Argentine : l’attentat contre Kirchner, les organisations « trotskystes » et la question de la violence

(Turc / Türk)

Le mensonge et la violence ne sont-ils pas à condamner ? Assurément, à condamner en même temps que la société, divisée en classes, qui les engendre. La société sans antagonismes sociaux sera, cela va de soi, sans mensonge et sans violence. Mais on ne peut jeter vers elle un pont que par les méthodes de violence. (Lev Trotsky, Leur morale et la nôtre, 1938, Pauvert, p. 69-70)

Buenos Aires, 1 septembre 2022, attentat contre Kirchner

Le 1er septembre, à Buenos Aires, un homme vise la vice-présidente Cristina Fernández de Kirchner (dite CFK) avec un pistolet de calibre 32 mais ne parvient pas à faire feu. Il est immédiatement désarmé par ses gardes du corps et remis à la police.

Il est certain que les travailleurs n’ont rien à gagner à ce que les différentes fractions politiques de la bourgeoisie se déchirent, ni à ce qu’un déséquilibré passe à l’action, mais faut-il faire confiance à la justice et à la police pour éclaircir l’affaire ? faut-il s’associer aux motions des partis bourgeois « démocratiques » ? faut-il manifester avec eux ? faut-il faire grève ?

Les bureaucraties de la CGT et des CTA appellent à la grève

Selon les premières investigations, l’auteur de l’attentat est un déclassé de 35 ans, amateur de musique « death metal », qui a un tatouage nazi. Il est difficile de savoir s’il a été manipulé par un service secret ou par une officine des fractions politique de la bourgeoisie argentine qui se déchirent face aux difficultés économiques et aux exigences du FMI.

La cible est la principale dirigeante d’un parti qui garde une assise populaire, mais est un vieux parti bourgeois, le Partido Justicialista (Parti justicialiste, PJ). Il est à la tête d’une coalition électorale, le Frente de Todos (Front de tous, FdT). C’est une sorte de front populaire qui unit toutes les cliques péronistes (PJ, FR, PCET, CF, Kolina, FV, NE, FG), des débris de l’autre parti bourgeois traditionnel UCR (PCForja, PI), les partis issus du stalinisme (PCA, PCR-PTP) et qui a l’appui des bureaucraties syndicales.

Le gouvernement Fernández-Kirchner, non seulement gère les affaires de la bourgeoisie argentine depuis 2019, mais vient d’accepter d’appliquer le plan d’ajustement du FMI en échange d’un prêt. Parmi les mesures, figure la baisse des subventions à l’énergie alors que l’inflation est de 83,6 % depuis un an (INDEC, 14 octobre 2022).

Le Fonds monétaire international a donné son feu vert à un second décaissement de 4 milliards de dollars pour l’Argentine. Dans cet accord, l’Argentine s’est engagée à ce que le déficit budgétaire ne dépasse pas 2,5 % du PIB. Elle devra par ailleurs réduire fortement le financement monétaire des dépenses publiques. Les subventions à l’énergie, qui ont représenté 2,5 % du PIB en 2021, devront elles aussi être diminuées. (Les Échos, 13 juin)

Les directions des centrales syndicales (CGT, CTA Trabjadores, CTA Autonoma), qui n’appellent pas à la grève générale pour l’échelle mobile des salaires ni contre le plan du FMI, appellent aussitôt à faire grève le lendemain 2 septembre et à des manifestations de rue le même jour avec le parti de Kirchner.

Le Partido Comunista de la Argentina (Parti communiste d’Argentine, PCA) affirme « sa condamnation vigoureuse de l’attentat et sa solidarité entière à Cristina Fernandes de Kirchner » et appelle à « l’unité de toutes les forces populaires en défense de la démocratie, contre… l’élimination physique de dirigeants et dirigeantes du camp populaire » (PCA, 1 septembre).

La réaction instantanée à l’attentat du PO et du PTS

Kirchner est depuis 2019 poursuivie par la justice. Elle a alors prudemment réparti sa fortune personnelle entre ses enfants. Prenant la parole le 23 septembre, lors de son procès pour « association illicite et gestion frauduleuse aggravée », la vice-présidente lie le processus judiciaire à la tentative d’assassinat.

Le milieu judiciaire donne la permission sociale pour que n’importe qui puisse penser et faire n’importe quoi… Jusqu’au 1er septembre, je pensais qu’il s’agissait de me stigmatiser… mais je me suis rendu compte qu’il pouvait y avoir autre chose derrière tout ça. (Cristina Fernandez de Kirchner, citée par Le Monde, 26 septembre)

Le Partido de los Trabajadores Socialistas (Parti des travailleurs socialistes, PTS) s’oppose depuis plusieurs années à l’inculpation de Kirchner pour corruption, comme si les politiciens bourgeois ne s’enrichissaient pas.

Chacun des grands partis qui se relaient au pouvoir est lui-même dirigé par des gens qui font de la politique une affaire… qui se relaient pour prendre possession du pouvoir de l’État et l’exploiter avec les moyens les plus corrompus et pour les fins les plus éhontées et la nation est impuissante en face de ces cartels de politiciens qui sont soi-disant à son service mais, en réalité, la dominent et la pillent. (Friedrich Engels, « Introduction à l’édition allemande de 1891 », 18 mars 1891, La Guerre civile en France, Éditions sociales, 1972, p. 300-301)

Toutes les composantes du FIT argentin se prononcent immédiatement sur l’attentat avorté, sans avoir si c’était l’acte d’un déséquilibré ou un règlement de comptes au sein de la classe dominante. Le Frente de Izquierda y de los Trabajadores–Unidad (Front de gauche et des travailleurs-Unité, FIT-U), né en 2011, est un bloc à seul but électoral de quatre organisations (PTS, PO, IS, MST) qui a obtenu dernièrement 3,2 % des voix et 4 sièges sur 257 à la Chambre des députés.

Selon le PTS, condamner toute tentative d’assassinat politique est un principe qui s’inscrirait dans « la tradition du marxisme-révolutionnaire ».

Dans la tradition du marxisme révolutionnaire, le PTS condamne inconditionnellement cette tentative d’assassinat… Nous exprimons notre condamnation la plus énergique de l’attentat et exigeons son éclaircissement. (PTS, 2 septembre)

Le Movimiento Socialista de los Trabajodores (Mouvement socialiste des travailleurs, MST) reprend les termes officiels du PTS.

