Polémique du PCO/Argentine contre le PTS sur le droit de s’armer

Tout le monde est armé sauf nous

Il y a quelques semaines [le 2 juin 2022], le dirigeant du Parti des travailleurs socialistes (PTS), Cristian Castillo, a participé à l’émission « A dos voces » [À deux voix] de la chaîne TN, avec Sergio Berni et Marcelo D’Allesandro, ministres de la sécurité respectivement de la province et de la ville de Buenos Aires.

[Le PTS la plus grosse organisation qui se réclame du trotsksyme, dont la projection française, le CCR-RP, a scissionné le NPA en 2021]

L’une des questions abordées dans l’émission concernait le « droit de porter une arme » revendiqué par Milei [Javier Milei est un démagogue fascisant et grossier qui sévit dans les médias argentins] Étonnamment, les deux ministres bourgeois et le dirigeant du FITU [Front de la gauche et des travailleurs qui rassemble PTS, PO, IS, MST] sont tombés d’accord pour rejeter le droit au port d’armes, c’est-à-dire pour défendre le monopole des armes par l’État bourgeois.

L’État moderne et les « détachements spéciaux d’hommes armés ».

À de nombreuses reprises, nous avons écrit sur l’origine de l’État moderne comme un produit ou une manifestation du caractère irréconciliable des contradictions de classe. L’existence de la propriété privée des moyens de production implique l’existence d’une population qui ne possède rien (seulement sa force de travail), et qui est exploitée par les propriétaires privés. Cet état de fait met les classes en conflit les unes avec les autres, parfois « de manière sournoise, parfois de manière franche et ouverte ». L’État, dit Lénine, surgit à l’endroit, au moment et au niveau où les contradictions de classe ne peuvent être conciliées.

Dans l’État bourgeois, « l’ordre » est garanti par des détachements spéciaux d’hommes armés et leurs prisons. « L’armée permanente et la police sont les instruments fondamentaux de la force du pouvoir d’État » (Lénine, L’État et la révolution).


Cahier révolution communiste n° 15

Chaque société de classe a utilisé la force pour contenir les antagonismes de classe. Les esclavagistes de l’Antiquité utilisaient l’État pour opprimer les esclaves ; la noblesse féodale pour faire de même avec les serfs de la glèbe ; et aujourd’hui, la bourgeoisie recourt à la force publique pour opprimer et réprimer les travailleurs et les salariés.

Aujourd’hui, cependant, la bourgeoisie a abandonné le pouvoir de répression à des groupes privés qui contrôlent de vastes territoires, les narcotrafiquants. Ces bandes se disputent le terrain en utilisant comme main-d’œuvre les déclassés qui pullulent avec la crise capitaliste. Une nouvelle forme de répression par le biais du narcoterrorisme s’abat sur les quartiers populaires et ouvriers, comme c’est le cas à Rosario.

Castillo a établi un lien direct entre l’accès aux armes et les massacres auxquels les Yankis [Américains] sont habitués. Mais d’où lui vient l’idée que l’accès aux armes conduirait inévitablement à des massacres à l’intérieur des cinémas et des centres commerciaux comme aux États-Unis ? Surtout, comment Castillo peut-il prétendre qu’une révolution aura lieu, s’il condamne le droit de s’armer ? A quel moment le marxisme est-il passé d’un programme minimum d’armement général du prolétariat à des tractations sur l’accès aux armes ou à la mise en avant de leur dangerosité ?

Lénine et l’armement de la classe ouvrière

Examinons comment Lénine posait la question :

Une classe opprimée qui ne s’efforcerait pas d’apprendre à manier les armes, de posséder des armes, ne mériterait que d’être traitée en esclave. Car enfin nous ne pouvons pas oublier, à moins de devenir des pacifistes bourgeois ou des opportunistes, que nous vivons dans une société de classes, dont on ne peut sortir autrement que par la lutte de classes. Dans toute société de classes, qu’elle soit fondée sur l’esclavage, sur le servage ou, comme aujourd’hui, sur le salariat, la classe des oppresseurs est armée. De nos jours, non seulement l’armée permanente, mais aussi la milice — même dans les républiques bourgeoises les plus démocratiques, comme la Suisse — constituent l’armement de la bourgeoisie contre le prolétariat. C’est une vérité tellement élémentaire qu’il n’est guère besoin de s’y arrêter spécialement. Il n’est que de rappeler l’usage qui est fait de la troupe contre les grévistes, dans tous les pays capitalistes.

L’armement de la bourgeoisie contre le prolétariat est l’un des faits les plus importants, les plus fondamentaux, les plus essentiels de la société capitaliste moderne. Et l’on vient, cela étant, proposer aux sociaux-démocrates révolutionnaires de «revendiquer» le «désarmement» ! Ce serait là renier intégralement le point de vue de la lutte de classe et renoncer à toute idée de révolution. Notre mot d’ordre doit être : l’armement du prolétariat pour qu’il puisse vaincre, exproprier et désarmer la bourgeoisie. C’est la seule tactique possible pour une classe révolutionnaire, une tactique qui résulte de toute l’évolution objective du militarisme capitaliste et qui est prescrite par cette évolution. C’est seulement après que le prolétariat aura désarmé la bourgeoisie qu’il pourra, sans trahir sa mission historique universelle, jeter à la ferraille toutes les armes en général, et il ne manquera pas de le faire, mais alors seulement, et en aucune façon avant. [Le Programme militaire de la révolution prolétarienne, 14 mai 1916]

