La conquête coloniale par les monarchies
Au début du 19e siècle, ce qui deviendra l’Algérie est encore une province de l’empire ottoman.
Pour se protéger des émeutes, les Turcs fondèrent des colonies militaires… Leur superficie grandit avec chaque génération à la suite e de confiscations de biens appartenant à des tribus rebelles… En même temps, le gouvernement turc favorisa grandement la concentration de la propriété privée entre les mains d’institutions religieuses ou de bienfaisance. (Karl Marx, « Notes sur le livre de Kovalevski », 1879, Sur les sociétés précapitalistes, ES, 1978, p. p. 388-389)
Le colonialisme s’inscrit dans la phase d’ascension du mode de production capitaliste, comme élément décisif de son renforcement en Europe et de son extension à l’échelle mondiale. En 1827, se saisissant d’un prétexte, la France entame le blocus de la Régence d’Alger. Puis, le 14 juin 1830, la monarchie débarque des troupes. Le 3 juillet 1830, la flotte française entreprend de bombarder la ville. Alger est prise le 5 juillet et le Dey d’Alger signe la reddition. Mais la capitulation ne marque pas la fin des combats. Jusqu’en 1871, le colonialisme français va mener une politique d’extermination des cadres économiques et politiques traditionnels, une politique de spoliation et de déplacement des populations.
Là où il y a de l’eau fraiche et des terres fertiles, il faut placer des colons, sans se préoccuper de savoir à qui ces terres appartiennent. (Général Bugeaud, massacreur de l’insurrection parisienne de 1834, Discours à la Chambre, 1840)
La colonisation brutale se heurte à l’insoumission des « indigènes » pour conserver leurs terres et s’opposer à l’expropriation, en particulier l’insurrection conduite par Abd El-Kader de 1834 à 1848 que le général Bugeaud est chargé de mater.
Depuis la première occupation de l’Algérie par les Français et jusqu’à présent, ce pays malheureux a été l’arène d’incessantes effusions de sang, de rapines et de violences. Chaque ville, grande et petite, a été conquise successivement au prix d’immenses sacrifices. Les tribus arabes et kabyles qui apprécient l’indépendance par-dessus tout et pour qui la haine de la domination étrangère est un principe plus cher que la vie elle-même ont été écrasées par de terribles razzias, au cours desquelles leurs habitations et leurs biens ont été brulés et démolis, les récoltes détruites sur pied et les malheureux survivants massacrés ou livrés à toutes les horreurs de la débauche et de la brutalité… Les bulletins et les journaux français abondent en affirmations concernant la paix et la prospérité en Algérie. Ce n’est cependant qu’un tribut à la vanité nationale. Les régions intérieures du pays ne sont pas colonisées jusqu’à présent. La domination française est parfaitement illusoire, sauf sur le littoral et à la proximité des villes. Les tribus manifestent toujours leur indépendance et leur haine du régime français, et le système atroce des razzias n’a pas été abandonné. (Friedrich Engels, « Algérie », New American Encyclopaedia, 1857)
En 1870, le second Empire accorde la pleine nationalité aux « indigènes » de religion israélite. Cela permet aux autorités françaises d’introduire la division au sein de la population.
Le rattachement à la France par le régime parlementaire
La 3e République bourgeoise née de l’écrasement de 1e République ouvrière, la Commune de Paris, prend le relais des monarchies et octroie aux colons le domaine forestier, les surfaces non cultivées ainsi que les terres confisquées à titre punitif comme celles qui seront volées aux Kabyles en représailles de leur révolte de 1871.
