Rapport international présenté à la 7e Conférence du GMI

Une situation économique mondiale incertaine

Les dernières projections de la Banque mondiale du 10 janvier prévoient un taux de croissance mondiale réduit à 1,7 % seulement contre 3 % prévu six mois auparavant.

La crise qui menace le développement s’aggrave à mesure que les perspectives de croissance mondiale se dégradent. Les économies émergentes et en développement connaissent depuis plusieurs années une croissance en berne en raison d’un lourd endettement et d’investissements insuffisants, car les capitaux mondiaux sont absorbés par les économies avancées confrontées à des niveaux de dette publique extrêmement élevés et à des taux d’intérêt en hausse. La faiblesse de la croissance et des investissements des entreprises aggravera les reculs déjà dévastateurs en matière d’éducation, de santé, de réduction de la pauvreté et d’infrastructures, ainsi que les nécessités liées au changement climatique. (David Malpass, président du Groupe de la Banque mondiale)

L’inflation, la perspective d’une récession, la hausse des taux d’intérêt des banques centrales font craindre une nouvelle crise financière et les très récentes faillites touchant deux banques américaines et le Crédit suisse ne rassurent pas. Même si le FMI s’est montré quant à lui un peu plus optimiste dans son rapport du 31 janvier avec une prévision de 2,7 % de croissance pour 2023, il n’empêche que la tendance économique générale n’est plus à l’élargissement des échanges mondiaux, à la suppression ou diminution des barrières douanières. Au contraire, c’est le protectionnisme sous toutes ses formes qui gagne du terrain, avec une tendance à la fragmentation du marché mondial, entre les différentes sanctions et embargos pris contre l’Iran, la Russie, la Chine dans une moindre mesure, mais aussi avec le recentrage d’activités jugées essentielles opéré d’abord par les États-Unis sur le territoire national. La rupture de chaines d’approvisionnement mondiales déjà mise en évidence durant la pandémie de Covid 19 a renforcé la recherche, pour les impérialismes les plus puissants en tous cas, d’être auto-suffisants dans les domaines économiques jugés stratégiques. Protectionnisme et nationalisme se doublent d’une politique résolument xénophobe à l’encontre des migrants et des réfugiés, murs et barbelés hérissent les frontières, aux États-Unis comme dans les pays d’Europe, où toutes les bourgeoisies rivalisent de cynisme, et laissent mourir en mer des milliers de personnes en allant jusqu’à interdire ou limiter au maximum les secours portés par les ONG.

Ceci ne fait que renforcer les contradictions de l’ensemble du système impérialiste et prépare de prochaines crises. Cette situation de tensions économiques se conjugue avec une nette remontée des dépenses militaires mondiales.


L’impérialisme est incapable de résoudre la catastrophe du réchauffement climatique

Il est indispensable aujourd’hui quand on aborde la situation politique mondiale de suivre l’évolution de la dégradation climatique, conséquence directe de la survie de l’impérialisme, qui fait déjà des ravages considérables et menace une part toujours plus grande de l’humanité. Le dernier rapport du GIEC du 20 mars 2023 est encore plus alarmant que les précédents. Désormais, entre 3,3 et 3,6 milliards d’êtres humains vivent dans des « contextes hautement vulnérables au changement climatique », les mesures prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sont notoirement insuffisantes, elles conduisent, si tous les engagements étaient respectés, ce qui est loin d’être le cas, à un réchauffement de 2,5°C à la fin du siècle et de 2,8° en cas de poursuites des politiques actuelles.



Pire même, le pourrissement du système impérialiste pousse les principaux impérialismes à renforcer l’exploitation et l’utilisation des énergies fossiles principales émettrices de gaz à effet de serre comme le gaz et le pétrole de schiste, mais aussi le charbon ! Ainsi, en 2022, la consommation mondiale de charbon a battu tous les records, notamment du fait de l’Inde et de la Chine. Les États-Unis se targuent d’être désormais leader de la transition énergétique, grâce aux 400 milliards de dollars figurant dans l’IRA (Inflation Reducing Act) mais ils laissent en réalité la bride sur le cou à toutes leurs compagnies pétrolières pour qui c’est la fête à tous les étages ! Le PDG d’Exxon, première entreprise pétrolière mondiale peut se réjouir à Houston, au « Davos » de l’énergie, le 6 mars 2023 : « Il y a encore une petite minorité d’idéologues qui pensent que réduire les émissions, c’est se débarrasser du pétrole et du gaz ».

La lutte entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois

La situation mondiale est structurée par l’affrontement entre les deux principaux impérialismes, les Etats-Unis et la Chine. Le fait que ces deux puissances impérialistes dominent largement la scène mondiale ne signifie qu’ils soient en pleine santé. Au contraire, l’impérialisme étatsunien cumule de graves contradictions de l’impérialisme pourrissant, à commencer par un endettement public faramineux de plus de 31 000 milliards de dollars qui n’est pas pour rien dans l’inflation et la politique de remontée des taux directeurs de la banque centrale qui précipite aujourd’hui une crise bancaire, mais aussi, en renchérissant les conditions des prêts aux entreprises comme aux particuliers, pourrait accélérer la survenue d’une récession. Quant à la Chine, même si c’est un jeune impérialisme qui a les dents longues, elle est également minée de contradictions, par exemple par une gigantesque bulle immobilière ou bien par sa gestion totalement dictatoriale du Covid qui lui a coûté cher, pour ne citer que celles-là. Mais ces difficultés, loin de différer l’affrontement, ne font que précipiter la nécessité pour chacun de ces deux impérialismes de porter à l’autre des coups décisifs. Cependant, le timing n’est pas le même pour l’impérialisme américain et pour l’impérialisme chinois. L’impérialisme américain estime qu’il est vital pour lui de bloquer l’impérialisme chinois pendant qu’il est encore temps, avant que celui-ci ne devienne trop puissant, tandis que l’impérialisme chinois a besoin de plus de temps pour consolider ses positions et accroitre sa puissance, en particulier militaire. Cette rivalité a des conséquences non seulement entre eux, mais également sur tous les autres impérialismes et sur la latitude qu’elle laisse aux visées expansionnistes d’autres impérialismes et de diverses puissances régionales.


