Pour le retrait de la contreréforme des lycées professionnels

Pendant la campagne présidentielle, Macron annonce une nouvelle attaque contre les LP en promettant 50 % de stages professionnels en plus, la (petite) rémunération des stagiaires et d’« ouvrir des filières là où il y a des besoins et en fermer quand il n’y en a pas. » (Dijon, 28 mars 2022). Il entend restreindre le droit à la qualification d’une grande partie de la jeunesse dans laquelle il n’y a aucune fille, aucun fils de ministre.



Cela concerne 626 000 élèves, 2 100 établissements (dont 20 % sont aux mains de l’Église catholique) et 66 000 professeurs (dont 9 000 précaires).

La contribution de l’État bourgeois à la reproduction de la force de travail

La formation de la future classe ouvrière est d’abord le fruit des activités des classes subalternes elles-mêmes et surtout des femmes travailleuses en leur sein : grossesses, naissances, soins aux enfants, hébergement, transmission de savoir-faire et de de compétences, loisirs, etc. Mais elle est aussi prise en charge pour une part par l’État bourgeois : HLM, allocations familiales, remboursements médicaux, enseignement gratuit…

La qualification initiale de la main-d’œuvre est entérinée par des diplômes nationaux (des certificats d’aptitude professionnelle à ceux de l’École centrale ou de l’École polytechnique). D’un côté, les titres permettent aux capitalistes de s’assurer d’une qualité du travail qu’ils vont exploiter. De l’autre, les qualifications sont souvent reconnues dans les grilles des conventions collectives, ce qui limite l’arbitraire patronal et protège partiellement la travailleuse ou le travailleur. Les salaires réels, les horaires et les conditions de travail effectives du travail dépendent de la législation, du niveau du chômage, de la dépréciation de la monnaie, de l’emplacement géographique, de l’insertion de l’entreprise dans le système productif et dans la concurrence, de la lutte entre les classes, etc.,

L’enseignement professionnel, fruit de la lutte des classes mais sous la coupe de l’État bourgeois

Le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) nait en 1919. Il implique de suivre des cours en parallèle de l’apprentissage sur un lieu de travail mais reste marginal jusqu’en 1936. Avec la grève générale de mai-juin 1936, la scolarité obligatoire passe de 13 à 14 ans et les conventions collectives se généralisent peu à peu en se basant sur les diplômes obtenus par les salariés.

En 1939, le gouvernement Daladier (PR) met en place des centres de formation professionnelle pour accélérer la formation de la main-d’œuvre en temps de guerre. En 1940, le gouvernement Pétain les renomme centres de formation professionnelle pour « adolescents inoccupés ». En 1944, le gouvernement de Gaulle (PS-PCF-MRP) transforme les centres de formation professionnelle en centres d’apprentissage qui deviennent des collèges d’enseignement technique (CET) en 1960 avec la scolarisation jusqu’à 16 ans. Recrutés dès 13 ans, les adolescents souvent issus de la classe ouvrière, peuvent y décrocher un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) au bout de 3 ans. Destinés à l’industrie en plein développement et à l’agriculture qui se mécanise, les CET comptent jusqu’à 200 000 élèves chaque année. L’apprentissage patronal, au sein de l’entreprise, perd alors pied face à la montée de l’enseignement professionnel, de l’enseignement agricole, de l’enseignement technologique et de l’enseignement général dont s’emparent les familles d’ouvriers, d’employés, de paysans travailleurs, d’artisans, etc.

En 1967, le gouvernement de Gaulle-Pompidou (UNR-RI) crée, en lien avec les besoins capitalistes grandissants, le brevet d’études professionnelles (BEP) qui complète et élargit le CAP. En 1976, les CET deviennent des lycées d’enseignement professionnel (LEP) et forment 750 000 jeunes chaque année.