La France avait entrepris la conquête de l’Algérie en proclamant les mots d’ordre de la lutte contre l’esclavage et de l’instauration de la civilisation. La pratique allait bientôt montrer ce qui se cachait derrière ces phrases. On sait qu’au cours des quarante années écoulées depuis la conquête de l’Algérie, aucun État européen n’a changé aussi souvent de régime politique que la France. À la Restauration avait succédé la révolution de Juillet et la royauté bourgeoise, celle-ci fut chassée par la révolution de Février qui fut suivie de la seconde République, du second Empire, enfin de la débâcle de 1870 et de la troisième République. La noblesse, la haute finance, la petite bourgeoisie, les larges couches de la moyenne bourgeoisie se cédaient successivement le pouvoir politique. Mais la politique française en Algérie demeura immuable à travers ces vicissitudes… La destruction et le partage systématiques et conscients de la propriété collective, voilà le but et le pôle d’orientation de la politique coloniale française pendant un demi-siècle, quels que fussent les orages qui secouèrent la vie politique intérieure… Il fallait détruire la propriété collective surtout pour abattre la puissance des familles arabes comme organisations sociales, et briser ainsi la résistance opiniâtre contre la domination française ; cette résistance se manifestait, malgré la supériorité de la puissance militaire française, par de constantes insurrections de tribus, ce qui entrainait un état de guerre permanent dans la colonie. En outre, la ruine de la propriété collective était la condition préalable à la domination économique du pays conquis ; il fallait en effet arracher aux Arabes les terres qu’ils possédaient depuis un millénaire pour les confier aux mains des capitalistes français. (Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital, 1913, Maspero, Œuvres t. 4, p. 50)
En 1889, la 3e République donne sans restriction la nationalité française aux paysans pauvres espagnols et italiens qu’elle installe au détriment des Arabes et des Berbères. Par contre, ces derniers n’ont pas les mêmes droits. Les colonisés « musulmans » restent justiciables de dispositions d’exception. Le Code de l’indigénat de 1881 de l’État bourgeois français qui s’affirme le phare de la démocratie dans le monde, interdit les réunions sans autorisation, les déplacements sans permis de voyage, etc. Aux peines individuelles, peuvent s’ajouter des peines ou amendes collectives infligées aux tribus ou aux douars.
La colonisation de peuplement en Algérie aboutit, contrairement aux protectorats du Maroc, de la Tunisie et de la Syrie-Liban (où la domination française s’appuie sur les classes dominantes locales et l’appareil d’État hérité de l’empire ottoman), à la liquidation de l’appareil étatique précapitaliste arabo-turc et à l’affaiblissement des propriétaires fonciers, de la bourgeoisie commerciale et usuraire, du clergé musulman qui leur est lié.
La colonisation et la décolonisation de l’Algérie ont emprunté une tout autre voie : la conquête militaire puis la politique « d’assimilation » à la métropole devaient conduire à la destruction complète des structures étatiques de la régence turque et au dépérissement des chefferies indigènes. L’appareil de domination coloniale fut ainsi construit de toutes pièces tandis que s’effondraient grandes familles et classes moyennes traditionnelles : lettrés, cadis, marchands. (Kader Ammour, Christian Leucate, Jean-Jacques Moulin, La Voie algérienne, Maspero, 1974, p. 136)
La possibilité que la classe ouvrière prenne la tête de la lutte pour l’émancipation nationale n’en était que plus grande. Mais cette possibilité qui aurait ouvert la voie du socialisme sur les deux rives de la Méditerranée nécessitait un parti pour qui la solidarité des travailleurs français avec les travailleurs algériens était primordiale. Pour les « réformistes » d’avant 1914 (PS-SFIO) et pour les staliniens d’après 1934 (PCF), la soumission à la bourgeoisie française l’emporte.
La division du socialisme français sur le colonialisme
Parmi les multiples organisations socialistes de la fin du 19e siècle, seuls les révolutionnaires, en France le Parti ouvrier (PO) marxiste dirigé par Guesde et Lafargue et le Comité révolutionnaire central (CRC) blanquiste dirigé par Vaillant condamnent toute forme de colonisation. Ainsi, le Congrès du PO de Romilly (1895), adopte à l’unanimité une motion qui considère la politique coloniale comme « une des pires formes de l’exploitation capitaliste ; elle tend exclusivement à élargir le champ des profits de la classe possédante, en privant de ressources, en vidant de son sang le prolétariat producteur », explique que les expéditions coloniales « entreprises sous prétexte de civilisation et d’honneur national aboutissent à la corruption et à la destruction des populations primitives et déchainent sur la nation colonisatrice elle-même toute espèce de fléaux ».
