Cinéma : Nous trois ou rien, de Kheiron, 2015

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Kheiron est un humoriste et un acteur français, né en Iran d’un couple de militants des Fedayin mais qui a grandi et travaillé en France, à Stains et Pierrefitte (Seine-Saint-Denis). À cause de la menace que faisait porter sur leur existence l’islamo-fascisme à son apogée, ses parents se sont réfugiés en France en passant par la Turquie. Initialement avocat et infirmière, ils se sont reconvertis dans l’animation de quartier et le travail social à Pierrefitte, une commune populaire dirigée alors par le PCF (depuis 2008, par le PS). Son père a retracé leur trajectoire (Hibat Tabib, Téhéran-Paris, L’Atelier, 2007). Nous trois ou rien choisit de traiter le même thème sur un mode humoristique, comme Marjane Satrapi dans la bande dessinée Persépolis (2000-2003). C’est réussi.

Le film se partage en deux grandes parties. La première est la plus longue : elle a pour cadre l’Iran des années 1970, quand l’empereur (chah) supporté par les États-Unis réprime à la fois le clergé chiite (car le chah a confisqué en partie des richesses des ayatollahs et décidé l’égalité juridique des femmes), les staliniens (Tudeh) et les organisations de guérilla (Fedayins « marxistes-léninistes » et Moudjahidines islamistes). Aucune organisation ne fait confiance à la classe ouvrière, aucune ne pense qu’elle a la capacité de prendre la tête de la révolution démocratique et anti-impérialiste et d’ouvrir la révolution socialiste dans toute la région. Les Fedayins, suivant les exemples de Mao et de Castro, s’orientent vers la paysannerie et la guérilla.

Le Mouvement révolutionnaire iranien est actuellement en train de montrer la voie avec son action armée… Il montre au peuple la possibilité de la lutte et sa nature prolongée. (Organisation des guérilleros fédayins du peuple d’Iran, La lutte armée comme stratégie et comme tactique, 1971)

En tant que membre des Fedayins, Hibat Tabib est emprisonné et torturé durant 7 ans dans les prisons du Chah. La révolution de 1978, dans laquelle les Fedayins jouent un rôle important, est contrée par Khomeiny qui mobilise le lumpen et la petite bourgeoisie contre les « communistes », les étudiants avancés et les travailleurs salariés en lutte. Mais les Fedayins restent imprégnés du stalinisme : révolution par étape, alliance avec la bourgeoisie « démocratique » ou « anti-impérialiste ». Comme le Toudeh, les Fedayins défend une politique de front uni anti-impérialiste, de soutien critique à Khomeiny décrit comme le « représentant de la bourgeoisie nationale démocratique » dans le cadre de la « révolution par étapes ». Les bandes fascistes puis l’État totalitaire s’abattent sur eux, comme sur l’organisation qui se réclame du trotskysme (HKS) et, malgré sa conduite servile envers les islamistes, le Toudeh. Cette première partie déniaisera peut-être ceux qui prennent l’islamisme contre-révolutionnaire comme une étape obligée et progressiste de la lutte des peuples opprimés de l’Asie de l’ouest. En 1979, l’oppression s’abat sur le peuple iranien, en particulier la classe ouvrière, les femmes, les jeunes et les minorités nationales, alors qu’il s’avérera au fil des ans que la fraction cléricale de la bourgeoisie exploiteuse est bien incapable de lutter réellement contre l’impérialisme. Elle a même fini en 2015 par céder, sur son programme nucléaire, au « Grand Satan » (les États-Unis).

Grâce à une filière kurde, les parents, avec leur bébé, le futur Kheiron, fuient le régime de Khomeiny par des montagnes escarpées et des températures glaciales. La seconde partie, plus courte, se déroule dans la banlieue parisienne. Le mérite du film est de donner une image à la fois réaliste et humoristique des villes populaires et en particulier de leur jeunesse de toutes les origines, celle que hait le FN. Pour les mêmes raisons que le cinéaste cache que ses parents étaient membres d’une organisation de lutte armée, il valorise le maire social-patriote, le financement d’associations pour acheter la paix sociale et donne en exemple l’intégration de ses parents. Dans une scène consensuelle qui évoque les phantasmes réformistes du PCF, de LO et du PS, la police communie dans une fête de quartier avec tous les habitants et se réconcilie avec la jeunesse tumultueuse. Comme si tous les immigrés et tous les habitants des banlieues étaient honorés par « la République » (son père est décoré en 2013 la Légion d’honneur comme, entre autres, les tortionnaires de dizaines de combattants algériens et de Maurice Audin en 2007), comme s’ils pouvaient tous devenir salariés des associations subventionnées par les mairies des partis réformistes (aussi utile soient ces derniers, ils ne résolvent en rien le chômage de masse, ni la discrimination ethnique et religieuse, ni la délinquance qui s’ensuit). Le film, comme les parents du metteur en scène, font par trop allégeance à l’État bourgeois français qui finance l’Église catholique, qui s’accoquine aux monarchies islamistes du Golfe arabo-persique, qui bombarde des pays du Proche-Orient, qui ferme ses frontières aux réfugiés et qui renforce sans cesse un appareil répressif dont les victimes ont souvent été les grévistes et les révolutionnaires, les peuples opprimés et les réfugiés.

13 décembre 2015, Philippe Couthon

PS : Pour comprendre la révolution et la contre-révolution en Iran, lire les thèses du CoReP (31 décembre 2010) et le bilan Revolution and counter-revolution in Iran de Saber Nikbeen (1983). Pour le cinéma iranien d’aujourd’hui, regarder The Hunter de Rafi Pitts (2010), Une famille respectable de Massoud Bakhshi (2012), Taxi Téhéran de Jafar Panahi (2015), Paradise de Sina Ataeian Dena (2015)…