Québec : quel bilan tirer des élections du 1er octobre ?

Les élections du 1er octobre 2018 se sont tenues selon une carte électorale revue en 2017. Le taux de participation a été particulièrement faible (moins de 67 % des inscrits). La Coalition avenir Québec remporte 37,4 % des voix et la majorité absolue avec 74 sièges (sur 125). Le Parti libéral obtient 31 sièges avec 24,8 % des voix. Le Parti québécois obtient 10 sièges avec 17,1 %. Québec solidaire a 10 sièges avec 16,1 %.

PARTIS ÉLUS VOTES part
CAQ : Coalition avenir Québec 74 1 508 805 37,4 %
PLQ : Parti libéral du Québec 32 1 000 909 24,8 %
QS : Québec solidaire 10 648 975 16,1 %
PQ : Parti québécois 9 687 872 17,1 %
Parti vert 0 68 073 1,7 %
Parti conservateur du Québec 0 59 392 1,5 %

Résultats des partis ayant obtenu plus de 1 % des suffrages (source : Radio-Canada)

Ainsi est mis fin à un règne de 15 ans du principal parti de la bourgeoisie canadienne, le Parti libéral (PLQ), interrompu seulement pendant 18 mois par un gouvernement minoritaire dirigé par le Parti québécois (PQ) de septembre 2012 à avril 2014.

L’alternance au pouvoir du PLQ et du PQ de 2003 à 2018

L’État bourgeois du Canada est fédéral, ce qui laisse depuis 1867 une certaine autonomie aux provinces. Les provinces sont responsables des affaires sociales (santé, éducation…) ou des questions locales. Elles régissent les relations entre les individus (droit privé civil). Les élections québécoises ont lieu au moins tous les 5 ans pour renouveler les 125 députés du parlement du Québec. Un autre membre du parlement, le lieutenant-général, n’est pas élu, mais reste désigné par la monarchie britannique.

La volonté du gouvernement de Jean Charest (PLQ) de hausser d’une manière drastique les frais de scolarité à l’université avait mis le feu aux poudres en 2012. Le « printemps érable » avait abouti à chasser du pouvoir les libéraux marqués par la corruption dont les politiques d’austérité pesaient lourd sur la classe ouvrière et la jeunesse. Mais la classe ouvrière n’avait pas fait irruption dans la brèche ouverte par la jeunesse pour ouvrier une perspective révolutionnaire (gouvernement ouvrier du Canada). Comme il arrive souvent quand il n’y a pas de parti ouvrier de masse, même réformiste, la grogne populaire contre le gouvernement bourgeois fort détesté, a profité à un autre parti bourgeois, en l’occurrence le parti de la bourgeoisie québécoise indépendantiste, le Parti québécois (PQ), qui est arrivé premier à l’élection générale de septembre 2012 avec 32 % des voix et 54 sièges.

Le gouvernement minoritaire de Pauline Marois a évidemment aboli la hausse des frais de scolarité décrétée par le PLQ. Mais il a instauré une indexation en fonction de l’inflation et il a poursuivi les coupures dans la santé et l’aide sociale. En 2014, il a voulu détourner le mécontentement au sein de la classe ouvrière en promulguant une Charte de la laïcité, dite Charte des valeurs québécoises [voir Avant-Garde n° 3]. Sur cette base, Marois a convoqué des élections anticipées en mars pour tenter d’obtenir une majorité absolue au parlement, mais le PQ a subi une cuisante défaite électorale qui reporta au pouvoir le PLQ.

La campagne xénophobe de la CAQ

Le débat identitaire ne fût pas enterré pour autant, car tant le PQ que la Coalition avenir Québec (CAQ), l’autre parti bourgeois francophone, se servaient de cette question dans le but de grandir en popularité au détriment du PLQ. Ce dernier, étant un défenseur fervent du statu quo fédéraliste canadien et du soi-disant multiculturalisme promu par le gouvernement fédéral, est souvent accusé par ses adversaires politiques de vouloir oblitérer « l’identité québécoise ».

