Derrière l’épidémie, la guerre de classe

À la jonction de la nature et du capital

La forme concrète et précise qu’a pris la pandémie du nouveau coronavirus ne pouvait être prévue mais la survenue de pareilles pandémies était probable. Les travaux scientifiques documentés sur les virus émergents et les risques de pandémie existent depuis plusieurs années. Par exemple, il y a déjà cinq ans, des chercheurs français, belges et néerlandais, spécialistes des coronavirus, prévenaient la commission européenne sur l’impérieuse nécessité de financer les recherches sur de nouveaux antiviraux pour prévenir les nouvelles formes d’épidémie. En vain. Car que pèse la recherche publique face à la soif de profit du capital ?

Le capitalisme se caractérise non seulement par son développement anarchique et par son imprévoyance consubstantielle, mais aussi par le bouleversement constant des rapports de l’homme à la nature, par sa destruction. N’en déplaise au gouvernement « communiste » chinois et à la chef du RN français, le Covid-19 n’est pas une invention de l’armée américaine. L’émergence de souches de bactéries résistant aux antibiotiques et de nouveaux virus comme le Covid-19, Ébola, les SARS-Cov, l’hépatite E, la Nipah… est une illustration de la dialectique matérialiste (Karl Marx, 1845) et, plus spécifiquement, des lois de l’évolution biologique (Charles Darwin, 1859). Elle est facilitée par le capitalisme, par les conséquences de son mode de production vis-à-vis de la nature, et donc des rapports de l’homme à la nature.

Les écosystèmes dans lesquels les virus « sauvages » restaient sous contrôle par la complexité des forêts tropicales sont pulvérisés par la déforestation capitaliste et, à l’autre extrémité de la périphérie urbaine, par les déficiences de la santé publique et des équipements sanitaires… Le développement du capital détruisant la complexité de l’environnement qui limite la population des agents pathogènes virulents, l’accroissement qui en résulte de l’éventail des risques de contagion, l’expansion de circuits commerciaux périurbains qui transmettent les nouveaux agents pathogènes au bétail et aux travailleurs des zones les plus isolées aux métropoles, le transport international des personnes et du bétail … (Rob Wallace…, Monthly Review, 27 mars)

Partout, les pouvoirs exécutifs dépassés

Les religions n’ont jamais protégé leurs adeptes contre quoi que ce soit. Les virus et les bactéries pathogènes n’ont jamais connu les frontières. Mais il leur faut un peu de temps pour se répandre. Ce temps n’est guère utilisé. Face au Covid-19, l’imprévoyance et l’incurie de la bourgeoisie comme classe dominante se retrouvent déclinées à des degrés divers dans chaque pays avec des conséquences dramatiques pour la population. La première réponse de l’État chinois est en décembre 2019 de faire taire les médecins lanceurs d’alerte, faisant perdre trois semaines précieuses.

La porte-parole du gouvernement français écarte tout risque alors que la Chine est frappée massivement. Macron et Philippe ne préparent rien et autorisent un rassemblement religieux chrétien du 17 au 24 février à Mulhouse répandant la maladie dans la ville et au-delà (France y compris DOM, Belgique, Burkina Faso…). On imagine ce que le RN et LR diraient aujourd’hui dit si les cérémonies avaient été musulmanes ! Alors que l’épidémie est déjà massive en Alsace, le gouvernement maintient le premier tour des élections municipales malgré l’avertissement de la ministre de la santé de l’époque. Ils décident les premières mesures de confinement six semaines après l’apparition de la maladie sur le territoire.

Les gouvernements des Pays-Bas (Parti populaire pour la liberté et la démocratie + Parti travailliste), et de Grande-Bretagne (Parti conservateur) laissent d’abord faire, misant sur l’auto-immunisation naturelle de la population, puis changent brutalement d’avis devant l’annonce par les épidémiologies que des centaines de milliers de personnes mourraient, sans épargner les riches.

Aux États-Unis, le pays le plus riche du monde et à la tête de la recherche scientifique, mais pas celui qui garantit le mieux la santé de la population, les mesures de confinement sont décidées par les gouverneurs des États. Le président, après avoir démantelé l’administration fédérale chargée des épidémies (CDC), après avoir minimisé pendant plusieurs semaines le risque de ce qu’il appelle « le virus chinois », déclare qu’il faut fêter Pâques (12 avril) dans les églises et remettre les exploités au travail au plus vite.

