La pandémie a précipité la crise économique

Les traits marquants de la situation économique mondiale sont que malgré la poursuite de la hausse du taux d’exploitation, la rentabilité du capital recule ; cela pousse au protectionnisme la puissance dominante qui perd désormais à la « mondialisation » ; en outre, la politique monétaire accommodante de type keynésien grossit le capital fictif, ce qui accroit le risque de crises financières… Un krach boursier suivie d’une récession mondiale, potentiellement plus graves qu’en 2007-2009, est probable. (Révolution communiste n° 37, 14 novembre 2019)

Une crise financière qui ne se réduit pas au krach des marchés d’actions

L’activité financière hypertrophiée du capitalisme en déclin est touchée par la crise économique qui commence. Lors de chaque crise capitaliste, la plupart des entreprises ont besoin d’argent liquide au même moment pour acquitter leurs dettes alors qu’elles ont du mal à faire payer leurs propres débiteurs.

Les marchés financiers, dont le rôle est de faciliter l’accumulation du capital, non seulement menacent la survie d’acteurs spécialisés (banques, sociétés d’investissement…) mais se retournent contre « l’économie réelle » : des obligations titrisées ne valent plus rien, des produits dérivés ne protègent plus, « l’effet de levier » risque de se transformer en « effet de massue », etc.

Les actions cotées dans les deux bourses de New-York, dans celles de Tokyo, de Londres, de Paris, de Hongkong, de Shanghai, de Toronto… ont perdu en mars 30 % de leur prix, ce qui en fait l’effondrement le plus rapide de l’histoire. Cette forme de capital fictif a fondu de 24 000 milliards de dollars (plus que le PIB des États-Unis). Pour la Bank of America, « le krach des marchés américains est désormais pire que celui de 1929 » (Mediapart, 24 mars). Mais certains capitalistes perçoivent de « formidables opportunités sur les marchés » (L’Écho, 30 mars).

Il est fort probable que nombre de banques se trouvent en situation de défaut, voire d’illiquidité sur le marché interbancaire (un marché de crédit à court terme où elles se financent entre elles). Le risque de crédit l’accompagne, c’est-à-dire l’incapacité des banques à accorder des prêts de court ou de long terme aux autres entreprises faute de capital suffisant.

Comme en 2009, les écarts de taux d’intérêt se creusent pour les nouveaux prêts aux différents États. Tant sur le « marché monétaire » à court terme (où les États empruntent en émettant des bons du Trésor) que sur le « marché de capitaux » à moyen et long terme (où les États empruntent en émettant des obligations), les banques demandent des taux d’intérêt plus élevés pour prêter aux États qui sont soupçonnés de pouvoir annuler un jour leur dette (l’écart constituant la « prime de risque »).

Sur le marché des changes, c’est la course au dollar étasunien.

Le dollar est de nouveau devenu une source de préoccupation internationale, s’appréciant du 9 au 20 mars, parce que les entreprises, les banques et les États se ruaient sur la devise dominante… (The Economist, 28 mars)

Le taux de change des monnaies des économies les plus faibles va s’effondrer et les dettes souscrites dans ces pays en monnaie « forte » vont devenir insurmontables.

La crise pétrolière

Alors que la consommation de pétrole par la Chine, premier consommateur et importateur mondial, avait déjà chuté d’un tiers en février, et en réponse au gouvernement russe qui refusait de diminuer sa production en violation d’un accord de l’OPEP signé en 2015, l’Arabie saoudite changeait radicalement de position en décidant d’augmenter la sienne, de 1,5 million de barils par jour (environ 12 %), suivie par le Nigéria, l’Algérie, Oman et l’Irak.

Avec l’effondrement de la demande associé à la crise sanitaire, cet apparent contresens – puisque cela génère une offre excédentaire de 20 millions de barils et une perte de profits – permet à l’Arabie saoudite de gagner des parts de marché contre ses concurrents immédiats, à commencer par la Russie, mais affaiblit également les États-Unis. Dans le bras de fer ainsi engagé entre les principaux producteurs, un des éléments déterminants est le coût de production du baril. Il est beaucoup plus élevé en moyenne aux États-Unis, 50 dollars le baril, qu’en Russie, 20 dollars, et surtout qu’en Arabie Saoudite, 2,8 dollars.

Le cours du pétrole s’effondre, divisé par trois depuis le début de l’année, sur fond de diminution de 80 % du transport aérien et de guerre commerciale entre la Russie et l’Arabie saoudite sur le niveau de production pétrolière. « L’industrie pétrolière affronte sa plus grave crise depuis cent ans » (Financial Times, 24 mars). La baisse du cours du pétrole va nuire à tous les pays producteurs, mais particulièrement au Venezuela, à l’Algérie, à l’Iran…

Un effondrement sans précédent de la production

La réduction de la production trimestrielle s’élève déjà à 18 % en Chine et en Inde, 25 % aux États-Unis, 26 % en France, 28 % en Allemagne… (OCDE, 27 mars). À la suite du krach de 2008, la réduction était de 6 % pour l’OCDE, de 3,5 % dans le monde entier. Aujourd’hui, le capitalisme chinois semble redémarrer, mais l’Europe de l’ouest, l’Amérique du Nord, etc. sont à leur tour plongées dans la dépression.

