Turquie : élections de 2023 et tâches communistes internationalistes I (EKIB/Turquie)

Partie II
Partie I

Introduction

La Turquie se débat dans la plus grande crise économique de son histoire. Le taux de chômage qui signe de nouveaux records chaque jour qui passe, la cherté de la vie qui augmente à grande vitesse, la pauvreté qui s’étend, les augmentations de prix records qui touchent les besoins vitaux fondamentaux tels que le logement, l’énergie, l’alimentation et l’inflation qui bat record sur record provoquent des destructions mortelles chez les masses travailleuses.

Parallèlement à la crise économique profonde, la crise politique du régime d’Erdoğan s’aggrave. Tous les appareils de l’État sont dans un état de délabrement et sont incapables de fonctionner. Le régime d’Erdoğan ne dispose ni d’un programme, ni de la capacité de résoudre les crises dans lesquelles il se trouve. Chaque mesure qu’il prend pour résoudre les problèmes en provoque d’autres encore plus grands. Le régime d’Erdoğan n’a aucune différence par rapport à une dépouille en putréfaction. Chaque jour qu’il se maintient en vie, il cause des destructions mortelles chez les travailleurs et les opprimés.

Ce régime dérive vers l’autoritarisme de jour en jour, suspend tous les droits et les libertés fondamentaux, et tente de survivre en mettant en application une terreur d’État sans pitié. D’un autre côté, il tente de renforcer les aspects réactionnaires tels que le racisme, le militarisme, le chauvinisme, le patriarcat, l’homophobie et le fanatisme religieux afin de se créer des espaces de légitimité politique. Le seul élément qui maintient encore debout ce régime n’est pas sa propre compétence. C’est l’opposition bourgeoise qui n’en est qu’une pâle copie (Alliance de la nation) et les mouvements de gauche et socialistes en Turquie ainsi que les composants de l’opposition populaire qui ont transféré la tâche de renverser Erdoğan à cette alliance, qui ont envoyé les opprimés et les travailleurs la soutenir. Parallèlement à la crise mortelle de régime de la bourgeoisie turque, la crise de la direction révolutionnaire des opprimés se manifeste cruellement. C’est là que se trouve l’unique élément qui maintient debout Erdoğan. Depuis les élections municipales de 2019, le sujet était les élections présidentielles de 2023, c’est là-dessus que tout se concentrait.

Durant les élections municipales de 2019, le HDP n’a pas présenté de candidats dans l’Ouest et a ainsi soutenu l’Alliance de la nation. Grâce à cela, Erdoğan avait perdu dans une large mesure les mairies des grandes villes. Cette stratégie a été vue comme la formule magique afin de se débarrasser d’Erdoğan et depuis 2019, les élections qui se sont tenues le 14 mai 2023 ont constitué l’ordre de jour. Tous les buts et stratégies politiques étaient établies en prenant ces élections au centre. À chaque fois que la lutte des travailleurs et des opprimés se mettait en branle de fait, l’opposition bourgeoise et les mouvements de gauche qui la soutiennent ont tenté de pacifier la lutte. À chaque fois, les urnes étaient présentées comme la solution. Les mouvements dans les rues sont criminalisés non seulement par Erdoğan, mais également par l’opposition bourgeoise. Il était expliqué depuis longtemps que toute forme de lutte dans les rues servait Erdoğan. Particulièrement les deux dernières années, que ce soit dans la politique de Turquie ou dans l’ordre de jour des travailleurs et des opprimés, le sujet incontournable était les élections présidentielles et législatives qui devaient se tenir le 14 mai. Étaient discutés le candidat éventuel, les alliances, l’attitude à adopter durant les élections. Du pouvoir à l’opposition, depuis le front de l’ordre jusqu’à ceux qui se définissaient comme opposants à l’ordre, ont été répétés en chœur les éléments suivants : ces élections sont capitales. Avec ces élections, sera déterminée la vision avec laquelle la République de Turquie qui venait de devenir centenaire abordera son second siècle. Elles constituent la dernière chance pour pouvoir respirer. Elles constituent aussi un référendum et pendant ce référendum va se décider la démocratie ou la dictature, la laïcité ou la charia.

Pendant longtemps, la réponse à la question de savoir qui serait le meilleur candidat pour l’emporter a été recherchée. Presque la totalité de la gauche socialiste et le mouvement politique kurde ont considéré que soutenir de toutes leurs forces le candidat de l’opposition bourgeoise Kemal Kılıçdaroğlu et faire perdre Erdoğan était une tâche supérieure. C’est dans cette atmosphère que se sont tenues les élections du 14 mai. Erdoğan n’a pas pu l’emporter dès le premier tour, il a fallu organiser un second tour. Cependant, la majorité du Parlement a été remportée par l’Alliance du peuple [d’Erdoğan]. L’assemblée la plus à droite de l’histoire de la Turquie a ainsi vu le jour. Pendant les élections du second tour, Kılıçdaroğlu, considérant que les voix du HDP et de la gauche lui étaient acquises, est entré à la vitesse de l’éclair dans une course à droite et au nationalisme afin de pouvoir obtenir le soutien de Sinan Oğan qui était au premier le candidat tour néonazi du Parti de la victoire et a pour ainsi dire déclaré un duel à Erdoğan sur les sorties populistes d’extrême droite. Le second tour se fait sous une forme de concours de réaction et de dérive vers la droite.

Notre analyse ne se contentera pas d’analyses électorales. Nous visons à fournir une perspective marxiste englobante sur le processus que nous vivons pour établir le programme d’action qui définira les tâches concrètes des communistes internationalistes révolutionnaires et à faire parvenir ce programme aux premiers concernés, à savoir les éléments les plus combattifs de la classe ouvrière et de l’opposition sociale afin de parcourir ensemble le chemin de la construction du parti ouvrier internationaliste révolutionnaire.

Perspectives générales

1 – La question de mettre fin au régime d’Erdoğan sera résolue soit par la mobilisation des travailleurs qui se dresseront contre le gouvernement comme un pôle opposé, soit elle ne le sera pas. La raison en est la suivante : comme résultat de la crise structurelle du capitalisme mondial, la démocratie bourgeoise est suspendue à l’échelle mondiale, les États glissent rapidement vers l’autoritarisme, prennent des mesures extraordinaires afin d’empêcher une éventuelle montée révolutionnaire et conçoivent ainsi leurs appareils. Le capitalisme mondial ne se contente pas de renforcer ses appareils répressifs à l’échelle mondiale, pour fortifier sa capacité à créer de l’approbation sociale il mobilise en parallèle tous ses moyens afin de renforcer toutes les idéologies réactionnaires comme le racisme, le chauvinisme, la xénophobie, le fanatisme religieux, le patriarcat et l’homophobie. Le fait que les pouvoirs populistes d’extrême droite comportant des aspects bonapartistes poussent comme des champignons aux quatre coins du monde est précisément le résultat de ce climat. Et Erdoğan aussi est le produit organique ce climat-là. Durant cette période où le capitalisme fait face à une crise structurelle, où il est en décadence, où la démocratie bourgeoise est suspendue, la période de la possibilité de renvoyer avec des élections ceux qui sont arrivés au pouvoir par des élections est révolue. Même le renvoi par les élections des dictatures et des pouvoirs populistes d’extrême droite n’est rendu possible en mettant une urne devant les masses que pour maintenir dans le cadre de l’ordre établi la lutte militante des travailleurs qui ne rentre pas dans ce cadre. La fin d’une dictature au moyen des élections n’est rien d’autre qu’un rêve rose libéral moisi. Sur ce point, la fin du régime d’Erdoğan est une question de révolution. Car chaque problème qu’apporte la crise que traverse le régime se noue dans une constitution démocratique. La bourgeoisie turque n’est pas en mesure de créer une nouvelle constitution. Ce qu’il peut faire de plus avancé n’est autre qu’apporter des rustines à la Constitution du 12 septembre [qui résulte d’un coup] qui est déjà transformé en un sac bardé de rustines et de la présenter comme une constitution démocratique.