Le MST du FIT Unité condamne fermement l’attentat contre la vice-présidente et exige une enquête approfondie. (MST, 2 septembre)

Pire, la Izquierda Socialista (Gauche socialiste, IS) assimile toutes les sortes d’attentats, qu’ils soient commis contre des dirigeants bourgeois ou contre des militants du mouvement ouvrier.

Izquierda Socialista condamne cette tentative d’assassinat, un acte extrêmement grave, comme toute agression contre des dirigeants politiques, syndicaux et sociaux. (IS, 2 septembre)

Un dirigeant du PTS assimile les attentats politiques au fascisme.

L’agression contre CFK en tant que méthode est fasciste, même si le coupable est un électron libre, ce qui reste à voir. (Fredy Lizarrague, Twitter, 2 septembre)

Il est naïf de s’en remettre à l’appareil judiciaire et répressif de l’État bourgeois pour connaitre la vérité sur un attentat politique. La demande correcte, dans les limites de la démocratie bourgeoise, est d’exiger une enquête parlementaire, de s’efforcer de mettre le plus possible la police et la justice sous le contrôle des députés, ce que ne font pas le PTS, le PO, l’IS ou le MST.

Le NMAS manifeste avec le Frente de Todos

À leur mérite, les organisations du FIT refusent d’appeler à la manifestation convoquée pour le lendemain de l’attentat pour « l’union nationale » et « la paix sociale » par le gouvernement fédéral et le Frente de Todos (Front de tous, FdT).

Buenos Aires, 2 septembre 2022, manifestation en soutien à Kirchner / photo Luis Robayo

Si Cristina Kirchner avait été dans l’opposition ou à la tête d’un gouvernement résistant au FMI, le PTS et le PO auraient peut-être cédés à la pression du PJ et des confédérations syndicales. Comme elle est membre du gouvernement bourgeois qui a accepté en mars le plan du FMI, il leur est difficile de manifester à l’appel du gouvernement et aux côtés du PJ. Pourtant, une organisation « trotskyste », le Nuevo Movimiento al Socialismo (Nouveau mouvement pour le socialisme, NMAS), franchit le pas, comme le PCA.

Le choc a déclenché une énorme mobilisation pour défendre les libertés démocratiques qui a rempli la Plaza de Mayo de centaines de milliers de personnes reconnaissant la tentative d’assassinat brutale comme une attaque contre les libertés démocratiques des travailleurs et du peuple argentins. (NMAS, 2 septembre)

Mais quelle liberté est menacée ? En quoi se rallier au gouvernement en place peut-il préserver des droits démocratiques ?

Le PO et le PTS votent une motion du PJ pour la « paix sociale »

Le lendemain 3 septembre, au parlement régional de Buenos-Aires (la Legislatura), les deux députés du PO (Gabriel Solano, Amanda Martin) et celle du PTS (Alejandra Barry) votent avec les partis bourgeois (à l’exception de La Libertad Avanza, La Liberté avance, un parti fascisant) la motion de la coalition gouvernementale FdT.


La déclaration a été formalisée à partir d’un projet déposé par le Frente de Todos et a été approuvée, à main levée, par les députés des blocs présents, à l’exception des députés de La Libertad Avanza qui se sont abstenus. Le député du Frente de Izquierda (FIT) Gabriel Solano, qui a voté en faveur de la déclaration, a toutefois demandé que « l’on ne fasse pas d’invocations abstraites à la paix sociale, car on ne demande pas à un peuple d’être en paix, on lui reconnait le droit de se battre ». (El Argentino Diario,3 septembre)


Les sites de PO et du PTS se sont bien gardés de faire connaitre la motion qu’ils ont votée.

Depuis le retour à la démocratie, notre peuple n’a pas été témoin d’un évènement aussi aberrant que celui qui a eu lieu la nuit dernière… L’attentat est un acte d’une extrême gravité institutionnelle, constituant peut-être la pire attaque contre la vie démocratique de notre pays en quatre décennies… Il faut que nous soyons à la hauteur de ce moment historique, tous les partis politiques, sans distinction, doivent exprimer la condamnation la plus énergique… La démocratie est défiée, tous les citoyens doivent s’élever résolument contre cet acte horrible et contre tout type d’action et de discours qui met en danger notre coexistence et notre paix sociale. (Primera Noticia, 3 septembre)

Quelle « paix sociale » ? Le 1er septembre, le terroriste amateur n’a pas réussi à tirer sur la vice-présidente. Deux mois après, le 31 octobre, la police tue, par erreur, un ouvrier, Esteban Bellido, au cours d’une opération antidrogue à La Matanza, dans la banlieue de la capitale. Le lendemain 1er novembre, un travailleur de la santé, Jorge Horacio Rodríguez, est victime de deux tirs de carabine à air comprimé tirés au visage tandis qu’il participe à un rassemblement revendicatif sur son lieu de travail, dans le quartier Palermo de Buenos-Aires. Personne n’appelle à la grève ou à manifester…

Le PJ de Kirchner est historiquement lié à la violence politique

Le capitalisme argentin bénéficia d’une industrialisation durant la crise capitaliste mondiale de 1929 et la guerre mondiale. Le prolétariat a crû et les syndicats se sont renforcés.

Dans les pays arriérés, la faiblesse de la bourgeoisie nationale, le manque de traditions du gouvernement démocratique, la pression de l’impérialisme étranger et le développement relativement rapide du prolétariat ôtent toute base à un régime démocratique stable. Les gouvernements coloniaux et semi-coloniaux prennent dans l’ensemble un caractère bonapartiste ou semi-bonapartiste. Ils diffèrent les uns des autres en ce sens que les uns tentent de s’orienter dans une direction démocratique en cherchant un appui chez les ouvriers et les paysans, pendant que d’autres installent une forme de dictature militaire et policière. Cela détermine également le sort des syndicats : ou bien ils sont placés sous la tutelle de l’État, ou bien ils sont soumis à une cruelle persécution. (Lev Trotsky, Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, 1940, SELIO, p. 28-29)

En 1943, une fraction de l’armée (organisée secrètement dans le Grupo de Oficiales Unidos) réussit un coup d’État. La junte flattait le sentiment national en refusant de rallier la Grande-Bretagne, la puissance impérialiste dominant jusqu’alors l’Argentine, dans la guerre mondiale. Le ministre du travail, le colonel Juan Perón, acquit une base syndicale et populaire en profitant de l’apolitisme stupide des anarchosyndicalistes encore influents et du discrédit des partis réformistes, le Partido Socialista (Parti socialiste, PS) et le PCA qui freinaient les revendications sociales et voulaient l’entrée en guerre du pays, en alliance avec le principal parti bourgeois (UCR).