Par contre, les courants réformistes comme la Fédération des travailleurs socialistes de France dirigée par l’ancien bakouniniste Paul Brousse justifient le colonialisme.
Nous sommes de ceux qui pensent que la colonisation, garantissant aux populations indigènes de sérieuses conditions d’existence, de développement intellectuel et moral, et bénéficiant d’autre part, au peuple travailleur de la métropole, donnerait une impulsion puissante au progrès de la vraie civilisation, à la diffusion internationale des idées de travail et de justice. (cité par Mahmoud Faroua, La Gauche en France et la colonisation de la Tunisie, L’Harmatan, 2013, p. 159)
Jean Jaurès s’y associe.
L’Empire nous a fait perdre 2 provinces, la République nous a donné 2 colonies (Avenir du Tarn, 27 octobre 1885)
Hélas, dès le début du 20e siècle, le POF (issu du PO) et le PSR (issu du CRC) régressent vers le réformisme et le patriotisme. Si bien que l’unification en 1905 de tous les courants socialistes -sous la pression de l’Internationale ouvrière- ne profite guère à l’internationalisme. Le Parti socialiste-SFIO est aussi ambigu que son chef Jaurès. Il ne se réclame pas du marxisme et il ne récuse pas le colonialisme.
Si la plupart des socialistes sont opposés aux « aventures coloniales », c’est-à-dire à l’acquisition de colonies nouvelles, il n’en est pas un pour demander sérieusement l’abandon des vieilles colonies. Un tel abandon nuirait certainement à la métropole et il ne profiterait pas aux indigènes, qui, incapables de défendre leur indépendance, tomberaient sous une autre domination, probablement plus dure. En outre, si notre doctrine nous oblige à respecter le droit des indigènes, elle nous commande aussi la mise en valeur de toutes les formes naturelles du globe… La politique socialiste, tenant compte à la fois des principes et des réalités serait une politique de tutelle ; elle verra dans les indigènes des mineurs et elle s’efforcera de les préserver des maux que tend à entrainer pour eux l’introduction nécessaire et légitime de l’économie civilisée dans leur domaine ; en même temps elle les initiera patiemment et modestement à la civilisation du côté où elle leur est accessible. (La Revue socialiste, janvier 1912)
La Première Guerre mondiale et la chair à canon indigène
Longtemps contenus, les antagonismes entre puissances impérialistes conduisent à la Première guerre mondiale à l’été 1914. Le 2 aout, balayant toutes les résolutions antérieures, Vaillant déclare : « en présence de l’agression, les socialistes accompliront tous leur devoir pour la patrie ». Le 4 aout, les députés SFIO votent les crédits de guerre, et le 26 aout, Guesde prend place dans le gouvernement d’union sacrée. La CGT fondée par les anarchistes rejoint, elle aussi, l’Union sacrée.
Dès lors, il n’est plus question pour les sociaux-patriotes de s’opposer au colonialisme de leur bourgeoisie. Les colonies ne doivent pas tomber aux mains de l’ennemi.
Sans vergogne, la 3e République et ses ministres « socialistes » embrigadent 172 000 jeunes algériens dans l’armée et en déportent 100 000 autres en France pour remplacer la main d’œuvre partie au front. La boucherie impérialiste fera 25 711 tués, 72 035 blessés dans les régiments indigènes.
Au sortir de la guerre, les « élites » d’Afrique du nord, représentées par le Mouvement des jeunes algériens, qui avaient cru aux 14 points du président américain Wilson concernant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sont déçues. Loin d’accorder l’indépendance aux pays colonisés, les impérialismes vainqueurs se partagent les colonies allemandes.
Le code de l’indigénat, qui avait été suspendu par l’Assemblée nationale, en juillet 1914, est reconduit en aout 1920, par la chambre « bleu horizon » élue en novembre 1919, sonnant le glas des espoirs du courant de l’assimilation dans cet « impôt du sang » pour obtenir des droits politiques en échange.