Je ne veux pas que le remède soit pire que le mal. Vous pouvez détruire un pays de cette façon, en fermant tout… Nous avions la meilleure économie de notre histoire il y a trois semaines encore. Et puis tout d’un coup, nous sommes censés tout arrêter. Et payer les gens pour ne pas aller travailler. On n’a jamais vu ça ! (Donald Trump, 24 mars)

Même dans les pays impérialistes, les anciens des maisons de retraite, les réfugiés, les migrants, les sans-domicile et les franges précarisées sont particulièrement vulnérables. Les marins du transport international de marchandises, dont la plupart sont originaires de pays pauvres comme les Philippines, sont probablement en danger. Vu la faiblesse des systèmes hospitaliers, il faut s’attendre à des hécatombes dans les pays dominés, en Afrique, en Amérique latine, dans le sous-continent indien, etc.

La distanciation sociale est impossible à appliquer dans un bidonville surpeuplé. Se laver les mains est difficile quand vous n’avez pas d’eau courante. Les gouvernements peuvent bien dire aux gens de ne pas aller travailler mais, si cela veut dire que leur famille ne va pas manger, ils sortiront quand même. (The Economist, 28 mars)

Le pire sera dans les camps de réfugiés, les déplacés étant bien plus nombreux dans les pays dominés que dans les pays avancés.

Le comportement du pouvoir politique peut aggraver les choses. Par exemple, le guide suprême de l’Iran a refusé pendant des semaines de confiner la population de la « ville sainte » de Qom alors que la maladie y naquit début février ; le président du Brésil, fondamentaliste chrétien et fasciste, nie toujours la gravité de l’épidémie. Dans les monarchies islamistes du Golfe, les chantiers, où ne travaillent que des ouvriers immigrés, ne s’arrêtent pas.

Les blocus par Israël (Gaza…) et par les États-Unis (Iran, Cuba, Venezuela…) sont délibérément criminels.

La santé publique fragilisée par l’austérité

Les masques et les tests sont nécessaires en début, au milieu et au sortir de l’épidémie pour éviter ou amoindrir la propagation du virus. En août 2014, le gouvernement PS-PRG-EELV, en toute connaissance de cause et pour de minables raisons d’économies budgétaires de quelques millions par an, a cessé de renouveler les stocks de masques, réduits la veille de l’épidémie à la portion congrue.

Les suppressions de postes, les restrictions budgétaires, les fermetures de lits, de services, d’hôpitaux des gouvernements bourgeois successifs ont laissé le système de santé publique dans un état proche de la rupture, avant même le déclenchement de l’épidémie. Tous en connaissaient parfaitement les conséquences. L’actuel directeur général de la santé, qui rend compte chaque soir de l’état de l’épidémie en France, était dans l’équipe de LREM en 2017 et renseignait le candidat Macron sur le système de santé.

La France n’est pas prête à un afflux de plus de 300 patients en urgence absolue. (Jérôme Salomon, Note confidentielle à Macron, 5 septembre 2016) ; L’hôpital, déjà en crise, est désormais en tension, car il ne dispose d’aucune élasticité pour absorber des variations d’activité… On peut déjà anticiper un coût humain important…. (Jérôme Salomon, Note confidentielle à Macron, 11 janvier 2017)

La même politique, guidée par la même classe sociale, a été poursuivie depuis mai 2017 par Macron, ce qui a suscité des protestations récurrentes dans les EPHAD et dans les services d’urgence des centres hospitaliers (voir Révolution communiste n° 34, 36, 37).

Aujourd’hui, sous le gouvernement du champion du management d’entreprise Macron, il manque 160 millions de masques par mois pour protéger seulement les personnels des hôpitaux, des maisons de retraite, d’aide à la personne, les médecins généralistes, les ambulanciers, etc. Par contre, le groupe capitaliste franco-allemand Airbus, qui continue à produire des avions et des armements et à les exporter, obtient des masques.

