l’un et l’autre, pour mieux se couler, tout comme LO ou le NPA, dans les dispositifs des bureaucrates.

L’apologie des Gilets jaunes et des antivaccins

Quant à la « deuxième vague révolutionnaire » mondiale, la faire débuter avec le mouvement des gilets jaunes en France est pour le moins hardi. Certes, le mouvement des gilets jaunes, malgré une taille réduite, est parvenu à déstabiliser le pouvoir exécutif et le parlement. Il a révélé la fragilité du parti du président. Il était inattendu, incontrôlé par les partis « réformistes » et les bureaucraties syndicales, il s’en prenait frontalement à Macron. Composé majoritairement de chômeurs, de retraités et de salariés de petites entreprises, dont de nombreuses femmes, il attirait la sympathie de la grande majorité de la population exaspérée par le style de Macron, le chômage de masse, la difficulté à se loger dans les grandes villes, la dégradation des services sociaux dans les petites villes et l’injustice fiscale. Mais c’est un mouvement très confus politiquement, alliant l’exigence du référendum d’initiative citoyenne, la baisse des taxes sur les carburants, quelques revendications ouvrières, etc. dirigé plus par des petits-patrons adeptes de La Marseillaise que par des prolétaires. C’est pourquoi il a toujours arboré le drapeau tricolore.

Fortement réprimé par la police, le mouvement des gilets jaunes a définitivement sombré dans le « grand débat » mis en place par Macron avec la complicité des organisations ouvrières. Lors de la dernière élection présidentielle, plusieurs figures des GJ ont d’ailleurs rejoint l’état-major du fascisant Zemmour.

Le mouvement des gilets jaunes ne s’est pas transformé en rébellion majeure contre Macron, à cause précisément de la politique des organisations ouvrières en soutien à Macron et de l’hégémonie de la petite bourgeoisie traditionnelle(indépendants) en son sein. Faire comme si, c’est mentir… et dédouaner les directions traitres du mouvement ouvrier.

Le mouvement du prolétariat pour défendre les retraites fin 2019, n’a jamais pris la dimension d’un mouvement révolutionnaire, car il n’a pas abouti non plus, à cause du refus des directions d’appeler à la grève générale, refus soutenu par les organisations centristes comme LO ou le NPA, qui jamais n’ont combattu sur ce mot d’ordre. LO se contentant de suivre les journées d’action, le NPA substituant volontairement le mot d’ordre de « grève reconductible » ou d’« extension de la grève » site par site au mot d’ordre politique de grève générale pouvant centraliser toute la classe ouvrière contre le gouvernement.

L’opportunisme de la direction du CCR-RP s’est confirmé avec son soutien aux manifestations réactionnaires des anti-masques et des antivaccins, dont les partis fascisants et les groupes fascistes ont naturellement pris la tête.

« L’avant-garde » des sociaux-démocrates du Parti de Biden

Voilà ce qu’il en est de la soi-disant vague révolutionnaire pour la France. Pour ce qui concerne le mouvement contre les violences policières aux Etats-Unis qui a rassemblé indéniablement des centaines de milliers de travailleurs et d’étudiants noirs, « hispanos » et « blancs », il a mis à jour la guerre policière menée contre les Noirs au nom de la lutte contre la drogue et posé à grande échelle la question de l’autodéfense (une question que le PTS et le CCR-RP ne posent jamais !).

Cependant, il a été au bout du compte dévié par des nationalistes bourgeois noirs (l’organisation BLM) et absorbé, « digéré » dans la campagne présidentielle du candidat Biden pour le compte du Parti démocrate, parti impérialiste, faut-il le rappeler.