Par contre, le premier pas de la révolution socialiste en Russie engendre de grands espoirs dans la classe ouvrière du monde entier, notamment dans le prolétariat immigré au sein des métropoles.
L’internationale communiste contre le colonialisme
Grâce au regroupement des internationalistes en 1915 (la Gauche de Zimmerwald animée par Lénine, Zinoviev et Radek) et au pouvoir des soviets issu de la Révolution d’octobre 1917, une nouvelle internationale ouvrière nait en 1919. La 3e Internationale rompt fermement avec le colonialisme.
Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout parti appartenant à la 3e Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux. (2e Congrès de l’IC, « Conditions d’admission des partis dans l’Internationale communiste », juillet 1920, Quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, Maspero, 1969, p. 40))
Certes, le Parti socialiste qui (à l’exception d’une minorité qui conserve le nom de PS-SFIO) adhère à l’IC lors du Congrès de Tours en 1920 n’en a pas pour autant fini avec son passé réformiste et social-impérialiste. Ainsi, au Congrès de Marseille (1921), il adopte la résolution suivante :
Une autre difficulté réside dans l’inaptitude à peu près générale des indigènes à s’émanciper eux-mêmes. Ils n’ont pas de pensée révolutionnaire ; dans beaucoup de colonies, ils sont habitués à la servitude et ne conçoivent pas encore la possibilité de s’en délivrer. (Bulletin communiste, 14 février 1922)
En Algérie, une section du Parti communiste va encore plus loin.
Considérant que les indigènes de l’Afrique du Nord sont composés en majeure partie d’arabes réfractaires à l’évolution économique, sociale, intellectuelle et morale indispensable aux individus pour former un État autonome, capable d’atteindre la perfection… (« Motion de Sidi-Bel-Abbès », 22 avril 1921, La Lutte sociale, mai 1921)
Le Parti communiste-SFIC est rappelé à l’ordre par l’Internationale.
La section de Sidi-Bel-Abbès ne peut pas admettre la révolte, et surtout la révolte victorieuse des indigènes dans les colonies parce que s’ils commettent cette bêtise de se libérer de la domination bourgeoise française, ils retourneront à la féodalité, et les communistes français d’Algérie ne peuvent pas tolérer qu’à la suite d’une émeute révolutionnaire, les pauvres indigènes se libèrent de la bourgeoisie française et retombent dans la féodalité ! Quant à nous, nous ne pouvons tolérer deux heures, ni deux minutes, des camarades qui ont une mentalité de possesseurs d’esclaves. (Léon Trotsky, « Rapport au 4e congrès », 1 décembre 1922, Le Mouvement communiste en France, Minuit, 1967, p. 256)
PS-SFIO et PC-SFIC face à la Guerre du Rif
La section française de la 3e Internationale va, pour une brève période, appliquer effectivement une politique internationaliste. Au sein de l’émigration, parmi les ouvriers restés, après la guerre, dans les usines et les mines du Nord, de la Lorraine, de la région parisienne, de Lyon et de Marseille, le Parti communiste recrute les premiers militants magrébins (essentiellement algériens). Le 7 décembre 1924, se tient, à l’initiative du PC, le Premier Congrès des travailleurs nord-africains. 150 travailleurs des usines de la région parisienne y adoptent un Programme de revendications politiques et économiques qui, pour la première fois, se prononce « pour l’indépendance des colonies ».
En 1924, le gouvernement du Bloc national de Poincaré (FR, AD, AL…) décide de soutenir l’Espagne dans sa lutte contre les Kabyles du Rif. Mais alors qu’il est battu au cours de cette même année par le Cartel des gauches (PR, PS-SFIO…), la politique coloniale française ne change pas. Le PS-SFIO se prononce pour la « paix pour le Rif » tout en participant au gouvernement qui envoie les maréchaux Lyautey et Pétain conduire la guerre contre Abd-El-Krim au Maroc.