La bourgeoisie de Turquie ne peut établir une constitution démocratique pour deux raisons :

Première raison : la bourgeoisie à perdu son caractère progressiste il y a environ un siècle et demi. La question de la rédaction d’une Constitution démocratique porte en elle la question de la remise en cause des rapports de propriété bourgeoise. Là où commence la remise en question de la propriété bourgeoise et de l’État bourgeois se termine la démocratie bourgeoise et commence l’appareil de répression de la dictature bourgeoise. L’unique force en mesure mettre en place une Constitution démocratique est la classe ouvrière. Un régime démocratique ne peut être constitué que sous le pouvoir de la classe ouvrière. Et cette situation relève de la question de la révolution.

Quant à la seconde raison, la voici : la Constitution du 12 septembre ne revêt pas seulement le caractère d’une Constitution transformée en sac bardé de rustines. La Constitution du 12 septembre représente la forme concrète de tous les codes génétiques de l’État capitaliste turc. Abolir cette constitution signifie l’abolition de l’État capitaliste turc. Le ciment de l’État capitaliste turc est constitué par des massacres, des nettoyages ethniques et des génocides. Il s’agit d’une dictature bourgeoise sanglante et dure, sexiste, raciste et homophobe fondée sur le chauvinisme de la nation oppresseuse. Son idéologie fondamentale repose sur le suprémacisme turc, sa religion est l’islam sunnite, son sexe est mâle, son orientation sexuelle est l’hétérosexualité. Chaque segment de la population qui ne correspond pas à ce moule est un ennemi potentiel. La question de jeter la Constitution du 12 septembre dans les poubelles de l’histoire et de la mise en place d’une constitution démocratique revient à poser la question de la destruction de l’État bourgeois. Et seule la classe ouvrière peut accomplir cette tâche. La méthode est la révolution prolétarienne et le moyen d’y parvenir et le parti révolutionnaire.

2 – L’Alliance de la nation n’a pas la capacité de renverser Erdoğan et de faire sortir la Turquie du régime présidentiel. Car l’Alliance de la nation n’est pas l’ennemie d’Erdoğan mais son concurrent. Même si elle résulte d’une alliance de partis bourgeois qui ne se ressemblent pas, cette alliance a pris forme en fonction des intérêts bourgeois. Elle craint au moins autant que l’Alliance du peuple le fait que les travailleurs et les opprimés s’expriment et agissent de leur propre chef. L’Alliance de la nation veut bâillonner et enchaîner les travailleurs et les opprimés et désire être attendue comme un sauveur par ceux-ci. Elle ne possède pas la capacité de s’opposer aux fraudes électorales d’Erdoğan ou à son côté trouble-fête, ni au fait qu’il modifie les règles du jeu en plein milieu du match. Elle n’est qu’une pâle copie d’Erdoğan, elle n’a aucune vision autre que proposer le régime d’Erdoğan sans celui-ci. Elle n’est pas en contradiction sérieuse avec le régime présidentiel.

3 – Le régime présidentiel est apparu comme un outil politique résultant de la crise de régime du capitalisme turc et de son incapacité à gérer ses contradictions avec des moyens parlementaires et démocratiques. Pourtant, chaque problème que tente de résoudre ce capitalisme porte en lui des nouvelles crises plus ingérables encore. Le régime présidentiel n’a non seulement pas pu résoudre les problèmes structurels du capitalisme de Turquie, mais de plus il les a aggravés. L’Alliance de la nation n’a pas la capacité de résoudre cette question. L’Alliance de la nation ne vise pas à faire disparaître le système présidentiel, mais à le restaurer pour faire fonctionner l’appareil d’État avec un meilleur rendement. C’est pour cela qu’elle place au centre les questions du respect de l’État de droit et du mérite. Car l’Alliance de la nation vise à faire fonctionner un régime assis sur une coalition plus large dans le cadre des règles de droit.

En dehors de la classe ouvrière, aucune autre classe sociale n’a des contradictions irréconciliables avec le régime présidentiel. C’est pour cette raison que l’opposition bourgeoise ne peut régler radicalement ses comptes avec le régime d’Erdoğan. L’unique classe qui ne peut vivre en paix avec le système présidentiel, avec le palais est la classe ouvrière. Ceux qui chercheraient des alliés contre le régime d’Erdoğan en dehors des travailleurs et des opprimés seraient condamnés à être coincés entre le duel de nationalisme et de dérive vers la droite entre l’Alliance du peuple et sa pâle copie que constitue l’Alliance de la nation, ils seraient condamnés à commettre un suicide idéologique.

4 – Ceux qui remettent la tâche de renvoyer Erdoğan du pouvoir à l’Alliance de la nation, ceux qui se mettent en fil d’attente derrière cette alliance afin d’affaiblir Erdoğan, ceux qui mettent au point toutes leurs stratégies en visant à renforcer l’Alliance de la nation et à faire reculer Erdoğan font reculer en fait la gauche et pas celui-ci.

Car cette approche porte en elle l’absence de parole à porter et d’action à mener. Elle empêche les travailleurs et les opprimés de devenir les acteurs de l’opposition sociale et de la lutte, pour les transformer en électeurs fidèles de l’Alliance de la nation. Là où les travailleurs, les opprimés, l’opposition sociale et la gauche restent sans parole à porter et sans action à mener débute la surenchère de nationalisme et de dérive vers la droite. Des mines sont placées sous la lutte indépendante des travailleurs, des opprimés et de la gauche.

Cette stratégie nécessite de ressusciter le parlementarisme mort et mis au rebut et de devenir un fidèle soutien de l’Alliance de la nation à qui cette tâche sera confiée. Le résultat inévitable de cette situation est celle-ci : le fait d’être sans utopie, c’est-à-dire sans but politique et disparaitre dans une bouillie libérale.

Ceux qui ont pour Mecque le Parlement auront pour prophète Monsieur Kemal, et leur dieu sera la bourgeoisie.

5 – La construction du régime présidentiel ne démontre pas qu’Erdoğan est très puissant. Bien au contraire, il s’agit de l’expression d’un affaiblissement. De même, bien que le régime présidentiel soit le régime d’un seul homme, il est également un ensemble de coalitions qui s’élargissent sans cesse.