La « gauche » du Parti démocrate, Sanders et les DSA, ont été à la manœuvre pour empêcher toute radicalisation révolutionnaire en détournant la lutte anti-policière vers les urnes et sous l’aile du parti bourgeois, auquel ils servent de « rabatteurs ». Voici d’ailleurs comment les DSA présentaient la solution, alors que les Noirs sont victimes de la répression policière et cherchent à s’en défendre :

Nous croyons fermement que des communautés fortes et dotées de ressources suffisantes n’ont pas besoin de recourir à la répression et, par extension, à des institutions répressives pour maintenir la paix lorsqu’il y a la justice. (DSA, Communiqué, 28 mai 2020)

Mais de cela, le CCR-RP ne dit rien, du moment qu’il y a mouvement, c’est donc que la révolution est en marche ! On trouve même dans le texte du CCR-RP une certaine sympathie pour cette « gauche » du Parti démocrate puisque, évoquant le mouvement pour construire des syndicats aux Etats-Unis, il parle de :

L’émergence de ce que l’on appelle la « génération U » (pour Union-union) aux États-Unis, qui est celle qui a mené le processus de syndicalisation et qui, comme nous l’avons dit plus haut, est passée par l’expérience du BLM. Il s’agit d’une avant-garde qui, dans une large mesure, a été à la base du « phénomène Sanders », particulièrement organisé dans la DSA, et qui a une préférence politico-idéologique pour le « socialisme ».

Sans dire que les porteurs de cette « préférence politico-idéologique pour le socialisme » ne cherchent en rien à construire un parti révolutionnaire mais restent dans la grande famille d’un parti bourgeois, le Parti démocrate.

Pour RP comme pour Bernstein, le but n’est rien, le mouvement est tout…

Emporté par son élan, le CCR-RP vole d’une révolution à l’autre, ou presque, la vague révolutionnaire impétueuse ne connaissant que quelques regrettables et dérisoires anicroches, à peine mentionnées. Ainsi :

Au Sri Lanka, après plus de quatre mois de manifestations, avec une énergie et un état d’esprit similaire à ceux du Printemps arabe, les masses ont chassé le président Gotabaya Rajapaksa. Des milliers de manifestants ont pénétré dans le palais présidentiel, offrant des scènes qui ont suscité l’enthousiasme des travailleurs et des pauvres du monde entier. Initié par un soulèvement étudiant, le mouvement a ensuite été suivi par les syndicats de travailleurs et même par des secteurs importants des classes moyennes, qui manifestaient rarement et s’opposaient généralement aux étudiants, dans une révolte générale qui s’est concentrée sur la revendication politique de « Gota Go Home ! »

Ce qui est parfaitement exact. Mais c’est la suite qui montre toutes les limites de l’analyse du CCR- RP.

Cependant, cette révolte a manqué d’une direction et d’une stratégie claires, qui auraient lié cette revendication juste à une issue économique et sociale des travailleurs pour résoudre la crise du pays. Cela a permis qu’elle soit manipulée pour le moment par d’autres forces d’opposition et que le parlement, complètement discrédité, puisse secrètement voter en faveur de l’ancien premier ministre Ranil Wickremesinghe, lui aussi détesté, qui mise sur une répression accrue tout en essayant de négocier un accord avec le FMI qui impliquera de nouvelles attaques contre les conditions de vie des Sri Lankais.

Il n’y avait pas de direction révolutionnaire au Sri Lanka, pas même un embryon de parti révolutionnaire capable d’avancer la perspective du gouvernement ouvrier et paysan au mouvement des masses, et non pas une bien vague « issue économique et sociale des travailleurs pour résoudre la crise du pays », mais pour RP, c’est un détail sans grande importance : « Cela a permis qu’elle soit manipulée pour le moment par d’autres forces d’opposition… ». Pour le moment ? Et par quel miracle le mouvement des masses pourrait-il se défaire, de lui-même, sans parti révolutionnaire, de l’emprise des forces liées au maintien de la bourgeoisie ? La réponse est qu’il n’y a pas eu de miracle et que la bourgeoisie a retrouvé le contrôle de la situation. Mais le CCR-RP se grise tout seul et écrit :

Mais le Sri Lanka pourrait n’être que le premier domino à tomber.