L’impérialisme américain à l’offensive contre l’impérialisme chinois

L’impérialisme américain et l’impérialisme chinois ne sont donc pas de même force, loin s’en faut, mais la montée en puissance de l’impérialisme chinois est devenue insupportable à l’impérialisme dominant. Commencé sous Obama, poursuivi par Trump, le combat de l’impérialisme américain contre son rival chinois s’intensifie et se rationalise sous la présidence de Biden, les deux partis de la bourgeoisie américaine étant fondamentalement sur la même ligne. Obama avait dès 2011 mis en avant le « pivot stratégique » avec l’objectif de placer l’Asie au cœur de la politique américaine tout en se dégageant partiellement du Proche-Orient. Il avait repris et développé un partenariat transpacifique pour tenter d’isoler l’économie chinoise. Puis Trump, avec sa manière brouillonne, avait clairement engagé un bras de fer avec la Chine en prenant d’importantes mesures protectionnistes contre les importations chinoises. Selon l’ONU, les exportations chinoise aux États-Unis auraient diminué de 35 milliards de dollars en 2019. Trump avait essayé, en vain, de dégager la Corée du Nord de son protecteur chinois, il a concentré 60 % de la marine de guerre américaine dans la zone indopacifique, renforcé les manœuvres militaires en mer de Chine, etc., mais s’était en même temps retiré du traité du partenariat transpacifique, laissant ses partenaires déventés. Désormais, Biden poursuit et intensifie méthodiquement la pression de l’impérialisme américain sur la Chine.

Sur le plan militaire :

A peine après avoir retiré son armée d’Afghanistan, l’impérialisme américain concluait un accord militaire, Aukus, en septembre 2021 avec l’Australie et le Royaume-Uni pour la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie, au grand dam de l’impérialisme français qui avait contracté la vente de sous-marins moins performants avec Canberra.

Notre plan accroît les capacités industrielles des trois nations à produire et maintenir des sous-marins à propulsion nucléaire interopérables pour les décennies à venir, étend notre présence sous-marine individuelle et collective dans l’Indo-Pacifique, et contribue à la sécurité et à la stabilité mondiales. (Sommet de l’Aukus, Communiqué, 13 mars)

Cette alliance militaire dépasse d’ailleurs les seuls sous-marins nucléaires et concerne également les missiles hypersoniques, les technologies quantiques etc. pour des montants de plusieurs centaines de milliards de dollars. Le pendant de ce dispositif militaire est l’alliance des Etats-Unis avec l’Australie, l’Inde et le Japon, dénommée le Quad, créée dès 2007, avec pour objectif de maintenir la zone indopacifique libre au commerce et à la navigation, mais dont l’implication va croissante pour barrer la route à l’expansion de l’impérialisme chinois notamment en mer de Chine méridionale que celui-ci revendique en presque totalité. Cette coopération vise aussi à conforter l’Inde, elle-même en conflit avec l’impérialisme chinois en essayant de l’arrimer au camp de l’impérialisme américain, tout en encourageant le réarmement japonais. De plus, l’impérialisme américain déploie tous ses efforts pour tourner l’OTAN contre la Chine. Même s’il ne rencontre pas pour le moment une adhésion forte de tous les autres impérialismes qui en sont membres, comme la France ou l’Allemagne, il marque des points. Ainsi, pour la première fois, l’OTAN a clairement révisé sa stratégie à l’égard de la Chine :

Les ambitions déclarées de la Chine et ses politiques coercitives défient nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs. (OTAN, Sommet de Madrid, 29 juin 2022)

Il est vrai que la zone indopacifique devient un baril de poudre, non seulement avec les incessantes manœuvres militaires de part et d’autre autour de Taïwan, que la Chine souhaite réintégrer, de gré ou de force, dans son giron, mais aussi bien au-delà dans le Pacifique et l’Océan indien. Selon un rapport du Pentagone de novembre 2022, la Chine disposerait de 65 à 70 sous-marins, dont 12 à propulsion nucléaire d’attaque ou lanceurs de missiles balistiques et de « la plus grande force marine au monde, avec approximativement 340 navires et sous-marins de combat ». 

Sur le plan économique :

Après les taxations des importations chinoises et leur limitation prises par Trump, la mise à l’écart de Huawei, Biden monte d’un cran en planifiant l’asséchement de la fourniture à Pékin des semi-conducteurs de dernière génération, pièces aujourd’hui indispensables aux technologies de pointe, aussi bien civiles que militaires et donc vitales pour l’impérialisme chinois. Dans ce domaine, les États-Unis jouent un rôle dominant dans la recherche, le développement et la dépose des brevets. L’Europe, et notamment les Pays-Bas avec l’entreprise ASML détient le monopole des machines de lithographie extrême ultraviolet qui permettent de produire des puces ultrapuissantes. Taïwan avec l’entreprise TSMC qui pèse à elle seule plus de la moitié du marché mondial en 2022, le Japon et la Corée du Sud sont leaders dans la fabrication avec des gravures inférieures à 7 nanomètres qui conditionnent la puissance des puces. La Chine, quant à elle, accuse un certain retard technologique et se consacre surtout à l’assemblage des ordinateurs et smartphones. Plus de 90 % des puces utilisées en Chine, qui utilise 60 % de la production mondiale, sont importées ou bien fabriquées localement par des fournisseurs étrangers, surtout taiwanais ou sud-coréens. Le gouvernement américain a donc décidé de frapper fort. D’une part 52 milliards de dollars ont été mis sur la table à l’été 2022 pour développer une production « made in USA » avec en particulier l’implantation sur le sol américain d’une gigantesque usine du taïwanais TSMC. D’autre part, il est désormais interdit aux entreprises américaines, mais aussi à celles qui travaillent avec les États-Unis, de commercer avec 31 sociétés chinoises, dont Yangtze Technologies qui travaille notamment avec Apple. Ainsi, à l’automne 2022, le fabricant chinois de mémoires flash, indispensables aux ordinateurs, smartphones, etc., un des leaders mondiaux, s’est vu d’abord privé des commandes d’Apple, puis interdire de se fournir en semi-conducteurs de pointe, aussi bien américains que taïwanais et ces restrictions ont été étendues à toute la Chine et caractérisées comme des mesures visant à assurer la sécurité nationale des États-Unis, avec des menaces de rétorsion vis-à-vis de toutes entreprises ou État qui enfreindrait cette interdiction. Tout comme sur le plan militaire, l’impérialisme américain œuvre avec méthode pour entrainer les autres impérialismes, notamment européens, dans sa croisade contre l’impérialisme chinois. Il n’y parvient que très partiellement pour le moment, ceux-ci ayant leurs propres intérêts à préserver. Ainsi, la Chine est-elle restée en 2022 le principal partenaire économique de l’Allemagne.

