Pérou : Castillo à la tête d’un gouvernement de collaboration de classe

TelegramWhatsappTwitter Facebook
En juin 2021, au Pérou, Pedro Castillo, un instituteur présenté par Pérou libre (PL) et soutenu par deux blocs « éco-socialistes » comprenant le PCP et le PCP-PR, est élu président après trente ans de présidents combinant répression et corruption. En Amérique latine, il n’est pas seul à mettre en place un gouvernement front populiste, mêlant organisations ouvrières avec personnalités ou partis bourgeois : en décembre 2021, au Chili, Gabriel Boric, met en place un gouvernement avec le PCCh, le PS et des partis bourgeois (FRVS, PL, PR, PPS) ; en aout 2022, en Colombie, Gustavo Petro, un ancien guérillero du M-19, forme un gouvernement associant PCC, UP, SPS, PDA à des partis bourgeois (PL, PSUN, PC, AV, CTF). Au Brésil, Lula courtise l’armée et mène campagne pour un gouvernement d’alliance du PT avec la bourgeoisie, y compris avec les soutiens d’hier de Bolsonaro.

L’élection de Castillo semble mettre fin à une succession de présidents bourgeois, souvent corrompus, parfois tentés par la dictature.

Longtemps, il a semblé qu’au Pérou les échecs de la droite ne profitaient qu’à la droite. Personne ne s’attendait donc à ce que la crise économique, politique et sanitaire actuelle se traduise par l’arrivée d’un homme de gauche au sommet de l’État. (Le Monde diplomatique, septembre 2021)

1992 : le coup d’État de Fujimori

En 1990, après 15 ans de guerre civile opposant le Sentier lumineux (PCP-SL, guérilla stalino-maoïste) et le Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA, guérilla stalino-castriste) à l’armée régulière, le Pérou est en ruine, l’inflation bat des records (plus de 7 000 % en 1990). C’est dans ce contexte que le parti bourgeois traditionnel APRA est discrédité et qu’Alberto Fujimori (qui fonde son propre parti C90, rebaptisé ensuite C21) accède au pouvoir.

En avril 1992, se sentant limité par les institutions héritées de la constitution de 1979 et leurs aspects parlementaires, il dissout le parlement avec l’accord d’une partie de la bourgeoisie et de l’état-major. L’armée obtient, en retour, de pouvoir agir à sa guise dans la lutte contre les groupes armés. Répression, enlèvements, tortures, assassinats, les généraux n’a plus aucun compte à rendre. Plus de cent prisonniers du SL sont liquidés sous prétexte d’une mutinerie. Dans les campagnes, des groupes paramilitaires contre-révolutionnaires sont fondés et armés. L’armée peut également passer des accords avec les narcotrafiquants pour expulser les guérilleros des zones qu’ils contrôlent. Une loi d’amnistie des crimes militaires et policiers passés est promulguée. Les médias sont mis au service du régime, en soudoyant les patrons de presse, en licenciant, menaçant et assassinant les journalistes intègres.

L’année suivante est adoptée par référendum une constitution taillée spécialement pour le président-dictateur, qui se verra réélire en 1995. La mention de « la sécurité de l’emploi » est supprimée. Les deux chambres parlementaires sont remplacées par une seule, le Congrès de la République, doté de 130 sièges pourvus pour cinq ans au scrutin proportionnel (pour les partis ayant franchi le seuil électoral de 5 % des suffrages exprimés au niveau national). Le rôle du parlement est limité par la possibilité de référendums et par l’extension des pouvoirs du président qui peut prendre des « décrets d’urgence » et dissoudre le Congrès.

Un bilan social désastreux

Les mains libres politiquement, il peut stabiliser le capitalisme péruvien en faisant payer davantage les travailleurs, 300 000 fonctionnaires sont ainsi licenciés, les entreprises publiques sont privatisées. La libéralisation du commerce et la baisse des couts salariaux attirent les investissements étrangers et augmentent la part de la production vouée à l’exportation au détriment des besoins nationaux. Le secteur minier a ainsi connu un essor au cours des années 1990, d’autant que l’État accordait aux entreprises des contrats de « stabilité tributaire » leur assurant qu’aucune hausse fiscale ne pourrait les concerner dans les 10 ou 15 années suivantes.