Eh bien non, le Sri Lanka n’est pas tombé, comme un premier domino, à cause de l’absence d’une organisation révolutionnaire. Qu’à cela ne tienne, le CCR-RP est déjà parti voir ailleurs, il survole désormais, mais à grande vitesse et vu de très loin, le Pakistan, Haïti, puis l’Iran où, curieusement, il ne voit que :  

Cette vague de révoltes contre les lois morales oppressives du régime cristallise le rejet de l’oppression, de la corruption et de la pauvreté imposées par l’État capitaliste et théocratique des ayatollahs.

Le PTS passe sous silence que son ancêtre, le PST, avec la même méthode mouvementiste et suiviste (si ça bouge, c’est bon) été incapable de comprendre en 1978-1979 le danger de l’islamisme et la contrerévolution menée par les ayatollahs.

Aujourd’hui, le PTS et le CCR-RP ne se donnent pas la peine d’ouvrir une quelconque perspective révolutionnaire pour les masses iraniennes, sans indiquer ni quelle forme ni quel chemin doit prendre le mouvement révolutionnaire en Iran pour vaincre le régime, ni par quoi remplacer la dictature islamiste.

Enfin, le CCR-RP aborde dans un bouquet final la situation en France, puis en Grande-Bretagne, qui dévoile la supercherie : le CCR-RP se coule, tout comme le NPA, LO, le POI ou le POID dans le moule de la politique des appareils, avec ses journées d’actions et ses grèves reconductibles sans perspectives.

Parallèlement à la poursuite des révoltes, ce qui est nouveau comme forme de protestation, c’est l’entrée de secteurs de plus en plus importants de la classe ouvrière avec leurs méthodes traditionnelles de lutte, les grèves et les piquets. C’est le cas de la grève des raffineries françaises, qui a provoqué un grave problème de pénurie de carburant qui affecte de plus en plus l’ensemble de l’économie et a mis la question des salaires ainsi que des profits extraordinaires des grands groupes au centre de la politique nationale, ce qui n’était pas arrivé depuis des décennies. Ce mouvement de grève a mis le gouvernement sur la défensive, car il ne s’y attendait pas et a réagi tardivement en contre-attaquant avec une énorme perte de crédibilité dans l’opinion publique, comme dans les premiers moments de la crise du COVID (en minimisant les problèmes) au moment où il préparait sa contre-réforme des retraites. Mais surtout, il a remonté le moral du mouvement ouvrier, qui, dans de nombreux secteurs, est aujourd’hui en grève ou vote des actions pour se mettre en grève dans les prochains jours. Cette situation de menace d’extension de la grève dans les raffineries a contraint la direction de Total à négocier, ce qu’elle refusait de faire si les grévistes ne stoppaient pas la grève au préalable.

Encore une fois, pas un mot sur la dislocation organisée par les chefs syndicaux aux moyens des journées d’action, pas un mot sur le combat de front unique pour imposer le grève générale alors que la question de l’indexation immédiate des salaires sur l’inflation se pose pour toute la classe ouvrière, mais l’apologie de l’extension de la grève site par site, vieille tactique employée déjà depuis longtemps, notamment par le NPA, pour seconder les bureaucrates en épuisant les travailleurs les plus combattifs dans une lutte sans perspective.

En outre, alors que les grèves pour les salaires des derniers mois étaient restées isolées, de courte durée, et centrées autour d’un programme limité, celle des raffineurs a remis sur le devant de la scène la grève reconductible, la possibilité de revendiquer des augmentations ambitieuses et la nécessité de l’extension. (Révolution permanente, 20 octobre)

Au bout du compte, dans les raffineries où le CCR-RP a joué un rôle sur cette funeste orientation, les travailleurs n’ont pas obtenu autre chose après leurs grèves que les 5 % d’augmentation scandaleusement insuffisants que la CFDT avait signé avant les grèves… (Voir)

