La grève générale (4) : 1917-1919

(chapitre 4 : 1917-1919)

(chapitre 3 : 1905-1914)

(chapitre 2 : 1850-1905)

(chapitre 1 : 1842-1850)

Votez Mélenchon et vous aurez la retraite à 60 ans. Pas besoin de faire des grèves qui vous coutent cher ou qui sont dangereuses. (Jean-Luc Mélenchon, LFI, 20 mars 2022)

La grève générale, c’est dangereux. (Anasse Kazib au forum RP, Presles, 29 mai 2022)

La grève générale, comme le sait tout marxiste, est un des moyens de lutte les plus révolutionnaires. (Lev Trotsky, 28 mars 1935)

Dans toutes les révolutions prolétariennes qui ont eu lieu depuis la révolution russe de 1905 [voir Révolution communiste n° 57], la « grève de masse », la grève majoritaire et illimitée des travailleurs salariés, a joué un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire. À chaque fois, elle a été l’indispensable rassemblement des exploités contre les exploiteurs et leur Etat.

Février 1917, la révolution russe débute par la grève illimitée des ouvrières du textile

Parmi les puissances impérialistes européennes qui se prennent à la gorge en 1914, l’empire russe (qui recouvre les territoires d’aujourd’hui de la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Finlande, la Géorgie, le Kazakhstan, etc.) est la plus faible économiquement. L’armée recule face aux troupes de l’empire allemand, l’inflation règne, les problèmes de ravitaillement menacent la capitale (Petrograd, appelée maintenant Saint-Pétersbourg) …

Les partis socialistes clandestins qui étaient affiliés avant-guerre à l’Internationale ouvrière (Parti socialiste révolutionnaire PSR, Parti ouvrier social-démocrate RSDRP divisé irréversiblement en 1912 entre sa fraction bolchevik et sa fraction menchevik) préparent activement la journée internationale des femmes travailleuses du 8 mars 1917 (23 février dans le calendrier russe de l’époque), sans appeler à la grève. Le jour dit, les ouvrières du textile quittent le travail dans plusieurs fabriques de Petrograd (Saint-Pétersbourg) et envoient des déléguées aux métallos pour leur demander de soutenir la grève. Les militants des partis et des syndicats appellent à cesser le travail et manifester.

Le 25 février, la grève mobilisait désormais 90 % de la population ouvrière, rejointe par les étudiants. (François-Xavier Coquin, La Révolution russe, 1962, Les Bons caractères, p. 41)

La grève générale alimente les manifestations. Les manifestations étendent la grève générale. La défense des manifestations et des grèves conduit aux attaques de commissariats, à la libération des travailleurs arrêtés, à l’armement des travailleurs. Le début d’armement des masses et les contacts avec les conscrits, débouchent sur la révolution lorsque les soldats s’insurgent et passent ouvertement du côté des ouvrières et des ouvriers. L’ouvrier fait sa jonction avec le paysan sous l’uniforme. La monarchie centenaire est balayée. Les soviets (conseils de travailleurs salariés, de soldats…) surgissent, renouant avec l’expérience de 1905. Mais les partis ouvriers divergent : le PSR et le RSDRP-Menchevik, majoritaires dans les soviets, constituent un gouvernement provisoire (un front populaire avant la lettre) avec le Parti constitutionnel démocrate (PKD), le principal parti bourgeois. Ils tentent ensemble de préserver la propriété privée et de poursuivre la guerre impérialiste en lien avec les gouvernements français et britannique.

Tout au cours de la révolution russe, en avril, en juin, en juillet, grèves générales et manifestations immenses rassemblent à nouveau les masses laborieuses à la tête desquelles marche le prolétariat. Pour finir, en octobre, l’insurrection organisée par Trotsky par décision du RSDRP-Bolchevik, aidé d’une minorité du PSR et de quelques groupes anarchistes, donne le pouvoir aux soviets où les bolcheviks sont devenus majoritaires. L’insurrection est la plus haute forme de mobilisation ordonnée du prolétariat comme classe.

Janvier 1918, une grève générale annonce la révolution hongroise

Le Parti ouvrier social-démocrate de l’empire austro-hongrois (SDAP d’Adler, Renner et Bauer) soutient la guerre en 1914. L’entrée en guerre de l’Italie et surtout des États-Unis condamne les empires allemand et autrichien à la défaite militaire. Bien que la victoire de la révolution russe apporte un sursis, le blocus, l’inflation et le rationnement frappent la population allemande, autrichienne, hongroise… Au printemps 1917, inspirés par la révolution russe, des soldats se mutinent dans l’armée française et des ouvriers cessent le travail en Autriche et en Allemagne.

Le 14 janvier 1918, une grève illimitée commence à l’usine Weiss de Budapest. En quelques jours, elle s’étend à toutes les entreprises industrielles d’Autriche et de Hongrie. En janvier 1918, l’empire austro-hongrois se disloque, la situation devient révolutionnaire en Autriche et en Hongrie. Pour faire barrage, les partis « socialistes » de Hongrie (SzDP) et d’Autriche (SDAP) forment tous deux un gouvernement avec leurs partis démocrates bourgeois respectifs.