Au prix de concessions économiques et syndicales, cela permit à Perón de s’emparer de la centrale syndicale CGT avec l’aide d’une grande partie de son appareil et de gagner l’élection présidentielle en 1946. Ainsi, comme aux États-Unis ou au Québec (Canada), un parti bourgeois occupa une place qui s’apparentait à celle des partis réformistes d’Europe, du Brésil, du Chili… : capter les voix des travailleurs et contrôler directement des syndicats de masse. Cela ne faisait pas pour autant du Partido Justicialista un « parti ouvrier bourgeois » au sens de Lénine, mais plutôt une sorte de Guomindang.

Mais la croissance économique a ralenti à partir de 1949 et l’inflation fit des ravages. Le gouvernement réprima la grève générale des cheminots en 1950 et bloqua les salaires en 1951. L’État américain avait pris le contrôle de l’Amérique latine. Perón céda : en 1950, le gouvernement soutint la guerre des États-Unis en Corée, ouvrit l’économie aux firmes multinationales et mit l’anti-impérialisme en veilleuse.

La fraction compradore de la bourgeoisie et l’Église catholique se dressèrent contre le gouvernement, des attentats antipéronistes se multiplièrent, un putsch de la marine échoua en massacrant des centaines de civils. En riposte, Péron menaça de liquider ses opposants.

À la violence, nous répondrons par une violence supérieure… Quiconque tentera d’enfreindre l’ordre public… pourra être tué n’importe où et par n’importe quel Argentin… Pour chacun des nôtres qui tombera, cinq des leurs périront. (Juan Perón, « Discours », 2 septembre 1955, cité par Alain Rouquié, Le Siècle de Perón, Seuil, 2016, p. 107)

Quelques jours plus tard, les généraux s’emparèrent du pouvoir. Ils récidivèrent en 1962 puis en 1966, avec l’appui de Perón en exil et des bureaucrates syndicaux sur place.

Le péronisme politique et syndical, toutes tendances confondues, apporte son adhésion au coup d’État. Perón lui-même a donné son feu vert… il savoure sa revanche sur les radicaux. (Alain Rouquié, p. 138)

Autrement dit, le parti de Kirchner a soutenu alors l’emploi de la violence armée contre un gouvernement élu. N’est-il pas ridicule, en 2022, de voter ses motions sur la démocratie (PO, PTS) ou de manifester à son appel pour la démocratie (NMAS) ?

Les contradictions économiques, sociales et politiques affaiblirent la junte. En particulier, en mai 1969, une grève générale secoua le pays et la population s’insurgea à Cordoba.

La détérioration de la situation économique et le style musclé du gouvernement ruinent la crédibilité d’un système qui prétendait instaurer l’harmonie sociale. L’agitation reprend. Des grèves très dures se multiplient. Par ailleurs, dans de fréquents rassemblements de masse qui mobilisent des centaines de milliers d’Argentins sous la houlette de la CGT, Perón appelle à la violence. Il n’hésite pas à menacer ses adversaires d’extermination. (Alain Rouquié, Pouvoir militaire et société politique en République argentine, FNSP, 1978, p. 400)

Perón envoya même ses jeunes partisans, presque tous catholiques pratiquants et quelques-uns fascistes, s’entrainer à Cuba. Ainsi préparés, les Montoneros enlevèrent et assassinèrent en 1970 un ancien président, le général Aramburu qui avait renversé Perón en 1955. En 1972, les FAR péronistes liquidèrent le général Sánchez, responsable de la « lutte antisubversive ». En 1973, les FAR fusionnèrent avec les Montoneros. Leur chef expliqua pendant la campagne électorale de 1973 que la classe ouvrière était trop faible pour prendre la tête de la nation…

Le général Perón préconise une stratégie qui est celle du front uni anti-impérialiste… qui prend la forme d’une alliance de classes que la classe ouvrière ne conduit pas parce qu’elle n’est pas encore adéquatement organisée et représentée. (Mario Firmenich, « Discours » El Descamisado nº 15, 28 aout 1973)

Quand Perón redevint président en septembre 1973, il confia à López Rega et à son Alianza Anticomunista Argentina (Alliance anticommuniste argentine, AAA) le soin de mettre au pas les Montoneros devenus gênants et de liquider les militants ouvriers révolutionnaires. L’AAA était un escadron de la mort composé de flics, d’espions, de bureaucrates syndicaux et de truands.

Élu en 1973 grâce au vote massif de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie, Perón va déchainer contre eux une répression… C’est la police fédérale et les « groupes parapoliciers », en liaison avec les services de renseignement de la Marine, qui vont prendre la responsabilité… : enlèvement et torture de militants révolutionnaires, bombes contre les domiciles ou les voitures d’hommes politiques de gauche, bombes ou attaques à main armée dans les locaux politiques et syndicales combattives. Leurs auteurs ne sont, bien sûr, jamais retrouvés. (François Gèze & Alain Labrousse, Argentine, révolution et contrerévolutions, Seuil, 1975, p. 213-214)

La violence politique bourgeoise fut poursuivie par sa veuve après la mort de Perón (1974). Même au sein du PJ et de la CGT, les factions s’entretuaient.

Des généraux prirent le pouvoir en 1976 et menèrent, jusqu’en 1986, la « guerre sale », un terrorisme étatique à grande échelle contre le mouvement ouvrier et les réfugiés du Chili, d’Uruguay, de Bolivie… Plus orientés que le PRT-ERP vers la classe ouvrière, le PST de Moreno (membre du SUQI) et Politica Obrera d’Altamira (liée au POR bolivien et à l’OCI française), ne furent pas épargnés par le terrorisme du président élu Perón, ni par la répression ultérieure de la junte militaire. Au total, 15 000 opposants furent condamnés et exécutés, 30 000 « disparus » furent torturés et assassinés secrètement.

Tous les attentats sont-ils identiques ?