La Chine est le premier partenaire commercial du Pérou, elle avale chaque année la plus grande part des exportations de minerai du pays. La mine géante de cuivre de Toromocho appartient à Chinalco (Aluminium Corporation of China). En mai 2022, 4 entreprises chinoises (Cosco Shipping, China Railway, China Communications Construction Company et China Harbor Engineering Company) injectent 3 milliard de dollars pour développer le port de Chancay, la société qui exploitent le port étant déjà détenue à 60% par Cosco Shipping.

La priorité accordée aux exportations de minerais rend l’économie vulnérable aux oscillations du prix des manières premières. Le désengagement volontaire de l’État laisse un territoire dépourvu d’infrastructure scolaire, hospitalière ou routière. Les voies ferrées et routes entretenues servent essentiellement au transport des marchandises tandis que nombre de chemins essentiels à la population sont mortellement dangereux dans un pays au relief escarpé.

La réintroduction du sol comme monnaie officielle, en remplacement de l’inti fortement dévalué, lui-même lancé en 1985 en réaction à la perte de valeur de l’ancien sol, combiné à la pression d’un chômage en forte hausse, empêche les hausses de salaires qui auraient permis de maintenir le pouvoir d’achat de la classe ouvrière. En 2002, plus de la moitié des Péruviens sont considérés comme pauvres par l’Institut national de statistiques et d’informatique (INEI). Sous prétexte d’endiguer la pauvreté, des centaines de milliers de personnes sont stérilisées, principalement parmi les Quechuas et les Aymaras.

Un personnel politique corrompu

Comme dans beaucoup d’États dominés, la corruption des responsables politiques est particulièrement prononcée et c’est ce qui coute sa place à Fujimori en 2000. Un scandale impliquant Montesinos, le responsable des renseignements, l’oblige à s’exiler au Japon. Ses successeurs à la tête de l’État, Toledo (PP, 2001-2006), Garcia (APRA, 2006-2011) et Humala (PNP, 2011-2016) poursuivront les privatisations et les attaques contre les travailleurs. Garcia autorise la vente de parcelles amazoniennes à la demande de l’impérialisme américain.

En 2016, Kuczynski (PPK) emporte l’élection présidentielle face à la propre fille de Fujimori (Keiko, déjà finaliste 5 ans auparavant). Il a le soutien au second tour de la candidate du Front large. Au milieu des années 2010, éclate l’affaire Odebrecht (aujourd’hui Novonor, une entreprise de BTP brésilienne), dévoilant un vaste réseau de blanchiment d’argent et de pots-de-vin impliquant des responsables politiques sud-américains et africains et des grandes entreprises dont Pétrobras. Kuczynski, ses trois prédécesseurs et Keiko Fujimori sont accusés d’avoir perçu des millions d’euros, notamment contre l’octroi de marchés publics. En décembre 2017, Kuczynski échappe à une motion de censure du Congrès après avoir négocié le soutien des fujimoristes ; en échange, il gracie Alberto Fujimori emprisonné depuis 2007 pour meurtres et disparitions. Mais il est contraint à la démission 4 mois plus tard.

2021 : les élections générales après la pandémie

Suivront trois présidents intérimaires, Vizcarra (SE-PDSP), destitué fin 2020 officiellement pour corruption, mais la population y voit à juste titre un coup de la majorité du Congrès et de son président Merino avec une partie du patronat, Merino (UP), remplaçant Vizcarra à la tête du pays, doit démissionner cinq jours plus tard face à des manifestations massives dont la répression a fait plusieurs morts, mais également à la demande du patronat péruvien, soucieux de ne pas amplifier la crise politique que traverse le pays en pleine pandémie de Covid-19. C’est finalement Sagasti du Parti violet (PM), une nouvelle formation bourgeoise qui prétend dépasser « la gauche » et « la droite », qui dirige le pays jusqu’au scrutin de 2021. Son mandat est marqué par des tensions entre les partis bourgeois sur le sort à réserver aux responsables policiers et militaires de la répression des manifestations de 2020 et par des scandales de passe-droits vaccinaux accordés à des ministres alors que la population manquait de vaccins.