La puissance de l’impérialisme américain est donc tournée contre l’impérialisme chinois, même si les dirigeants américain et chinois échangent parfois des politesses, comme au sommet du G20 de Bali des 15 et 16 novembre 2022 où Biden a dit vouloir « gérer les différences et éviter que la compétition se transforme en conflit » tandis que Xi Jinping espérait un dialogue « sincère » pour « trouver la bonne direction ». Mais les déclarations d’apaisement faites ici ou là ne changent rien à la logique de l’affrontement inéluctable entre les deux principaux impérialismes.

Je ne vais pas m’excuser d’investir pour rendre l’Amérique forte. D’investir dans l’innovation américaine, dans les industries qui détermineront le futur et que le gouvernement chinois a l’intention de dominer (Biden, discours sur l’état de l’Union, 7 février)

La réaction de l’impérialisme chinois

La Chine a lancé un programme d’investissement et de recherche de quelque 150 milliards de dollars sur 10 ans dans une course effrénée pour la maîtrise de cette industrie stratégique des semi-conducteurs notamment pour les systèmes militaires et les supercalculateurs. Mais, malgré ses plans pour maitriser et produire lui-même les technologies les plus avancées, « China 2025 », l’impérialisme chinois reste encore dépendant dans de nombreux secteurs des autres impérialismes et donc susceptible d’être fragilisé. Autre exemple, la Chine a produit elle-même son premier avion commercial de ligne, baptisé Comac C919, qui peut voler en Chine depuis fin 2022, mais reste encore en attente des certifications internationales pour pouvoir être exporté. Cependant cet appareil, même s’il pourra être vendu à l’exportation moins cher que ses concurrents Boeing 737 et Airbus A 320, est plus lourd et donc plus gourmand en carburant, et surtout sa fabrication dépend encore en grande partie de fournisseurs américains et européens. Sur les 82 principaux équipements de cet avion, 7 seulement sont purement chinois, les autres comme les moteurs, les trains d’atterrissages, les systèmes électriques, etc. sont américains pour la plupart. Une autre épée de Damoclès sur le tête de l’impérialisme chinois…

L’impérialisme chinois est parfaitement conscient des menaces de l’impérialisme américain. Voilà dix ans que l’initiative des routes de la soie a été lancée.

C’est une entreprise sans précédent et pionnière qui va inévitablement rencontrer toutes sortes de risques, de défis, de difficultés et même de dangereuses tempêtes. (Xi Jinping, Discours à l’Ecole centrale du Parti communiste chinois, 6 février)

Le premier ministre sortant a précisé le 5 mars devant l’Assemblée nationale populaire que « les tentatives d’endiguement venues de l’extérieur ne cessaient de s’intensifier », ce qui justifie une augmentation du budget militaire de 7,2 % cette année.

L’environnement externe du développement de la Chine a connu des changements rapides. Les facteurs incertains et imprévisibles ont considérablement augmenté. Des pays occidentaux, menés par les États-Unis, ont mis en œuvre une politique d’endiguement, d’encerclement et de répression contre la Chine, ce qui a entraîné des défis sans précédent pour le développement de notre pays. (Xi Jinping, Communiqué de l’agence de presse Chine nouvelle, 6 mars)

La diplomatie chinoise œuvre donc pour briser cette tentative d’encerclement, non sans un certain succès. Elle entretient, influence et multiplie ses propres structures internationales commerciales et diplomatiques depuis de nombreuses années.

Il faut ajouter à ce tableau ci-dessous datant de fin 2020 le Partenariat économique régional global conclu en septembre 2021 entre 15 pays de l’Asie Pacifique, la Chine en étant le plus important, incluant le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande… mais sans l’Inde, qui renforce les liens économiques de la Chine dans cette zone, au rebours des efforts américains pour tenter de l’isoler.

Source : Wikipédia


En Afrique, la Chine s’est implantée de longue date, moins dans les investissements productifs que dans la fournitures d’équipements et d’infrastructures, aéroports, routes, etc. Elle y a également assuré son approvisionnement en métaux et pétrole. En 2019, les investissements productifs se montaient à 2,7 milliards de dollars contre 44 milliards pour les investissements en infrastructures. Par des systèmes de prêts typiquement impérialistes et un pragmatisme commercial parfaitement imperméable à toutes autres considérations politiques, la Chine a conquis en Afrique une influence diplomatique qui lui sert à bon compte. Mais l’impérialisme chinois est également actif dans les BRICS rassemblant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, dans l’ASEAN rassemblant 10 pays de l’Asie du Sud-Est, dans l’OCS, Organisation de coopération de Shangaï qui intègre l’Inde, la Russie, le Pakistan, etc., dont le siège est à Pékin. Et ce patient travail diplomatique et commercial de l’impérialisme chinois vient de connaitre deux succès supplémentaires contre l’impérialisme américain : un accord avec l’Iran d’une part, et d’autre part la « réconciliation » obtenue sous l’égide de la Chine de l’Arabie saoudite avec l’Iran qui est un camouflet pour la diplomatie américaine visant à isoler totalement l’Iran. Avec celui-ci, soumis à un embargo commercial et financier international sous l’égide des États-Unis, la Chine vient de conclure le 16 février un partenariat stratégique global sur 25 ans portant aussi bien sur la fourniture de pétrole à la Chine que la coopération militaire ou l’utilisation d’une banque commune pour échapper aux sanctions. Avec l’Arabie saoudite, c’est également la fourniture en pétrole de la Chine qui est garantie et sans doute la fourniture d’armement chinois en retour, alors que le Congrès américain avait tiqué pour en livrer une dernière fournée à Ben Salman, un peu choqué par sa manie de découper ses opposants en morceaux… 

Cependant, malgré ces avancées, le principe de réalité s’impose à l’impérialisme chinois : Les États-Unis constituent toujours le premier débouché des exportations chinoises qui y ont progressé en 2022 de 6,3 % pour atteindre 537 milliards de dollars, tandis que les exportations américaines en Chine augmentaient également de 1,6 % avec un montant de 153 milliards de dollars. Ce qui le contraint à une certaine prudence.