Le terrorisme individuel est une méthode de la petite bourgeoisie. En ce sens, l’assassinat politique est souvent employé par des groupes fascistes d’inspiration religieuse ou néonazie : attaques de grévistes, de locaux et de militants du mouvement ouvrier, attentats contre des écoles de filles et d’autres cultes, assassinat d’écrivains, de dessinateurs ou de professeurs, agressions de médecins qui aident les femmes qui le désirent à avorter, etc.

Néanmoins, tout attentat politique n’est pas forcément fasciste, comme le prétend Lizarrague (PTS). Engels et Marx, sans approuver leur mode d’action, avaient de l’admiration pour les terroristes irlandais et russes qui s’en prenaient aux représentants de l’oppression nationale et sociale. Vera Zassoulitch, qui avait tiré sur le préfet de police en 1878, ou le frère de Lénine, exécuté en 1887 pour une tentative d’attentat contre le tsar, étaient clairement des révolutionnaires.

Quand eut lieu à Paris le procès d’un Juif de 17 ans ayant assassiné un diplomate allemand en 1938, le dirigeant de la 4e Internationale ne tira pas un trait d’égalité avec les agissements fascistes.

Nous, marxistes, considérons la tactique du terrorisme individuel comme inopérante pour les tâches de la lutte libératrice du prolétariat ou des peuples opprimés. Un seul héros isolé ne peut pas remplacer les masses. Cependant nous ne comprenons que trop bien le caractère inévitable de ces actes convulsifs de désespoir et de vengeance. Toutes nos émotions, toute notre sympathie vont aux vengeurs qui se sacrifient, même s’ils n’ont pas trouvé la voie juste. (Lev Trotsky, « Pour Grynszpan », janvier 1939, Œuvres, ILT, t. 20, p. 89)

Le PRT-ERP castriste de Mario Santucho, qui était la section de la « 4e Internationale » pabliste (SUQI de Mandel, Maitan, Bensaïd, etc.), se mit à attaquer les casernes et, par-dessus la tête des ouvriers concernés, à enlever des manageurs capitalistes des concessions patronales et des rançons. Ainsi, en 1971, le PRT-ERP séquestra le directeur de la Swift de la Plata puis celui de la filiale de Fiat.

Rouge, organe de la LC (SUQI), 7 juin 1971

Le 2e congrès de la Ligue se tint en juin 1971… Pendant 4 jours, nous avons suivi l’évolution d’une prise d’otages en Argentine, réalisée par l’ERP de Santucho, à l’égard d’un dirigeant de la FIAT, Sallustro. À chaque nouvelle dépêche, le congrès se levait et acclamait, debout, pendant de longues minutes, les actes héroïques des guérilléros. (Gérard Filoche, 68-98, histoire sans fin, Flammarion, 1998, p. 141)

Confronté à une attaque de la police sur son lieu de séquestration, les militants du PRT-ERP tuèrent Sallustro. En 1973, il affirma qu’il ne se battait pas contre Perón. En 1974, il rompit avec la « 4e Internationale » pabliste-mandéliste. En 1975, il se lança dans une guérilla rurale et se fit aussitôt décimer par l’armée.

La stratégie du PRT-ERP était fausse, étrangère à la tradition communiste, mais certainement pas celle de fascistes.

Le morénisme à la recherche de substituts au prolétariat et à son parti

Avec le zèle des nouveaux convertis, un partisan du Frexit proclame : « L’argentin Nahuel Moreno a résisté aux différentes formes de révisionnisme du trotskisme » (Jean Dugenêt, Blog Médiapart, 8 février 2021). En fait, il n’y a pas beaucoup de formes de révisionnismes que Moreno n’a pas embrassées.

À partir de 1949, la direction de la 4e Internationale s’adapte au stalinisme et au nationalisme bourgeois. En 1951, au 3e congrès mondial, son secrétaire général Pablo révise subrepticement son programme. A côté de formulations orthodoxes, il introduit une stratégie d’une réforme de l’URSS (au lieu de la révolution politique, du renversement de la bureaucratie stalinienne) et une stratégie de front uni anti-impérialiste pour les pays dominés (l’alliance de fait avec la bourgeoise nationale antagonique à la révolution permanente). Même si Pablo parle pudiquement de « mouvement anti-impérialiste de la petite bourgeoisie » ou de « mouvements petits-bourgeois radicaux » (Les Congrès de la 4e Internationale, La Brèche, t. 4, p. 284), les résolutions mentionnent l’APRA péruvienne (p. 185, 289, 292), le MNR bolivien (p. 185, 289, 290, 291, 292), l’AD vénézuélienne qui avait été au pouvoir de 1945 à 1948 (p. 289), le PTB brésilien (p. 289), autant de partis nationalistes bourgeois. Pablo lui-même deviendra conseiller du gouvernement bourgeois du FLN algérien de 1963 à 1965. En Argentine, cela signifiait s’orienter vers le péronisme.

En ce qui concerne l’Argentine, nos forces chercheront à créer un courant de classe parmi les ouvriers influencés par le péronisme. (« Thèses et résolution sur les perspectives internationales et l’orientation de la 4e Internationale », septembre 1951, Les Congrès de la 4e Internationale, La Brèche, 1989, t. 4, p. 185)

La conception large du programme doit se manifester pratiquement par une participation et une activité exempte de tout sectarisme dans tout mouvement de masse de toute organisation qui exprime les aspirations des masses, par exemple des syndicats péronistes… (« Résolution sur l’Amérique latine », p. 288-289)

Le POR argentin de Nahuel Moreno, après avoir été le groupe trotskyste le plus hostile au péronisme, tourne à 180 ° en 1954 et entre dans une scission pro-péroniste du PS (le PSRN). Tout en adhérant la même année formellement au CIQI (formé en 1953 par le PCI/France, la MAS/Suisse et le SWP/États-Unis), Moreno constitue à son propre compte, à l’échelle régionale, le SLATO-CI (Secrétariat latino-américain trotskiste orthodoxe de la 4e Internationale).

Palabra Obrera, 19 janvier 1961, « organe du péronisme ouvrier révolutionnaire »

En 1956, Moreno lance avec des péronistes une organisation « sous la discipline du général Perón ». Comparer ces manœuvres avec les demandes d’affiliation des communistes britanniques au Parti travailliste dans les années 1920 ou à l’entrée des bolcheviks-léninistes dans des partis socialistes dans les années 1930 est abusif.

