Même sans majorité absolue, le gouvernement Macron Borne attaque la classe ouvrière

Dans le capitalisme, les producteurs de toutes les richesses sociales (matérielles ou immatérielles comme la santé et l’enseignement) doivent couter le moins cher possible, subir la hausse des prix, travailler plus intensément, accepter d’être licenciés, être traités alors d’assistés par les gavés de LR, du RN ou de Renaissance, être traqués, surexploités voire expulsés quand ils sont étrangers…

L’inflation a atteint 6,1 % en rythme annuel en juillet, selon l’Insee, qui prévoit qu’elle devrait approcher des 7 % en septembre. Le gouvernement a lâché quelques aumônes, dans le projet de loi dit « pouvoir d’achat » et dans le budget rectificatif. Les revalorisations accordées, qu’il s’agisse des retraites, du point d’indice des fonctionnaires, des allocations familiales, etc., sont bien en deçà de la hausse des prix. C’était délibéré. Pour la bourgeoisie, il est hors de question que ces augmentations nourrissent « la spirale inflationniste », ce que répètent à l’envi nombre d’économistes, qui ont fait le choix de défendre les intérêts du capital contre les salariés. Pour ces larbins, les patrons ont le droit de répercuter les hausses de prix, voire de les anticiper, mais la classe ouvrière (salariés, chômeurs, retraités) doit, elle, supporter la baisse des salaires réels, la baisse du pouvoir d’achat.

Le gouvernement veut contraindre les chômeurs mais pas les capitalistes. Ils feront ce qu’ils veulent, sur les salaires de leurs exploités ou sur leurs prix de vente. Comme Michel-Edouard Leclerc qui se pose en défenseur des consommateurs (« On va faire un bouclier anti-inflation » , BFM, 3 mai) ou TotalEnergies qui lâche 0,20 euro par litre de carburant alors que le groupe a engrangé au 1er semestre 2022 la bagatelle de 10,2 milliards d’euros de profit, après avoir réalisé un bénéfice de 16,3 milliards en 2021. Le « geste commercial » représente 500 millions d’euros alors que Total a versé à ses actionnaires l’an dernier près de 9 milliards.

Et le gouvernement va plus loin encore. Ne disposant que d’une majorité relative, il trouve en effet à l’Assemblée nationale sans trop de difficultés l’appui des députés LR qui ne manquent aucune occasion pour renforcer le caractère réactionnaire de ses propositions et la bienveillance de ceux du RN. Ainsi aucune disposition n’est-elle prise pour garantir l’augmentation des salaires dans le privé, mais le montant maximal de la « prime Macron », exonérée de tout impôt et cotisation sociale, versée à la discrétion des patrons, est triplé. Les patrons des entreprises de 20 à 250 salariés paieront 50 centimes de moins de cotisations patronales pour chaque heure supplémentaire. Tout cela assèche les recettes de la sécurité sociale dont le déficit servira ensuite de prétexte à des nouvelles restrictions des prestations sociales. Les journées de RTT pourront, si le patron est d’accord, être échangées contre leur paiement, ce qui revient, par la bande, à faire sauter la durée légale du travail des 35 heures hebdomadaires.

Le mythe de la « crise de la 5e République » causée par des élections a fait long feu. Les appareils syndicaux laissent le parlement légiférer, laissent les patrons libres de fixer leurs prix, de limiter les augmentations de salaire, laissent l’État s’en prendre aux immigrés, continuer à étrangler les hôpitaux publics… LFI, le PCF et le PS se cantonnent dans le rôle d’opposition de sa majesté, respectueuse des institutions. Ils acceptent que Macron gouverne, ils acceptent que le bloc Renaissance-LR appuie l’action gouvernementale au parlement.

Les partis « réformistes » (LFI, PS, PCF) sont incapables de demander la confiscation pure et simple des bénéfices de Total ou Sanofi, sans parler d’exproprier les groupes capitalistes. Leur bloc front populiste NUPES avec EELV est prisonnier de la défense du capitalisme français qu’ils camouflent en « intérêt national ». À l’Assemblée nationale, leurs députés se sont bornés à demander un prélèvement exceptionnel de 30 % des bénéfices déclarés. Mais les groupes capitalistes de dimension internationale ne paient quasiment pas d’impôt tout en bénéficiant de l’appui de leur État pour conquérir et préserver leur part du marché mondial. En 2019, Total n’a pas payé un euro d’impôt sur les sociétés !

Au Sénat, quelques jours après, les groupes PS et PCF ont baissé leur demande à 25 %. Comme le sénateur du PCF Pierre Laurent s’en est défendu, « aucun amendement ne va mettre à bas le système ou écraser les entreprises ».

De même, le PS, le PCF et LFI ont demandé un SMIC à 1 500 euros nets, mais pas l’indexation immédiate de tous les salaires sur l’inflation.