La CAQ est une descendante de la défunte Union nationale (UN), un parti bourgeois ultraconservateur et clérical qui a longtemps gouverné le Québec (1936-1939, 1944-1959, 1966-1970). Son fondateur fut le tristement célèbre Duplessis, un des ténors du clérico-nationalisme qui a été le courant dominant dans la représentation politique de la bourgeoisie canadienne français jusque dans les années 1960. Il réprima sauvagement des grèves combatives et jeta en prison des militant-es communistes et syndicalistes. Avec l’appui de la hiérarchie catholique, l’UN a promulgué en 1937 l’infâme loi du cadenas qui permettait à la police de fermer tout bâtiment soupçonné de servir à la propagande communiste. Duplessis était aussi un farouche autonomiste québécois face au gouvernement fédéral et se servait de l’oppression nationale du Québec et de la fibre nationaliste pour détourner la classe ouvrière de la lutte des classes.

La perte d’influence de l’Église catholique et l’émergence du PQ séparatiste contraignirent à refonder l’UN en CAQ en 2011. François Legault, le chef de la CAQ, n’est certainement pas un fervent catholique comme l’était Maurice Duplessis, mais il prône sensiblement le même autonomisme politique envers Ottawa. La CAQ se présente comme une partisane de la « troisième voie » au chapitre de la question nationale québécoise : ni fédéraliste, ni indépendantiste, tout en étant résolument nationaliste québécois. La question de l’indépendance a été fort peu évoquée tout au long de la campagne électorale.

Lors de la campagne de 2018, tant le PQ que Québec solidaire (QS), qui sont pourtant bâtis sur le nationalisme québécois, furent plutôt discrets sur cet enjeu. Il y a une certaine désaffection pour la séparation depuis plusieurs années. La classe ouvrière a fait l’expérience répétée des gouvernements du PQ depuis 1976 qui, en sus d’être incapables de scissionner le Canada, ont mis en œuvre des politiques d’austérité similaires à celles du PLQ. Toutes les sections de la bourgeoisie, fédéralistes et indépendantistes, sont déterminées à faire payer la crise aux travailleur-euses et à défendre le taux de profit au détriment des acquis sociaux.

La CAQ profite du désenchantement croissant envers l’option séparatiste défendue par le PQ. Pire, la CAQ prospère, comme tant d’autres partis bourgeois dans le monde, sur la base de la xénophobie, pour dévier le mécontentement engendré par le déclin du capitalisme vers la xénophobie. La défense de l’identité québécoise, qui serait supposément menacée par l’immigration, est un de ses thèmes préférés.

La CAQ a annoncé sans ambages son intention de réduire à 40 000 par an le seuil d’immigration au Québec, alors que le flux se situe présentement entre 50 et 55 000 entrées.

L’immigration prend beaucoup de place dans le discours électoral. L’argument qui revient le plus souvent, c’est la pénurie de main-d’œuvre. Pourtant, il y a bien des immigrants qui n’en profitent pas du tout. (Journal de Montréal, 12 septembre 2018)

Le PQ n’était pas en reste, s’engageant lui aussi à réduire les seuils d’immigration entre 35 et 40 000 par année. Le PLQ et le parti nationaliste petit-bourgeois QS (Québec solidaire) pouvaient alors se présenter d’une manière démagogique comme étant les défenseurs des immigrant-es.

Les boniments réformistes de QS

Québec Solidaire a fait une percée significative passant de trois circonscriptions électorales à dix, faisant des gains à l’extérieur de Montréal, notamment en Abitibi-Témiscamingue et dans la région de Québec. Son programme réel est de servir le capitalisme québécois, d’empêcher la lutte des classes.

Nous sommes un mouvement populaire. Populaire parce que Québec solidaire fonde toute son action sur les besoins réels de la population. Populaire, parce que nos idées sont pareilles à celles d’un grand nombre de Québécois et de Québécoises. Québec solidaire ose dire que ce que le peuple veut est réalisable. (QS, Le projet)

Pour obtenir les voix des travailleurs, QS prône le retour de l’État-providence : la gratuité scolaire à tous les niveaux de l’enseignement de la maternelle à l’université, l’instauration d’une assurance dentaire universelle, des transports publics à bas prix, plus une meilleure protection de l’environnement.