L’économie française a tourné fin mars aux deux tiers de son rythme normal. Chaque quinzaine de confinement « coûte » environ 1,5 % de perte de PIB annuel… L’impact des mesures de confinement en vigueur depuis le 17 mars est de -32 % sur l’activité en mars. (Banque de France, 8 avril)

L’OCDE prévoit que le taux de chômage des pays impérialistes et semi-impérialistes atteigne 10 % courant 2020, alors qu’il n’était que de 5,6 % en 2007.

Pendant ce trimestre (le deuxième trimestre) le nombre d’heures de travail sera en baisse d’environ 6,7 % ce qui équivaut à 195 millions de travailleurs à plein temps (effectuant une semaine de travail de 48 heures). Cela signifie que nombre de ces travailleurs vont devoir faire face à une baisse de leurs revenus et à un niveau supérieur de pauvreté. (OIT, 7 avril)

Plus que jamais, l’État bourgeois à la rescousse

Comme à chaque crise, l’illusion dans la capacité de l’État bourgeois à vaincre les crises réapparait.

L’ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien à l’activité puis de relance. (Emmanuel Macron, 12 mars)

Ceci signifie bien la fin du capitalisme néo-libéral. (Patrick Artus, économiste de la banque Natixis, 30 mars)

Par conséquent, l’école keynésienne (Thomas Piketty, Joseph Stiglitz, Lawrence Summers…), qui livrait depuis quelques années une contre-offensive au sein de la « science économique » officielle, veut retrouver l’oreille des politiciens bourgeois.

Les solutions trouvées par le célèbre économiste britannique en 1936 sont celles qu’il convient de mettre en oeuvre aujourd’hui. (Alternatives économiques, avril)

Il faut savoir être keynésien quand la situation l’impose. (Toulouse School of Economics, 21 mars)

Pour chaque bourgeoisie, c’est chacun pour soi, aggravant l’anarchie propre au capitalisme. Dans le monde entier, les États nationaux tentent de faire face en activant la politique monétaire et la politique budgétaire. Pour la politique monétaire, la marge de manoeuvre est limitée par le niveau très bas des taux d’intérêt (entre 0 et 0,25 %), si bien que seules des politiques « non conventionnelles » peuvent être mises en oeuvre, c’est-à-dire des injections de liquidités (qui portent le doux nom de détente quantitative), autrement dit la planche à billets de façon illimitée. Les règles prudentielles (fixées par la BRI) auxquelles étaient soumises les banques sont relâchées par leur banque centrale. Partout, celle-ci rachète à celles-là les titres de dette de leur État (ou des États membres de la zone euro dans le cas de la BCE) ce qui revient à financer, indirectement, les États eux-mêmes. En annonçant le 18 mars qu’elle rachèterait, jusqu’à 750 milliards d’euros, toutes les obligations privées ou publiques que les banques voudraient lui revendre, celle-ci a réduit les écarts de taux qui pénalisaient en particulier l’État italien.

Le levier budgétaire est également activé. Chaque gouvernement impérialiste déverse des centaines de milliards d’euros pour assurer l’ordre social (subsides aux chômeurs, etc.) et surtout pour assurer la survie de ses capitalistes, préserver leurs chances dans la compétition internationale quand elle reprendra. Les États essaient donc de limiter les faillites en suspendant toutes les créances publiques (impôts sur les entreprises, cotisations patronales…), en offrant leur garantie et en déversant eux-mêmes de l’argent, sans crainte du déficit budgétaire.

Le gouvernement américain envisage un plan de 2 000 milliards de dollars, en faveur du patronat pour les deux tiers. Le gouvernement britannique a, quant à lui, promis un plan d’aide de 300 milliards de livres. Le gouvernement italien a lancé un plan d’aide aux entreprises de 18 milliards d’euros dès le début de la propagation du virus. Le gouvernement allemand envisage de mettre en oeuvre un programme de 500 milliards d’euros, pour soutenir son capital, en revenant sur la Constitution qui impose « zéro déficit ». Le gouvernement français a lui aussi assuré que « quoi qu’il en coûte », il se tiendrait aux côtés des entreprises françaises. Il a déjà annoncé 300 milliards. « Nous ferons tout ce qui est nécessaire et plus que ce qui est nécessaire pour soutenir notre économie et nos entreprises » (Bruno Le Maire, Les Échos, 13 mars). La dette publique française devrait atteindre 112 % du PIB.

La Commission européenne a ratifié en suspendant le 20 mars les règles budgétaires en vigueur depuis le traité de Maastricht (1992), à savoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB et une dette publique inférieure à 60 %, durcies par le TSCG (2012) à un déficit inférieur à 0,5 % ou 1 % du PIB ; le Conseil européen du 26 mars a ratifié la décision de la Commission ainsi que les mesures prises par la BCE.