Fin janvier et début février, le ministère de la santé, conscient de la faiblesse des stocks d’État, n’a décidé de commander qu’une très faible quantité de masques, malgré des alertes internes. Le matériel a de surcroît mis plusieurs semaines à arriver. Après ce premier fiasco, l’État a créé, début mars, une cellule interministérielle dédiée à l’achat de masques. Mais là encore, le bilan s’est avéré catastrophique : lors des trois premières semaines de mars, la cellule n’a pu obtenir que 40 millions de masques, soit l’équivalent d’une semaine de consommation au rythme contraint actuel. La cellule a notamment raté plusieurs possibilités de livraisons rapides. Le gouvernement a caché cette pénurie pendant près de deux mois et, en fonction des stocks, a adapté ses consignes sanitaires sur le port du masque. Fin février, le directeur général de la santé préconisait un masque pour toute personne en contact avec un porteur du Covid. Un mois plus tard, la porte-parole de l’exécutif déclarait que c’était inutile. Des entreprises dans des secteurs « non essentiels » de l’économie ont continué à consommer des masques, pour des raisons économiques. Exemple : l’avionneur Airbus, qui semble avoir bénéficié d’un traitement de faveur. Dans le même temps, des personnels soignants continuent à travailler sans ces masques protecteurs, faute de stocks suffisants. (Mediapart, 2 avril)

Les mensonges succèdent aux mensonges pour tenter de dissimuler l’impréparation, la faiblesse dans laquelle les attaques successives des différents gouvernements ont laissé le système de santé publique. « Il n’y a aucune pénurie de masques », affirmait, péremptoire comme à son habitude, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye le 4 mars. « Il y a eu quelques difficultés logistiques, mais les masques vont être livrés d’ici un ou deux jours », prétendait-elle encore le 18 mars. « Les masques ne sont pas nécessaires pour tout le monde », assurait-elle encore le 20 mars, avec un aplomb qui le dispute à la bêtise.

L’envoi au casse-pipe d’une partie du prolétariat

Pour la classe ouvrière, c’est le risque sérieux d’une brutale plongée dans des conditions de vie, de travail, sans rapport avec ce que nous avons connues, même dans les crises précédentes. Déjà sur le plan de la santé. Mais aussi les possibilités d’un chômage de masse, d’une longue dépression, de la baisse drastique de la valeur de la force de travail, de la répression sociale et politique se renforcent à mesure que la pandémie avance. La mobilisation croissante de l’armée à laquelle recourent de plus en plus de gouvernements préparent non pas la guerre contre le virus, qui se moque bien des déploiements de matériels militaires, mais les affrontements possibles contre les bourgeoisies rivales et contre sa propre classe ouvrière.

« Nous sommes en guerre », a en effet martelé plusieurs fois le président le 16 mars. Ce qu’il oublie de dire est que la bourgeoisie en guerre envoie toujours les travailleurs au front. En haut, les coups de menton ne manquent pas ; en bas, tout manque. L’incurie du gouvernement est totale ou presque. Pas assez de masques, de gants et de tests pour les personnels hospitaliers, les médecins et infirmiers libéraux, les auxiliaires de vie… De même pour les policiers et les gardiens de prison car la bourgeoisie n’est pas forcément reconnaissante à ses chiens de garde. Peu de protection pour une partie de la classe ouvrière qui continue à travailler dans l’agriculture, le nettoyage, le transport de marchandises, le commerce alimentaire, les grandes surfaces, les usines qui tournent, les pompes funèbres… Peu ou pas de protection pour les travailleurs des services publics quasi-privatisés (Pôle emploi, la Poste…), ni pour les fonctionnaires qui restent en poste (les services d’incendie et de secours, les services d’état-civil, l’administration des impôts, les écoles ouvertes aux enfants des travailleurs qui restent actifs…), Pas de tests pour la masse de la population, car ils sont réservés seulement aux cas les plus graves. Dans les hôpitaux, pénurie de personnel, d’équipements (respirateurs, etc.), de médicaments indispensables à l’anesthésie et à la réanimation. Les présumés malades sont priés de rester chez eux avec les autres, confinés tous ensemble, seuls les malades les plus atteints sont pris en charge. Alors que des ouvriers agricoles refusent de mettre leur vie en danger, le préfet de Seine-et-Marne envoie les réfugiés à leur place.

Aujourd’hui, imitant Macron, la larme à l’œil et la voix voilée par l’émotion, pas un ministre, pas un sous-ministre, pas un député LREM qui ne commence une déclaration sans un vibrant hommage aux soignants. Mais dans quel camp étaient-ils, quelques semaines auparavant, quand les travailleurs de la santé manifestaient, pendant la grève des urgences, quand même les chefs de service démissionnaient en bloc ? Avec Macron, pour les réductions de postes, pour les fermetures de lits, contre les revendications des soignants !