Novembre 1918, la révolution allemande commence par la grève générale

En 1914, à la différence des partis ouvriers de Russie, le plus grand parti ouvrier du monde, le Parti social-démocrate de l’empire d’Allemagne (SPD, dirigé par Ebert, Scheidemann et Frank), soutient la guerre. Les prétendus réformistes n’apportent pas de réforme, mais des souffrances supplémentaires : massacres sur les fronts, interdiction des grèves et privations à l’arrière.

Le mécontentement social grandissant fait qu’une minorité des députés SPD refuse de voter au parlement le budget de la guerre. Leur exclusion engendre en avril 1917 le Parti social-démocrate indépendant (USPD, dirigé par Haase et Ledebour, soutenu par Kautsky) que rejoint la Ligue Spartacus (SB, une fraction restée internationaliste du SPD dont les figures les plus connues sont Luxemburg et Liebknecht) et que refusent de joindre les autres groupes internationalistes (qui se fédèrent dans l’IKD).

À l’été 1916, des grèves éclatent pour protester contre la condamnation de Libknecht (SB). Des grèves massives se déroulent en janvier 1917 à Essen, en février-mars dans toute la Rhénanie-Westphalie, avec un pic en avril. Des comités de grève sont élus, des revendications politiques s’intègrent aux revendications économiques.

Le 16 avril, à Berlin, dans les usines, se tiennent des assemblées générales. À 9 heures, 300 entreprises sont en grève, les syndicats annoncent un total de 200 000 grévistes, le chiffre réel étant vraisemblablement de l’ordre de 300 000. Les rues commencent à être parcourues de cortèges qui se forment spontanément sur des mots d’ordre divers, souvent politiques… À Leipzig, les évènements ont pris une tournure identique… (Pierre Broué, La Révolution allemande, 1971, Minuit, p. 102-103)

Le SPD et les bureaucrates syndicaux arrivent à faire reprendre le travail. Le pouvoir des soviets russes négocie avec l’état-major allemand un compromis.

À l’occasion des pourparlers de paix de Brest-Litovsk éclatèrent en janvier 1918 de grandes grèves de masse. (Ossip Flechtheim, Le Parti communiste allemand sous la république de Weimar, 1969, Maspero, p. 49)

En janvier, la Ligue Spartacus (SB) diffuse un appel à la grève générale. En novembre 1918, la monarchie sombre sans gloire sous les coups de la révolution prolétarienne qui combine soulèvements de métallos et de soldats, grève générale, manifestations de masse, assauts contre les prisons, armement des travailleurs.

La révolution est désormais lancée. Ceux qui la voulaient et cherchaient à la préparer, ceux qui la désiraient mais qui n’y croyaient pas et souhaitaient qu’elle soit provoquée, ceux qui ne la voulaient pas et l’avaient jusqu’au dernier moment combattue, vont, ensemble, prendre le train en marche. Les nouvelles qui parviennent de toutes les régions d’Allemagne dans la nuit du 8 au 9 le confirment : ici les marins, là les soldats lancent des manifestations, tandis que les ouvriers se mettent en grève. On désigne des conseils d’ouvriers et de soldats. Les prisons sont prises d’assaut. Le drapeau rouge, emblème de la révolution mondiale, flotte sur les édifices publics. (Pierre Broué, La Révolution allemande, 1971, Minuit, p. 151)

Fin décembre, l’IKD et la SB fusionnent pour fonder le Parti communiste allemand. Le projet de programme rédigé par Luxemburg est adopté. Il demande l’armement des travailleurs et le désarmement de la police et des officiers. Il pose la question d’un comité central de grève.

Mise en place d’un comité central de grève qui, en collaboration permanente avec les conseils d’entreprise, aura pour tâche de coordonner le mouvement de grève qui s’amorce dans l’ensemble du Reich et d’en assurer l’orientation socialiste en lui garantissant l’appui sans défaillance du pouvoir politique des conseils d’ouvriers et de soldats. (KPD, Programme, 31 décembre 1918, partie III)

Mais le SPD, la bureaucratie syndicale et l’USPD restent majoritaires à cette étape dans les conseils d’ouvriers et de soldats. En lien avec l’état-major de l’armée monarchique, le SPD proclame la république et un « gouvernement des commissaires du peuple » dont le but est, non d’accomplir des réformes, mais d’empêcher la révolution socialiste, la prise du pouvoir par les travailleurs armés et leurs conseils. La preuve est que le gouvernement SPD-USPD écrase l’insurrection ouvrière de janvier 1919 et fait assassiner Luxemburg, Liebknecht, Jogiches par l’armée contrerévolutionnaire…

9 septembre 2023 [à suivre]