La naissance du baccalauréat professionnel et la transformation des LEP en LP en 1985 est l’œuvre de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Mitterrand-Fabius (PS- PSU-PRG). Le futur soutien de Macron au premier tour de la présidentielle de 2022 fait converger l’enseignement professionnel avec le lycée général et technologique. Toutefois, c’est seulement avec un BEP avec mention bien ou très bien qu’une élève des LP peut prétendre à un baccalauréat professionnel deux ans plus tard. La poursuite dans le supérieur est l’exception pour ces bacheliers. Chevènement veut « revoir la carte des formations techniques et professionnelles » car « trop de formations n’offrent plus de débouchés » et met en place une consultation pour « multiplier les relations entre l’école et l’entreprise » (Chevènement, vie-publique.fr, 24 novembre 1984).

Les contreréformes de Mélenchon, Darcos et Blanquer

Le retour des crises capitalistes, ainsi que la concurrence allemand et chinoise, poussent la classe capitaliste française à revenir sur ses concessions en matière d’enseignement, comme de protection sociale ou d’indexation des salaires. Il s’agit pour l’État qui incarne ses intérêts communs de réduire la dépense, de l’orienter vers les futurs besoins supposés des entreprises et d’habituer les futurs travailleurs à l’exploitation : licence professionnelle (1999), master professionnel (2002), stage en entreprise en 3e (2006)…

En 2000, Jean-Luc Mélenchon est ministre de l’insertion professionnel du gouvernement Jospin (PS-PCF-MdC-PRG-Verts). Le futur fondateur de LFI crée alors les « lycées des métiers » comme le Ferrocampus de Saintes, entièrement dédié aux entreprises du transport ferroviaire. Il ouvre les LP aux centres d’apprentissage, ce que les capitalistes réclament.

Le partenariat avec les entreprises doit pouvoir bénéficier à tous les acteurs de la voie des métiers. C’est pourquoi l’Éducation Nationale multiplie les conventions avec entreprises et branches. (Mélenchon, enseignement-professionnel.gouv.fr, 17 janvier 2001)

En 2009, Darcos, ministre du gouvernement Sarkozy-Fillon (UMP) poursuit la restructuration des LP selon les métiers et réduit le bac pro à 3 ans d’enseignement, ce qui permet la suppression de 1 500 postes d’enseignants. Les élèves des LP, désormais moins formés, décrochent ou échouent majoritairement quand ils sont admis en BTS.

Après Peillon et ses « campus des métiers » (2014), Jean-Michel Blanquer promeut, dès 2018, des « Harvard professionnels » dédiés à un secteur industriel ou de services. Le projet est de faire sauter un peu plus les garanties d’un enseignement général, de généraliser l’accueil au sein des LP des centres de formation d’apprentis (CFA), de réduire encore les heures de cours.

Dès la rentrée prochaine, les 665 000 élèves de la voie professionnelle, un tiers des lycéens, perdront 4 heures de cours. Concrètement, ils passeront de 34,5 heures hebdomadaires à 30. (Mediapart, 12 avril 2019)

Avec la loi Avenir professionnel de la ministre du travail Pénicaud, le gouvernement Macron-Philippe-Blanquer encourage à coups de millions d’euros l’apprentissage au détriment de l’enseignement public, repousse l’âge limité de « l’alternance » à 30 ans et la confie au patronat plutôt qu’aux régions. Blanquer promeut « une meilleure articulation entre parcours par la voie scolaire et parcours en apprentissage » (Lettre de cadrage, 15 novembre 2019). Il s’agit de préparer dès le collège « l’insertion professionnelle » : 12 heures en 4e, 36 heures en 3e; puis 50 heures en lycée général ou 100 heures en lycée professionnel. Le gouvernement associe les directions syndicales à sa politique avec la mise en place d’un « comité de suivi composé notamment, de vos représentants ».