Jusqu’en 2015, Erdoğan pouvait facilement dépasser les 50 % sans aucune alliance, sans attendre le soutien de quiconque. Depuis les élections du 7 juin 2015, sa puissance a commencé à faiblir et son pouvoir seul de fait a disparu. Il a dépassé ce processus en démarrant la guerre colonialiste de destruction contre les Kurdes. Depuis ce jour sa dépendance envers le MHP [le parti d’action nationaliste] a augmenté, il est entré sous l’hégémonie idéologique du MHP. Il a été obligé d’ouvrir les points stratégiques de la bureaucratie et de l’État aux membres du MHP. Depuis ce jour, le gouvernement de guerre AKP-MHP se trouve au pouvoir. Erdoğan, malgré le soutien du MHP, perd du soutien populaire et il lui est impossible de revenir à ses anciens jours. Il développe des systèmes électoraux pour porter secours à son soutien populaire qui fond comme neige au soleil. Presque chaque élection a eu lieu sous un système électoral nouveau. D’abord il y a eu le système des alliances et pour remédier aux voix en baisse du MHP, le barrage électoral a été abaissé à 7 %. Malgré tout, cela n’a pas suffi à faire dépasser les 50 % à Erdoğan. Il lui a fallu s’allier avec tous les partis fascistes, islamistes et djihadistes, grands et petits et répondre à leurs revendications. Pour pouvoir rester au pouvoir, Erdoğan est obligé en permanence de le partager avec d’autres. Malgré tous les moyens de l’État dont il disposait et les fraudes électorales, il n’a pu empêcher l’obligation de la tenue d’un second tour. Son pouvoir prépare le terrain à l’aggravation de ses contradictions internes à cause des luttes des cliques formant ce pouvoir. Le régime d’Erdoğan est condamné à se noyer dans des crises politiques et économiques. L’unique force qui lui permet de maintenir debout n’est autre que l’opposition bourgeoise qui n’est que sa pâle copie dénuée de clairvoyance ainsi que l’opposition sociale qui s’aligne sur l’Alliance de la nation et qui transforme les travailleurs et les opprimés en soutiens de cette alliance. L’élément principal qui maintient Erdoğan au pouvoir est la crise de direction révolutionnaire des travailleurs et des opprimés. Tant que cette crise ne sera pas dépassée, le régime d’Erdoğan qui s’est transformé en cadavre en putréfaction continuera de changer la vie des travailleurs et des opprimés en enfer.

6 – La crise économique, la cherté de la vie, l’inflation, la répression étatique ou le séisme seul ne peut causer la mise en mouvement des masses et provoquer leur orientation à gauche.

Les idées des classes dominantes sont les idées de toute la société. Cet état n’est modifié que lors des situations révolutionnaires, lors des grandes montées révolutionnaires. Depuis longtemps, l’opposition bourgeoise criminalise au moins autant que le pouvoir le fait de mener des actions ou de descendre dans la rue. Le pouvoir amalgame ces actions avec le terrorisme, quant à l’opposition, elle les présente comme des éléments qui serviront le pouvoir et prêche aux travailleurs et aux opprimés d’attendre les élections.

Les mouvements de gauche qui se sont alignés sur l’Alliance de la nation participe à cette chorale soit directement, soit indirectement. Il est inévitable que les idées de droite et réactionnaires se répandent tel un cauchemar sur la société lorsque les travailleurs et les opprimés ne s’expriment pas indépendamment et ne mènent pas leurs propres actions. Dans ces conditions, tout le mécontentement prépare le terrain pour s’opposer à un pouvoir de droite avec des arguments de droite, pour que la réaction au pouvoir se développe sur cet axe. Particulièrement dans ces conditions, l’idéologie d’extrême droite, réactionnaire et fasciste trouve la possibilité d’étendre son influence comme jamais. C’est la raison pour laquelle le parti de la victoire néonazi qui recueille 1,5 % des voix a pu avoir un rôle clé lors du second tour.

7 – Le titre du programme politique de l’opposition qui se situe dans l’ordre établi est « le régime parlementaire renforcé ». L’opposition qui se situe dans le cadre de l’ordre établi a en permanence affirmé que cela devait être mis en place par des voies parlementaires, que rien d’autre n’était nécessaire et que toute autre action pouvait nuire à ce but sacré. Si nous devons prendre le problème à l’envers, nous pouvons demander s’il était possible de rétablir un régime parlementaire renforcé par des voies parlementaires, pourquoi il n’a pas été possible de le protéger par ces mêmes voies.

La raison est très simple, les avantages que le régime présidentiel apportait à la bourgeoisie et le fait que la bourgeoisie s’était mise d’accord sur ce système. Mais comme ce système n’a pas été établi sur des bases solides, il a besoin d’une restauration et d’une restructuration. C’est parce que la bourgeoisie a besoin d’un système présidentiel qui fonctionne correctement que l’Alliance de la nation a fait sa proposition et qu’elle a orienté toute la société en ce sens. Le « régime parlementaire renforcé » de cette alliance n’est rien d’autre qu’un régime d’Erdoğan sans Erdoğan qui fonctionne bien et qui dispose de mécanismes institutionnalisés. C’est à cela que se limite l’horizon de la démocratie bourgeoise.

8 – Le programme de lutte de l’Alliance de la nation pour la démocratie et contre le régime présidentiel est connu de tous. Les résultats des stratégies du front de la démocratie qui a été créé en plaçant les travailleurs et les opprimés comme soutiens de l’Alliance de la nation, du front uni, de faire reculer le « fascisme » en se pinçant le nez apparaissent au grand jour. Il s’agit de coincer les travailleurs et les opprimés dans le piège de deux blocs de droite.

Le programme, les moyens et les méthodes de lutte pour la démocratie de chaque classe sont différents. La méthode de la classe ouvrière est la lutte des classes. Sa conception de la démocratie repose sur un pouvoir qui s’élève sur les organes d’autogestion comme les shoras, les conseils, les soviets. La classe ouvrière mène cette lutte avec ses organisations (parti, comités, conseils, syndicats, etc.), pas en s’alliant avec la bourgeoisie. Elle ne livre pas la lutte pour protéger et développer la démocratie en prêtant serment de fidélité aux moyens de la démocratie bourgeoise.

La classe ouvrière ne peut défendre la démocratie qu’avec un programme d’action qui visera à établir la démocratie prolétarienne en renversant la démocratie bourgeoise ainsi que tous les appareils de la bourgeoisie et en abolissant les privilèges ainsi que les relations de domination.

9 – Le système présidentiel est la forme concrète dans le contexte turc du capitalisme mondial qui a échoué, qui se noie dans des crises structurelles, qui passe la seconde dans le protectionnisme et qui est entré dans le processus de destruction rapide de la démocratie bourgeoise. Tout projet politique, toute organisation qui mènerait une activité politique dans le camp des travailleurs et des opprimés mais dont les propositions de solution et le programme politique ne dépasseraient pas les limites de l’État bourgeois et de son monde avec des frontières est condamné à échouer dès le départ.

La lutte de la classe ouvrière, son programme, son parti et toutes ses organisations seront soit internationalistes, soit une caricature.

10 – Aujourd’hui, l’une des clefs de voute de la lutte contre le régime d’Erdoğan et le capitalisme repose sur la lutte politique incessante contre les courants réformistes, opportunistes et sectaires qui se trouvent au sein du mouvement ouvrier. De nos jours, il existe un opportunisme très répandu et influent dans la gauche turque. Particulièrement avec les élections présidentielles de 2023, il est apparu au grand jour. Son penchant pour s’adapter entièrement aux buts et aux méthodes de l’opposition du système et pour devenir le soutien volontaire le plus fervent de cette opposition a atteint le nirvana. Cette situation paralyse le mouvement ouvrier et le mouvement socialiste.

L’autre approche consiste à répéter les affirmations marxistes justes au sujet de la démocratie bourgeoise, les élections, etc. sans mettre en avant un programme d’action concret et, en dernière analyse, en théorisant le pacifisme comme le font les courants sectaires ayant des réflexes communistes de gauche. Ces courants, même s’ils possèdent des poussées de gauche face aux fusions avec les libéraux et au liquidationnisme réformiste, ne dépassent pas le verbalisme de gauche parce qu’ils évitent de mettre en avant un programme d’action concret et produisent un effet similaire au sein du mouvement socialiste et de la classe ouvrière aux courants liquidationnistes. Un règlement de comptes avec ces courants pour les démasquer est une tâche inévitable sur la voie de la construction du parti révolutionnaire.