En Grande-Bretagne, les syndicats sont sur le devant de la scène depuis des mois. Dans de nombreux secteurs de l’économie, les grèves se sont multipliées depuis l’été, atteignant un niveau jamais vu depuis l’offensive thatchérienne d’il y a 40 ans. Les cheminots, les dockers, les travailleurs d’Amazon, les enseignants, les postiers, les chauffeurs de bus, les infirmières du NHS, les éboueurs, les avocats, etc. se mobilisent pour réclamer des augmentations de salaire. L’irruption médiatique de Mick Lynch et Eddie Dempsey, dirigeants du RMT (syndicat des travailleurs du rail, des docks et des transports), inconnus jusqu’à récemment et devenus de véritables stars de la télévision, montre le retournement de situation par rapport aux années 1980.

Certes, il faut relever ce regain de combattivité de la classe ouvrière anglaise. Mais sur quoi une organisation révolutionnaire doit-elle mettre l’accent dans cette affaire pour aider les travailleurs ? Sur la trahison des directions syndicales qui hachent menu la mobilisation des travailleurs en mille et une journées d’actions, corporation après corporation, chacun son tour, sans jamais appeler à la grève générale pour vaincre le gouvernement. Mais le CCR-RP s’extasie sur les mobilisations sans rien dire.

Quelle organisation révolutionnaire RP prétend-elle construire ?

Pour le CCR-RP, « ces processus s’inscrivent dans le contexte de la profonde polarisation politique qui se poursuit. » D’un côté le développement de différents courants qui abritent différents degrés de bonapartisme, mais ne peuvent théoriquement être qualifiés de fascistes, en tous cas pas encore, comme Trump, Bolsonaro, Meloni, Le Pen, etc., ce qui est exact.

A l’autre pôle, les phénomènes politiques de la « gauche radicale » (à la gauche du réformisme traditionnel) continuent à se développer, qui dans de nombreux cas ont des points de contact avec les processus de lutte et d’organisation (comme aux Etats-Unis). Le dernier phénomène a avoir suscité la sympathie internationale est le nouveau gouvernement de Gabriel Boric au Chili.

Le gouvernement Boric est un gouvernement de front populaire dont le rôle est de servir de rempart à l’Etat bourgeois. La « sympathie internationale » dont parle RP n’est que la couverture des directions traitres à cette opération. Pourtant le CCR-RP met en garde à juste titre contre la politique d’alliance avec la bourgeoisie au nom de l’antifascisme que prône cette « nouvelle gauche » aux cotés des réformistes :

De même, contre la montée de l’extrême droite, que ce soit du côté de cette nouvelle gauche ou de celui de la gauche plus traditionnelle comme le Parti des Travailleurs au Brésil, on promeut des « fronts antifascistes », cherchant en général une expression électorale de ces derniers. Loin de devenir un outil pour arrêter l’avancée de ces mouvements réactionnaires, ennemis de toute la classe ouvrière, de femmes, de Noirs, d’indigènes et de la communauté LGBT, ces courants se transforment en leur contraire et génèrent la désillusion des forces prolétariennes et des opprimés, en désarmant les masses par leur pacifisme et en retournant la lutte de classe contre eux.

Contre cette politique de conciliation et l’idée qu’il y aurait urgence à utiliser les urnes et le vote comme une arme antifasciste efficace (le soi-disant vote antifasciste tactique), extrayant la confrontation avec le fascisme du terrain de la lutte physique entre les classes et l’insérant dans les canaux normaux de domination de la bourgeoisie en « temps de paix », la lutte contre le fascisme ne peut se faire que par la lutte des classes, avec une politique hégémonique de la classe ouvrière et indépendante de toutes les ailes de la bourgeoisie.