Jamais, dans aucune circonstance, le parti du prolétariat ne peut entrer dans le parti d’une autre classe. Un parti du prolétariat résolument indépendant est la condition première et déterminantes d’une politique communiste. (Lev Trotsky, « La situation en Chine et les tâches de l’Opposition bolchevik-léniniste », juin 1929, On China, Monad, p 403)

Quand la révolution cubaine secoue toute l’Amérique latine, le groupe « trotskyste orthodoxe » argentin, qui était déjà enclin au maoïsme, s’affiche castriste.

Dans le cas de Fidel Castro, nous n’avons pas hésité à le considérer, avec Lénine et Trotsky, comme l’un des plus grands génies révolutionnaires de ce siècle… Nous nous réclamons du même mouvement politico-social que Guevara : le castrisme. (Nahuel Moreno, « Dos métodos frente a la revolución latinoamericana », Estrategia n° 2, septembre 1964)

Il partage la position du SUQI procastriste de Mandel et Hansen, formé en 1963, qu’il rejoint d’ailleurs en 1964. Selon Moreno :

  1. Cuba est un État ouvrier sain, qui n’a pas besoin d’un parti de type bolchevik ni que la classe ouvrière renverse la caste privilégiée qui gouverne en son nom.

    Nous pensons que la caractérisation de Cuba doit partir du fait qu’elle n’est pas gouvernée par une caste bureaucratique, que la direction est révolutionnaire. (Nahuel Moreno, La Revolución Latinoamericana, mars 1962, PO, p. 30)

  2. La petite bourgeoisie des campagnes est plus avancée que le prolétariat des villes.

    Le dogme que la classe ouvrière est l’unique classe qui puisse accomplir les tâches démocratiques est faux… Le maoïsme ou la théorie de la guerre de guérilla est la réfraction particulière, dans le champ de la théorie, de l’étape actuelle de la révolution mondiale. (p. 43)

    Actuellement, c’est le paysan qui est à l’avant-garde dans la plupart des pays [d’Amérique latine]. Les trois focos [foyers, terme de Castro, Guevara et Debray pour les guérillas rurales] révolutionnaires les plus importants, la Colombie, le Pérou et le Brésil, ont pour base le soulèvement des paysans. (p. 47)

  3. La direction de la lutte en Amérique latine (Moreno ne se préoccupe guère de la lutte des classes dans les pays impérialistes et dans les États ouvriers dégénérés) doit être confiée à un « front unique des révolutionnaires » qui culmine dans le « parti unique » du type de celui alors au pouvoir à Cuba.

    Ce qui fournit les conditions pour un front uni révolutionnaire est la situation objective explosive dans chaque pays. La réalité exige un seul organisme révolutionnaire dans chaque pays. Dans ce sens, le parti unique à Cuba montre la voie. (p. 50)

En guise de « front unique des révolutionnaires », le mouvement nationaliste petit-bourgeois M26J et le parti stalinien PSP étroitement lié à la bureaucratie du Kremlin ont fusionné en 1961 dans l’ORI pour empêcher le prolétariat cubain de prendre le pouvoir. En 1965, la bureaucratie cubaine officialise le Partido « comunista » de Cuba comme instrument de son pouvoir usurpé. Inutile de préciser que le parti unique vomit le « trotskysme ». Castro héberge même Mercader, l’assassin de Trotsky, qui ne se plait pas en URSS.

Appliquant le « front unique des révolutionnaires » qui doit déboucher sur « une seule organisation » du « même mouvement politico-social, le castrisme », l’organisation de Moreno fusionne en 1965 avec un groupe castriste-guévariste (FRIP) pour fonder le PRT.

Un légalisme et une couardise qui viennent de loin

Le PRT scissionne en 1968 quand une fraction dirigée par Santucho se prépare à la guérilla urbaine en Argentine, alors que celle de Moreno n’a aucune intention de courir ce risque.

  • Le PRT-El Combatiente a l’appui de la majorité Mandel-Maitan-Krivine du SUQI. Il prend le nom de PRT-ERP en 1970.
  • Le PRT-La Verdad est soutenu par la minorité Hansen-Barnes-Waters, qui dirige le SWP engagé dans le pacifisme aux États-Unis et dans la recherche de blocs avec des cliques du Parti démocrate. Il devient le PST en fusionnant avec un bout du PS en 1972.

Tout au long de l’année 1972, le PST de Moreno et Coral sème des illusions sur le démagogue bourgeois Perón. Le PST met sur le même plan la guérilla petite-bourgeoise et la contrerévolution anticommuniste bourgeoise. Il envoie même des télégrammes de condoléances aux familles des officiers tortionnaires victimes des affrontements avec la guérilla. Du moins, le PST présente une candidature contre celle de Perón en 1973, alors que le PCA soutient celle-ci. Le général est élu en septembre.

Le 21 mars 1974, comme le PCA stalinien et le PSP social-démocrate, le PST se rend à la convocation du président Perón avec 5 partis bourgeois. Il ratifie la « déclaration des 8 » en défense des institutions bourgeoises et de la prétendue lutte anti-impérialiste du gouvernement du PJ.

Tous les participants à l’entrevue avec le Président de la Nation ont réaffirmé leur objectif fondamental de n’économiser ni leurs activités ni leurs efforts pour maintenir et consolider le processus d’institutionnalisation du pays, vers un régime de démocratie et la pratique de la cohabitation et du dialogue constructif… La lutte contre l’impérialisme et l’oligarchie ne peuvent se réaliser qu’en concordance avec les effets du plein exercice de la démocratie dans tous les domaines. (UCR, PRC, PST, PSP, PI, UDELPA, PCA, DP, 21 mars 1974)

Avanzada Socialista, organe du PST (SUQI), 28 mars 1974


Face à la polémique de Politica Obrera (l’ancêtre du PO) et à la dénonciation de la majorité guérillériste de la « 4e Internationale » pabliste (SUQI), le PST déclare, trois mois après, avoir commis une erreur en publiant sous sa signature, dans son organe, ce document capitulard et front populiste.

En 1975, le PST se refuse à réclamer la libération de tous les prisonniers politiques.