Les gagnants et les perdants du premier tour des élections

11 – Nous entendons presque tous les jours depuis deux ans les discours du type « Ces élections sont les plus importantes de notre vie, peut-être qu’elles seront les dernières élections démocratiques, l’avenir de nos enfants dépend d’elles, afin de pouvoir respirer tous les segments de la population qui sont contre Erdoğan doivent se rassembler autour d’un candidat unique, le fait de savoir avec quel pouvoir nous entameront le centenaire de la République déterminera le futur de la Turquie ». Durant cette période, chaque discours, chaque message qui débutait par « Ces élections sont très importantes » s’est trouvé concrétisé en une propagande du parlementarisme radical. La propagande selon laquelle toute action, tout discours qui serait mené sans attendre les méthodes parlementaires et les élections ferait l’affaire d’Erdoğan a été répétée depuis deux ans comme s’il s’agissait d’une prière à réciter cinq fois par jour. La prière de parlementarisme de l’opposition se situant dans le cadre de l’ordre établi a été tellement efficace que même les éléments qui avaient pour but de renverser l’ordre se sont transformés en muezzins qui récitaient cette prière cinq fois par jour. Le principal gagnant de ces élections a été le parlementarisme. Tout le processus électoral s’est métamorphosé en une cérémonie religieuse de prestation de serment de masse envers les institutions de la bourgeoisie et envers la sacralité de l’État bourgeois. Cette cérémonie comprenait un éventail allant des islamistes, des libéraux, de toutes les nuances de la droite conservatrice, des kémalistes, des nationalistes sécularisés, des fascistes, des néonazis, des sociaux-démocrates, à toutes les nuances de l’écrasante majorité de la gauche socialiste en passant par le mouvement politique kurde. Ceux qui ont gagné ces élections ont été le liquidationnisme et les libéraux.

12 – Pour déterminer les gagnants et les perdants du premier tour, les seules données mathématiques des résultats électoraux sont insuffisantes. Certains, bien qu’ils aient augmenté leur nombre de votes, ont été classés parmi les perdants. D’autres, à l’inverse, ont été classés parmi les victorieux bien que le nombre de votes qu’ils ont reçu ait baissé. D’autres encore ont gagné un nombre de députés significatifs grâce aux alliances alors qu’ils n’auraient même pas obtenu 1 à 2 % des voix. D’autres, même s’ils n’ont pas pu dépasser le barrage électoral, s’ils n’ont pas pu entrer au Parlement et si leurs voix n’ont pas dépassé les 1,5 % ont été classés parmi les gagnants en remportant la clef du second tour. La raison de ce chaos est non seulement le système électoral monstrueux mis en place par Erdoğan mais aussi la stratégie électorale suivie par le CHP [parti kémaliste], le Parti de la gauche verte [prokurde] et le TİP [« parti ouvrier turc »].


13 – Le premier tour de l’élection présidentielle s’est terminé avec les résultats suivants :

Erdoğan 49,36 %
Kılıçdaroğlu 44,99 %
Sinan Oğan 5,21 %

Selon cette arithmétique électorale, Erdoğan aurait dû perdre, car il a dû organiser un second tour et Kılıçdaroğlu aurait dû gagner en ne perdant pas dès le premier tour pour la première fois, et Sinan Oğan aurait dû disparaître en raison d’un score insignifiant. Cependant, le processus électoral a fonctionné de manière tout à fait opposée. Durant l’élection présidentielle de 2018, la stratégie principale de tous les candidats opposés à Erdoğan était de forcer l’organisation d’un second tour et de faire connaître une défaite cinglante lors de ce second tour à Erdoğan. Ce dernier n’avait aucun plan quant à un second tour. Durant ces élections, l’un des slogans de la campagne de Kılıçdaroğlu était « terminons ces élections dès le premier tour ». Kılıçdaroğlu avait fait le plein des voix qu’il pouvait obtenir au premier tour. Mais ce taux n’a pas pu empêcher l’organisation d’un second tour. Ce processus l’a placé dans une équation très difficile. Cette équation était la suivante : il fallait à la fois qu’il diffuse l’espoir d’une victoire possible au second tour, qu’il conserve les voix qu’il avait obtenu des électeurs du HDP et qu’il gagne les voix des électeurs d’extrême droite. Kılıçdaroğlu s’est retrouvé dans un piège duquel il était difficile de s’échapper. La situation était plus facile pour Erdoğan. Il lui suffisait de conserver ses voix, de les augmenter d’un point de pourcentage et de recueillir une petite partie des voix des électeurs d’extrême droite qui n’avaient pas voté pour lui au premier tour. L’obligation d’organiser un second tour présentait l’avantage suivant pour Erdoğan : l’effacement en partie de l’image de dictateur autoritaire qui s’était formé dans l’opinion internationale et la possibilité de se présenter comme un dirigeant l’ayant emporté à nouveau démocratiquement dans des élections dont le résultat n’était pas joué d’avance.

Sinan Oğan qui a été éliminé au premier tour avec 5,21 % des voix s’est trouvé dans une position qui lui permettait de déterminer le résultat du second tour. Il suffisait qu’il consolide la moitié de son électorat en faveur du candidat qu’il allait soutenir au second tour pour résoudre l’équation des élections. Il a annoncé qu’il ne ferait pas de chèque en blanc et qu’il préférerait celui qui lui attribuerait des postes de ministres, etc. D’abord Kılıçdaroğlu puis Erdoğan ont longuement marchandé avec lui. Sinan Oğan a finalement préféré Erdoğan. Kılıçdaroğlu a abordé le second tour avec un discours populiste de droite et nationaliste dur afin de gagner les électeurs de Sinan Oğan. Le second tour qui s’est déroulé comme un duel de dérive vers la droite a renforcé Erdoğan. Dans cette situation, Erdoğan qui a vu ses voix se réduire et Sinan Oğan qui a obtenu le moins de voix parmi les candidats se sont retrouvés vainqueurs. Quant à Kılıçdaroğlu qui a augmenté ses voix s’est retrouvé dans le camp des perdants.


14 – Le résultat des élections législatives présente un tableau désespéré :

L’Alliance du peuple 321 députés
L’Alliance de la nation 213 députés
L’Alliance du travail et des libertés [le Parti de la gauche verte plus le Parti ouvrier turc] 66 députés

Nous faisons face au Parlement le plus à droite et le plus réactionnaire de l’histoire de la Turquie. Une alliance d’extrême droite allant de l’HÜDA-PAR qui est l’aile légale de l’organisation terroriste djihadiste Hizbullah qui promettait de trouver des maîtres aux femmes, au MHP fasciste en passant par le parti islamiste Yeniden Refah qui défend une terre plate a obtenu la majorité.

Les voix de l’AKP ont reculé jusqu’aux taux de 2002, lorsqu’il avait participé pour la première fois aux élections (34,28 %). Cependant, les voix qui se sont détachées de l’AKP sont allées vers les partis islamistes, fascistes, djihadistes qui faisaient partie de l’alliance du peuple. Au fur et à mesure que la coalition de droite que l’AKP a formé s’élargissait, au fur et à mesure qu’il consolidait la base de la droite à son profit, il a pu obtenir la majorité au Parlement bien que ses voix aient diminué. Cette situation augmente la dépendance de l’AKP aux autres partis de la droite et l’oblige à partager son pouvoir avec des segments de plus en plus larges.

Le CHP a augmenté ses voix de 2,3 millions mais cette augmentation ne s’est pas reflétée sur le nombre de députés que le parti a obtenu. Il a distribué 35 sièges de député à d’anciens transfuges de l’AKP qui ont présenté leurs propres listes, qui n’ont pas mené de travail sur le terrain et dont les voix ne dépassaient pas 1 à 2 % : le parti Deva (Remède) 15 députés, le parti Gelecek (Avenir) 10, et le parti Saadet (Félicité) 9.