Le Conseil européen (des chefs de gouvernement) du 10 mars n’avait réussi à dégager que 25 milliards d’euros, malgré les demandes pressantes des gouvernements d’Italie, d’Espagne et de France. Depuis, Merkel a cédé, afin de préserver l’Union européenne qui reste le choix de la majorité de la bourgeoisie allemande. Après des discussions préalables des ministres de l’économie des principaux pays impérialistes (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas), le Conseil de l’union (des ministres de l’économie) s’est accordé le 9 avril sur 540 milliards (le PIB annuel de la France est d’environ 2 400 milliards d’euros) pour tenter de sauver les maillons faibles.

Contre la subordination des producteurs à la classe exploiteuse en faillite

L’histoire a montré que ce n’est ni avec des politiques libérales (à la Friedman, à la Hayek, à la Lucas…), ni avec les politiques interventionnistes (à la Keynes, à la Kalecki, à la Minsky…) que l’État peut empêcher la baisse du taux de profit qui conduit aux crises capitalistes. Le capitalisme ne sort des crises que par la surexploitation du prolétariat et par la dévalorisation à grande échelle du capital suraccumulé.

Les partis « réformistes », là où ils existent, et, dans le monde entier, les directions syndicales approuvent le tournant étatiste des gouvernements. Pourtant, leurs mesures sont centrées sur la survie des groupes capitalistes et qu’elles comportent des restrictions aux libertés démocratiques, au droit des travailleurs et un militarisme accru. Il n’y a pas de hasard. L’union nationale appelée par les gouvernements bourgeois sous prétexte de combattre la pandémie trouve son prolongement dans la célébration du rôle de l’État, pour préparer l’étape suivante : tous derrière sa propre bourgeoisie et chacun derrière la sienne dans la lutte féroce qui ne manquera pas entre elles dès les premiers signes d’une possible accalmie sur le terrain de la pandémie.

En France, les partis ouvriers bourgeois (PS, PCF, LFI…) et les appareils syndicaux ont répondu favorablement à l’appel de Macron à l’union sacrée. Les directions confédérales (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE) se réunissent régulièrement avec le gouvernement et le patronat pour discuter « des sacrifices » que les travailleurs doivent supporter. Aucune ne met en cause l’aide publique aux entreprises capitalistes.

Nous devons nous assurer que le nouveau modèle et les nouvelles règles permettront une distribution durablement plus juste des richesses, et un système économiquement plus résilient. Cela passera notamment par des règles d’encadrement des versements des dividendes afin d’affecter le reste des moyens à la transition sociale et écologique. C’est une condition sine qua non pour permettre à nos entreprises de résister aux prochaines crise. (Amis de la Terre, ATTAC, CGT, Greenpeace, FSU, Solidaires…, Lettre à Bruno Le Maire, 29 mars)

Les bureaucrates de la CGT, de Solidaires et de la FSU, au côté d’associations protectionnistes et malthusiennes, se bornent à supplier le gouvernement que, temporairement, les entreprises capitalistes ne versent pas de bonus aux PDG (mais leurs « salaires » mirobolants resteraient honorés) et gardent les dividendes de l’exercice antérieur au lieu de les verser aux possesseurs des actions.

Si les groupes capitalistes conservent les dividendes promis aux actionnaires, les profits de la période antérieure restent en totalité aux mains de l’autre fraction des capitalistes, les manageurs (les PDG et leur état-major). Ainsi, ceux-ci disposeront d’encore plus d’argent pour se rémunérer et les grandes firmes françaises pourront plus facilement racheter des entreprises étrangères ou les entreprises locales en difficulté.

L’objectif de la supplique au ministre de l’économie de Macron est de « permettre à nos entreprises de résister aux prochaines crises ». Mais d’où sortent les « crises » inévitables ? La récurrence des crises économiques n’est-elle pas une caractéristique du capitalisme ? « Nos entreprises », disent la CGT, la FSU et Solidaires ? Mais à qui appartiennent-elles, actuellement ? Certainement pas aux travailleurs !

Dans l’intérêt du plus grand nombre, il faut réquisitionner, sans plus tarder et sans indemnité, les cliniques privées, les groupes pharmaceutiques ou de matériel médical, les hôtels pour y héberger les sans-abris et les malades les moins graves.

Pour raréfier l’apparition des agents pathogènes et limiter leur propagation, il faut suspendre la destruction des forêts tropicales et mettre en cause l’élevage industriel, il faut instaurer une coopération internationale scientifique, médicale et technique pour la connaissance des virus, des bactéries, des prions, pour la recherche de vaccins, de médicaments antiviraux et de nouveaux antibiotiques.

Cela implique de socialiser les moyens de production, de planifier démocratiquement la production en fonction des besoins de la population. Il faut pour cela une révolution sociale qui renverse les États bourgeois, exproprie les groupes capitalistes, fait dépérir les frontières.

9 avril 2020