Dans les commissions, loin des caméras des grandes chaines de télévision, les députés LFI sont bien plus sages que sur les bancs de l’Assemblée. À celle de la défense aucun ne s’est élevé contre le fardeau grandissant du militarisme qui retombe sur les travailleurs des villes et des campagnes. Anna Pic (PS) s’est inquiétée des troupes au Sahel, Bastien Lachaux (LFI) a demandé qu’il n’y ait pas de discrimination sexuelle car « nos armées ont bien besoin de recruter », Fabien Roussel (PCF) veut « plus associer le parlement aux choix que la France doit faire ». Si bien que le ministre Lecornu s’est félicité de leur « esprit constructif ».

Le risque de blocage étant écarté, au moins pour le moment, Macron et Borne posent des jalons pour la route à suivre.

  • Darmanin prépare un projet de loi pour améliorer le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire à l’encontre des immigrés n’ayant pu obtenir un titre de séjour ou son renouvèlement. Parmi eux, des centaines de jeunes qui travaillent, qui dans une boulangerie, qui dans une boucherie, etc. dont les employeurs réclament la régularisation, ou bien qui ont obtenu un diplôme en étant scolarisés, promis à une expulsion.
  • L’allongement du temps de travail avant de pouvoir bénéficier d’une retraite pleine reste évidemment au menu :

    Ce sur quoi je me suis engagé dans ma campagne présidentielle, c’est de dire : on doit progressivement décaler l’âge de départ légal obligatoire jusqu’à 65 ans, mais à un horizon, demain, qui est au milieu des années 2030 (Macron, Entrevue à TF1 et France 2, 14 juillet)

  • Il ambitionne également de durcir les règles d’attribution du RSA pour contraindre les bénéficiaires à accepter une offre d’emploi, quelles qu’en soient les conditions. L’antienne du chômeur vivant aux crochets de la société est resservie cyniquement :

    S’ils peuvent trouver et aller vers un autre métier, je l’entends très bien. Si, derrière, la réponse, c’est « je vais bénéficier de la solidarité nationale pour réfléchir à ma vie », j’ai du mal à l’entendre. Parce que cette solidarité nationale, c’est ceux qui bossent qui la payent, et une nation c’est un tout organique. (Macron, Entrevue à TF1 et France 2, 14 juillet)

  • La réforme des lycées professionnels est engagée. Elle consiste ni plus ni moins à mettre cette filière sous la coupe réglée du patronat, en calant la carte des formations sur les besoins d’emplois, surtout là où les salaires et les conditions de travail rebutent les candidats.

    Il est nécessaire que les lycées professionnels changent afin de mieux prendre en compte les attentes des employeurs. C’est indispensable, surtout dans une période où les tensions de recrutement s’accentuent et touchent quasiment l’ensemble de nos adhérents, des commerces de bouche à l’hôtellerie-restauration en passant par le bâtiment. (Pierre Burban, Union des entreprises de proximité, Le Monde, 30 juillet)

    Le temps passé en entreprise serait doublé en classe de terminale, au détriment de la formation théorique, avec l’objectif de transformer les élèves actuellement sous statut scolaire en apprentis dépendant des patrons.

  • Enfin, Macron n’oublie pas que la défense de l’impérialisme français implique de moderniser et de renforcer son armée. Le budget des armées « ne va pas diminuer, au contraire », dit-il le 14 juillet. La loi de programmation militaire en cours doit déjà porter son montant de 35,9 milliards en 2019 à 44 milliards en 2023 et 50 milliards en 2025. Mais Macron en veut plus :

    Alors que les conflictualités s’intensifient, il nous faut aujourd’hui réévaluer nos ambitions. Notre ambition opérationnelle pour 2030 doit être revue pour mieux assurer notre capacité à faire face à la perspective du retour possible d’un affrontement de haute intensité. (Macron, Discours aux armées, 13 juillet)

Si Macron n’a finalement guère à craindre à l’Assemblée nationale, il n’est pas menacé non plus par les chefs syndicaux. Les mille et un mécanismes de la « concertation » et du « dialogue social » tournent à plein et déjà, CGT et Solidaires ont décrété une « journée d’action » le jeudi 29 septembre, journée de grève interprofessionnelle sur les salaires, bien après la mise en place de la nouvelle assemblée en juillet et les premières lois de juillet et aout, et même après la rentrée politique et la mise au point des plans antisociaux du gouvernement Macron-Borne. Selon la rhétorique habituelle, cette journée d’action doit s’inscrire « dans une mobilisation large et dans la durée », c’est-à-dire être éventuellement suivie d’autres journées d’action sans perspective, moyen le plus sûr et le plus éprouvé pour conduire toute mobilisation à l’épuisement et à la défaite.

Il n’y a pas 36 solutions ! Pour vaincre Macron, pour toutes les revendications, il faut imposer sans attendre aux chefs syndicaux la rupture de la collaboration de classes, la préparation de la grève générale. Pour arracher l’échelle mobile des salaires, il faut structurer des fractions lutte de classe dans les syndicats, l’auto-organisation des travailleurs en assemblées générales, en comités de grève et leur centralisation, l’auto-défense des manifestations avec les services d’ordre des travailleurs contre la police, les fascistes et les casseurs.

3 aout 2022