Cette situation dont même les cheiks de sectes religieuses se moquent provoque de sérieuses réactions dans la base du CHP. Ce parti se trouve dans une situation tragicomique unique en son genre, tandis que ses voix augmentent, son nombre de sièges baisse à l’Assemblée.

Le parti qui a gagné tout en faisant perdre à son alliance et à son candidat à la présidence a été le bon parti (İYİ Parti). Meral Akşener et son bon parti qui étaient contre depuis le début la candidature de Kılıçdaroğlu et qui ont quitté la table des 6 avant d’y revenir n’ont même pas fourni l’effort de consolider leur propre base afin qu’elle vote pour Kılıçdaroğlu, ils se sont concentrés uniquement sur les élections législatives. Le parti de la gauche verte, le TİP et l’alliance de force commune socialiste qui ne faisaient pas partie de l’alliance de la nation ont, durant la campagne électorale, ont mis en avant le slogan « une voix pour Kemal Kılıçdaroğlu, une voix pour nous ». Le bon parti n’a jamais mené un tel travail. Ce parti qui est entré dans le Parlement avec l’Alliance de la nation a commencé à murmurer la chanson « nous avions bien dit que Kılıçdaroğlu ne peut gagner » avec la perte à l’élection présidentielle. Dans les jours qui viennent, il chantera cette chanson avec une voix plus forte et commencera ses activités pour dissoudre l’alliance et la quitter. Car l’Alliance de la nation est un rassemblement d’éléments qui ne se ressemblent pas. Le fait qu’ils se soient réunis dépend davantage des intérêts bourgeois et de désirs politiques que de principes communs. Sa nature même fait que leur réunion repose sur la concurrence bourgeoise. La dissolution de l’Alliance de la nation, qu’elle perde en force est inévitable. Dans cette équation, même si le Bon parti se range parmi les gagnants, il est celui qui a fait perdre à son alliance t à son candidat à la présidence.

Celui qui a le plus perdu de forces durant ces élections a été l’Alliance du travail et des libertés. Le HDP qui disposait d’un taux de vote de 12 % a reculé à environ 8 %. Ce parti qui avait 80 députés est descendu à 62. De même, le TİP qui avait pris part aux précédentes élections sur les listes du HDP et qui avait remporté 4 députés a présenté ses propres listes à ces élections avec le but de 3 % des voix et 20 députés. Bien qu’il s’en défende, le résultat est une amère déception. Le TİP a obtenu 1,5 des voix et a pu faire entrer 4 députés au Parlement.

L’élément principal qui a provoqué la grande déroute de l’Alliance du travail et des libertés n’est ni la baisse des voix ni le nombre de députés en baisse à l’Assemblée. Sa plus grande déroute est constituée par la stratégie électorale qu’elle a suivie lors de l’élection présidentielle. Les résultats de cette politique sont les suivants :

Au lieu de participer aux élections en tant que pôle différent avec son propre candidat indépendant et ses propres revendications, la tactique de battre Erdoğan en soutenant le candidat de l’Alliance de la nation a connu une défaite historique. Cette tactique dont il était affirmé qu’elle ferait gagner a condamné les travailleurs et les opprimés à ne pas pouvoir exprimer leurs revendications et à ne pas pouvoir mener leurs actions. L’idée de lutte légitime de fait a été noyée, l’opposition sociale a été transformée en électrice fidèle de l’Alliance de la nation. Partout, des voix ont été perdues. Les conditions objectives pour que les élections se déroulent sous forme de duel de dérive droitière ont été fournies. L’insistance du TİP de participer aux élections sous une liste différente a de facto dissous l’Alliance du travail et des libertés. Ce qui a permis de forcer la tenue d’un second tour, lors de ce second tour là où Kılıçdaroğlu a obtenu les différences les plus grandes face à Erdoğan malgré son accord avec le parti fasciste de la victoire a été les villes du Kurdistan. Cette situation a montré la chose suivante à l’AKP : « il est possible de remporter les élections sans le soutien des Kurdes, donc il n’est pas nécessaire de créer des politiques spéciales pour obtenir leur soutien. Je peux continuer la guerre coloniale de destruction à pleine vitesse. Je peux déclarer terroriste chaque personne qui s’opposerait à cela et la punir. Et le CHP ne peut élever la voix contre cela. Ainsi, il n’obtiendra pas de soutien sans condition des Kurdes une nouvelle fois. »

Pour résumer, les calculs libéraux pour battre l’Alliance du peuple qui consistaient à mettre les travailleurs à la remorque de l’opposition qui se situe dans le cadre de l’ordre établi ont non seulement échoué, mais de plus ont renforcé les chaînes de la servitude des travailleurs, des opprimés, des femmes, des LGBTIQ+ et des Kurdes.

Les résultats du second tour de l’élection présidentielle et les possibilités

15 – Le second tour du second tour de la présidentielle qui s’est tenu le 28 mai s’est conclu de la façon suivante :

Erdoğan 52,14 %
Kılıçdaroğlu 47,86 %

Erdoğan l’a emporté avec une différence d’environ 2,3 millions de voix. Erdoğan a augmenté ses voix de 600 mille par rapport au premier tour, Kılıçdaroğlu de 830 mille. Les deux candidats qui avaient participé au premier tour, à savoir Sinan Oğan et Muharrem İnce avaient obtenu respectivement 2,8 millions et 235 mille voix. La participation au second tour a connu une baisse, même faible. Tandis qu’Erdoğan a terminé en tête dans 52 départements, Kılıçdaroğlu est arrivé en tête dans 29 départements. Ce dernier a obtenu la plus grande partie des voix au second comme au premier tour dans le Kurdistan.

Erdoğan a remporté la victoire à la fois dans l’Assemblée et lors de l’élection présidentielle malgré la crise économique la plus profonde de l’histoire de la Turquie, la destruction du tremblement de terre, la crise du régime devenu inopérant, malgré l’impasse sur le plan intérieur et extérieur. Il est question plus d’une défaite historique de l’opposition que d’une victoire d’Erdoğan. Ce dernier n’a plus la force de remporter des élections ou de perpétuer son pouvoir. Mais l’opposition bourgeoise qui n’est qu’une pâle copie d’Erdoğan n’a pas la capacité ni la force de le renvoyer. Sans aucun doute, le processus électoral s’est déroulé, du début à la fin, dans un climat répressif. Erdoğan a pris part aux élections d’une manière opposée à la constitution qu’il avait pourtant rédigée. Il a lancé des procès contre Ekrem İmamoğlu qui a subi une interdiction politique alors que son nom apparaissait parmi les candidats potentiels de l’Alliance de la nation. Le HDP a subi en permanence la répression de l’État et se trouve sous la menace d’une interdiction. Le Haut conseil électoral a commis de nombreux impairs aux lois électorales. Durant le processus électoral, les forces répressives ont été mobilisées pour empêcher les travaux de l’opposition. Malgré tout cela, Erdoğan n’a pas pu gagner au premier tour et l’a emporté au second tour avec une différence très faible. Ce climat répressif durant les élections n’excuse pas l’échec de l’opposition. Car l’opposition bourgeoise ne s’est pas opposée aux attitudes fantaisistes de trouble-fête d’Erdoğan et a légitimé toutes ces irrégularités en les acceptant dès le départ.