Le courant international de Moreno, la FB, est exclu du SUQI en 1979 et fusionne en 1980 avec le CORQI de Lambert de manière éphémère (la QI-CI). En 1981, Moreno découvre soudainement que l’OCI/France est opportuniste et scissionne. Il fonde sa propre internationale, la LIT-QI, en 1982. Elle annonce que la situation est partout révolutionnaire et préconise pour y répondre le « front des révolutionnaires ».

En 1982, le PST s’aligne sans condition sur la dictature militaire qui, pour opérer une diversion chauvine, occupe l’archipel des Malouines, qui relève géographiquement de l’Argentine, mais n’est peuplé que de Britanniques depuis longtemps. Après la chute de la junte qui résulte en 1983 de la victoire militaire impérialiste, le PST est renommé MAS.

Lors de l’élection présidentielle de 1983, le candidat de l’UCR Alfonsín l’emporte. En 1985, le MAS se présente aux élections législatives au sein d’un bloc front populiste, le Frente del Pueblo (Front du peuple, FrePu) avec le PCA et plusieurs organisations péronistes.

La LIT-QI condamne l’aide de l’URSS au régime progressiste en Afghanistan. Elle présente la réaction islamiste tantôt comme des « fantoches » des États-Unis, tantôt comme de simples « nationalistes » (Correo Internacional, septembre 1985).

Après la mort de Moreno en 1987, le MAS se déchire. Il est à l’origine d’une kyrielle de néo-morénistes ou post-morénistes : PTS, IS, MST, NMAS, LOR, COR, PCO, LCT… Parmi eux, le MST, le NMAS, l’IS…. se proclament morénistes : « nous, les morenistes, nous nous engageons aux côtés de ceux qui luttent » (IS, 26 janvier 2021). Les fondateurs du PTS n’ont jamais affronté Moreno quand il était vivant et quand ils étaient cadres du MAS. Même s’ils l’ont remplacé par Antonio Gramsci, ils ont repris quasiment le nom du PST et ont longtemps publié un journal appelé Avanzada Socialista, un titre identique à celui de l’organe du PST qui avait publié l’infâme déclaration des 8 de 1974.

Politica Obrera, malgré sa délimitation initiale d’avec l’opportunisme moréniste, a convergé avec le PST au fil des années 1970 sous la direction d’Altamira : reniement de la violence révolutionnaire, abandon de l’autodéfense ouvrière, capitulation devant le PJ, parti des travailleurs, assemblée constituante… La révision du programme communiste est cristallisée en 1983 lors du lancement du Partido Obrero.


Pour la pleine application du régime démocratique, représentatif, républicain et fédéral, et des principes et objectifs de la Constitution nationale ; convocation d’une Assemblée constituante, élue au suffrage universel et dans des conditions de liberté politique absolue. (PO, Déclaration de principes et bases d’action politique, janvier 1983)

Ce courant est à l’origine du PO actuel, du POT-Politica Obrera et du POR.

Comme en France, la plupart des scissions ne sont pas basées sur des questions stratégiques, mais sur des disputes secondaires sur le terrain d’un opportunisme partagé, ce qui repousse l’avant-garde des travailleurs et isole les éléments révolutionnaires les uns des autres avant de les miner ou de les déformer.

Le FIT est réformiste de part en part


Quand une crise révolutionnaire secoue leur pays fin 2001, les uns comme les autres avancent le slogan démocratique bourgeois de « l’assemblée constituante libre et souveraine » (comme en France aujourd’hui LFI, le POI, le POID, etc.). D’une tactique justifiée dans la Chine de 1920 ou l’Inde de 1930, les charlatans font une stratégie anachronique.

La formule de l’assemblée constituante n’est qu’une abstraction vide de sens et souvent charlatanesque si on ne dit pas qui la convoquera et sur quel programme. (Lev Trotsky, « La révolution chinoise et les thèses de Staline », 17 mai 1927, dans Pierre Broué, La Question chinoise dans l’Internationale communiste, EDI, 1976, p. 194)

Même dans une colonie ou un régime fasciste, un tel mot d’ordre devrait être employé en accompagnement au mot d’ordre démocratique radical d’armement du peuple et dans la perspective explicite de la prise du pouvoir par la classe ouvrière prenant la tête de tous les exploités et opprimés.

Le parti doit se souvenir que, par rapport à son but principal, la conquête du pouvoir les armes à la main, les mots d’ordre démocratiques n’ont qu’un caractère secondaire, provisoire, passager, épisodique. Il doit l’expliquer. (Lev Trotsky, « La question chinoise après le 6e congrès de l’IC », 4 octobre 1928, L’Internationales communiste après Lénine, PUF, 1969, t. 2, p. 426)

En 2019, le FIT propose en vain de s’ouvrir à « toutes les organisations de gauche ». Un des partis pressentis rétorque :

Les directions des partis qui composent le FIT ne les conduisent pas à des actions unitaires mais à une confrontation quotidienne agressive entre eux, à l’exception de l’unité qu’ils réalisent lors des campagnes électorales. (Autodeterminación y Liberta, 9 mai 2019)

En effet, le pacte électoral FIT permanent, loin de faciliter l’unité d’action, la gêne, l’entrave. Les petites bureaucraties se mettent des bâtons dans les roues et se disputent mesquinement sur des questions secondaires, étant d’accord pour refuser l’autodéfense, pour ne pas mettre en cause l’État bourgeois, pour semer des illusions sur les élections.

Dans les faits, le FIT reste composé d’organisations qui se réclament toutes de Lénine et de Trotsky. Vu l’expérience de la « sale guerre » menée par l’armée professionnelle de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, vu la répression quotidiennes opérée par la police de la bourgeoisie, on pourrait s’attendre à ce que le FIT mette clairement en cause l’État bourgeois, se donne pour but sa destruction et revendique explicitement l’armement du peuple.

Il n’en est rien. Bien sûr, on trouve un certain nombre de revendications utiles dans la « déclaration programmatique » du bloc électoral mais elle oublie l’essentiel. Elle ne dit pas que pour les arracher, il faut constituer un parti ouvrier révolutionnaire, qu’il faut la grève générale, des soviets, l’autodéfense des luttes et des organisations ouvrières…

L’obtention de sièges de député dans les provinces et à l’échelle fédérale accentue la pression de la bourgeoisie sur des organisations qui refusaient déjà de défendre l’armement, l’insurrection, la destruction de l’État bourgeois, le pouvoir des conseils ouvriers et populaires et qu’on peut donc qualifier à bon escient de centristes.