La question de l’Ukraine

C’est bien dans le cadre de cette rivalité fondamentale entre les États-Unis et la Chine qui certains impérialismes de moindre force se sont sentis pousser des ailes. Depuis l’implosion de l’URSS, les impérialismes américain et européens ont intégré dans leur zones d’influence nombres de pays qui appartenaient précédemment au Pacte de Varsovie, rognant ainsi de plus en plus le domaine de l’impérialisme russe renaissant. Et l’impérialisme russe n’avait pas attendu ces dernières années pour intervenir en Tchétchénie, Géorgie, Crimée pour tenter de solidifier ce qui pouvait l’être… Profitant du désengagement relatif des États-Unis au Moyen-Orient, il a saisi l’opportunité d’aller plus loin avec son intervention en Syrie, s’est enhardi en Afrique en profitant du recul de l’impérialisme français. L’Ukraine étant un enjeu entre les différents impérialismes, la Russie décide de l’envahir le 24 février 2022, assurée que l’impérialisme américain n’interviendra pas militairement.

Mais Poutine fait un mauvais calcul : il sous-estime grandement les capacités de résistance de l’Ukraine et surestime symétriquement grandement les capacités militaires de son armée, dans des conditions politiques qui ont une très grande influence sur le terrain militaire : d’un côté on résiste par tous les moyens à l’envahisseur, de l’autre on agresse un ancien « pays frère » dont la nazification prétendue ne peut longtemps convaincre les troupes russes. Après l’échec de l’opération militaire initiale visant purement et simplement à intégrer l’Ukraine au territoire russe et un repli de l’armée russe sur environ 20 % du territoire ukrainien à l’Est et au Sud, le conflit s’est en quelque sorte figé depuis 6 mois sur sa ligne de front, au prix de morts innombrables, sans qu’il n’y ait depuis ni vainqueur ni vaincu, ce qui rend très improbable toute possibilité de cessez-le-feu et de négociations de paix dans l’immédiat. L’impérialisme russe tente de rassembler de nouvelles forces, mais se heurte à de grandes difficultés politiques, économiques et militaires. Il a préféré laisser plusieurs centaines de milliers de jeunes susceptibles d’être mobilisés quitter le pays plutôt que de devoir les arrêter tous ou les enrôler de force, ce qu’il n’avait pas les moyens politiques de faire, il doit cependant maintenir une répression de tous les instants et tous azimuts contre toute contestation de sa guerre, il peine de plus en plus à dissimuler le calvaire enduré par les conscrits envoyés au front comme au casse-pipe. La guerre s’installant dans la durée, elle nécessite une logistique et un effort économique gigantesque pour tenir le renouvellement des matériels et des munitions. Or l’impérialisme russe est affaibli économiquement, contraint de vendre gaz et pétrole à des prix cassés à la Chine et à l’Inde. Quant à l’efficacité militaire, l’armée russe n’est pas l’armée rouge de la seconde guerre mondiale qui était appuyée sur un Etat ouvrier, même dégénéré, elle est à l’image de l’impérialisme russe déjà pourrissant et cumule toutes les tares d’une armée impérialiste d’occupation. L’importance des milices Wagner sur le terrain illustre cette décrépitude. Côté ukrainien, la résistance s’appuie sur une grande partie de la population, sous diverses formes de contribution de civils à l’effort de guerre, d’engagés volontaires, etc.

Cependant, il est peu près certain que l’Ukraine ne tiendrait pas par ses seules forces face à l’armée russe, et ne pourrait encore moins préparer une contre-offensive. Elle ne peut le faire que grâce à la fourniture de plus en plus de renseignements, d’entrainements, d’armes et de munitions de la part des impérialismes occidentaux. Dans les conditions de la guerre, l’union nationale derrière Zelensky est archi-dominante en Ukraine, lequel en profite pour renforcer des mesures anti-ouvrières sur les conditions de licenciements, la suppression de la protection des dispositions du droit du travail pour 70 % des salariés, contre les libertés syndicales, etc., tout en développant une politique résolument pro-impérialiste en direction des impérialismes occidentaux et de l’OTAN. La classe ouvrière ukrainienne ne doit avoir aucune confiance dans le gouvernement de la bourgeoisie, y compris sur le terrain militaire, et doit développer ses propres organisations pour défendre ses propres intérêts jusqu’à l’objectif de la prise du pouvoir. La position des communistes internationalistes est déterminante pour s’orienter sur cette question qui a des conséquences mondiales.

Voilà ce que le CoReP écrivait dans son adresse du 1er mai 2022 :

Les communistes internationalistes sont résolument du côté du pays dominé contre l’agression d’une puissance impérialiste, comme l’ont toujours défendu Lénine et Trotsky. Le renforcement de la pression de l’OTAN sur la Russie par le développement de ses bases militaires est indiscutable, mais les rivalités entre puissances ne justifient en aucun cas que l’existence même de l’Ukraine soit mise en cause. Et la tâche du prolétariat ukrainien comme du prolétariat mondial consiste à défendre, sur une base d’indépendance de classe, ce droit à l’indépendance tout en combattant pour la révolution socialiste en Ukraine, pour l’internationalisme, pour la fédération des Etats-Unis socialistes d’Europe.

Le gouvernement ukrainien est un gouvernement nationaliste bourgeois, l’armée ukrainienne est une armée bourgeoise qui a y compris intégré des bataillons fascistes, mais les communistes internationalistes défendent inconditionnellement l’Ukraine contre l’agression impérialiste russe, comme ils ont défendu l’Irak ou la Serbie aux mains de nationalistes bourgeois contre les agressions de la coalition des impérialismes dirigée par les Etats-Unis, comme ils ont soutenu le peuple arabe de la Palestine contre la colonisation sioniste malgré le caractère bourgeois de la direction du mouvement national palestinien (Fatah, Hamas), comme ils condamnent la guerre menée au Yémen par l’Arabie monarchique et antisémite alliée des impérialismes « démocratiques ». Pas plus aujourd’hui qu’hier, ce soutien à la victime de l’oppression nationale ne vaut soutien à son régime, à son gouvernement, ne vaut soutien à Zelensky…

Les communistes internationalistes sont pour la défaite de l’impérialisme russe en Ukraine. L’Ukraine a le droit de se procurer des armes pour se défendre, même si les impérialismes états-uniens et européens qui les lui fournissent poursuivent leurs propres objectifs, qui sont au moins de garder l’Ukraine sous leur influence. La défaite de l’Ukraine signifierait l’écrasement du prolétariat ukrainien, le renforcement de l’impérialisme russe et de la dictature de Poutine sur le prolétariat russe. À l’inverse, la défaite de l’impérialisme russe ouvrirait la voie au soulèvement du prolétariat russe tout en permettant au prolétariat ukrainien de s’organiser et de se battre pour son propre compte ! Voilà notre perspective !