Le « dialogue social », comme toujours, prépare l’attaque

Une fois réélu avec l’aide des partis réformistes et des bureaucraties syndicales, Macron nomme en juin 2022, la députée Carole Grandjean ministre déléguée à l’enseignement professionnel sous la double tutelle des ministres de l’éducation nationale Pap Ndiaye et du travail Olivier Dussopt. Début juillet, les concertations sur la nouvelle attaque démarrent avec les chefs syndicaux de l’enseignement professionnel.

Dès juillet je les ai rencontrés, avec une méthodologie qui était claire, qui est celle de la concertation, je concerte dès l’automne l’ensemble des acteurs, évidemment les partenaires sociaux. (Grandjean, sudradio.fr, 14 septembre 2022)

Le principal syndicat d’enseignants semble conquis.

Il faut mettre l’enseignement professionnel initial, public et laïque et les acteurs de l’économie réelle autour de la table pour 1/ déboucher sur des mesures d’urgence pour les jeunes en cours de formation 2/ discuter, négocier et aboutir avec les professeurs à une réforme systémique. (Snetaa-FO, 18 juillet 2022)

Le Snuep-FSU relaie que la ministre « a confirmé la commande politique : révolutionner le lycée professionnel sur le modèle de l’apprentissage » (Sigrid Gérardin, Le Monde, 30 juillet 2022).

Le 25 aout 2022, devant les recteurs, Macron affirme vouloir « recruter davantage de professeurs associés issus du monde professionnel », « fermer les formations qui n’insèrent pas, et développer celles qui marchent », mettre en place en 5e une « demi-journée avenir hebdomadaire qui éveillera des vocations », « développer les temps de stage d’au moins 50 %, en rémunérant de manière correcte ces stages ».

Le 13 septembre 2022, les directions syndicales feignent de découvrir les plans du gouvernement et appellent à une première journée « de grèves et de manifestations » le 18 octobre.

Quand Macron annonce une demi-journée d’orientation en 5e, l’intersyndicale veut le conseiller et non le combattre :: « il faut renforcer les missions et le nombre de personnels d’orientation et préparer les collégiens à tous les parcours » (23 septembre). Pour elle, il faut réformer mais différemment car « Oui la carte des formations doit évoluer, (…) elle doit évoluer dans l’intérêt général du pays » (23 septembre 2022).



Les professeurs de LP (PLP) comprennent le danger, pour eux et pour leurs élèves. Les assemblées générales sont massives et la journée d’action est largement suivie (plus de 65 % de grévistes).Elle reste impuissante car elle détourne de la préparation d’une grève générale jusqu’au retrait.

Grandjean peut poursuivre. Le 21 octobre 2022, elle ouvre les groupes de travail où tous les chefs syndicaux sont invités. L’union intersyndicale se fissure. La direction Snetaa-FO refuse de siéger, celles des CGT Educ’action et Snuep-FSU « sont restées dix minutes pour redire la colère des personnels » (snuep.fr, 21 octobre). Les chefs Snalc, Sgen-CFDT et Unsa-Education poursuivent la concertation. Durant des semaines, on y discute des mesures de Macron et le boycott du « dialogue social » n’est pas organisé. Au contraire, ces chefs syndicaux restent unis (à l’exception du Sgen-CFDT) pour appeler à une nouvelle journée le 17 novembre dont le but n’est pas le retrait du projet gouvernemental, mais seulement que le ministre de l’éducation « entende la colère des personnels » (Intersyndicale, 7 novembre 2022).

La contreréforme du gouvernement Macron-Borne-Ndiaye

Les groupes de travail rendent leurs travaux le 28 janvier 2023, avec 200 propositions. Grandjean présente au Sénat le 28 février le projet de « transformation de la voie professionnelle » (TVP). Fin mars, « l’intersyndicale de la voie professionnelle » fait toujours semblant de croire à une bonne reforme : « elle attend un calendrier et des documents précis afin d’évaluer ensemble les contenus du projet » (21 mars).



