Le 22 octobre, le ministre de l’éducation Blanquer dénonce sur Europe 1 : « l’islamo-gauchisme fait des ravages, il fait des ravages à l’université, il fait des ravages quand l’Unef cède à ce type de chose, il fait des ravages dans les rangs de La France insoumise, ces gens-là favorisent une idéologie qui mène au pire » [voir Révolution communiste n° 42].
Le 13 février, la ministre de l’enseignement supérieur Vidal déclare sur CNews que « l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et l’université n’est pas imperméable ». Le 16 février, elle indique à l’Assemblée nationale qu’elle demande au CNRS une enquête pour « distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ». Le 21 février, Vidal précise au JDD, devant le tollé soulevé par ses déclarations, les menaces que ferait peser l’islamo-gauchisme à l’Université : « des attaques contre la liberté académique et contre la liberté d’expression en général… Les enseignants ne se sentent pas libres d’enseigner comme ils le souhaitent. On ne peut pas laisser passer ça ».
De quel droit un ministre de l’éducation qui met sur pied et finance une organisation bourgeoise chez les lycéens (Avenir lycéen) s’immisce dans les affaires du syndicat étudiant Unef ?
Un État qui renforce l’espionnage de son peuple, qui restreint les libertés démocratiques, qui estropie par centaines les « gilets jaunes » ne peut pas tolérer la libre recherche. Qu’est-ce cet « islamo-gauchisme » dont personne ne sait ce que le terme recouvre exactement ? Le terme est apparu au début des années 2000 sous la plume du pro-israélien Taguieff pour stigmatiser ceux qui défendaient les Palestiniens contre les agressions de Sharon. Il prend en quelque sorte le relais du « judéo-bolchévisme » de Hitler et Pétain et de l’« hydre communiste » de McCarthy et De Gaulle.
Dans les États qui se réclament de la démocratie, l’enseignement supérieur est censé être pluriel et autonome. En fait, il n’en est rien, ne serait-ce que parce qu’il est financé par les entreprises capitalistes ou par l’État des capitalistes : « Avec l’argent, on peut s’acheter des gens d’esprit » (Karl Marx, Manuscrits économico-philosophiques, 1844).
Ainsi, le courant néo-classique de la « science économique », hégémonique dans les grandes écoles et majoritaire dans les universités publiques, explique depuis plus d’un siècle, avec le plus grand aplomb, que les chômeurs sont des gens qui préfèrent le loisir au salaire [voir Laurent Cordonnier, Pas de pitié pour les gueux !, Raisons d’agir, 2000].
Il était impossible, au moment de la guerre froide, d’être professeur en titre et de se réclamer du marxisme aux États-Unis et même en France. Par contre, le philosophe nazi Heidegger a après-guerre poursuivi une brillante carrière universitaire en Allemagne de l’ouest. L’université de Lyon , dont Bruno Gollnish (vice-président du FN) fut un des doyens dans les années 1980, abritait à la fin du 20e siècle toute une bande de « négationnistes », c’est-à-dire d’idéologues pronazis.
Le système bourgeois d’études supérieures est divisé en France entre :
- « grandes écoles » publiques (dont des institutions militaires),
- universités publiques (dont IUT),
- lycées (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs),
- « universités » et écoles supérieures privées (cléricales ou capitalistes)…
Parmi les établissements supérieurs privées, un des plus célèbres est la FNSP (Sciences po Paris) où régnait sans conteste un coupable d’inceste connu depuis longtemps, qui était parfois l’invité de Macron. Que l’Église catholique, qui a menacé Galilée et exécuté Bruno, détienne des « universités » ne semble pas gêner le gouvernement. Pas plus que l’incrustation dans l’enseignement supérieur public des Églises chrétiennes protestantes, tout aussi obscurantistes.
Les protestants ont surpassé les catholiques dans la persécution de la libre étude de la nature. Calvin a fait bruler Servet au moment où il était sur le point de découvrir la circulation du sang et ce, en le faisant griller tout vif deux heures durant ; du moins l’Inquisition se contenta-t-elle de bruler tout simplement Giordano Bruno. (Friedrich Engels, Introduction à la dialectique de la nature, 1875)
Ainsi, que les universités publiques de Strasbourg et de Nancy incorporent des « facultés » (sic) de théologie [voir Révolution communiste n° 19] et délivrent des « diplômes » (sic) de religion, ne tracasse aucun ministre.
L’État veut associer le Conseil français du culte musulman, une grande école publique (l’École pratique des hautes études) et l’armée (via l’École nationale de l’aumônerie militaire) pour former les prêtres musulmans (imams). Le gouvernement tolère qu’une fondamentaliste chrétienne et une fasciste comme Maréchal, qui n’a elle-même qu’un master, monte sa propre « université » à Lyon avec l’aide d’éléments du FN-RN, de l’ex-Mouvement pour la France du vicomte de Villiers, de l’ex-Parti chrétien démocrate de Boutin et de patrons (ISSEP, 5 500 euros de frais annuels).