Depuis la défaite électorale du 7 juin 2015, toutes les élections auxquelles Erdoğan a pris part se sont déroulées dans un climat répressif et ont été entachées d’irrégularités. C’est pour cela que toutes les élections qui auront lieu tant qu’Erdoğan sera au pouvoir se dérouleront dans un contexte répressif et seront sujettes aux irrégularités. Le processus électoral minimal vécu dans les démocraties bourgeoises n’aura pas lieu. L’opposition bourgeoise n’a pas la capacité d’appréhender cette réalité. C’est pour cela que l’Alliance de la nation, sous sa forme actuelle, ne peut renvoyer Erdoğan même si dix élections étaient organisées. Il lui est inévitable de perdre toutes les élections face à Erdoğan.

16 – Depuis la défaite électorale, la question de savoir si « Kemal Kılıçdaroğlu était le bon candidat, s’il était un mauvais candidat, si les élections pouvaient être gagnées en cas de candidature de Mansur Yavaş [maire CHP d’Ankara, ancien membre d’un parti nationaliste] ou d’un autre » sont âprement débattues. Les nationalistes qui avancent que Kemal Kılıçdaroğlu était le mauvais candidat et qu’il aurait été possible de gagner avec un candidat provenant d’une tradition plus à droite croient en l’idée que les Kurdes et les masses de gauche soutiendront sans condition leur candidat.

L’approche selon laquelle les Kurdes et les masses de gauche sont dans une situation désespérée face à Erdoğan est dominante. L’élément principal qui pousse les milieux nationalistes à penser ainsi n’est autre que le HDP et la gauche qui ont remis la tâche de renvoyer Erdoğan à l’Alliance de la nation et ont transformé les travailleurs et les opprimés en soutiens de cette alliance.

De même, des milieux de la gauche socialiste participent à ces débats. Il est avancé que Kılıçdaroğlu ne s’adressait pas aux travailleurs avec un discours de classe et que cela constitue la raison pour laquelle il a perdu les élections. Nous devons d’abord expliquer que l’opposition n’a pas perdu les élections pour avoir été peu nationaliste ou de s’être remis trop tard à ce nationalisme, ni parce qu’elle n’a pas mis l’accent sur le caractère de classe, ni parce qu’elle a choisi le mauvais candidat.

Elle a perdu, car elle est la représentante politique de la bourgeoisie, qu’elle est une opposition qui ne sort pas du cadre de l’ordre établi, qu’elle ne pouvait être autre chose qu’une pâle copie d’Erdoğan. Ce dernier a remporté les élections, car il nous manque une direction révolutionnaire capable de rendre instable la base sociale du pouvoir, de s’adresser aux travailleurs et aux opprimés qui sont à la base du pouvoir, capable de refuser de lutter sur le tapis mis en place par Erdoğan et d’utiliser les élections comme un levier pour la mobilisation des travailleurs. Discuter de savoir qui était le bon candidat, qui était le mauvais, quelle pouvait être la bonne stratégie électorale, quelle était la mauvaise en refusant de voir cette réalité revient à cacher que l’opposition bourgeoise n’a pas la capacité de renvoyer Erdoğan.

17 – En rassemblant avant les élections les foyers fascistes, islamistes, djihadistes petits et grands au sein de l’Alliance du peuple ; en élargissant sa coalition Erdoğan a rassemblé la coalition des masses de droite sous son contrôle. Ainsi, il a créé les conditions objectives pour qu’un climat de droite raciste, nationaliste, sexiste, identitaire se pérennise. Il va tenter de dissimuler toute la crise dans laquelle se trouve son régime, les destructions causées par la crise économique avec ce climat de droite, nationaliste et réactionnaire. Il va également essayer de créer une légitimité sociale à toutes ses politiques répressives, autoritaires et guerrières. L’Alliance du peuple poursuit son chemin en s’élargissant, en s’unifiant autour d’une idéologie commune, en créant un gouvernement guerrier dynamique et vivant. Les alliances à l’exception de l’Alliance du peuple se sont dissoutes, chacun allant à son chemin.

Dans l’Alliance de la nation, les députés (des partis Deva, Saadet, Gelecek et Demokrat) qui sont entrés au Parlement dans les listes CHP sont en train de démissionner de ce parti pour rejoindre le leur.

Les partis Deva, Gelecek et Demokrat ont commencé les rencontres et les négociations pour former un groupe à l’Assemblée. Le bon parti, quant à lui, déclare ouvertement que l’Alliance de la nation était une alliance électorale et puisque les élections sont terminées, cette alliance n’a plus lieu d’être.

Les composants de l’Alliance de la nation n’ont même pas l’envie d’agir ensemble au Parlement.

Durant la nouvelle mandature, les composantes de l’Alliance de la nation à l’exception du CHP rempliront la fonction d’une opposition modérée de droite, en paix avec Erdoğan et se tenant à distance du CHP.

De même, l’Alliance du travail et des libertés est dissoute de fait. La présentation par le TİP durant le processus électoral de ses propres listes a provoqué au sein de cette alliance des discussions enflammées qui ont nui à l’esprit de l’alliance. Le fait que le parti de la gauche verte ait obtenu sensiblement moins de voix et de députés que le HDP lors des précédentes élections, que tous les paris du TİP avancés avant les élections se soient révélés perdants ont ouvert la voie à la séparation entre le TİP et le HDP tout en rendant difficile une réunion ultérieure dans une alliance commune.

En commençant le bilan comptable de la défaite électorale Le HDP et le Parti de la gauche verte démarrent la préparation du congrès où tout le programme, la stratégie et les tactiques du mouvement kurde seront remis en cause. L’alliance ATA qui n’a pu entrer au Parlement dont le Parti de la victoire néonazi tirait la tête s’est dissous avant même le second tour. L’autre alliance qui n’a pu entrer à l’Assemblée, à savoir l’union des forces socialistes, jusqu’à aujourd’hui, n’a pu organiser une unité d’action, ni n’a pu devenir une plateforme avec une volonté politique des composants pour des actions et des discours communs. Il s’agissait seulement d’une alliance électorale des sociaux-chauvins qui étaient allergiques à apparaître proche de l’alliance dans laquelle se trouvait le mouvement politique kurde. Avec la fin des élections, les conditions qui créaient cette alliance ont aussi pris fin. Toutes les alliances en dehors de l’Alliance du peuple se sont dissoutes ou sont devenus inopérantes. Tandis qu’Erdoğan poursuit son chemin avec une organisation, l’opposition se situant dans le cadre de l’ordre établi et celle qui prétend être en dehors de ce cadre sont sans organisation, désordonnées et fragmentées.

18 – Bien que l’opposition soit éclatée et fragmentée, le front des travailleurs et des opprimés est sans organisation et une direction révolutionnaire lui fait défaut. Le front d’Erdoğan, quant à lui, a consolidé les foyers fascistes islamistes et djihadistes en les ajoutant à ses rangs et a conçu tous les détails de l’État en fonction de son parti-État, mais cela n’empêchera pas la crise économique et sociale dans laquelle se trouve le régime de s’approfondir. Le mécanisme d’État devenu inopérant entrera dans une décomposition sans retour en arrière possible. La large alliance qu’Erdoğan a constituée porte en elle la lutte potentielle des cliques qui la forment. Son régime cherchera durant la nouvelle période à créer une légitimité pour son pouvoir avec des discours d’ultradroite et ne sera pas différent d’un animal blessé attaquant en permanence les travailleurs et les opprimés avec la terreur d’État mise à nue. Et cette situation préparera le terrain pour favoriser les luttes militantes qui ne rentreront pas dans le cadre de l’ordre établi.