Tout en concluant sur cette question :

  • L’impérialisme russe hors d’Ukraine !
  • Aucun soutien à l’OTAN ni à un quelconque impérialisme européen ou étatsunien !
  • Retrait d’Europe centrale des troupes des impérialismes occidentaux !
  • Retrait de toute l’Europe des troupes étatsuniennes !
  • Dissolution de l’OTAN ! À bas les sanctions économiques qui frappent d’abord le prolétariat russe !
  • Pour la révolution socialiste en Ukraine comme en Russie !

Et le combat contre les positions révisionnistes des pseudo-trotskystes

Au contraire, la plupart des organisations centristes renient tous les enseignements de Lénine et de Trotsky et égarent les travailleurs qui cherchent à s’orienter. Ainsi :

Pour ce qui est de la guerre déjà présente en Europe, les travailleurs n’ont à prendre parti ni pour la Russie de Poutine, ni pour l’Ukraine de Zelensky sous la protection des puissances impérialistes. Ils doivent rejeter tous les clans politiques de la bourgeoisie impérialiste, ceux qui tiennent ouvertement un langage guerrier, comme ceux qui prétendent œuvrer pour la paix par des négociations. L’intérêt des travailleurs est de reprendre à leur compte, aussi bien ici, en France, qu’en Russie, en Ukraine, et partout où les masses sont angoissées par les préparatifs de la guerre généralisée, le slogan du révolutionnaire allemand Karl Liebknecht : « L’ennemi principal est dans notre propre pays ».

Seul le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et de la domination de l’impérialisme sur le monde peut écarter la menace de la guerre mondiale, assurer des relations fraternelles entre les peuples et créer les conditions de leur collaboration pour le bien commun de l’humanité. (LO, Résolution de congrès, 3 et 4 décembre 2022)

Ou encore Révolution permanente qui, tout en condamnant l’invasion russe de l’Ukraine dans un texte du 3 décembre intitulé Ni Poutine ni OTAN, renvoie dos à dos le « bloc » Russie/Chine et le « bloc » États-Unis/ UE/OTAN/Ukraine.

Ou bien Convergences révolutionnaires, membre du NPA-C, qui affiche sur son site :

Pour sortir de cette guerre sans fin, les prolétaires d’Ukraine ne peuvent pas compter sur les chars et les avions occidentaux que leur promet Zelensky, pas plus que sur un pouvoir ukrainien au service d’une bourgeoisie sans scrupules. Les travailleurs d’Ukraine possèdent une arme de classe de plus grande portée qu’aucun missile : malgré le fossé de sang que la guerre dresse, les voix dissidentes en Russie montrent qu’il est possible d’en appeler à la fraternisation avec les prolétaires russes, au soutien de ceux qui en Russie s’opposent à la guerre et sont réprimés par Poutine, et entamer une politique révolutionnaire commune, à l’opposé des politiques nationalistes. (NPA, Editorial, Après un an de guerre, à qui les crimes de Poutine profitent, 20 février)

Cette confusion qui n’a rien à voir avec l’internationalisme prolétarien nourrit évidemment des initiatives comme celle du 25 février qui a réuni à Berlin environ 13 000 manifestants et quelques 700 000 signatures sur une pétition sous les slogans « L’Ukraine a besoin de la paix, pas d’armes » ou « Envoyez des diplomates, pas des armes » à l’initiative de die Linke et de mouvements pacifistes.

Contre la dérive des organisations centristes, le GMI, section française du Collectif Revolution permanente, a fait tous les efforts possibles pour rassembler internationalement sur une position qui puisse servir de point d’appui au prolétariat. En 2022, le CoReP a rencontré et discuté avec le PCdL italien qui avait développé une position similaire à la nôtre. Deux déclarations internationales communes sur la guerre en Ukraine ont été publiées, constituant un pas en avant. Malheureusement, à nouveau, le mort a saisi le vif et la direction du PCdL a préféré ses vieilles habitudes centristes à une politique bolchevik. Le 31 octobre, la délégation du CoReP à la Conférence internationale de refondation de l’OTI convoquée par le PCdL devait constater dans son intervention :

Le Collectif révolution permanente a signé deux déclarations avec le PCL/ITO sur l’événement principal de la lutte de classe mondiale cette année. Ces deux résolutions constituent un pas en avant considérable, malgré la petite taille du CoReP et l’isolement national du PCL, car :

Elles condamnent l’invasion impérialiste russe et l’élargissement de l’OTAN.

Ils qualifient la Russie et la Chine d’impérialistes,

Ils considèrent que dans chaque pays impérialiste, l’ennemi principal est sa propre bourgeoisie,

Mais la direction du PCL a cessé de chercher à adopter des résolutions communes. La direction du PCL a refusé de préparer une conférence internationale commune avec le CoReP.

La direction du PCL a préféré faire la cour à des organisations, plus grandes, mais qui ont refusé de défendre l’Ukraine contre l’invasion. Ils ont refusé de défendre la position de Lénine et Trotsky, le droit à l’autodétermination pour un peuple opprimé de se séparer et de former son propre État. L’une d’entre elles est présente à la conférence et le camarade d’OKDE/TRI vient d’expliquer que sa position est la neutralité entre la Russie et l’Ukraine. L’autre, sur la même position, Partido obrero est resté en Argentine.

Inutile de préciser que cette conférence internationale convoquée par le PCdL pour refonder une bien hypothétique Opposition trotskyste internationale n’a, sur la base de tels « petits arrangements entre amis », donné aucun résultat probant, sinon celui de rajouter encore un peu plus de confusion à la confusion et de montrer que la IVe Internationale a bien été détruite.

Jusqu’à aujourd’hui, notre position internationaliste sur la guerre en Ukraine reste totalement pertinente. Si, cependant, comme nous l’avons également écrit, il advenait que l’OTAN ou l’un des impérialismes occidentaux intervenait directement contre la Russie, la guerre se transformerait immédiatement en guerre inter-impérialistes et nous devrions alors défendre la ligne du défaitisme révolutionnaire. Cette éventualité est certes peu probable car l’impérialisme russe, les impérialismes étatsunien et européens, l’impérialisme chinois, n’y ont pour l’heure et pour des raisons différentes, aucun intérêt, mais elle ne peut être totalement exclue car les impérialismes ne maitrisent jamais scientifiquement et rationnellement toutes leurs contradictions.