Tout cela est juste, mais hélas, RP s’arrête là où tout commence. Le texte n’avance aucune perspective politique, aucun mot d’ordre, ne serait-ce que sur les situations les plus brûlantes de la lutte de classe mondiale, rien sur l’Iran, rien sur la Grande-Bretagne, rien sur la Chine, etc. Au contraire, il se conclut sur de bien pauvres souhaits franco-français :

Aujourd’hui, alors les multinationales qui réalisent des profits records se refusent d’accorder le moindre réajustement salarial en accordant, tout au plus, des « bonus » et des augmentations inférieures à l’inflation, cette lutte n’est pas seulement une lutte distributive de plus. Si elle devait se généraliser, elle prendrait un caractère politique d’affrontement avec l’ensemble de la classe capitaliste, son État et les gouvernements en place

Le CCR-RP peut bien affirmer ;

C’est en ce sens, également, qu’il est urgent de s’atteler à la construction de partis révolutionnaires ayant une claire orientation stratégique et programmatique

On n’en saura pas plus. Mettre au centre du programme la construction d’une internationale ouvrière, de partis révolutionnaires pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière, la destruction de l’Etat bourgeois, le gouvernement ouvrier appuyé sur les conseils, l’armement du prolétariat, le front unique pour imposer la grève générale ?

Rien de tout cela. Le texte se conclut ainsi :

Dans ce contexte, plus que jamais, une politique audacieuse est nécessaire pour briser le poids conservateur des différents secteurs de la bureaucratie syndicale, qui, comme au début de l’offensive néolibérale, prennent une part active aux attaques, comme c’est le cas de la CFDT, ou, pour les secteurs plus contestataires, se relocalisent sous pression de leur base et mènent quelques actions, mais sans rompre la logique de conciliation de classe qui les unit au régime bourgeois.

Dans ce cadre, seule une tactique d’interpellation et de front unique avec les organisations ouvrières pour qu’elles appellent à la lutte, en même temps qu’une politique active au sein des syndicats pour les arracher des mains de leurs bureaucraties tout en développant les tendances à l’auto-organisation de tous les exploités, syndiqués ou non, peut offrir une perspective aux secteurs appauvris des classes moyennes et les empêcher d’être gagnés par l’impasse que représente l’extrême droite qui fait des immigrés les boucs émissaires de la crise.

Mais toutes les directions syndicales, et pas seulement celle de la CFDT, prennent une part active aux attaques du gouvernement en participant systématiquement à toutes les négociations concertations sur les contreréformes ! Où est par exemple le mot d’ordre évident de front unique « Directions des syndicats, quittez immédiatement la table des concertations sur la prochaine contreréforme des retraites » ? Comment le CCR-RP peut-il prétendre arracher les syndicats des mains des bureaucrates sans combattre bec et oncles sur ce mot d’ordre ? Comment peut-il prétendre le faire s’il ne lance pas le mot d’ordre de front unique « Directions des syndicats, assez des actions disloquées, appelez à la grève générale pour vaincre le gouvernement » et non pas un vague « qu’elles appellent à la lutte » qui couvrent toutes les manœuvres et les trahisons ? Comment le CCR-RP peut-il prétendre développer les tendances à l’auto-organisation des masses si précisément il ne cherche pas à organiser les masses contre les directions traitres ?

Le Groupe marxiste internationaliste, quand le CCR-RP a expliqué qu’il voulait faire mieux que le NPA et LO, a proposé de participer au projet.

Alors que certains membres de base avaient compris l’intérêt d’intégrer l’expérience du GMI au projet, la direction n’a pas répondu et elle a même donné pour consigne de cacher les « réunions préparatoires ». On comprend pourquoi en étudiant ses documents remis si tardivement aux militants.

Le CCR-RP avait quitté le NPA pour, disait-il, construire une véritable organisation révolutionnaire. En réalité, il aurait tout aussi bien pu y rester. Sur le fond, c’est la même ligne politique, courir après tout ce qui bouge, ne pas affronter les bureaucraties syndicales. Pour ajouter une perle au collier international du PTS, le CCR-RP a créé une organisation centriste supplémentaire en France, sans aucune raison stratégique, sans rapport avec les besoins criants du prolétariat.

21 décembre 2022