Dans ces conditions, comment ne pas voir que la campagne de Macron, Blanquer et Vidal n’est qu’un prétexte grossier pour tenter de cliver le mouvement étudiant et ouvrier (en particulier les syndicats Unef et SNESup-FSU, les partis PCF et LFI, divisés sur cette question), pour attaquer et mettre au pas les universitaires dont certains travaux ne plaisent pas aux capitalistes obtus, à l’état-major, aux partis bourgeois et au gouvernement ?
Cette menace, alors que les étudiants des universités sont psychologiquement déstabilisés et que les étudiants issus des classes populaires ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins, fait suite à la loi sur la recherche (LPR), à la loi contre le séparatisme renommée « pour conforter les principes républicains » qui est dirigée essentiellement contre les musulmans, à la loi dite de sécurité globale qui contient nombre de dispositions liberticides contre les manifestants. Elle accompagne le débat entre la présidente du parti fascisant Le Pen et le ministre de l’intérieur sarkozyste Darmanin le 11 février qui a tourné sur l’islamisme et l’immigration, où les deux sont tombés maintes fois d’accord, Darmanin se payant même le luxe de juger ensuite que Le Pen était « quasiment un peu dans la mollesse ». Le même Darmanin, flanqué de Blanquer et de la ministre de la citoyenneté Schiappa, soutient d’ailleurs ouvertement la démarche de Vidal.
De fait, le gouvernement Macron-Castex-Darmanin et son parti LREM ont rallié, à travers ces attaques coordonnées, les pires poisons politiques développés par LR, DlF, le RN et les groupes fascistes. Derrière Vidal et compagnie, se tient Macron (soi-disant « rempart à l’extrême-droite », nous disaient le PS et le PCF, les dirigeants de la FSU, de la CFDT, de Solidaires et de la CGT en 2017), qui voit son salut en renforçant l’État policier, en aggravant les mesures contre les migrants, en réprimant les indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, en maintenant l’intervention militaire en Afrique… La réaction bourgeoise, sous toutes ses expressions politiques, prépare ses armes contre la classe ouvrière, ses organisations et la jeunesse en vue des prochains affrontements que la crise économique et sanitaire va inévitablement déclencher.
Bien sûr, l’université bourgeoisie abrite différents courants de pensée, notamment en sciences sociales. Mais il ne s’agit après tout que d’idées et la classe dominante ne peut déterminer à l’avance celles qui lui seront les plus utiles.
En outre, il est bon de neutraliser les cadres potentiels de la révolte inévitable des exploités et des opprimés en leur offrant quelques postes, au demeurant rares et mal rétribués, et de concocter des théories qui soient acceptables pour tel ou tel segment des classes exploitées et des semi-exploitées, tout en évitant de mettre en cause le capitalisme. De farouches étudiants marxistes se transforment ainsi en néo-keynésiens ou écologistes, d’ardentes féministes font carrière dans « l’intersectionnalité » ou la « théorie du genre », des descendants d’immigrés deviennent des promoteurs de « l’indigénisme » ou du « post-colonialisme », etc. Si l’idéologie dominante prend surtout la forme du nationalisme et du républicanisme, ces divagations petites-bourgeoises et idéalistes ont en commun de « réfuter » le marxisme, jugé « grossier » et « dépassé », de tourner le dos à toute analyse en termes de lutte des classes et donc contribuent à désarmer le mouvement ouvrier et les organisations d’opprimés (femmes, minorités ethniques, homosexuels…).
Mais, il ne s’agit pas ici de la confrontation théorique nécessaire avec ces positions, de leur réfutation par l’avant-garde prolétarienne (communiste internationaliste). « L’enquête » réclamée par le gouvernement est une immixtion de l’État dans le savoir et la recherche, une attaque contre les libertés démocratiques à l’université, indispensables à la classe ouvrière et la jeunesse pour qu’elles puissent librement débattre et s’organiser contre le capitalisme et la classe dominante.
Seule la classe ouvrière peut libérer des prêtres, faire de la science non plus un instrument de domination de classe mais une force populaire, faire des hommes de science non plus des proxénètes des préjugés de classe, des parasites d’État mais de libres agents de la pensée. (Karl Marx, Première ébauche d’adresse sur la Commune de Paris, avril 1871)
Toutes les organisations ouvrières, partis et syndicats, doivent faire front pour exiger :
- Aucune enquête commandée par le gouvernement Macron-Darmanin-Blanquer-Vidal ! Jugement par les seuls pairs des travaux de recherche !
- Hors de l’enseignement supérieur, l’Église catholique et toute secte religieuse ! Laïcité réelle et totale de l’enseignement sur tout le territoire !
- Liberté totale de recherche pour les chercheurs et les enseignants-chercheurs ! Liberté totale de la pédagogie pour les enseignants-chercheurs et les professeurs des classe préparatoires ou des sections de techniciens supérieurs !
- Libre expression du mouvement étudiant et ouvrier dans tous les établissement d’enseignement supérieur !
- Halte à la stigmatisation des travailleurs musulmans !