Les conséquences internationales de la guerre en Ukraine

Sans en fournir une liste exhaustive, on peut au moins identifier un certain nombre modifications dans les rapports mondiaux induits par la guerre en Ukraine, tout en précisant que la plupart d’entre elles interagissent les unes par rapport aux autres.

La première conséquence est le renforcement de l’OTAN sous l’égide de l’impérialisme américain. Qualifié un peu vite d’être « en état de mort cérébral » par Macron le 7 novembre 2021, voilà qu’il est en passe de s’élargir à 32 membres avec la Suède et la Finlande, qu’il renforce sa présence en Europe et qu’il dispute la coordination de l’aide militaire fournie à l’Ukraine aux initiatives individuelles des différents impérialismes. C’est le résultat inverse du souhait de Poutine qui prétendait desserrer la pression de l’OTAN sur la Russie.

La deuxième conséquence est le regain d’influence de l’impérialisme américain sur les impérialismes européens, non seulement militaire, mais également économique puisque les sanctions initiées contre la Russie ont également abouti à la rupture presque totale de l’approvisionnement en gaz et pétrole russe des pays européens, au premier rang desquels l’Allemagne, pour être remplacé en partie par du gaz et du pétrole de schiste américain.

La troisième conséquence est, sans en être la cause initiale, l’accélération de la modification des rapports entre les différents impérialismes européens. L’impérialisme allemand en effet tend de plus en plus à abandonner le partenariat privilégié entretenu avec l’impérialisme français pour faire désormais cavalier seul et imposer en Europe un poids politique correspondant à sa force économique. Tout ou presque devient désormais problème entre Berlin et Paris, de la défense européenne où l’Allemagne prend de plus en plus les commandes aux détriments des intérêts français, à l’énergie où une sourde lutte se mène entre les deux principaux impérialismes européens aussi bien sur le système de tarification européen de l’électricité que sur l’utilisation du nucléaire, jusqu’à l’automobile où l’industrie allemande vient d’imposer le maintien des moteurs thermiques après 2035 avec des carburants de synthèse, etc.

La quatrième conséquence, qui se nourrit des précédentes, est que l’impérialisme américain profite de cette situation pour pousser son avantage et tailler des croupières aux impérialismes européens, fussent-ils ses alliés. La mise en place de l’IRA (Inflation Reducing Act), censée promouvoir la transition énergétique, est en réalité une fantastique machine à subventions à caractère protectionniste, au moins 400 milliards de dollars sur 10 ans, qui, jointe à des prix de l’énergie très faibles au regard de ceux pratiqués en Europe, donne à la fois aux industries américaines des avantages compétitifs décisifs et attirent en même temps sur le sol américain des industries « vertes » installées en Europe. Par exemple, Tesla qui a commencé à assembler des batteries dans sa nouvelle usine près de Berlin vient de déclarer le 22 février que l’essentiel de la production serait concentré aux États-Unis du fait des subventions obtenues dans le cadre de l’IRA. Intel qui avait négocié âprement avec Berlin une aide de 6,8 milliards pour l’installation d’une usine dans l’Est de l’Allemagne réclame aujourd’hui 5 milliards supplémentaires pour ne pas reporter ce projet aux États-Unis… Et bien d’autres, des industriels danois d’éoliennes aux investissements dans l’hydrogène vert, etc. Les bourgeoisies européennes se divisent pour trouver une réponse à cette offensive : faut-il laisser chaque Etat européen, du moins ceux qui en ont les moyens, subventionner chacun de son côté le maintien des industries, au risque d’une concurrence féroce entre eux, faut-il un nouvel emprunt européen, mais les plus riches ne sont pas prêts à s’endetter pour les plus démunis… 

La cinquième conséquence est de précipiter l’impérialisme russe dans les bras de l’impérialisme chinois, mais aux conditions de ce dernier. Affaibli par son enlisement militaire en Ukraine, Poutine a pour Xi les yeux de Chimène. Il a absolument besoin de son soutien diplomatique, économique et militaire. L’impérialisme chinois lui accorde son soutien diplomatique sur un point, la désignation de l’impérialisme américain comme fauteur de troubles : le 20 février, Pékin publie un document explicite intitulé « l’hégémonisme américain et ses dangers » dans lequel il reprend totalement à son compte la thèse de la responsabilité première de l’impérialisme américain qui aurait contraint la Russie à déclencher la guerre en Ukraine pour se défendre, établissant même un parallèle avec la question de Taïwan. Cependant, Pékin propose sur l’Ukraine un vague plan de paix qui reste basé sur le « respect des souverainetés nationales et de l’intégrité territoriale » tout en prenant en compte « les préoccupations légitimes de sécurité de tous les pays. » Ce qui ne va pas exactement dans le sens de l’annexion pure et simple de l’Ukraine voulue par Poutine au déclenchement de l’invasion de l’Ukraine. Mais Poutine est bien obligé de s’en contenter et doit remercier la Chine pour son « attitude équilibrée sur la crise ukrainienne ».  Sur le plan commercial, le soutien de l’impérialisme chinois s’apparente plutôt à une bonne affaire car il bénéficie et bénéficiera encore plus du pétrole et du gaz russe à prix cassés, tandis que les exportations chinoises vers la Russie vont s’accroitre, sans pour autant que la fourniture de composants électroniques dont l’impérialisme russe a tant besoin, ne serait-ce que pour maintenir à niveau son armement, ne soit garanti, du fait des propres problèmes de l’impérialisme chinois dans ce domaine. Quant au soutien militaire par la fourniture d’armes, Washington a immédiatement averti Pékin que cela déclencherait des sanctions économiques que l’impérialisme chinois ne semble pas vouloir affronter. Au total, l’impérialisme chinois gagne sur toute la ligne, il fait de l’impérialisme russe son obligé sans y laisser lui-même une plume et, cerise sur le gâteau, gagne en influence internationale en particulier auprès de pays comme le Kazakhstan qu’il dispute à l’influence russe.