Seul le PC-SFIC mène une lutte contre le colonialisme français. Il soutient le mouvement qui s’est créé en Algérie autour de l’émir Khaled et gagne ainsi de l’influence parmi les travailleurs algériens en France. Il incite à « la fraternisation entre les soldats français et l’armée du Rif » et se prononce pour « l’évacuation complète du Maroc par la France ». Le Parti communiste organise des grèves de dockers, fait de la propagande antimilitariste dans la jeunesse, organise des manifestations dans toute la France contre la guerre.
Pourtant, l’accent est déjà mis plus sur la « paix pour le Rif » que sur le droit à l’indépendance des colonies. En 1925, l’Opposition de gauche a été défaite en URSS et la bureaucratie qui a pris le contrôle de l’État ouvrier proclame le « socialisme dans un seul pays ». À sa tête, Staline, Zinoviev et Boukharine cherchent à passer des alliances avec les bourgeoisies nationales. L’IC abandonne la révolution prolétarienne mondiale pour constituer des « blocs nationaux-révolutionnaires » dans les pays dominés, comme le Guomindang en Chine. En France, le PC présente l’émir Khaled, un représentant de la bourgeoisie algérienne, comme un héros au même titre qu’Abd El Krim.
La création de l’Étoile nord-africaine par l’Internationale communiste
Début 1926, après la campagne contre la guerre du Rif, le comité directeur du PC fonde une organisation de travailleurs magrébins : l’Étoile nord-africaine. Son influence s’exerce avant tout sur les ouvriers algériens dans la mouvance du PC. À sa fondation, elle est laïque et réclame « le droit à l’électorat et à l’éligibilité à toutes les assemblées, y compris le Parlement, au même titre que les autres citoyens français ». La première assemblée générale désigne le Comité central. Messali est nommé secrétaire général, Ali Abdelkader président et l’émir Khaled président d’honneur.
L’Étoile nord-africaine émane à la fois de l’Union intercoloniale qui rassemble à Paris les coloniaux sympathisants communistes ou communistes et de cet autre milieu qui ne s’en distingue pas entièrement, qui est celui du groupement des immigrés coloniaux dans la CGTU… À sa naissance, l’ENA se trouve en concordance, bien plus qu’avec le Parti communiste, avec le noyau anticolonialiste et avec l’Internationale communiste… (René Galissot, « Le socialisme dans le domaine arabe », Histoire générale du socialisme, PUF, 1977, t. 3, p. 576)
L’Étoile nord-africaine est un possible embryon d’un parti ouvrier révolutionnaire du Maghreb. Mais la bureaucratisation de l’URSS, la stalinisation de l’IC et la régression sociale-patriote du PC vont rejeter l’ENA vers le nationalisme et le cléricalisme. Son dirigeant Messali Hadj, faute de choisir la classe ouvrière mondiale et d’adopter le marxisme défendu par l’Opposition de gauche de l’IC, sera l’artisan cette évolution.
En 1927, Chadly Khairallah, un bourgeois tunisien, est nommé président de l’ENA. L’IC convoque un « Congrès antiimpérialiste », qui se tient à Bruxelles le 12 février 1927 auquel participe, entre autres, le Guomindang de Chiang. À cette occasion, Messali revendique l’indépendance de l’Algérie, réclame le retrait total des troupes d’occupation, une assemblée constituante élue au suffrage universel et l’instruction gratuite obligatoire à tous les degrés en langue arabe. Mais il s’adresse déjà à « tous les Algériens », fait référence à la religion et proclame son respect de la propriété privée.
Au printemps 1927, le Guomindang écrase la révolution chinoise. En 1928, affolé par les risques de restauration capitaliste en URSS, Staline rompt avec Boukharine et décide une collectivisation féroce des campagnes. L’IC abandonne brutalement le « front uni antiimpérialiste » au profit de la ligne « classe contre classe » et dénonce les organisations « nationales révolutionnaires ». C’est la « troisième période d’erreurs de l’Internationale communiste ». L’IC demande au PC de veiller « à ce que l’Étoile nord-africaine ne se développe pas sous la forme d’un parti ». Par conséquent, en 1928, le PC suspend son aide matérielle à l’Étoile nord-africaine. En Algérie même, le PC-SFIC stalinisé est encore plus incapable d’œuvrer à l’émergence d’un parti ouvrier révolutionnaire qui rassemble travailleurs arabes, berbères, juifs et européens.