À la mi-2021, le pays est proportionnellement le plus endeuillé au monde et comptabilise 5 484 décès par million d’habitants (plus de 6 000 aujourd’hui). Alors que le secteur informel est majoritaire au sein de la population (69,5 % pour les hommes, 71,5 % pour les femmes en 2019, selon le ministère du Travail et de la promotion de l’emploi) nombreux sont les Péruviens qui se retrouvent sans ressource suite à la perte de leur emploi ou au décès du seul salarié du foyer. La pandémie a mis en exergue l’état du système de santé, les inégalités d’accès aux soins entre la ville et la campagne, se traduisant par un écart d’espérance de vie, 79 ans pour les premiers contre 61 pour les seconds. Le mécanisme de sécurité sociale, Essalud, ne concerne que les travailleurs sous contrat et le Seguro integral de salud (SIS) couvrant tout ou partie des frais de santé des plus pauvres est inutile quand l’hôpital est absent du territoire.

La pandémie affaiblit le fujimorisme en mettant un terme à la relative bonne santé économique du pays. Les élections générales ont lieu les 11 avril et 6 juin 2021 afin d’élire pour cinq ans le président de la République ainsi que les 130 députés du Congrès de la République du Pérou.

Promesses électorales et cléricalisme affiché de Castillo

Un instituteur métis de Puña, Pedro Castillo se présente à la présidentielle. Il est connu pour avoir mené la grève partiellement victorieuse des enseignants en 2017 contre la contractualisation de l’enseignement, mobilisation durant laquelle le Syndicat unitaire des travailleurs de l’éducation du Pérou (SUTEP dirigé par le Parti communiste du Pérou–Patrie rouge, un parti stalino-maoïste) a été débordé. D’abord engagé dans le parti bourgeois Pérou possible de l’ancien président Toledo, il est investi en 2021 par Pérou libre (PL, ex-Pérou libertaire). PL se réclame de José Carlos Mariátegui (1894-1930) comme tout le mouvement ouvrier (Parti communiste péruvien, Parti communiste du Pérou-Patrie rouge, Sentier lumineux, MRTA…).

Castillo bénéficie de la succession des affaires de corruption dans lesquelles sont englués les partis bourgeois traditionnels, ainsi que du soutien des populations rurales, notamment grâce à son passé dans le syndicalisme enseignant et les patrouilles d’autodéfense paysannes (rondas campesinas).

Durant sa campagne menée sous le slogan « plus jamais de pauvres dans un pays riche », Castillo promet des nationalisations d’entreprises stratégiques, notamment minières, des investissements dans la santé et l’éducation, une nouvelle réforme agraire et la convocation d’une assemblée constituante. Son programme minimum est plus ambitieux sur le plan économique que ce que proposait la coalition Ensemble pour le Pérou (JP). Le bigot est nettement plus réactionnaire sur les questions sociétales : il récuse le droit à l’IVG et le mariage des homosexuels, se prononce pour la réintroduction de la peine de mort et prône l’expulsion des immigrés.

Castillo élu de justesse au second tour

Bien que le patronat, ses représentations politiques et sa presse mènent campagne contre ce candidat si éloigné de la caste dirigeante habituelle (riche, blanche, citadine), Castillo gagne le second tour le 6 juin 2021. Il devance Keiko Fujimori d’une courte tête (un peu plus de 40 000 voix d’écart sur un peu moins de 18 000 000 d’exprimés). Il bénéficie au second tour du report de voix de deux coalitions « éco-socialistes » : Ensemble pour le Pérou (JP), comprenant le Parti humaniste (PHP), le PCP, le PCP-PR, etc. ; Front large (FA), composé de Terre et liberté, Monde vert, UNIOS affiliée à l’UIT-QI « trotskyste »…

Congrès à l’issue des législatives de 2021

Mais le président nouvellement élu ne jouit pas d’une majorité au congrès : PL ne compte que 37 députés et JP 3 sur un total de 130 sièges. Les partis bourgeois (APP, AP, PD-SP, PP et PM) sont largement majoritaires.

Les illusions cent fois répétées des réformistes français

Le PCF dit, malgré l’expérience historique, que des élections peuvent changer le sort des travailleurs.