19 – Erdoğan n’a pas gagné avec une différence écrasante. Les résultats de ces élections montrent de façon claire la chose suivante : au moins la moitié de la population est opposée à Erdoğan.

  1. Ce dernier ne renoncera pas à ses politiques de polarisation. Il fera en sorte que ces masses demeurent en permanence dans un processus de polarisation. Si nous prenons en considération les villes où Erdoğan n’est pas arrivé premier, là où il a perdu avec une marge écrasante, nous verrons qu’il s’agit de villes industrielles et touristiques où se concentre la classe ouvrière et de villes du Kurdistan.
  2. Parmi la classe ouvrière et le peuple kurde, une opposition à Erdoğan s’est enracinée. Mais comme ces élections se sont déroulées sous forme de duel de dérive droitière et de nationalisme et que l’opposition à Erdoğan s’est constituée sur le terrain le plus à droite possible, elle est fragile et présente un penchant à changer de front ou à glisser vers la neutralité. Le niveau de conscience des masses opposées à Erdoğan est assez trouble. Porter ce niveau de conscience à un niveau juste pour le mettre en mouvement ne sera possible qu’avec un parti révolutionnaire enraciné dans la classe ouvrière.

20 – À toutes les masses qui en avaient assez depuis longtemps d’Erdoğan ont été vendues des rêves d’élections et de Parlement. Il a été prêché que mener des actions ou descendre dans la rue servirait le pouvoir, et il a été demandé à tous de se focaliser sur les élections de 2023. Il a été expliqué qu’Erdoğan serait chassé à coup sûr, qu’il ne serait même pas nécessaire d’organiser un second tour. Tout ce tableau parlementariste rose est à présent complètement détruit. Nous entrons dans un climat où le nihilisme social atteint des sommets, où les chansons « on ne peut rien faire de ce pays ni de ce peuple » sont répétés 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 exprimant le désespoir et la déception des masses laborieuses dans cette situation. Ce climat ne sera pas inversé à court terme, car les masses travailleuses ne disposent pas du parti révolutionnaire qui jouerait un rôle dirigeant durant ce processus et de leurs propres organisations. D’un autre côté, il est impossible que ce climat de nihilisme devienne permanent. Parce que toutes les contradictions du régime d’Erdoğan et la destruction sociale qu’il crée continueront de plus belle. Ce processus maintiendra vivant la volonté et le désir des masses laborieuses de se libérer d’Erdoğan. Dans une situation où les rêves de se libérer d’Erdoğan par des moyens parlementaires tomberaient à l’eau, l’actualité des alternatives radicales entre en jeu. Et c’est précisément là que commencent les tâches des communistes révolutionnaires internationalistes. La proposition qui dit « ils partiront non pas avec des élections mais avec la révolution » se trouve concrètement démontrée. La tâche des révolutionnaires communistes internationalistes pendant ce processus est d’apparaître devant les travailleurs et les opprimés avec un programme d’action concret et de lier ce programme d’action à la construction du parti révolutionnaire.

Ce qui attend les travailleurs et les opprimés

21 – L’avertissement d’Erdoğan

Pour savoir ce qui attend les travailleurs et les opprimés à la suite des élections présidentielles de 2023, il suffit d’examiner le discours prononcé par Erdoğan sur son balcon et aux célébrations de victoire. Erdoğan a qualifié une fois de plus l’opposition de terroriste et a déclaré qu’il mènerait une lutte implacable contre la « terreur ». Si les cadres de l’État parlent de lutte contre le terrorisme, s’ils promettent des politiques sécuritaires, cela correspondra à ce qui suit dans la vie quotidienne : l’État effectuera un travail d’intimidation et de destruction des Kurdes, des socialistes, des organisations ouvrières, féminines et LGBTIQ+. Si les cadres de l’État parlent de lutte « contre le terrorisme », il sera question de passer la seconde pour la terreur d’État menée contre les travailleurs et les opprimés. Erdoğan a affirmé lors de son discours que tant qu’il serait au pouvoir, Demirtaş [ancien co-président du HDP, parti prokurde] ne serait jamais libéré. Les masses présentes pour écouter ce discours ont crié des slogans appelant à l’exécution de Demirtaş. Les célébrations de victoire se sont déroulées dans ce climat-là. Les feux d’artifice, les tirs d’armes à feu en l’air, des attaques contre la population dans les quartiers hostiles à Erdoğan ont eu lieu. Juste après l’annonce de la victoire d’Erdoğan, des opérations de police se sont déroulées dans les villes du Kurdistan où Kılıçdaroğlu avait fait le plein des voix. Le discours d’Erdoğan et les évènements du soir du 28 mai ont annoncé que les attaques du régime d’Erdoğan contre les travailleurs et les opprimés vont se durcir encore davantage. La crise de régime dans laquelle se trouve Erdoğan continuera en s’approfondissant.

22 – Ce qui attend le prolétariat sur le plan économique

Les premiers jours de la nouvelle période ouverte avec la victoire d’Erdoğan se sont déroulés comme des avertissements qui montraient que de grandes détériorations auront lieu dans la vie de la classe ouvrière. Rapidement, tout a connu une augmentation de prix. Les devises étrangères ont battu de nouveaux records.

Les effets de la crise structurelle et de la dépression économique que le capitalisme traverse à l’échelle mondiale se font aussi sentir avec violence en Turquie. L’économie de Turquie se trouve un terrain fragile comme jamais. Afin de garder sous contrôle ce terrain fragile, le pouvoir continuera ses politiques économiques qui causeront de grands reculs dans la vie des travailleurs. Les résultats de ces politiques seront le chômage, la flexibilité, la précarité, l’absence de règles, la pauvreté, la misère, la faim et l’absence d’avenir1.

Il essayera de réprimer et d’étouffer chaque objection, résistance, action ou grève de la classe ouvrière. Les syndicats qui se sont transformés en appareils secondaires du capital et de l’État n’ont d’autre fonction que de contrôler la classe ouvrière. Cela fait longtemps que les syndicats ne sont plus un outil d’autodéfense pour la classe ouvrière face aux attaques du capital. Les organisations socialistes qui avançaient qu’elles étaient le parti de la classe ouvrière, qu’elles menaient la politique révolutionnaire de la classe ont adopté une attitude qui consistait à faire de la classe ouvrière un soutien de l’Alliance de la nation. Suite à la victoire d’Erdoğan, elles ont commencé à parler d’une politique indépendante de classe, du front du travail. Non seulement ceux qui se sont embourbés dans les sables mouvants de la collaboration de classe et de la fusion libérale ne pourront bâtir le front indépendant de la classe ouvrière, mais ils se dresseront comme obstacle devant ce dernier. Pour que la classe ouvrière puisse repousser les attaques du régime d’Erdoğan et qu’elle puisse se dresser comme un pôle différent face à lui, elle doit se libérer des directions syndicales et politiques actuelles2. Il ne s’agit pas là d’une situation qui adviendra d’elle-même. Elle sera possible avec une lutte communiste internationaliste au sein de la classe ayant pour but de constituer un parti.

23 – Ce qui attend les femmes

Sans aucun doute, celles qui payent le prix le plus élevé aux dépressions économiques, aux destructions causées par les gouvernements bourgeois qui glissent vers l’autoritarisme sont les travailleuses. Au fur et à mesure que les crises économiques, les licenciements, la flexibilité du travail se répandent, les premières touchées sont les ouvrières. En tant que résultat de cette situation, la dépendance des femmes aux hommes augmente et provoque le renforcement des chaines patriarcales. L’un des premiers points de convergence des idéologies droitières, autoritaires, de fanatisme religieux, fascistes et réactionnaires est l’hostilité aux femmes et le patriarcat. Cela est également valable pour le régime d’Erdoğan. Durant toute la campagne électorale, les valeurs sacrées de famille et de traditions ont été fétichisées et cette campagne a visé à reprendre tous les droits que les femmes ont acquis au moyen de luttes. La propagande de cette campagne a été menée avec des arguments islamistes et djihadistes. Pendant la nouvelle mandature d’Erdoğan des attaques incessantes décorées avec des motifs islamistes en direction des femmes auront lieu. Et contre ces attaques, des luttes radicales des femmes se méneront.