La classe ouvrière est généralement absente de la plateforme électorale de QS. Par contre, le « bien commun » est très présent alors que ce terme ambigu évacue complètement l’expropriation du capital et la nécessité du socialisme. Le socialisme est d’ailleurs absent de la plateforme électorale, sur le modèle du Labour Party, du Partido dos Trabalhadores, de la France insoumise, de Die Linke, de Podemos… ou de la Syriza qui gouverne le capitalisme grec avec un parti xénophobe pour appliquer la politique de liquidation de l’État-providence dictée par les bourgeoisies allemande et française. Ce sont toujours les mêmes illusions semées envers une possible « humanisation » du capitalisme sans tirer les leçons des expériences des gouvernements « réformistes » qui ont été au pouvoir depuis un siècle.

Si QS dénonce les tentatives des partis bourgeois xénophobes et des groupes fascistes de transformer les personnes immigrantes en boucs émissaires pour les problèmes sociaux et économiques du capitalisme du Canda et du Québec, il propose aussi une « politique migratoire » guère différente dans son fondement de celle du PLQ. Le PLQ défend l’immigration en autant qu’elle soit rentable sur le plan économique et permette à ses maîtres capitalistes de faire de judicieux profits.

Dans un Québec solidaire, ces politiques doivent tenir compte autant de la nécessité d’accueillir des immigrants et des immigrantes à des fins économiques et sociales que de la responsabilité morale et politique que nous avons d’accueillir des personnes et des familles réfugiées. (Programme politique de QS, août 2018)

Il n’est nulle part fait mention du fait que les travailleurs et les travailleuses immigrant-es constituent une partie importante de la classe ouvrière mondiale, canadienne et québécoise et que tout attaque contre elles et eux est une attaque contre l’ensemble du prolétariat. La lutte pour l’ouverture des frontières aux réfugiés, aux travailleurs et aux étudiants, pour l’obtention de papiers pour tous, pour les mêmes droits pour les travailleurs migrants que les natifs, pour les femmes que pour les hommes, sont les revendications que le mouvement ouvrier doit défendre contre le patronat et l’État bourgeois.

L’attitude du mouvement ouvrier

Le mot d’ordre des syndicats tout au long de la campagne était de ne pas voter pour la CAQ et le PLQ, comme si le PQ n’avait pas lui aussi promulgué des politiques anti-ouvrières quand il était au pouvoir.

Vous avez d’un côté les libéraux qui nous ont plongé dans l’austérité et ont attaqué nos membres. Et vous avez la CAQ dont l’agenda est désastreux, un agenda où on remet tout au privé », a résumé le directeur québécois du Syndicat canadien de la fonction publique, Marc Ranger. (Radio-Canada, 12 août 2018)

Au mois de juillet des syndicats ont installé des affiches appelant explicitement à voter pour le PQ ou QS à Montréal, Québec, au Saguenay Lac-St-Jean et dans la région des Laurentides.

Ces deux partis-là n’ont pas aidé les travailleurs. Le PLQ et la CAQ, on pense qu’ils ne méritent pas le vote des travailleurs. Allez vers le Parti québécois et Québec solidaire, on ne dit pas pour qui. (Denis Bolduc, président du Syndicat canadien de la fonction publique, Radio-Canada, 18 juillet 2018)

C’est donc la politique du « moins pire », une politique de soumission à la bourgeoisie francophone que les syndicats québécois ont mis de l’avant lors de la campagne électorale. Ils ne voyaient aucune objection à recommander aux travailleur-euses de voter pour un parti comme le PQ qui a bafoué leurs intérêts à maintes reprises, notamment lors de la grève du secteur public québécoise en 1982-1983 et lors de la course au déficit zéro à la fin des années 1990.