Le PCF salue chaleureusement Pedro Castillo pour son élection à la présidence de la République, et l’ensemble du peuple péruvien qui vient d’exprimer librement sa volonté souveraine. Nous réaffirmons notre solidarité avec l’ensemble des forces de gauche et de progrès, qui ont su s’unir pour permettre cette victoire. (Communiqué, 11 juin 2021)

De même LFI. Son chef suprême avait pour modèle le bonapartisme du colonel Chavez. Il affecte d’oublier qu’il s’associait il y a peu à Syriza et à Podemos. Aujourd’hui, le fondateur de la NUPES éprouve aujourd’hui beaucoup de sympathie pour les fronts populaires qui sèment les illusions et préparent les défaites en Amérique latine.

Désormais, l’ensemble des pays qui composent le parlement andin (Chili, Bolivie, Pérou, Colombie) seront gouvernés par la gauche. En octobre prochain, des élections présidentielles auront lieu au Brésil. Lula peut les gagner. Si c’est le cas, notre famille politique aura réussi en 4 petites années à renverser complètement la situation sur l’ensemble du continent sud-américain. (Jean-Luc Mélenchon, 13 juillet 2022)

L’organe d’une prétendue 4e Internationale (celle représentée en France par les directions du NPA et d’Ensemble) s’enthousiasme aussi pour « la fin du cycle politique néolibéral et l’ouverture d’un nouveau cycle favorable aux majorités » (Inprecor, juillet 2021). L’auteure, Anahi Durand-Guevara (PL), poursuit en expliquant que « la gauche » doit tendre la main à des partis bourgeois qu’elle appelle « le centre ».

Cela implique le renforcement d’un premier cercle socio-politique de la gauche et des progressistes, ouvert au centre, ce qui aidera aussi à changer la corrélation des forces adverses au Congrès. (Inprecor, juillet 2021)

Son avis est suivi par le président qui la récompensera en la nommant ministre.

Un gouvernement de coalition avec la bourgeoisie

Fujimori fille, en lien avec Montesinos, essaie de contester les résultats du scrutin, mais la grande bourgeoisie n’est pas encline à soutenir un nouveau coup hasardeux pour démettre un président qui ne remet pas en question sa domination.

La période qui suit l’élection de Castillo voit se multiplier les agressions contre les enseignants et les paysans pauvres. Des officiers brandissent la menace d’un coup d’État. Ils sont encouragés par le succès du parti fascisant Rénovation populaire (RP) qui entre au Congrès avec 13 élus.

Au grand dam des organisations réformistes et centristes qui répandent des illusions sur Castillo, celui-ci ne peut pas améliorer un tant soit peu les conditions de vie de la classe ouvrière et des populations pauvres du pays car il faudrait s’en prendre aux exploiteurs. Ce qu’il n’a aucune intention de faire. Il prête serment le 28 juillet.

Les objectifs que nous nous fixons sont très ambitieux. Le pays a besoin de tous. Je convoque tous les Péruviens et toutes les Péruviennes sans aucune distinction sur le chemin de la reconstruction de l’unité nationale.

Soucieux de rassurer le patronat péruvien et les investisseurs étrangers, Castillo forme un gouvernement front populiste comprenant comme ministre de l’Économie Francke, un ancien de la Banque mondiale qui occupa de hautes fonctions sous Toledo et Humala. Le ministre annonce d’emblée :

Il n’y aura pas d’expropriations, il n’y aura pas de nationalisations, nous ne confisquerons les biens et les économies de personne. (Pedro Francke, Canal N, 10 juin 2021)

Castillo ménage l’armée bourgeoise. 19 jours à peine après sa nomination, le ministre des Affaires étrangères Héctor Béjar, ancien guérillero (ELN stalino-castriste) dans les années 1960, est contraint à la démission suite à des propos sur le rôle de la marine dans le terrorisme d’État des années 1970. Le 27 aout, le Congrès approuve le gouvernement Castillo-Bellido. Mais il obtient la démission du Premier ministre Guido Bellido (PL) le 7 octobre 2021. Castillo le remplace par Mirtha Vasquez (FA).

Ce mois-là, des minorités amérindiennes se mobilisent à Áncash et Loreto contre les compagnies minières et pétrolières.

Castillo échappe à deux tentatives de destitution par le Congrès en décembre 2021 et en mars 2022. Sous la pression, il remanie à plusieurs reprises son gouvernement : PL et la coalition JP y perdent petit à petit en influence, la coalition FA en est totalement écartée à partir de février 2022.