Castillo dit que quiconque veut posséder des armes à feu peut le faire. Mais sait-il combien de procédures bureaucratiques il faut suivre pour en obtenir une ? A-t-il une idée de ce qu’il en coûte, non seulement pour acheter, mais aussi pour posséder et pratiquer le tir ? Un groupe de travailleurs en conflit avec les patrons et la bureaucratie syndicale qui leur est alliée, comment va-il se défendre ? Les armes de provenance douteuse abondent. Tout comme les armes anciennes, dont les numéros ont été effacés et qui sont à peine opérationnelles. Avoir une arme fiable et de qualité n’est pas bon marché et il n’est pas facile de l’obtenir. Aujourd’hui, le pistolet le moins cher du marché équivaut pratiquement au salaire minimum, ce qui signifie qu’il n’est pas facile pour les travailleurs d’acquérir les armes avec lesquelles ils se défendront à l’avenir. Ceux qui n’ont pas de problèmes majeurs pour accéder au marché des armes sont la petite bourgeoisie et bien sûr, comme tout le monde le sait, les trafiquants de drogue. Nous pouvons dire que ces derniers opèrent déjà à un autre niveau, en raison de l’argent qu’ils brassent, dles importations clandestines et de leurs liens avec les forces de sécurité.

Castillo, Berni et D’Allesandro lèvent les bras au ciel à propos des armes qui circulent… mais elles circulent dans les couches sociales qui maltraitent les voisins et les travailleurs. Les travailleurs qui doivent se rendre à l’usine à 4 heures du matin ou les infirmières à 5 heures du matin ne sont absolument pas protégés. Pendant que les narcos tirent sur une boucherie avec un FMK3 parce que le commerçant refusait d’être racketté.

Le plus stupide est que les narcos s’équipent d’armes automatiques. La petite bourgeoisie achète ses armes dans les magasins officiels et en toute légalité. Les ouvriers sont toujours désarmés. Les campagnes de désarmement de la population ont pour cible principale les gens qui sont prêts à remettre leurs armes en échange d’argent pour pouvoir survivre au quotidien, c’est-à-dire que la pègre n’est pas désarmée et que celui qui remet l’arme à l’État est celui qui ne l’utilisait pas.

Pour l’armement général de la classe ouvrière

Ce n’est pas que nous attendons de l’État bourgeois qu’il arme les travailleurs. Bien sûr que non. Aux États-Unis, les deuxième et quatorzième amendements (à la Constitution) protègent le droit d’un individu à porter une arme à feu pour se défendre en dehors de son domicile. Le deuxième amendement a été établi entre 1789 et 1791 et découle de l’époque de la Révolution d’indépendance, garanti les milices populaires armées.

L’absence d’un monopole d’État sur les armes est [aujourd’hui] considérée comme un danger par une grande partie de la bourgeoisie, qui redoute une guerre civile. Et c’est précisément sur ce point que la position de Castillo rejoint celle des représentants bourgeois de l’appareil répressif : l’État bourgeois doit avoir le monopole des armes.

Milei propose le libre accès afin que le petit commerçant puisse flinguer le voleur qui s’en prend à sa boutique. Nous refusons la fureur de classe du petit bourgeois qui, face à un simple vol, prétend assassiner les « noirs de merde ». Mais Castillo est-il contre le fait que les travailleurs des quartiers ouvrier et populaires se défendent contre les délinquants ? Et est-il contre le fait que les dans les quartiers ouvriers et pauvres, les travailleurs s’arment pour expulser les narcos ?

Au lieu de contrer la position de Milei sous l’angle de classe, en expliquant pourquoi et dans quel but le prolétariat doit s’armer, en partant du principe que les autres classes sont déjà armées. Castillo se situe dans une position purement bourgeoise et pacifiste.

Comme nous l’avons tous vu, la guerre en Ukraine a dressé un sombre tableau de l’avenir, prologue à une conflagration bien plus vaste, à l’affrontement entre puissances pour le partage et la redistribution du monde. La neutralité lors d’un conflit mondial sera difficile, voire impossible. Et comme par le passé, nous verrons la vie sociale se militariser.

Que feront les Castillos dans cette situation ? Appelleront-ils au désarmement et à la paix entre les nations ?

Mientras tanto, los revolucionarios debemos comenzar a plantear el problema del acceso y aprendizaje en el manejo de las armas. Por ejemplo, en aquellos sindicatos donde logremos barrer y desplazar a la burocracia sindical, debemos capacitar a los trabajadores e introducirlos en la educación militar como parte de la organización de los piquetes de autodefensa contra la patronal, las patotas de la burocracia y las fuerzas represivas del Estado.

En attendant, les révolutionnaires doivent commencer à soulever la question de l’accès aux armes et de l’apprentissage de leur maniement. Par exemple, dans les syndicats où nous réussissons à balayer et à chasser la bureaucratie syndicale, nous devons former les travailleurs et les initier à l’éducation militaire dans le cadre de l’organisation de piquets d’autodéfense contre les patrons, les nervis de la bureaucratie [la bureaucratie de la CGT aux mains du parti bourgeois péroniste utilise des malfrats] et les forces répressives de l’État.

Commencer à soulever le problème maintenant nous donnera la possibilité de gagner dans le futur, c’est-à-dire de vaincre la bourgeoisie, en la désarmant.

Luciano Andrade [Parti de la cause ouvière]

https://causa-obrera.org/2022/07/06/todos-estan-armados-menos-nosotros/

[version française établie par le GMI, les crochets sont des traducteurs]