Évidemment les infirmiers, médecins, aides-soignants, agents d’entretien, secrétaires, psychologues, kinés… des hôpitaux font un travail admirable, et les témoignages de solidarité montre que la population ne s’y trompe pas, mais ils le font dans les pires conditions, qui auraient pu être évitées. Déjà, dans les régions Grand Est et Île de France, les hôpitaux sont débordés et les services de réanimation trient les malades, certains sont soignés et d’autres ne le sont pas faute de moyens humains et matériels. Partout, les salariés des hôpitaux, des EHPAD, doivent travailler alors qu’ils sont contaminés en grand nombre, faute du matériel de protection suffisant, et faire face à l’afflux des malades, à l’urgence des situations et au manque d’effectif. Macron a promis le 25 mars une « prime exceptionnelle » à « l’ensemble des personnels soignants et des fonctionnaires mobilisés » dont il n’a pas précisé le montant et la mise en place « d’un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières »… une fois la crise passée. Mais il s’est bien gardé de dire qu’il accordait immédiatement l’augmentation des salaires pour tous de 300 euros que réclamaient les grévistes des hôpitaux, pas plus qu’il n’a décidé de rétablir les postes et les lits supprimés. Dans ces conditions, les promesses de Macron ne coûtent rien, d’autant qu’après la crise, le gouvernement bourgeois, quel qu’il soit, va présenter la note aux travailleurs.

Attaques contre le droit du travail

Pour l’heure, en effet, le gouvernement « mobilise » pour maintenir le capitalisme français à flot. Il ne doit rien en coûter aux entreprises. D’une part, la production doit continuer au mieux. Et pas seulement la production jugée indispensable aux besoins essentiels. Les travailleurs d’Airbus, qui pensent que leurs masques seraient plus utiles dans les hôpitaux ou ceux d’Amazon qui réclament l’arrêt des sites, faute de protections suffisantes, en sont pour leurs frais. Mieux encore, le gouvernement fait appel à la charité en lançant « un grand appel à la solidarité nationale ».

La ministre du travail Pénicaud s’est illustrée une nouvelle fois en jugeant que l’arrêt des chantiers du bâtiment relevait du « défaitisme national » (19 mars). Les ordonnances prises en vertu de la loi d’urgence confèrent des pouvoirs accrus aux patrons. Dans les secteurs de l’énergie, des télécoms, des transports, de la logistique, de l’agro-alimentaire, ils peuvent désormais imposer aux salariés une journée de travail jusqu’à 12 h, une semaine de travail jusqu’à 60 h et douze semaines de travail de 48 h ou douze semaines de 44 h s’il s’agit de travail de nuit. Dans toutes les entreprises, les patrons peuvent imposer jusqu’à six jours de congés légaux pendant la période de chômage partiel, sous réserve d’un accord de branche ou d’entreprise. Ils peuvent modifier les jours de congé, imputer les RTT, vider le compte épargne temps sur la période de confinement. La date limite de ces ordonnances, le 31 décembre, montre que le gouvernement entend bien que ce régime dure bien au-delà de la période prévisible du confinement et devienne la norme de travail.

D’autre part, en cas de mise en chômage partiel, comme dans le secteur automobile, l’État rembourse intégralement aux patrons les salaires versés par les entreprises. Résultat : aucun frais pour les patrons qui renvoient chez eux 3,9 millions de salariés (DARES, 2 avril) avec une baisse de 16 % de leur revenu puisqu’ils ne touchent que 84 % du salaire habituel ! Le gouvernement se porte également garant à hauteur de 300 milliards d’euros des prêts bancaires consentis aux entreprises. Il reporte le versement des cotisations patronales, impôts et taxes des entreprises sans exclure un éventuel moratoire. « Quoi qu’il en coûte », a répété Macron. Mais à qui ? Plus tard, l’heure sera au retour à l’austérité pour les salariés, contre les services publics, pour rembourser la dette budgétaire, c’est-à-dire payer les dons aux entreprises pour soutenir leur trésorerie, rembourser à l’État les salaires du chômage partiel que les entreprises n’auront pas eu à débourser.

Masques nulle part, police partout

Personne n’a empêché les familles aisées (oisifs ou cadres pouvant travailler à distance) de partir en voiture ou en train vers leur résidence secondaire et les riches de s’envoler à temps à l’étranger. Le confinement pénalise différemment suivant le type de logement et l’éventuelle solitude ou promiscuité. Sans parler des prisons où figurent peu de ceux qui commettent les plus grands délits et crimes (ceux qui fraudent massivement le fisc et l’URSAFF, qui polluent à grande échelle, qui poussent des dizaines de salariés à la mort, etc.).