2022 : Castillo ne satisfait aucune classe

Variation du PIB sur dix ans, ENEI, juillet 2022

La croissance ralentit. Officiellement, l’inflation est sur un an de 9,28 % (INEI, juillet 2022).

Le 31 janvier 2022, la Première ministre démissionne sous la pression du Congrès. Le président la remplace par Aníbal Torres (lié autrefois au parti bourgeois AP).

Fin mars 2022, la hausse des prix, principalement du carburant, des engrais et de l’alimentation, embrase le pays, avec l’appui de la confédération patronale Union des corporations du Pérou (UGP) et de de l’Union des corporations de transport multimodal du Pérou (UGTRANM). La population laborieuse manifeste en nombre. Geovani Diez Villegas (UGTRANM) appelle à paralyser le pays le 4 avril en bloquant les routes. Sur la lancée, le 5 avril, des émeutiers attaquent le siège du Congrès. Ce jour-là, le gouvernement décrète l’état d’urgence pour un mois, l’armée est appelée à épauler la police, on dénombre au moins six morts. La contestation explose aussi dans les villes, notamment dans la région de Cuzco où la Fédération agraire révolutionnaire Tupac Amaru de Cusco (FARTAC) mobilise la population.

Les principales bureaucraties syndicales à la tête de la CGTP (Confédération générale des travailleurs du Pérou) et la CUT (Centrale unitaire des travailleurs du Pérou) appellent à une journée d’action, le 7 avril. Les bureaucrates syndicaux, sous prétexte de résister à la pression du Congrès soutient toujours Castillo et veulent enfermer les masses dans le front populisme.

Monsieur le Président, la solution n’est pas de réprimer le peuple qui a voté pour vous et qui exige dans la rue l’application de vos promesses électorales, mais de satisfaire ses demandes et de réaliser effectivement et fermement les changements structurels pour lesquels nous vous avons soutenu. (CGTP, 4 avril 2022)

Devant l’ampleur des manifestations, le président annonce une baisse de la TVA sur l’alimentation de base et une hausse de 10 % du salaire minimum, une mesure bien dérisoire car n’impactant que les travailleurs hors du secteur informel.

Une assemblée constituante pour sauver l’État bourgeois ?

Le Courant socialiste des travailleurs (CST), lié au PTS argentin et au CCR-RP français, et Unios ont en commun la perspective d’une « assemblée constituante libre et souveraine » (Unios Perú y la crisis del gobierno de Castillo, Unios, 9 février 2022 ; Por una Asamblea Nacional Obrera y Popular para impulsar un plan de emergencia y pelear por una Asamblea Constituyente Libre y Soberana, CST, 28 avril 2022).

Ainsi, sur l’essentiel, ces « trotskystes » s’alignent sur les partis réformistes issus du stalinisme (Partido comunista peruano demanda Asamblea Constituyente, PCP, 6 octobre 2021 ; 36 Propuestas y medidas urgentes para enfrentar la crisis, PCP-PR, 13 mai 2022).

Tout en se réclamant vaguement de feue la 4e Internationale, Unios et l’UIT-QI, la CST et la FT-QI sont les héritières des révisionnistes Pablo, Mandel, Hansen et Moreno qui l’ont détruite de fond en comble de 1949 à 1963. La 4e Internationale ne défendait un mot d’ordre démocratique comme « assemblée nationale » ou « assemblée constituante » que dans des pays où le prolétariat et la petite-bourgeoisie n’avaient ni suffrage universel, ni partis, ni élections, ni parlement élu sur cette base. Elle n’envisageait que deux cas :

  • un pays impérialiste à régime totalitaire, comme l’Italie ou l’Allemagne à l’époque (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la QI, 1938, GMI, p. 35) ;
  • les colonies, comme l’Inde, et les semi-colonies, comme la Chine de ce temps-là (p. 31).

Dans des États comme l’Argentine, la Tunisie, le Chili ou le Pérou contemporains, sans parler de la France, un tel slogan démocratique est caduc, dépassé. Il ne peut servir qu’à égarer les travailleurs, à préserver le pouvoir de la classe dominante et renforcer l’État bourgeois.