Le parti ouvrier fédéral (NPDQ) lié à la bourgeoisie anglophone n’a obtenu que 0,6 % des voix et 0 député. Les organisations politiques ouvrières francophones ralliées à QS (Gauche socialiste, Socialisme international, Alternative socialiste, Riposte socialiste, Parti communiste du Québec…) sont des pelleteurs de nuage et nourrissent les illusions envers un Québec indépendant et « socialiste » qui échapperait par miracle aux politiques d’austérité et de démolition des programmes sociaux.

Le Collectif révolution permanente n’est indifférent à aucune oppression, en particulier des femmes, des travailleurs étrangers et des nations autochtones de tout le Canada ainsi que des communautés francophones hors-Québec. Nous comprenons et nous partageons l’hostilité des travailleur-euses québécois-es à l’égard de l’État impérialiste canadien et nous défendons résolument le droit du Québec et des nations autochtones à l’autodétermination, jusqu’à et y compris la sécession. Mais nous ne préconisons pas la séparation. Quel que soit le gouvernement à sa tête et son degré d’indépendance politique envers le Canada, l’État québécois, ses flics, ses tribunaux, sont aussi capitalistes et anti-ouvriers que l’État fédéral et ses institutions.

Le nationalisme bourgeois, même au sein des minorités nationales, détourne la classe ouvrière de la lutte des classes et mène inévitablement à l’alliance du prolétariat avec sa bourgeoisie contre les « ennemis extérieurs ». Si le droit à l’auto-détermination est une revendication légitime, seule une révolution socialiste instaurant un pouvoir ouvrier permettra de la garantir.

Contre le gouvernement CAQ de François Legault

Le taux de participation a été de 66,45%, le deuxième plus bas depuis 1927, ce qui montre une certaine désaffection envers le cirque électoral bourgeois, sans qu’un parti ouvrier révolutionnaire soit capable d’ouvrir une perspective de lutte de classe. Pour les mêmes raisons que la montée de l’abstention, les grands perdants de ces élections furent le PQ et le PLQ, les deux partis bourgeois qui ont gouverné depuis un demi-siècle environ. Le PQ s’en est tiré avec dix députés, soit son résultat le plus bas depuis 1970 et s’est retrouvé ainsi à égalité avec QS.

Le résultat des élections a pris par surprise les commentateurs et les analystes politiques bourgeois, ainsi que les firmes de sondages. Aucun d’entre eux ne prédisait que la Coalition Avenir Québec formerait un gouvernement majoritaire.

La CAQ préconise une réduction des effectifs de la fonction publique, le remboursement de la dette publique, la libéralisation du marché d’alcool en mettant fin au monopole de la Société des alcools du Québec et davantage d’austérité pour la classe ouvrière. Son élection n’augure rien de bon, sauf pour les patrons bien sûr. Le gouvernement CAQ ne fera que renforcer les mesures d’austérité instaurées par le PQ et le PLQ dans le but de faire payer la crise du capitalisme à la classe ouvrière.

Face aux attaques contre les migrants, les salariés, les femmes, les étudiants… que le gouvernement de la CAQ conduira à coup sûr, nous préconisons le front unique de toutes les organisations ouvrières pour combattre Legault, la rupture des organisations syndicales avec le gouvernement, la mise sur pied de comités démocratiquement élus par la base dans les lieux de travail, de vie et d’études, centralisés dans tout le Québec et de tout le Canada pour préparer la grève générale, pour se défendre contre les bandes armées du capital, pour gagner lors des affrontements à venir.

Cependant, pour en finir avec le système capitaliste et ses ravages, pour ouvrir la perspective des États-Unis socialistes d’Amérique, il faut construire un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste qui mettra de l’avant des revendications similaires à celle du programme de transition de la 4e internationale en 1938 pour faire le pont entre les besoins de la classe ouvrière et la nécessité de la révolution socialiste. En se présentant aux élections pour y défendre son programme, en construisant ses fractions syndicales contre toute collaboration avec l’ennemi de classe, un tel parti pourra diriger les travailleur-euses tout au long du processus révolutionnaire jusqu’au renversement du capitalisme et à la création d’un gouvernement des travailleurs, à l’image du Parti bolchevik en Russie en 1917 sous la direction de Lénine et Trotsky.

20 novembre 2018

Philippe Valois