Les deux NPA, « l’intersyndicale » et la grève générale

L’explosion du NPA

À l’occasion de son 5e congrès, le NPA fondé en 2009 a subi une crise dévastatrice. Un des courants, CLAIRE, a rejoint LFI avant même le congrès. Le 11 décembre 2022, malgré un vote majoritaire des délégués pour un seul NPA, l’appareil autour de Besancenot et Poutou (à la tête du courant B, 48,5 % des voix) a abandonné la salle à ceux qui freinaient ses ambitions réformistes de rapprochement avec la Nupes et qu’il appelle aimablement « les sectes ». Il a emporté le journal, le local parisien, la librairie, l’imprimerie, la trésorerie. Les fractions Anticapitaliste & révolution (AC), Convergences révolutionnaires (CR) et Démocratie & révolution (DR), unies dans le courant C, 45,3 % des voix, se sont retrouvées sans autre ciment que « maintenir le NPA ». Une perspective peu exaltante.

Faut-il maintenir le NPA ? Pour répondre, il faut revenir à son origine. Sa fondation n’a pas constitué un pas en avant (vers la révolution), mais un pas en arrière (vers le réformisme). Participer au mouvement keynésien et protectionniste ATTAC, s’intégrer aux castes de permanents de SUD, de la FSU et de la CGT ne suffisait pas aux dirigeants de la LCR Bensaïd, Krivine, Sabado et Besancenot. Leur pari de 2009 fut de dissoudre leur organisation, démodée à leurs propres yeux, et de la remplacer par un parti prétendant réconcilier trotskystes, anarchistes, féministes, écologistes, régionalistes, etc.

En fait, contrairement aux pronostics des liquidateurs de la LCR, le PCF a survécu, le PdG (aujourd’hui LFI) a rompu avec le PS, et tous les partis sociaux-chauvins (Générations, PS, PCF, LFI) ont formé un front populaire avec EELV, la Nupes. Ces soubresauts du réformisme ont engendré des départs successifs du NPA, au profit du PCF et surtout de LFI, si bien qu’il a rapidement compté moins de membres que l’ex-LCR.

Puis, en 2021, RP a quitté le NPA sans divergence sérieuse sous le prétexte de présenter la candidature (factice) de Kazib, ajoutant une organisation « trotskyste » de plus aux adjoints des bureaucraties syndicales, comme s’il n’y en avait pas assez avec LO, le NPA, le POID, le POI, Révolution, la GR, etc.

Une lutte interne peut être positive, si elle permet de préciser des choix stratégiques. Aujourd’hui, tout militant révolutionnaire, dans tout pays, peut s’instruire en lisant Contre le courant (1914-1917) de Lénine et Zinoviev, La Crise de la social-démocratie (1915) de Luxemburg, L’Internationale communiste après Lénine (1928), Comment vaincre le fascisme (1930-1933) et Défense du marxisme (1939-1940) de Trotsky. Mais les scissions qui ont déchiré le NPA depuis 2009 n’ont rien produit de tel, parce qu’aucune fraction n’a défendu le bolchevisme.

Comme auparavant Ensemble, le POI, Révolution, la GR et la CLAIRE, le NPA-B, libéré de la force de rappel de ses minorités, va être soumis plus que jamais à la force d’attraction de LFI, sauf si le mouvement parlementariste et chauvin de Mélenchon éclate lui-même. Pour sa part, le NPA-C va être écartelé entre le mouvementisme d’AC (un legs du SUQI qu’il partage avec RP et le NPA-B) et l’économisme de DR et CR (qu’ils ont hérité de VO-LO).

Comme il y a aujourd’hui, outre RP, deux NPA qui se disputent un héritage douteux, ce sont donc deux meetings différents qui se sont tenus à la Bellevilloise à Paris, le 17 janvier pour le NPA pro-Nupes, puis le 8 février pour le NPA anti-Nupes. Les grands évènements permettent de mesurer les organisations. Or, face à la nouvelle mesure contre le droit à la retraite, le trait commun des meetings de RP et des NPA est « la reconductible ».