L’enseignement à distance pourra être utilisé contre les travailleurs de l’enseignement et, d’ores et déjà, accentue les écarts sociaux dans l’accès au savoir avec la prétention d’une « continuité pédagogique » dévastatrice pour les enfants des travailleurs peu qualifiés alors que le système scolaire français est déjà inégalitaire.

On manque de masques, mais les policiers (qui toucheront des primes) sont équipés, outre les milliers de caméras, de drones munis de haut-parleurs. On manque de médecins, d’infirmiers et d’aides-soignants, mais pas de gendarmes, de policiers nationaux, de policiers municipaux d’agents de services secrets et de militaires.

« La présence policière est importante et permet de faire de la pédagogie » affirme l’inénarrable porte-parole du gouvernement. En fait de pédagogie, le comportement des flics est très différent dans les quartiers riches et les pauvres. Près de 400 000 contraventions (passées de 38 à 135 euros) pour non-respect du confinement ont été signifiées en une décade, la palme revenant à la Seine-Saint-Denis, où les CRS viennent en renfort de la police municipale pour verbaliser les jeunes qui sont confinés dans des logements exigus.

« L’opération Résilience » qui fait appel à l’armée n’a, sur le terrain sanitaire, pratiquement aucun sens. Laborieusement, l’armée a construit un hôpital de campagne de 30 lits à Mulhouse, devant lequel Macron a choisi de « s’adresser aux Français » le 25 mars. Elle semble désormais au bout de son latin, auquel on peut ajouter quelques transports sanitaires. L’opération Résilience ne consiste pas à rapatrier immédiatement les troupes de l’opération Barkhane ni à réaffecter les fonds dépensés avec libéralité pour les instruments de destruction de la vie humaine aux équipements pour sa préservation, encore moins de reconvertir l’industrie de l’armement française (le 3e exportateur d’armes du monde) en industrie publique d’équipement médical.

Il ne s’agit pas de mobiliser le génie pour réparer les canalisations d’eau qui fuient comme des passoires en Guadeloupe et privent ainsi les populations du simple accès à l’eau… Alors, de quoi s’agit-il ? L’envoi de deux navires porte-hélicoptères, l’un en direction de Mayotte et de la Réunion, l’autre vers la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, dont les hôpitaux de bord ne sont absolument pas adaptés aux traitements du coronavirus, n’a aucun sens, sauf si on souhaite disposer de troupes mobiles à mettre en renfort de la gendarmerie dans ces territoires où, précisément, la misère et la déliquescence dans laquelle les services publics ont été plongés rendent la situation particulièrement explosive. Le gouvernement assure que les troupes ne serviront pas au maintien de l’ordre et à la surveillance de la population. Mais il n’empêche que ce sont les préfets qui décideront de l’emploi des forces armées en fonction des situations locales. Quand on y ajoute la multiplication des couvre-feux décidés par les maires, le plus souvent des réactionnaires notoires, on peut s’inquiéter.

Par contre, parmi les 25 000 médecins cubains qui interviennent dans trente-trois pays, un certain nombre aident, pratiquement, la population française des Antilles et de Guyane.

L’État français se dispose à trouver des relais dans son pré-carré africain au cas où les régimes politiques s’effondreraient, vu leur incapacité à faire face à l’épidémie à venir.

Pour la France, dans ce chaos, il s’agit de trouver des interlocuteurs à la fois fiables et légitimes pour compenser la possible faillite des États. L’immanquable détournement de biens publics (à commencer par des masques) et de l’aide sanitaire internationale à venir (déjà dénoncée sous le terme « Covid-business ») peut facilement cristalliser l’ultime perte de crédit des dirigeants. À ce stade, quatre catégories d’acteurs ont la capacité de mobiliser des foules. Ils doivent « donc d’ores et déjà constituer des interlocuteurs pour nos efforts de gestion de la crise en Afrique », estime le Quai d’Orsay. Quels sont ces interlocuteurs ? Les premiers sont les autorités religieuses. Les deuxièmes sont les diasporas. Les troisièmes sont les artistes populaires. Les quatrièmes peuvent être des entrepreneurs économiques et des businessmen néo-libéraux. (Les Échos, 1 avril)

Ajouté aux mesures économiques en faveur des patrons, le renforcement du déploiement policier et militaire donne le vrai sens de la « guerre » annoncée par Macron sous prétexte de combattre le virus : une guerre pour les groupes capitalistes français et contre la classe ouvrière !

