Les gilets jaunes, un mouvement écartelé entre classe ouvrière et petit patronat

La majorité des gilets jaunes sont des chômeurs, des retraités des petites villes, des ouvriers et employés de petites et moyennes entreprises, tous mal structurés par les syndicats. Mais on y trouve aussi pas mal de membres de la petite bourgeoisie traditionnelle déclassée ou en risque de l’être (artisans, paysans, assistantes maternelles…), de corps de répression (policiers, gardiens de prison, militaires) et même quelques représentants des couches inférieures de la bourgeoisie (des petits patrons).

Parmi les actifs occupés, à l’exception des cadres, nettement sous-représentés (10 %, soit 8 points de moins que dans la population active en emploi), et des artisans et commerçants, surreprésentés (deux fois plus nombreux que dans la population avec 14 %), les autres catégories sont à l’image des Français : 29 % occupent des professions intermédiaires, 28 % sont employés, 19 % ouvriers et 1 % agriculteurs. S’il y a un trait distinctif des « gilets jaunes », c’est leur situation de forte précarité. Plus de 68 % vivent dans un ménage dont le revenu disponible net est inférieur à 2 480 euros. (Le Monde, 27 janvier)

Certains salariés, chômeurs et paysans travailleurs en gilet jaune voient dans le drapeau tricolore le symbole de la révolution française de 1789, d’où les images de guillotine qui scandalisent tant les grands médias. Mais ces travailleurs se trompent d’époque : le drapeau tricolore est depuis la révolution de 1848 celui des colonialistes et des dirigeants contre-révolutionnaires comme Cavaignac, Thiers, Pétain, De Gaulle, Sarkozy et Macron. Derrière Macron, cette aile des gilets jaunes devine le capitalisme français qui les exploite férocement ou les rejette carrément dans les marges de la société. Ceux-ci dénoncent la misère, réclament des augmentations du smic, défendent le pouvoir d’achat des pensions, le maintien et la qualité des services publics, le rétablissement de l’ISF…

Les travailleurs « indépendants » et les petits patrons victimes de la concurrence et de la domination d’autres patrons (ceux de la grande industrie, des banques, de la grande distribution), se plaignent de tous les impôts et, surtout, des « charges patronales » (c’est-à-dire de la partie du salaire qui est collectivisée). Les salariés des très petites entreprises, qui travaillent souvent au coude à coude avec leur employeur, épousent plus facilement son point de vue que ceux des grandes.

De trop nombreux « gilets jaunes » s’en prennent à une supposée homosexualité du président ou relaient la désinformation de la fachosphère sur les accords de Marrakech ou le traité d’Aix-la-Chapelle. Les partis xénophobes (RN, LR, DlF…) et les groupes fascistes (Civitas, BS, AF, GI…) infiltrent assez facilement les petits patrons et les déclassés.

Ainsi, une frange de « gilets jaunes » s’en prend aux réfugiés, aux femmes pourtant un foulard ou à la peau noire, aux vieilles dames juives, aux journalistes… Certains volent dans les boutiques, saccagent le mobilier urbain des grandes villes et vandalisent les radars des routes (depuis novembre, 60 % des boîtiers fixes ont été masqués ou détruits).

L’abaissement des vitesses moyennes entraîne un abaissement du nombre des accidents mortels… Avec 189 vies sauvées en 6 mois, le bilan est conforme aux attentes. Il aurait pu être meilleur si un grand nombre de radars n’avaient pas été détériorés en novembre et décembre 2018. Ces destructions ont provoqué une nouvelle augmentation de la vitesse. Le bilan peut être estimé à 60 morts. (Le Monde, 30 janvier)

Les réseaux sociaux et les manifestations de « gilets jaunes » réclament à partir de décembre un « référendum d’initiative citoyenne » qui permet d’étouffer l’exigence de se débarrasser de Macron et surtout les revendications sociales.

À partir du 8 décembre, le RIC s’impose comme la revendication numéro 1 des gilets jaunes et vient se substituer à l’idée jusque-là très floue d’un référendum pour faire tomber Emmanuel Macron. Maxime Nicolle expose alors sa vision stratégique : « Si on a plein de revendications, l’État va nous en prendre une ou deux et on l’aura profond. »… Pour Léo Girod, « l’élément déclencheur, c’est que les gilets jaunes étaient en train de se perdre avec une longue liste de revendications. Le RIC est apparu comme une manière de ne pas se diviser ». (Libération, 2 janvier).

Le NPA épouse le mot d’ordre : « le RIC vise profondément à contester le pouvoir de ceux d’en haut » (9 janvier). Plus circonspecte, LO dénonce une « nouvelle illusion réformiste » (20 janvier).

La mise en avant des référendums relève plutôt de l’affaissement du réformisme. Le RIC s’inscrit pleinement dans la vague mondiale de nationalisme, de protectionnisme, de xénophobie, de patriarcat, de religion, de racisme… Ce « populisme » est le retour de la réaction contre-révolutionnaire, antiparlementaire, autoritaire et antisémite, mise en sommeil par les bourgeoisies des pays impérialistes après la 2e Guerre mondiale.

30 janvier 2019