Multiplication des conflits ou risques de conflits régionaux

Il faut enfin ajouter que certaines puissances régionales profitent que les Etats-Unis se focalisent sur la Chine pour se glisser en quelques sorte dans les interstices et tenter d’étendre leur emprise régionale. C’est le cas de la Turquie, qui, sans rompre avec Washington ni avec l’OTAN, intervient en Syrie contre les Kurdes, soutient une fraction en Libye, dispute à la Grèce des zones maritimes d’exploitation pétrolière et gazière, monnaye son accord pour l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN contre des mesures répressives qu’elles prendront à l’encontre des réfugiés politiques kurdes, appuie militairement l’Azerbaïdjan contre l’Arménie… et sert de plateforme à nombre d’oligarques russes qui y installent des bureaux pour contourner les sanctions prises contre la Russie. Mais c’est aussi le cas de l’Azerbaïdjan qui s’affranchit de Moscou et va mener la guerre contre l’Arménie au Haut-Karabagh, pourtant sous protection de la Russie. Ou bien de l’Iran, qui est toujours présent en Syrie, soutient les rebelles houthis au Yémen contre l’Arabie saoudite, et développe son arme nucléaire. C’est, d’une manière différente, aussi le cas d’Israël. L’impérialisme américain, soutien indéfectible de l’Etat colon, a notamment permis les « accords d’Abraham » de décembre 2020 qui ont ouvert les relations diplomatiques, la coopération économique, militaire et sécuritaire entre Israël et le Maroc, les Emirats arabes unis et Bahreïn et facilité les relations avec l’Arabie saoudite tout en isolant un peu plus la résistance palestinienne. Pour les États-Unis, Israël peut être une carte à jouer face à l’Iran, susceptible d’intervenir militairement à leur place par des raids aériens contre les installations atomiques iraniennes s’ils décidaient que les conditions étaient réunies. À condition toutefois que l’État israélien ne prenne pas seul l’initiative, ce qui n’est pas tout à fait assuré. Israël poursuit sur sa propre lancée sa politique de colonisation à marche forcée de toute la Cisjordanie, en affichant même pour certains ministres du gouvernement Netanyahou la carte d’Eretz Israël comme objectif, incluant le Liban, la Jordanie, la plus grande partie de la Syrie et de l’Irak et une autre de l’Arabie saoudite. Même si cette vision est fantasmée, la politique contre les Palestiniens est, quant à elle, bien réelle avec des conséquences terribles. L’impérialisme américain vient officiellement de marquer son désaccord car il considère que cette politique ne suscite de nouvelles explosions et déstabilisations dans la région dont il n’a nullement besoin.

Ainsi, les foyers de conflits plus ou moins étendus se multiplient-ils à l’ombre des oppositions entre les principaux impérialismes, accumulant les menaces. Partout, des partis établis ou de nouvelles formations politiques tablent sur la superstition, la misogynie, la xénophobie, l’oppression de minorités ethniques, religieuses ou sexuelles…

La classe ouvrière se bat, mais sans direction pour lui assurer la victoire

En ne considérant que l’année 2022, des mobilisations importantes se sont déroulées dans plusieurs pays, allant même parfois jusqu’à l’ouverture d’une situation prérévolutionnaire. Mais l’absence d’une internationale ouvrière solidement ancrée sur les acquis théoriques du bolchévisme et du trotskysme, la survivance des directions nationalistes bourgeoises et des partis réformistes, le maintien ou la résurgence du maoïsme, la multiplication d’une multitude de débris des courants issus de la destruction de la IVe Internationale, comme le pablisme, le morénisme, le lambertisme, le grantisme, le cliffisme, etc. pèsent d’un poids terrible sur la conscience du prolétariat et sur la lutte des classes au niveau mondial. Le fil directeur qui vertèbre tous ces derniers est au bout du compte le refus de rompre avec la bourgeoisie, avec les appareils contre-révolutionnaires qui agissent pour le compte de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, d’opposer au combat pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière et la destruction de l’Etat bourgeois telle ou telle forme d’alliance avec une fraction de la bourgeoisie, dite « progressiste » ou « anti-impérialiste », soit directement, soit par l’intermédiaire des appareils contre-révolutionnaires. Pourtant tous ces courants n’ont pas de positions dirigeantes dans la lutte des classes, mais ils dévoient la fraction la plus avancée qui cherche des perspectives révolutionnaires à chaque combat de la classe ouvrière dans des impasses et cela suffit pour permettre à la bourgeoisie d’emporter la victoire. En Argentine où le morénisme a une réelle implantation, les masses, confrontées à un plan d’austérité du FMI accepté en 2022 par le gouvernement Fernandez-Kirchner contre un nouveau prêt sont en effervescence alors que l’inflation atteint des sommets (94,8 % officiellement en 2022). La politique poursuivie par les organisations « trotskystes » en Argentine, en réalité toutes des avatars du pablisme (variante moréniste ou loriste), couvre la politique des appareils, le Parti communiste d’Argentine, les directions des centrales syndicales plus ou moins liées au péronisme, prônent la solution bourgeoise de l’Assemblée constituante pour sortir de la crise au lieu du combat pour la prise du pouvoir et vont même pour les députés du PO et du PTS jusqu’à voter à Buenos-Aires avec la plupart des députés bourgeois une motion pour « la paix sociale » au motif qu’elle condamne une tentative d’attentat contre la vice-présidente Kirchner commis par un déséquilibré ou un fasciste [lire l’article]

Kazakhstan : au tout début janvier 2022, la classe ouvrière se dresse contre le pouvoir au non seulement par de puissantes grèves notamment dans les industries du pétrole, par des manifestations, mais aussi en s’emparant d’armes pour résister à la terreur étatique. Le gouvernement de Tokaïev ne peut seul en venir à bout, il est menacé d’être renversé par cette vague révolutionnaire. Tokaïev doit faire appel à l’OTSC mise en place sous la direction de l’impérialisme russe. Les armées russe, arménienne et biélorusse interviennent le 6 janvier pour soutenir le gouvernement qui mate la révolte ouvrière [lire l’article]

Sri Lanka : le 9 juillet, les masses s’emparent du Palais présidentiel, contraignant le président à fuir le pays sous la protection de l’armée, après des mobilisations allant crescendo depuis le début de l’année. C’est une situation prérévolutionnaire, mais les masses ne savent qu’en faire, et faute d’une direction pour les orienter sur l’auto-organisation et la prise de pouvoir, elles laissent l’initiative aux vieux partis bourgeois qui s’empressent de remettre en selle un vieux cheval de retour de la bourgeoisie qui proclame l’état d’urgence le 27 juillet et commence la répression [lire l’article]