Le meeting du NPA pro-NUPES évoque vaguement la grève générale mais s’aligne sur les bureaucraties syndicales qui l’empêchent


Le 17 janvier, le NPA-B appelle à « une gauche unitaire et anticapitaliste ». Devant plus de 400 participants, Besancenot demande à chacun de se transformer en « militant de la grève générale » vue comme une perspective lointaine. Mais il ne demande jamais aux chefs de l’intersyndicale de faire de même. Pourtant, l’unité doit se faire de la base au sommet, non ? Aucune mention du socialisme, de la révolution sociale, de la dictature du prolétariat, ni même d’un gouvernement des travailleurs. Le tract du 24 janvier se contentait d’ailleurs d’une formule embrouillée : « donner confiance pour aller vers la construction d’une alternative politique en rupture avec Macron et son monde ». Voilà de quoi rassurer les médias, EELV, LFI et les chefs syndicaux sur le contenu de « la gauche unitaire et anticapitaliste ».

L’intervenant suivant, Fabien Villedieu, est justement un dirigeant syndical de Sud Rail. Il approuve l’intersyndicale : « Le 19, il faut que nous soyons un raz-de-marée » pour que cela devienne « le début de quelque chose qui permette d’avoir enfin une victoire ». Aucun appel à la grève générale jusqu’au retrait.

À sa suite, la députée LFI, Rachel Kéké prend la parole pour défendre son mandat parlementaire et demande à l’Etat « des moyens pour les associations » tout en appelant à descendre dans la rue « le 19 et le 21 ».

Pour conclure, Philippe Poutou se félicite d’avoir « 12 logos de l’intersyndicale, c’est chouette, on part sur des bases un peu meilleures ». Il reconnait que les stratégies mises en place sont les mêmes qui ont conduit aux défaites précédentes. Mais que faire pour ne pas recommencer 2003, 2010, 2016, 2019-2020, pour battre Macon, pour déborder le dispositif parlementaire de la Nupes (référendum comme le RN, amendements à un projet inamendable) et celui des bureaucraties syndicales (qui en siégeant au COR ont préparé le terrain, qui ont accepté de discuter du projet réactionnaire de Macron et Borne et qui maintenant dissipent la combattivité en grèves reconductibles et en journées d’action) ?

En fait, rien : « Il ne s’agit pas d’être méchant avec la CGT ou la CFDT ». Ce n’est pas une question d’être « gentil » ou « méchant ». Contrairement aux Poutou, Arthaud, Kazib et compagnie, il faut dire la vérité sur la « gauche » et sur l’intersyndicale.

La bourgeoisie donne ses ordres à la petite bourgeoisie et cette dernière trompe les travailleurs… Pour tous ces premiers ministres, ministres, maires, députés et dirigeants syndicaux, la révolution socialiste signifierait l’explosion de leurs privilèges. Ces chiens de garde du capital sont les ennemis acharnés de la révolution émancipatrice du prolétariat. (Trotsky, « Qu’est-ce que le centrisme ? », 28 mai 1930, La Vérité, 27 juin 1930)

Poutou évoque alors le congrès de décembre en indiquant avoir « réglé le problème interne » pour « faire autrement ». C’est-à-dire ? Poutou en appelle à une « gauche de combat » pour « redistribuer les richesses ». Il soupoudre le tout « de socialisation » et d’ « auto-gestion » et le tour est joué. La conclusion ? « Dans l’immédiat, c’est le 19, le 21 et tout ce qui est autour ». Bref, ne fâchons pas « les copains » de l’appareil de SUD, de la FSU ou de la CGT.

Les centristes ont beau bavarder sur les masses, c’est toujours sur l’appareil réformiste qu’ils s’orientent. (Trotsky, « Pour les comités d’action, pas le front populaire », 26 novembre 1935, Contre le Front populaire, GMI, p. 54)

Le meeting du NPA anti-Nupes s’affiche pour la grève générale, mais diffère le combat


Le 8 février, les mêmes drapeaux et logos sont sortis par le bloc du NPA-C devant plus de 400 personnes. Par contre, après 8 semaines d’existence, toujours pas de journal en papier (le seul vendu est celui d’une de ses composantes, CR). L’affiche du meeting veut se distinguer par un ton plus radical (dont « Urgence révolution ! ») que son rival. Et une autre, dans la salle, reprend même le mot d’ordre entendu dans plusieurs cortèges de jeunes : « Grève générale ! ». En toute logique, soutenir la grève générale s’oppose au sabotage organisé par les directions syndicales (pétition bidon ; journées d’action des 19 janvier, 31 janvier, 7 février, 11 février, 16 février, 7 mars… ; appel de Berger et Martinez à ce que l’Assemblée nationale se prononce sur le projet du gouvernement). Mais les dirigeants du NPA anti-Nupes sont-ils conséquents ?