Union sacrée

Avant l’épidémie, Macron a pu compter sur la collaboration de tous les chefs syndicaux acceptant de son attaque des retraites, sur leur refus d’appeler à la grève générale. Il s’est trouvé préservé, malgré son impopularité, par les « journées d’action », les « actions spectaculaires » et les « grèves reconductibles » de diversion des bureaucrates de « l’intersyndicale » (CGT, SUD, FO, FSU…), appuyés par les partis sociaux-impérialistes (PS, PCF, LFI…) et les organisations centristes (LO, NPA, POID…). Le vote de sa loi contre les retraites n’était plus qu’une formalité.

Toutefois, la bonne volonté des appareils « réformistes », syndicaux et politiques, à l’égard de la bourgeoisie et du gouvernement à son service n’a pas cessé, au contraire. Après la première allocution de Macron, le PS répond présent « pour réaliser l’indispensable unité nationale » (Oliver Faure, 14 mars) et le PCF oublie toute responsabilité du capitalisme, il ne s’agit que de mauvaises politiques.

Une crise financière historique est en cours. La crise sanitaire en est le catalyseur et non la cause. Ce sont les politiques monétaires et néolibérales qui en sont les principaux déclencheurs… L’heure est à la mobilisation nationale pour délivrer la réponse la plus efficace face à la crise sanitaire et à la crise économique exceptionnelles que nous affrontons. (Fabien Roussel, 12 mars)

LFI, pour qui les classes sociales ont disparu, discerne un changement total dans la politique de Macron alors que celui-ci défend avec constance le capitalisme français.

Il aura fallu une crise, il est vrai mondiale, pour que le président de la République comprenne qu’un modèle de monde est mort et que le soin dû à tous est une priorité. (Jean-Luc Mélenchon, 12 mars)

L’union sacrée s’est exprimée avec une belle unanimité lorsqu’il s’est agi du maintien du premier tour des élections municipales aboutissant à cette situation surréaliste où le 14 mars au soir, le premier ministre Philippe ordonne à partir de minuit « la fermeture de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays » et le 15 mars au matin, assesseurs et électeurs se retrouvent dans les bureaux de vote, sans masque bien sûr…

L’union sacrée se retrouve à l’Assemblée nationale lors du vote de la loi de finances rectificative le 19 mars. Elle autorise la garantie de l’État pour les prêts aux entreprises jusqu’à 300 milliards d’euros, 43 milliards d’euros d’aides et de reports aux patrons dont la prise en charge du chômage partiel. Résultat : unanimité, les élus PS, PCF et LFI votent avec les députés RN, LREM, EELV !

Les « partis réformistes » prétendent qu’il est possible de concilier les intérêts des exploités et des exploiteurs au sein « la France », grâce à « la République ». Mais quand ils arrivent au pouvoir et qu’il faut choisir entre les deux classes fondamentales, ils gouvernent pour celle qui domine la nation et qui contrôle l’État. Le PS (y compris avec le ministre Mélenchon) le fait depuis 1914 et le PCF depuis 1944. LFI fera de même, comme ses amis de Syriza en Grèce de 2015 à 2019 et de Podemos en Espagne depuis quelques mois. Elle le laisse voir dès aujourd’hui, en demandant encore pour les patrons plus à Macron.

Toute perte de chiffre d’affaires que subissent les entreprises touchées par le confinement est compensée par l’État. (LFI, Onze mesures d’urgence, 20 mars)

La loi d’exception portant urgence sanitaire et permettant au gouvernement de légiférer par ordonnances a certes connu un moindre succès le 22 mars puisque les députés du PCF et de LFI ont cette fois voté contre, ceux du PS se contentant de s’abstenir. Pareille audace ne saurait être tolérée.

Lorsqu’on engage une guerre, on s’y engage tout entier, on s’y mobilise dans l’unité. Je vois dans notre pays les facteurs de division, les doutes, toutes celles et tous ceux qui voudraient aujourd’hui fracturer le pays, alors que nous ne devons avoir qu’une obsession, être unis pour combattre le virus. (Emmanuel Macron, 26 mars)

Que le président se rassure, il peut compter sur les chefs confédéraux qui négocient chaque jour en visioconférence avec la ministre du travail ou le premier ministre. Ils signent aussi avec le patronat une déclaration de collaboration de classe et d’union sacrée.