Royaume-Uni : des vagues de grèves pour l’augmentation des salaires se succèdent depuis début juin 2022, postiers, cheminots, travailleurs de la santé publique (NHS), enseignants, etc. et s’amplifient tout l’été. Mais les bureaucrates syndicaux émiettent la combattivité en autant de journées de grèves distinctes, chacun son tour, empêchant la grève générale, protégeant le gouvernement et condamnant du même coup les travailleurs à n’obtenir que des augmentations de salaires bien inférieures à l’inflation. Le Parti travailliste se tient prudemment à l’écart :

Alors que les membres du RMT s’apprêtent à débrayer pour la première des trois journées d’action de cette semaine, Starmer a clairement fait savoir qu’il ne s’occuperait pas de ce conflit social et qu’il entendait que son équipe reste également à l’écart. (The Guardian, 21 juin 2022)

Mais que font les organisations centristes ? La plupart des organisations centristes vivotent à côté du Parti travailliste, en se gardant bien d’affronter les bureaucraties syndicales (SWP, SPEW, SA, SR, AWL, WF…). Par exemple, la plus grosse, le SWP, comme à son habitude, appuie le dispositif de sabotage des appareils syndicaux.

C’est pourquoi il doit y avoir plus de grèves, des grèves de plus en plus intenses et des grèves unies qui se battent pour gagner. (SWP, Les grèves de samedi montreront notre force, 26 septembre 2022)

[lire les articles 1 et 2]

Iran : à partir de l’assassinat de Mahsa Jina Amini le 13 septembre 2022, une puissante vague de manifestations a rassemblé pendant plusieurs mois des foules immenses contre la dictature islamiste mêlant de très nombreuses femmes, des jeunes, des vieux, des ouvriers et des étudiants, aux cris de : Mort au dictateur ! À bas la république islamique ! Femme, vie, liberté ! Ni le Shah ni le Cheikh ! [Lire les articles 1 et 2]

Mais il manque en Iran une organisation révolutionnaire pour organiser les masses sur la ligne de la prise du pouvoir, du gouvernement ouvrier, en combinant les revendications transitoires ouvrières et démocratiques, en mettant en avant l’auto-défense des manifestations, la grève générale… Aujourd’hui, la répression sanglante des manifestations, les arrestations, les condamnations à la prison ou à mort, ont fait refluer la mobilisation des masses, sans pourtant l’éteindre. Mais pas seulement. C’est aussi l’absence de perspective politique révolutionnaire qui pèse sur les masses et les condamne à répéter sans plus de succès les mêmes actions que la veille ou la semaine précédente pour finalement reculer.

Pérou : décembre, voici ce que le rapport présenté au bureau du CoReP notait le 17 décembre 2022 :

La crise actuelle au Pérou est un nouveau chapitre de la crise politique de la domination bourgeoise au Pérou. D’une part, la bourgeoisie est incapable de mettre de l’ordre dans ses rangs et de former un quelconque gouvernement stable. Elle est encore moins capable de supporter qu’un autre parti (« de gauche ») gouverne, même s’il le fait loyalement à l’égard du capital et trompe les masses. De leur côté, les masses laborieuses des villes et des campagnes voient leurs conditions de vie précaires encore aggravées par la nouvelle inflation et le ralentissement de l’économie. Ils ont une longue tradition de luttes et les mobilisations échappent souvent au contrôle immédiat des appareils. Ils ont même pour tradition de constituer des « assemblées populaires » plus ou moins représentatives pour coordonner territorialement leurs luttes.

En fait, selon certaines sources, certaines de ces assemblées ont déjà été formées pour coordonner la réponse à la destitution du président par un parlement largement haï par les classes populaires. Mais, en l’absence d’un parti révolutionnaire, ces « assemblées populaires » finissent toujours par inclure toutes sortes de fractions de la bourgeoisie locale et perdre leurs racines dans les masses combattantes jusqu’à les épuiser et quasiment toujours les trahir.

Face aux importantes mobilisations actuelles, une orientation vers l’auto-organisation en conseils d’ouvriers et de paysans, indépendants de la bourgeoisie, démocratiquement élus et coordonnés pour lutter pour leurs propres objectifs, est absolument nécessaire, afin de se porter candidat au pouvoir, de mettre fin à toute la misère et de détruire le pouvoir bourgeois et de ses institutions politiques.

Mais ce n’est pas l’orientation que nous voyons dans les partis qui se disent « révolutionnaires » au Pérou : pratiquement tous, de la Corriente Socialista de las Trabajadores [Courant ouvrier socialiste] de la FT-QI au Partido de los Trabajadores Uníos [Parti des travailleurs unis], section de l’UIT-QI, concentrent leur politique sur la revendication d’une « Assemblée constituante », la même recette qu’au Chili, en Bolivie, en Colombie… La même recette qui, à chaque fois, dévoie la force des mobilisations vers des illusions dans la réforme des institutions de la démocratie bourgeoise.

[lire l’analyse de l’IKC et l’article]

Si l’on remonte un peu plus loin, comment ne pas voir que le mouvement révolutionnaire de 2011 en Tunisie, chassant Ben Ali du pouvoir, a été au bout du compte enterré dans les palabres parlementaristes bourgeois de l’Assemblée constituante qui n’a fait que protéger l’Etat bourgeois pendant que la crise économique continuait de frapper les masses, ouvrant ainsi la voie au dictateur Kaïs Saïed qui jette aujourd’hui en prison les militants révolutionnaires et les opposants ? Comment ne pas voir que le Hirak algérien, puissant mouvement de 2019/2020 a fini par sombrer, faute d’une perspective révolutionnaire, et qu’aujourd’hui, le régime traque les militants, contraints à la prison ou à l’exil ?

L’internationalisme n’est pas un supplément d’âme. Ce n’est pas un cours de géopolitique. Il ne peut y avoir de communisme sans internationalisme. La construction d’une internationale révolutionnaire reste la tâche la plus impérieuse. Nous ne partons pas de rien. Nous avons de solides acquis théoriques et programmatiques, nous militons dans le CoReP qui est un embryon d’organisation internationale aux côtés des camarades autrichiens, de l’Etat espagnol et turcs. L’existence du GMI n’aurait aucun sens sans que chaque militant n’intègre cette dimension fondamentale.