La transformation de l’ENA en organisation nationaliste et cléricale
La répression impitoyable, qu’aucun changement de gouvernement ni même de République n’interrompt durablement, empêche l’intégration des organisations nationalistes des colonies au capitalisme français et à l’État bourgeois qui le protège.
L’Étoile nord-africaine se construit d’abord en France, à partir d’une base d’immigrés, petits commerçants et surtout salariés laissés sans perspective propre à cause de l’abandon par l’IC de son programme internationaliste initial. Messali utilise les méthodes d’organisation autoritaires copiées de l’IC dirigée par Zinoviev puis Staline pour empêcher que la base ouvrière contrôle l’organisation. Les ouvriers venus d’Algérie sont séparés de leurs camarades français et immigrés des autres pays, mis au service d’un appareil petit-bourgeois qui a vocation à devenir la classe dominante d’un État algérien capitaliste indépendant.
L’Étoile nord-africaine élit Messali président en 1933. Le congrès adopte un programme qui avance, à juste titre, des mots d’ordre démocratiques : amnistie, abolition du code de l’indigénat, libertés de presse, de réunion, de grève, droit de voyager, égalité juridique, Assemblée algérienne élue au suffrage universel (une revendication qui est scandaleusement rejetée par le PS-SFIO et abandonnée par le PC-SFIC). Cependant, il ne détermine pas les forces sociales capables de réaliser un programme démocratique conséquent. Il n’est à aucun moment question des classes sociales, ni en France, ni en Algérie. Le congrès interdit l’appartenance au PC.
En matière de propriété, le programme de l’ENA se borne à réclamer la remise au futur État algérien des banques, des mines, des infrastructures et la restitution des terres confisquées aux paysans. Explicitement, il respecte non seulement la petite, mais « la moyenne propriété » foncière.
Pour assurer la réussite de ce projet bourgeois et de cette manipulation de la base majoritairement ouvrière, le chef de l’ENA recourt aux idéologies qui assurent la cohérence des sociétés précapitalistes (la religion) et capitalistes (le nationalisme).
Pour se libérer du joug, les musulmans doivent s’organiser. L’Étoile nord-africaine est là pour les guider et les conduire à la victoire. (Messali, 23 décembre 1933, cité par Benjamin Stora, Messali Hadj, Le Sycomore, 1982, p. 109)
Or, toutes les religions défendent le patriarcat et la propriété privée. Contre l’indépendance de la classe ouvrière, contre l’internationale ouvrière, contre le marxisme, Messali décide que l’obscurantisme sera inculqué aux membres de l’ENA (Stora, p. 110). Le vocabulaire religieux imprègne tous ses discours (p. 111).
À partir de 1935, l’identité visuelle de l’ENA (qui préfigure le drapeau algérien actuel) recourt aux couleurs et aux symboles de l’islam, écartant les chrétiens, les athées et les israélites, nombreux à se révolter contre le colonialisme.
L’implantation de l’ENA en Algérie à partir de 1936 lui procurera une base sociale de commerçants, de propriétaires fonciers, de fonctionnaires subalternes et de prêtres musulmans qui conforteront l’orientation nationaliste bourgeoise tracée par Messali. Dès lors, leurs fils fourniront l’encadrement qui soumettra la base paysanne (en Algérie) et ouvrière (en France) au projet capitaliste de la petite-bourgeoisie urbaine.
En 1935, Staline subordonne le prolétariat à la bourgeoisie
De nombreux travailleurs immigrés et l’Étoile nord-africaine participent à la manifestation organisée contre l’attaque de l’Assemblée nationale menée par les ligues fascistes en février 1934. Le gouvernement d’Union nationale de Doumergue interdit l’ENA et fait condamner Messali à un an de prison ferme.
Après la victoire de Hitler à laquelle il a tant contribué par l’orientation du « social-fascisme » et face la menace que le militarisme allemand représente désormais pour l’URSS, Staline décide un tournant de la diplomatie de l’URSS. Ainsi, un pacte franco soviétique est signé en 1935 à Paris.