Pour se défendre, la classe ouvrière a besoin du front unique ouvrier de l’unité, dans la lutte effective, des organisations ouvrières. Pour s’affirmer comme classe, déjouer les trahisons, prendre le pouvoir, elle a besoin d’un parti communiste révolutionnaire de masse. Rien de bon ne sort des prétendus « fronts des révolutionnaires » et encore moins de fronts électoraux de partis « de gauche ».

L’idée de présenter à l’élection présidentielle un candidat du front unique ouvrier est fondamentalement erronée. Le parti (communiste) n’a pas le droit de renoncer à mobilier ses partisans et à compter ses forces lors des élections. Une candidature du parti qui s’oppose à toutes les autres en peut en aucun cas constituer un obstacle à un accord avec d’autres organisations pour les objectifs immédiats de la lutte. (Lev Trotsky, « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne », 27 janvier 1932, Comment vaincre le fascisme, Buchet-Chastel, p. 163)

Révolutionnaires en parole, réformiste en pratique, les petits appareils du PO, du PTS, de l’IS, du MST, sans parler du NMAS, sèment l’illusion de replâtrer l’État bourgeois avec leur assemblée constituante qui n’a aucun sens progressiste dans un pays d’élections au suffrage universelle et de pluripartisme.

Lors d’un récent débat télévisé, le dirigeant du PTS Castillo s’est prononcé pour la restriction du droit d’avoir des armes.

S’extirper du marais centriste

Les chefs du PTS, du PO et compagnie savent parfaitement que jamais la 4e Internationale n’a avancé, de 1933 à 1940, le front uni anti-impérialiste.

Ils connaissent le programme de 1938 et le manifeste de 1940 rédigés par l’ancien chef de l’Armée rouge et adoptés par la 4e Internationale du temps où elle était bolchevik-léniniste.

À l’occasion de chaque grève et de chaque manifestation de rue, il faut propager l’idée de la nécessité de détachements ouvriers d’autodéfense. (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938, GMI, p. 18-19)

Les travailleurs ne doivent pas avoir peur des armes ; au contraire, ils doivent apprendre à s’en servir. (La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 1940, GMI, p. 37)

Contre la subordination directe des partis réformistes au péronisme, contre la capitulation de fait des organisations centristes devant l’appareil répressif de l’État bourgeois, il faut regrouper les groupes, fractions et militants communistes sur la base suivante :

  1. En toute occasion, les communistes combattent pour la rupture des syndicats de travailleurs salariés avec tous les partis bourgeois, en particulier le PJ. En toute occasion, ils se battent pour le front unique des organisations ouvrières contre les attaques économiques et politiques du capital. Ils tentent de déboucher sur des organes démocratiques du front unique, des soviets
  2. Les attaques que suscitent les exploiteurs, leurs représentants politiques, leurs policiers et leurs militaires professionnels sont à distinguer clairement de la répression que subissent les exploités et les opprimés.
  3. Une agression contre une dirigeante politique de la bourgeoisie ne constitue pas en tant que telle une attaque contre les libertés. Tout au plus, un attentat peut éventuellement servir de prétexte à une loi ou un décret restreignant les droits démocratiques. Dans ce cas, c’est cette mesure qu’il convient de combattre, avec les méthodes de la lutte de classe. Cela n’a pas été le cas.
  4. Pour l’instant, aucune fraction significative de la bourgeoisie argentine n’a fait le choix du fascisme. Elle mise encore sur les illusions démocratiques.
  5. Défendre les libertés est indispensable. Cette lutte ne peut pas être menée en votant des motions de partis bourgeois « démocratiques » ou en manifestant à l’appel de partis bourgeois « démocratiques » (spécialement avec le PJ qui a historiquement pratiqué la violence à grande échelle contre le mouvement ouvrier révolutionnaire).
  6. La défense des droits démocratiques et la lutte contre le fascisme ne se réduisent pas à des déclarations au parlement et sur des sites. Elle exige le front unique ouvrier, la mobilisation des organisations ouvrières contre les gouvernements qui restreignent les libertés, contre la police et contre les nervis des bureaucrates syndicaux et des groupes fascistes.
  7. Pour en finir avec la violence capitaliste, il faut supprimer le capitalisme. Il faut exproprier le capital et détruire l’État bourgeois. Cela passe par l’autodéfense, par la création de conseils de travailleurs par l’armement du prolétariat, par la préparation de l’insurrection. Cela ne peut pas être dissimulé au prolétariat.
  8. Dans le programme prolétarien, la lutte pour le pouvoir des travailleurs en Argentine est inséparable de l’extension de la révolution socialiste, du mot d’ordre des États-Unis socialistes d’Amérique et de la République mondiale des conseils.
  9. Pour débarrasser la classe ouvrière du péronisme, pour imposer un gouvernement ouvrier et paysan désigné par les soviets et reposant sur l’armement du peuple, il faut construire un parti ouvrier révolutionnaire dont le programme peut se résumer en deux mots : dictature du prolétariat.

C’est à cette tâche de clarification que le Collectif révolution permanente est prêt à contribuer.

2 novembre 2022

Les groupes français liés aux organisations du FIT

Le PTS a pour organisation-sœur en France RP, une scission qui est partie du NPA sans aucune divergence stratégique. Comme le NPA, le CCR-RP a pour stratégie d’additionner les luttes (y compris les anti-vaccins). Comme le NPA, le CCR-RP refuse de se prononcer pour la dictature du prolétariat et même l’autodéfense.

Le MST a pour correspondant le groupe La Commune qui se vante d’être « composé de militants issus du NPA, de trotskystes, libertaires, anarchosyndicalistes, syndicalistes et sans-partis » et veut construire un « parti des travailleurs » délesté du programme communiste.