Les confédérations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et les organisations patronales (MEDEF, CPME, U2P) attachées à leur liberté de comportement se sont rencontrées ce 19 mars. Dans le contexte de crise sanitaire majeure, lié à l’épidémie de Coronavirus (COVID-19), qui appelle à prendre les mesures indispensables à son endiguement, elles entendent ainsi affirmer le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective. Elles appellent les pouvoirs publics et les entreprises à mettre en œuvre tous les moyens indispensables à la protection de la santé et de la sécurité des salariés devant travailler. (19 mars)

Mais qui décide des « salariés devant travailler » ? Mais où sont « les moyens indispensables à leur santé et à leur sécurité » ?

Pour la direction de la principale fédération syndicale de la fonction publique, qui n’est pas convoquée aux concertations gouvernementales, « l’heure n’est pas à creuser la conflictualité sociale » (FSU, 24 mars). Le 27 mars, une audioconférence nationale a porté sur l’application des ordonnances entre les directions confédérales, le patronat et Macron lui-même. Toutes y ont participé, sans qu’aucune en exige le retrait.

Pour la rupture avec Macron et la bourgeoisie française

Il est indispensable, contre cette union sacrée qui couvre tout autant l’incurie du gouvernement que ses attaques présentes et à venir contre les travailleurs, que les militants révolutionnaires tracent une perspective politique pour structurer la colère des salariés qui va inévitablement s’amplifier.

  • À bas l’union sacrée avec le gouvernement, l’État bourgeois et le capital !
  • Financement des mesures urgentes de santé et de protection sociale par un impôt très progressif sur le revenu, par la fin des subventions au capital, des dépenses militaires, des subventions aux religions (clergé de l’Est, établissements catholiques sous contrat…), la suppression des institutions antidémocratiques (Président, Sénat…) !
  • Des masques, des tests pour tous, des respirateurs en quantité suffisante ! Fermetures de toutes les entreprises et activités non essentielles sous contrôle des travailleurs !
  • Réquisition sans indemnité des cliniques privées, des groupes pharmaceutiques, des entreprises pouvant produire masques, blouses, respirateurs, tests, médicaments antiviraux… ! Contrôle par les travailleurs de ces productions.
  • Satisfaction immédiate des revendications des personnels soignants, salaires, postes et réouvertures des lits et des services hospitaliers !
  • Retrait immédiat des ordonnances portant atteinte au droit du travail ! Aucune diminution des salaires en cas de chômage partiel !
  • Interdiction de tout licenciement, maintien de tous les emplois, y compris précaires (contractuels, intérim, CDD…) !
  • Régularisation de tous les réfugiés et des étudiants ou travailleurs sans-papiers !
  • Aucune expulsion, réquisition des logements inoccupés, suspension des loyers des logements d’habitation, des versements aux banques pour les crédits immobiliers ou à la consommation !
  • Forces de répression et armée hors des villes, auto-organisation des travailleurs et des voisins pour contrôler le respect des mesures nécessaires pour arrêter la pandémie !

Pour la solidarité et la coopération internationales

Les grands problèmes de l’économie, de l’environnement, de la santé ne sont pas nationaux et ne peuvent être résolus dans les limites d’un État. Face au déferlement de patriotisme impulsé par le gouvernement Macron-Philippe, répercuté par les partis sociaux-patriotes, exaspéré par le parti fascisant, les travailleurs doivent lutter avec ceux des autres pays contre l’épidémie mondiale et prévenir les prochaines pandémies.

  • Gratuité des soins !
  • Coordination de la production d’équipements médicaux et répartition internationale au rythme de la progression de l’épidémie !
  • Collaboration internationale pour la recherche des vaccins, de traitements antiviraux, de nouveaux antibiotiques !
  • Expropriation des cliniques privées, des groupes pharmaceutiques, des assurances de santé privées… !
  • Arrêt de la déforestation, de la destruction des mangroves ou des récifs coralliens, encouragement aux cultures vivrières, limitation de la pêche industrielle et de l’élevage intensif !
  • Gouvernement des travailleurs, expropriation du capital, destruction de l’État bourgeois et dissolution des corps de répression, plan de production pour satisfaire les besoins sociaux décidé par la population et ménageant l’environnement et l’avenir de l’humanité, fédération socialiste mondiale !


2 avril 2020