Ken, responsable syndical chez PSA, ouvre la réunion sans jamais employer l’expression « grève générale », et encore moins analyser le rôle de « l’intersyndicale ». Elle n’est l’objet d’aucune critique. Après tout, les premières journées d’action étaient « trois marées humaines ». Il renvoie l’issue de la lutte à la seule combativité de la base et enjoint, en fait, de respecter le dispositif décrété par les bureaucrates : « Si les grèves se multiplient et se généralisent, si elles deviennent trop coûteuses pour le patronat, celui-ci ordonnera à Macron de mettre son projet à la poubelle. Alors à samedi prochain dans la rue ».

Une représentante du NPA-Jeunes obtient un succès en rappelant que Marx et son gendre Paul Lafargue voyaient dans le communisme le « droit à la paresse ». À juste titre, elle dénonce la loi anti-immigrés de Macron-Darmanin et le fascisme. Vraiment dommage de ne pas indiquer que l’auto-défense des travailleurs est une mesure urgente et nécessaire pour faire face à la police et aux nazillons. Dans l’élan, elle met en cause LFI et les chefs syndicaux.

Avant même de mettre en place sa réforme, alors que les syndicats négociaient et, attentistes, n’appelaient à rien, alors que la FI déposait au moins sa dixième motion de censure à l’Assemblée, le gouvernement se préparait à l’affrontement. À la jeunesse révoltée de faire de même, à la classe ouvrière dans son ensemble de faire de même.

Mais comment « affronter » le gouvernement ? Elle ne dit pas un mot de la grève générale qui serait le moyen pour la classe ouvrière appuyée par une partie de la jeunesse en formation, non seulement de balayer le projet de loi contre les retraites mais aussi celui contre les immigrés.

À sa suite, Armelle, responsable syndicale dans l’enseignement primaire, prétend qu’il faut utiliser les « journées d’action » tout en restant muette sur la grève générale.

Eh bien, prenons-les au mot mais pas pour continuer sur cette lancée « saute-moutons ». Allons-y le 7 mars, partons enfin tous et toutes ensemble sans reprendre et on aura une occasion inespérée car le lendemain du 7, il y a le 8 mars.

Et après le 8, on reprend le travail ? Telle est l’impasse commune aux deux NPA, à LO, à RP et compagnie : ils collent au calendrier de « l’intersyndicale » qui elle-même respecte le calendrier du gouvernement.

Gaël Quirante, responsable syndical à la Poste, éprouve de la nostalgie pour les grèves reconductibles décrétées par les chefs syndicaux CFDT-UNSA-CGT-SUD à la SNCF en 2019 : « Par rapport à 2019, où est cet appel à la grève reconductible avec un point de départ bien tracé bien comme on l’aime ? ».

Il amalgame soigneusement la grève générale (redoutée par tous les bureaucrates) et les grèves reconductibles (encouragées par les dirigeants de la CGT et de SUD).

Même dans les sommets des directions syndicaux, ils sont un peu obligés d’en discuter. Comme en 2019, ce qui a permis de remporter la manche d’imposer le rapport de force c’est la question de la grève reconductible, c’est la reconduction de la grève, c’est la perspective de généraliser la grève, la perspective de la grève générale.

Martinez a dit le 11 février : « La question de la reconduction ne se décide pas au niveau des confédérations syndicales mais dans les entreprises et les services ». Ceux, comme Berger et Martinez, veulent « faire des propositions » au gouvernement Macron-Borne, ceux qui appellent, comme Martinez, à des grèves reconductibles entreprise par entreprise s’opposent à la grève générale.

En enlevant à la grève son programme politique, les réformistes sapent la volonté révolutionnaire du prolétariat, mènent le mouvement dans une impasse et ainsi obligent les différentes catégories ouvrières à des combats isolés. (Trotsky, « Préface à l’édition française », 6 mai 1926, Où va l’Angleterre ?, 1925, Anthropos, p. 12)

Quirante invite « tous ceux qui veulent discuter de la grève reconductible » à « en discuter dans les semaines qui viennent ». En général, « construire » prend du temps. La « généralisation » des « grèves reconductibles » ne serait qu’une « perspective ». On comprend bien qu’elle n’est pas pour maintenant, elle n’est pas urgente. À quoi sert ce délai ? Pendant ce temps, le projet de loi est examiné au parlement. Sans grève générale maintenant, il deviendra une loi de la république bourgeoise qui s’appliquera contre les ouvriers et les employés.