Argentine International France
PTS FTQI RP
PO CRQI
MST LIS GLC
IS UITQI

Bibliographie sur les épigones argentins de feue la 4e Internationale

  • Nahuel Moreno (Hugo Bressano), La Revolución Latinoamericana. Buenos Aires, 1962. Après avoir enfourché le cheval du nationalisme bourgeois dans son pays, ce coutumier des zigzags s’adapte à la vague d’enthousiasme pour la révolution cubaine qui traverse l’Amérique latine, avec quelques formulations orthodoxes pour protéger ses arrières. Pas traduit.
  • Nahuel Moreno, « Dos métodos frente a la revolución latinoamericana. ¿Lucha guerrillera o lucha obrera y de masas? », Estrategia n° 2, septembre 1964. Il joue en fait Castro contre Guevara à l’occasion d’une critique des écrits de ce dernier présenté comme « gauchiste » au sein du « mouvement castriste » dans lequel Moreno s’inscrit pleinement. Ce dernier affirme que « l’inévitable lutte armée » dépend de l’analyse et du programme de chaque pays (d’Amérique latine). Le rôle dirigeant du prolétariat n’est pas mentionné. Pas traduit.
  • Nahuel Moreno, Un document scandaleux, 1973. La polémique tardivement menée au nom de la construction du parti révolutionnaire contre la direction guérillériste du SUQI. La critique est étendue à la LC française. Traduction en français par la « 4e Internationale » pabliste-mandélienne (disponible sur le site Archives internet du marxisme).
  • Etienne Laurent (François Chesnais) & Catherine Tavernier, « Argentine, pour un bilan du péronisme », La Vérité n° 574, décembre 1976. Souvent pertinent, mais soutient que la CGT n’est plus du tout une organisation ouvrière depuis qu’elle est contrôlée par le PJ. En 1969, Chesnais est envoyé plusieurs mois en Argentine par son employeur, l’OCDE. Il en profite pour se rendre en Bolivie où il rencontre Gillermo Lora. Il noue les liens entre le POR/Bolivie, PO/Argentine et le POMR/Pérou avec l’OCI/France de Lambert. En 1972, il va au Chili avec Just pour une rencontre avec Lora et Filemón Escobar du POR, Jorge Altamira et d’autres dirigeants de PO. En 1979, Lambert et Just excluent le POR et PO du CORQI. Just et Chesnais sont marginalisés et le travail international du PCI est confié par Lambert à Luis Favre, le frère d’Altamira. Le POR s’isole et le PO construit ultérieurement une éclectique Coordination pour la refondation de la 4e Internationale.
  • Ernesto Boada, « Péronisme et trotskysme », Quatrième Internationale n° 106, mars 1983, l’organe de la « 4e Internationale » lambertiste-varguiste, disparue depuis. Repris dans la copieuse brochure de Gérard Laffont, Nouvelle étape, LOR/France, 1985.
  • SL, Moreno Truth Kit, 1980. Recueil des articles des robertsonistes publiés dans Workers Vanguard de 1973 à 1979. Pas traduit en français.
  • Nahuel Moreno, Escuela de cuadros, PST, 1984. Sûr de son autorité sur le PTS et la LIT-QI, Moreno renouvèle sa critique de la révolution permanente des années 1950, remet en selle la révolution par étapes des mencheviks et des staliniens, justifie les alliances avec la bourgeoisie « anti-impérailiste » des pays dominés… Souvent réédité en espagnol, la dernière fois par l’IS en 2015.
  • LICR (aujourd’hui L5I), La Ligue internationale des travailleurs 1982-1992, 1992. Mesuré et pertinent. Publié en français par Pouvoir ouvrier/France, dissout depuis.
  • Jean-Philippe Divès, Éléments pour un bilan de la LIT et du morénisme, LST, 1999. Par un ex-LCR/France, fondateur de la LST moréniste française dissoute dans le NPA. Pour lui, Moreno était… un trotskyste trop orthodoxe ! Divès est actuellement au CCR-RP.
  • Osvaldo Coggiola, Historia del trotskismo en Argentina, 1984-1986, réédité par RyR en 2006, avec dans le même volume Historia del trotskismo en América Latina, 1984. Point de vue du PO/Argentine, accablant pour le courant moréniste. Mais le PO a convergé ensuite avec lui (légalisme, assemblée constituante, adaptation au péronisme…). Pas traduite en français.
  • Osvaldo Garmendia (Rolando Astarita), Critica a Nahuel Moreno, Liga Marxista/Argentine, 1991. Un ancien ouvrier devenu économiste, fondateur de la LM en 1993 qui rompt avec le PTS, renommée LC et dissoute depuis. Ne se réclame plus du trotskysme. Pas traduite en français.
  • Manolo Romano, « Polemica con la LIT y el legado de Nahuel Moreno », Estrategia Internacional, décembre 1993. Une critique vigoureuse mais bornée à la dernière période de Moreno, dans les années 1980, quand il a renouvelé ouvertement en 1984 son attaque contre la révolution permanente et sa défense de la révolution par étapes. L’article tente d’accréditer l’idée, qui ne résiste pas à l’examen, que Moreno était auparavant un adversaire conséquent du révisionnisme. En fait, en bon manœuvrier, il était à l’occasion capable de s’en prendre à d’autres (en l’occurrence Mandel et Lambert). Pas traduite en français.
  • Ernesto González, El trotskismo obrero e internacionalista en la Argentina, t. 1, t. 2, t. 3 Antídoto, 1999 ; t. 4, Pluma, 2006. Œuvre collective monumentale qui détaille l’intervention et la vie du courant de Moreno de 1943 à 1981. Pas traduit en français.
  • Christian Castillo & Fredy Lizarrague, « Los momentos de giro historico del movimiento obrero argentino », Estrategia Internacional, février 2002. Traduction française dans les Cahiers Léon Trotsky, avril 2002.
  • Sergio Bravo, Contribución a un balance del Morenismo, Lucha Marxista/Pérou, juin 2007. Bonne synthèse mais qui se borne à la période de la LITQI. Pas traduite en français.
  • Ricardo de Titto, Historia del PST, CEHuS, t. 1, 2016 ; t. 2, 2018. Pas traduite en français.
  • CoReP, Lettre à la LCT/Argentine et autres, 2 mars 2017. Réfute toutes les scories morénistes trimbalées par la LCT à l’époque, restée sans réponse. Existe en espagnol.
  • POR/Argentine, Crisis del centrismo en Argentina, 2019. Recueil des articles de 2011 à 2019 d’un petit groupe lié au POR/Bolivie et séparé de PO en 1989. Détaillé et accablant mais parfois sectaire. Pas traduit.
  • Antonio Bormida, « El PTS en un frente democrático con CFK », La Causa Obrera, 3 octobre 2022.