Que gagne-t-on alors par ce lâche détour de l’assemblée nationale ? On renforce la position de la bourgeoisie, on affaiblit le prolétariat, on le plonge dans la confusion par des illusions vides de contenu, on gaspille du temps et des forces en discussions entre le loup et l’agneau, en un mot, on fait le jeu de tous ces éléments dont le but est de frustrer la révolution prolétarienne de ses objectifs socialistes, d’en faire, en l’émasculant, une révolution démocratique bourgeoise. (Rosa Luxemburg, « L’Assemblée nationale », Die rote Fahne, 20 novembre 1918)

L’assemblée constituante a servi à bloquer la révolution prolétarienne en Allemagne en 1918, en France en 1945, en Italie en 1946, au Portugal en 1974-1975, en Iran en 1979, en Tunisie en 2010-2011, en Égypte en 2011-2012, au Chili en 2019-2020… Dans un tel cas, la 4e Internationale parlait de « noeud coulant au cou du prolétariat » (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la QI, 1938, GMI, p. 35). Inutile de dire qu’elle est adoptée aujourd’hui par tous les agents de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière, comme le PS et le PCC au Chili, le PCF et LFI en France…

La preuve que la constituante est une solution bourgeoise au Pérou est que les réformistes (PCP, PCP-PR) et les centristes (Unios, CST) s’opposent à l’armement des travailleurs qui est la seule garantie d’une véritable démocratie. Récemment, Cristian Castillo, le principal dirigeant du PTS argentin (le parti fondateur de la FT-QI) s’est prononcé à la télévision contre le droit de s’armer A dos voces », TN, 2 juin 2022)

Pour la rupture avec la bourgeoisie, pour le socialisme

Les travailleuses et travailleurs conscients doivent se regrouper pour diriger la lutte contre l’inflation, la domination étrangère, le manque de services sociaux, l’exploitation. Pour ne pas laisser les mains libres aux démagogues bourgeois qui manoeuvrent, ils doivent construire un parti à eux, un parti ouvrier révolutionnaire qui, sur la base de l’expérience péruvienne, continentale et mondiale, permettra à la classe ouvrière de rompre avec la bourgeoisie, de se défendre résolument, de prendre la tête de tous les opprimés et exploités, d’ouvrir la voie de la révolution socialiste.

  • Gel des prix du carburant, du gaz et de la nourriture. Augmentation et indexation des salaires et des pensions sur la hausse de prix.
  • Soutien aux paysans travailleurs avec des engrais, une assistance technique et l’achat de leurs produits à des prix suffisants.
  • Départ de l’Organisation des États américains sous la coupe de Wahington. Répudiation de la dette extérieure. Rupture avec le FMI, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, et l’OMC.
  • Fin des concessions aux entreprises impérialistes, expropriation de leurs filiales. Nationalisation, sans indemnité et sous contrôle des travailleurs, des entreprises privatisées. Expropriation des grandes propriétés agricoles, des banques et des grandes entreprises sous contrôle des travailleurs urbains et ruraux.
  • Contrats à durée indéterminée pour tous les salariés précaires. Embauche de tous les licenciés. Suppression des entreprises de travail temporaires. Baisse du temps de travail.
  • Assurance sociale complète et universelle. Élimination des caisses privées AFP. Soins et éducation complètement publics, gratuits et de qualité, sous contrôle des organisations populaires. Enseignement gratuit pour les enfants des travailleurs.
  • Plan de construction à grande échelle et logement de qualité et bon marché pour tous. Développement des transports collectifs à prix modique avec gratuité dans les villes. Électricité, eau, téléphone et tous les services publics à bas prix, sous contrôle ouvrier et populaire.
  • Élimination de l’armée de métier et de la police. Fin du gaspillage colossal en armements.
  • Fin des subventions à l’Église catholique. Séparation complète de l’État et de toutes les religions.
  • Rupture de la CGTP avec le gouvernement.
  • Pour la démocratisation des syndicats, leur unification, le retour à la lutte de classe. Piquets d’auto-défense des masses, les milices ouvrières et paysannes. Libération inconditionnelle de tous les militants ouvriers emprisonnés. Organes démocratiques de lutte partout, centralisés dans une Assemblée populaire nationale aux délégués révocables qui postule au pouvoir. Gouvernement ouvrier et paysan. Fédération socialiste d’Amérique.

8 aout 2022