Pour finir, un responsable syndical de la SNCF, Damien, évoque une seule fois la grève générale : « La grève générale, c’est le meilleur moyen d’aller chercher l’argent là où il coule à flots, dans les caisses du patronat ». La grève générale, un moyen pour une politique réformiste, une astuce pour redistribuer les richesses ? Non, c’est la manifestation de la force du prolétariat, le premier pas de la révolution qui permettra de faire passer la société des mains de la minorité des exploiteurs à la majorité des producteurs.

La grève de masse n’est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l’effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. (Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicat, 1906, Œuvres, Maspero, t. 1, p. 128)

Même en temps de paix, alors que la situation n’est pas révolutionnaire, la lutte de masse menée par les ouvriers contre les capitalistes, par exemple la grève de masse, provoque des deux côtés une exaspération farouche, une lutte d’âpreté passionnée. (Lénine, « La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky », 1918, Œuvres, Progrès, t.  28, p. 272)

La grève générale, comme le sait tout marxiste, est un des moyens de lutte les plus révolutionnaires. La grève générale ne se trouve possible que lorsque la lutte des classes s’élève au-dessus de toutes les exigences particulières et corporatives, s’étend à travers tous les compartiments des professions et des quartiers, efface les frontières entre les syndicats et les partis, entre la légalité et l’illégalité et mobilise la majorité du prolétariat, en l’opposant activement à la bourgeoisie et à l’État. Au-dessus de la grève générale, il ne peut y avoir que l’insurrection armée. Toute l’histoire du mouvement ouvrier témoigne que toute grève générale, quels que soient les mots d’ordre sous lesquels elle soit apparue, a une tendance interne à se transformer en conflit révolutionnaire déclaré, en lutte directe pour le pouvoir. (Trotsky, « Encore une fois, où va la France ? », mars 1935, Contre le Front populaire, GMI, p. 24)

Quelle est la véritable ligne du NPA anti Nupes, l’affiche du meeting destinée aux jeunes qui aspirent à la révolution ? Ou le tract diffusé au même moment dans les entreprises qui s’aligne sur « l’intersyndicale » ?



Nous devons nous réunir, pour décider collectivement de nos revendications, de la construction de la grève, pour améliorer le rapport de force en notre faveur. (NPA-C, 5 février)

C’est le capitulation, analogue à celle de l’autre NPA et de LO, devant les agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier.

La grève générale, c’est maintenant !

Il faut dire clairement que la grève générale est à l’ordre du jour, que c’est la grève des travailleurs de toutes les branches, ensemble, jusqu’au retrait, appuyée sur la jeunesse en formation. Dans ce cadre, les assemblées générales décideront du mode de grève, de l’autodéfense, éliront des comités de grève et les centraliseront.

Pour imposer la grève générale, il faut affronter partout les chefs de « l’intersyndicale », dans les sections syndicales, dans les assemblées générales qu’ils rechignent à convoquer.

Si les capitalistes ne tiennent pas en main les syndicats par l’intermédiaire des chefs qui font la politique des capitalistes, toue la machine du capitalisme s’écroulera. (Lénine, « Discours au congrès des ouvriers de la confection », 6 février 1921, Œuvres, Progrès, t. 32, p. 119)

Si le NPA anti-Nupes prend au sérieux sa propre affiche, alors il faut répondre positivement à la proposition du Groupe marxiste internationaliste d’agir en commun, tout de suite, pour la grève générale.

En formant des comités d’action pour les assemblées générales et pour la grève générale, nous pouvons aider notre classe à gagner.

Les sections de la 4e Internationale doivent créer dans tous les cas où c’est possible des organisations de combat autonomes qui répondent aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoisie, sans s’arrêter, si c’est nécessaire, devant la rupture ouverte contre l’appareil conservateur des syndicats. S’il est criminel de tourner le dos aux organisations de masse pour se contenter de fictions sectaires, il n’est pas moins criminel de tolérer passivement la subordination du mouvement révolutionnaire des masses au contrôle de cliques bureaucratiques. (Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938, GMI, p. 11-12)

15 février 2023