24 – Ce qui attend les LGBTIQ+

Pendant la campagne électorale, parmi les arguments que mettait en avant l’Alliance du peuple se trouvait l’homophobie et l’organisation de la haine systématique contre les LGBTIQ+. Elle prétendait que les LGBTIQ+ relevaient d’un projet déviant fomenté par les puissances étrangères pour saper la structure familiale turque et les jeunes générations. En déclarant qu’en cas de victoire, ils n’autoriseraient jamais cela, ils ont organisé une haine systématique. Avec la nouvelle mandature d’Erdoğan, non seulement les associations LGBTIQ+ et toutes les activités risqueront une interdiction, mais de plus la simple existence des LGBTIQ+ sera sous la menace d’une criminalisation. Pour écarter ce risque, une mobilisation militante des travailleurs et des opprimés est nécessaire.

25 – Ce qui attend les Kurdes sous la nouvelle mandature d’Erdoğan

S’il existe une chose que le régime de Tayyip a clamé sans peur avant même les élections, c’est la guerre colonialiste et assimilationniste contre les Kurdes. Ainsi, la bourgeoisie turque obtient deux choses avec à la fois les opérations extérieures et les attaques contre les Kurdes au sein des frontières de la Turquie : la première est d’augmenter la légitimité de l’État en faisant accepter aux masses la conscience commune de la bourgeoisie ; la seconde est d’exploiter de façon impérialiste les ressources naturelles et humaines dans les zones sous son contrôle de fait.

Le prolétariat kurde qui a été obligé de lutter pour son existence depuis la déclaration de la pseudo-république a voté pour Kılıçdaroğlu lors de ces élections suite aux encouragements des dirigeants politiques kurdes. Mais malgré cela, Tayyip a remporté la victoire. Dans cette situation, la formation d’une Alliance du peuple qui désormais ne ressent plus le besoin des voix kurdes est plus que probable.

Le prolétariat kurde, même s’il a soutenu électoralement l’opposition au régime d’Erdoğan, a été le groupe qui n’a pas permis aux convois de passer et aux autres célébrations fascistes de se tenir dans ses villes. Le prolétariat kurde a tellement résisté aux célébrations fascistes que la police a été souvent contrainte d’intervenir. Cette situation qui n’a pratiquement pas existé dans les zones habitées par les Turcs montre que la plus grande menace contre le régime de Tayyip est le Kurdistan lui-même.

Penser que le régime de Tayyip qui voit tout cela n’augmentera pas la terreur d’État contre les Kurdes ne serait rien d’autre qu’un rêve risible et douloureux. La faiblesse de la légitimité de l’État aux yeux des Kurdes tire fondamentalement son origine du fait qu’ils constituent une nation opprimée et le fait d’être des prolétaires précaires en raison de l’appartenance à une nation opprimée ne fait que renforcer cet sentiment. C’est pourquoi, non seulement pour le régime de Tayyip mais encore pour la légitimité de la République de Turquie, il est obligatoire que les Kurdes soient assimilés et qu’ils soient pleinement intégrés à l’idéologie officielle de l’État. Cependant, le pouvoir de s’y opposer est entre les mains du prolétariat kurde.

Cette question ne se limite pas aux Kurdes qui se trouvent au sein des frontières de la Turquie, car même l’existence des Kurdes de la diaspora pose un problème de légitimité pour la République de Turquie. La Turquie qui sait bien qu’elle ne peut assimiler les Kurdes de la diaspora a trouvé la solution en les rendant apolitiques. Et elle réalise cela au moyen des bandes fascistes qui font régner la terreur lors des activités politiques des Kurdes de la diaspora.

La situation est similaire pour les parties kurdes de la Mésopotamie qui se trouvent à l’extérieur des frontières de la Turquie. La Turquie n’a pas seulement peur des Kurdes qui se trouvent dans ses frontières, mais aussi des Kurdes qui se trouvent en dehors. Et de manière similaire à ce que nécessite une forme de vie organique, elle approche la chose dont elle a peur avec l’instinct « fuis ou bien livre combat ». Cette situation montre que le régime de Tayyip qui connait une profonde crise de régime continuera sa terreur sans pitié y compris pour le Kurdistan qui se trouve en dehors de ses frontières.

26 – Ce qui attend les immigrés

En raison du chaos politique et militaire qui a éclaté en Syrie au début des années 2010, les flux de migrants vers la Turquie ont augmenté. Alors que dans les démocraties bourgeoises de l’Ouest, cela aurait pu créer une certaine sympathie pour les migrants, en Turquie aucun courant d’opposition n’affiche de la sympathie pour eux. Au contraire, l’opposition accuse le pouvoir d’avoir des sympathies envers les migrants.

Mais l’idée selon laquelle le régime de Tayyip éprouverait de la sympathie pour les migrants n’est rien d’autre qu’une énorme illusion. Pour ce régime, les migrants signifient une main d’œuvre bon marché et une intégration facile à sa légitimité. Vu la situation, il est évident que le régime de Tayyip n’a guère de sympathie pour les migrants mais qu’il agit par intérêt pragmatique.

Cependant, l’opposition qui croit qu’elle détient des droits que n’ont pas les migrants a déjà commencé sa radicalisation fasciste. Même si elle ne se prononce pas sur les migrants slaves, elle a augmenté ses attaques racistes et fascistes contre les migrants qui ne sont pas européens. Le parti de la victoire a même déjà déclaré que les migrants seraient renvoyés de force. La possibilité d’activités militantes de ce parti et d’autres partis similaires présente un risque pour la vie des migrants.

Bien que le prolétariat kurde n’affiche pas un comportement fasciste au sujet des migrants, la situation est différente pour le prolétariat turc. Comme aux yeux de ce dernier la légitimité de l’État est forte, il est plus enclin aux idées fascistes. Pour cette raison, l’hostilité envers les migrants au sein du prolétariat turc est plus forte que celle du prolétariat kurde, à la fois en taux et en nombre.

Mais toute la menace envers les migrants ne viendra pas de l’opposition. Le fait qu’aux yeux du régime de Tayyip les migrants constituent une main d’œuvre bon marché signifie qu’ils seront plus touchés par la crise économique.

Notes de l’éditeur :

1 À chaque grande crise du capitalisme, la situation fait que le prolétariat se précarise de plus en plus. Exactement comme le dit Marx : « le prolétaire n’est pas obligé de gagner lorsque le bourgeois gagne, mais il est obligé de perdre lorsque le bourgeois perd ».

2 Pour le renversement du capitalisme d’aujourd’hui, il n’est pas suffisant d’espérer le développement des forces productives ou une crise profonde politique ou économique. Même si lors des siècles passés, de telles crises ont porté des coups profonds à la légitimité de l’État bourgeois, aujourd’hui elles ne sont pas suffisantes pour la réduire. Comme la conscience spontanée est si insuffisante au sujet de la légitimité, pour entamer la légitimité de l’État bourgeois il est encore plus important que par le passé d’être indépendant de l’opposition bourgeoise.

29 mai-12 juin 2023

EKIB/Turquie