Une fois que sa loi contre les retraites est adoptée, Macron annonce le 4 mai son plan pour refaçonner les LP selon les exigences patronales.

Reconnaissant que les élèves travaillaient jusqu’à présent gratuitement, le gouvernement annonce une rémunération (Réformer les lycées professionnels, 4 mai 2023, mesure 1). Elle sera à la charge de l’État (autrement dit, largement des travailleurs, qui supportent l’essentiel des impôts et taxes) et pas des patrons. Elle reste dérisoire : 50 euros par semaine de stage en 1e année de CAP ou seconde (soit 300 annuels), 75 euros par semaine en 2e année CAP ou première (soit 600 euros annuels), 100 par semaine de stage en terminale (soit 600 euros annuels)… Clairement, la formation en LP s’aligne sur l’apprentissage.

Pas de rétablissement de l’année de formation supprimée pour les bac pro en 2009 par le gouvernement Sarkozy-Fillon-Darcos, ni des heures d’enseignement général supprimées par le gouvernement Macron–Blanquer. Quand des options sont envisagées, elles dépendront largement de « partenariats extérieurs » (mesure 3).

Les élèves de terminale seront séparés en deux catégories (mesure 4) : ceux qui poursuivront leurs études, ceux qui vont chercher tout de suite un emploi. Pour ces derniers, moins d’enseignement au lycée, plus de travail en entreprise (12 semaines de stage au lieu de 6, soit +100 % en plus).

S’ils ne trouvent pas d’emploi en traversant la rue, le plan est de les pousser à devenir apprentis, vers « une école de la deuxième chance » (mesure 5).

Les établissements publics seront davantage ouverts aux capitalistes sous forme de « partenariats » (mesure 6) et de « bureau des entreprises » dans chaque lycée (mesure 9).




Les formations assurées par l’enseignement professionnel seront déterminées selon les « besoins exprimés par des entreprises partenaires des lycées professionnels dans le cadre de France 2030 » (mesure 7).

Les statuts de leurs travailleurs sera affaibli avec la multiplication de postes de « professeurs associés » (des vacataires en fait) et la déclinaison spécifique du pacte professeurs : accepter d’autres « missions » que former (mesure 10). Les proviseurs eux-mêmes doivent être rééduqués (mesure 11).

Front unique pour le retrait immédiat et total du projet Macron-Ndiaye-Grandjean !

C’est contre ces mesures que les travailleurs de plusieurs lycées, malgré la défaite que représente la retraite à 64 ans, font grève en mai. Ils restent isolés puisque la CGT Éduc’action appelle seule à une journée d’action le 30 mai. L’intersyndicale des LP appelle à des rassemblements le 31 mai avec la caution habituelle de LO, du NPA, de RP qui transforment le sabotage en « un point d’appui ».

Les bureaucrates syndicaux de l’enseignement professionnel appellent aussi à rejoindre le 6 juin la 14e journée d’action, impuissante et démoralisante, en appui à un projet de loi bidon LIOT soutenu par EELV et le RN. Évidemment, le résultat de ces diversions est que la loi contre les retraites entre en vigueur et que le gouvernement se prépare à appliquer son projet en septembre à l’enseignement professionnel.

Comme cela concerne des dizaines de milliers d’enseignants, des centaines de milliers de jeunes, des millions de prolétaires, il faut donc que les syndicats directement concernés cessent de le discuter avec le gouvernement et préparent la grève totale jusqu’au retrait, que les confédérations les appuient sans réserve, appellent les jeunes en formation, les travailleurs de l’enseignement, tous les salariés à mettre en échec le gouvernement Macron-Ndiaye-Grandjean.

Si le gouvernement recule, cela ouvrira la voie pour améliorer la formation des élèves, pour expulser le patronat et l’Église catholique de l’enseignement professionnel, pour augmenter les salaires des travailleurs de l’enseignement professionnel, titulariser les précaires, etc.

9 juin 2023