Nathaniel Flakin, Un Juif berlinois organise la résistance dans la Wehrmacht

Les éditions Syllepse, proches du NPA et d’Ensemble (deux organisations issues de l’ex-LCR), viennent d’éditer la traduction française (établie par Gérard Billy) d’une biographie de Martin Monath (« Victor », « Widelin », 1913-1944) par Nathaniel Flakin, un membre de la section allemande de la FTQI (représentée en France par le CCR-RP du NPA). Elle permet d’en savoir plus sur un épisode magnifique de la 4e Internationale (1933-1952), la tentative de fraternisation prolétarienne avec les travailleurs mobilisés dans l’armée allemande. Elle s’est incarnée par deux bulletins internationalistes étroitement liés :

  • Der Arbeiter (Le Travailleur, 1943), par des conscrits de la base de Brest, publié avec l’aide de Robert Cruau [voir Révolution communiste n° 3] et la cellule du Parti ouvrier internationaliste, section française de la 4e Internationale, clandestin ;
  • Arbeiter und Soldat (Travailleur et soldat, 1943-1944), rédigé par Martin Monath, imprimé à Paris avec l’aide matérielle des époux Thalmann (anciens de l’opposition de droite allemande KPO, hostiles à la défense de l’URSS) qui a été republié en 1978 par EDI avec les facsimilés de La Vérité et de Quatrième Internationale de 1940 à 1944.

Né à Berlin en 1913, Martin Monath devient, dans les années 1930, un des dirigeants en Allemagne de l’organisation de jeunesse juive Hashomer Hatzaïr qui se veut à la fois socialiste et sioniste. Réfugié à Bruxelles en 1939, il rejette le nationalisme juif et rejoint le Parti communiste révolutionnaire, section belge de la 4e Internationale, clandestin dirigé par Léon Lesoil, Ernest Mandel et Abraham Léon.

Monath se rend ensuite à Paris en 1943, où il lance Arbeiter und Soldat en juillet. À Brest, plus de 50 soldats allemands participent à la diffusion du journal, dont la Gestapo retrouve des exemplaires dans les mains de soldats stationnés en Italie. Trahis, les soldats allemands de la base navale de Brest qui se sont engagés dans la lutte antinazie sont arrêtés et fusillés. Des militants du POI sont aussi arrêtés. Certains d’entre eux sont fusillés, d’autres déportés à Buchenwald et n’en reviennent pas. Monath s’enfuit en Belgique, puis revient à Paris pour la Conférence européenne de la 4e Internationale en février 1944. Là, il publie de nouveaux numéros d’Arbeiter und Soldat à partir de mai 1944. Après sa capture par la police française en juillet, il est laissé pour mort criblé de balles par la Gestapo qui l’a auparavant torturé. Miraculeusement rescapé, il va être enlevé à l’hôpital par les nazis et assassiné à 31 ans.


La biographie est complétée de la traduction en français de plusieurs articles d’Arbeiter und Soldat (p. 94-134) et d’une bibliographie soignée (p. 136-140). On ne peut en dire autant de la préface de Michel Dreyfus. Une préface est censée apporter quelque chose à l’ouvrage préfacé. Il est difficile de comprendre comment la biographie d’un révolutionnaire héroïque, qui est passé du sionisme à la 4e Internationale, est souillée ainsi par les éditions Syllepse (p. 9-12).

Son auteur, qui n’a jamais risqué grand-chose, a suivi la trajectoire inverse de celle de Martin Monath, il est passé de la 4e Internationale au sionisme. Dreyfus brouille systématiquement l’histoire. Par exemple, il prétend que le slogan : « L’ennemi principal est dans notre pays » (Karl Liebknecht, 1915) était celui « des pacifistes » (p. 11). Rien n’est plus faux : ce slogan opposait les internationalistes (dont la fraction Spartakus de Luxemburg, Zetkin et Liebknecht, la gauche de Zimmerwald de Lénine, Radek et Zinoviev…), partisans de mettre fin à la Première Guerre mondiale par la lutte de classe, par la révolution prolétarienne, aux sociaux-patriotes soutenant la guerre de leur bourgeoisie et aussi aux centristes appelant à la paix sans révolution [voir Révolution communiste8, 9, 11, 13, 14].

Dreyfus, qui appelle « communistes » les sociaux-chauvins du PCF stalinien (p. 10), trouve implicitement justifiée l’alliance avec les « forces bourgeoises » (p. 11). Il met des guillemets à cette expression car il semble pour lui que les monarchistes grecs ou italiens, ou bien le général de Gaulle défendissent la nation, pas le capitalisme. Il s’emploie à ridiculiser l’internationalisme prolétarien : « Le cycle révolutionnaire n’eut pas lieu, c’est pourquoi les trotskistes furent tellement isolés à la Libération » (p. 11-12), alors que le cycle des révolutions et contrerévolutions a effectivement connu une phase ascendante à partir de 1943 : insurrection du ghetto de Varsovie, révolution italienne [voir Révolution communiste n° 4], batailles de Leningrad et Stalingrad ; en 1944, armement du peuple en France, en Albanie, en Yougoslavie, en Grèce, en Italie…

Conseillons aux lectrices et aux lecteurs de passer tout de suite à la biographie elle-même.

Philippe Couthon