MM. Staline, Molotov, Litvinov et M. Pierre Laval ont été pleinement d’accord pour reconnaitre, dans l’état actuel de la situation internationale, les obligations qui s’imposent aux États sincèrement attachés à la sauvegarde de la paix et qui ont clairement manifesté cette volonté de paix par leur participation à toute recherche de garanties mutuelles. Le devoir tout d’abord leur incombe dans l’intérêt même du maintien de la paix de ne laisser affaiblir en rien les moyens de leur défense nationale. À cet égard, M. Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. (Communiqué, 8 mai 1935)
L’Internationale communiste va, comme l’IS, pratiquer l’alliance avec la bourgeoisie « nationale » ou « démocratique ». Le PCF modifie sa position vis-à-vis de la « défense nationale », mais aussi à propos des colonies. Au prétexte qu’elles pourraient tomber aux mains d’Hitler et de Mussolini, le PCF s’oppose à l’indépendance.
Que l’Allemagne du Kaiser encourageait l’insurrection irlandaise contre la Grande-Bretagne en 1916 n’avait pourtant pas empêché les internationalistes de soutenir le droit à l’indépendance de l’Irlande.
Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre « grande » puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d’elles-mêmes, que les nombreux exemples d’utilisation par la bourgeoisie des mots d’ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les sociaux-démocrates à renier leur républicanisme. (Vladimir Lénine, « Sur la révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », 1916, Œuvres t. 22, Progrès, 1973, p. 161)
Le PCF rejoint le PS-SFIO dans le social-impérialisme
L’Internationale communiste, conçue pour mener la révolution socialiste mondiale, mais passée sous la direction de Staline, après avoir facilité la victoire de Hitler en 1933 par la division forcenée des rangs ouvriers, adopte brutalement en 1934 le social-patriotisme.
Après la catastrophe allemande, l’IC a certes substitué la politique capitularde du front unique à tout prix à la politique aventuriste de la « troisième période ». Néanmoins, l’expérience de la France démontre que l’IC parvient à conserver son rôle de frein de la révolution prolétarienne, en refusant la création d’une milice ouvrière contre le danger fasciste… La dernière pirouette opportuniste de l’IC est étroitement liée au tournant de la politique extérieure de l’URSS vers la Société des nations et l’alliance militaire avec l’impérialisme français… Ainsi, la 3e Internationale, qui n’a pas connue de congrès presque 7 années, est officiellement passée de la positon internationaliste à celle du social-patriotisme. (RSAP / Hollande, WPUS / États-Unis, LCI-BL, GBL / France, WPC / Canada, « Pour la 4e Internationale », juin 1935, Les Congrès de la 4e Internationale, La Brèche, t. 1, 1978, p. 112-113)
À partir de la rencontre entre Laval et Staline, le 15 mai 1935, le PCF abandonne la lutte pour l’indépendance de l’Algérie.
En donnant pour raison que les colonies pourraient tomber entre les mains de Hitler et de Mussolini, le PCF s’opposa à l’indépendance des colonies. (Jacob Moneta, Le PCF et la question coloniale, Maspero, 1971, p. 106)
L’argument est fallacieux car le mouvement révolutionnaire des peuples opprimés des colonies britanniques, françaises, belges, néerlandaises, japonaises, portugaises… auraient au contraire fragilisé la domination coloniale de la Libye par l’Italie, gêné la conquête de l’Éthiopie par Mussolini en 1935-1936, l’invasion de la Chine par le Japon en 1937, le coup militaire mené en Espagne en juillet 1936 à partir du Maroc… Désormais, au sein du mouvement ouvrier, seul le GBL (section française de la Ligue communiste internationale) réclame le droit à l’indépendance des peuples colonisés.
La bourgeoisie française n’opprime pas seulement indirectement toute une partie de l’Europe : elle écrase et ruine aussi des colonies immenses. Pour tous les peuples opprimés par les grands capitalistes français, par les de Wendel et les Michelin, les banques de Paris et autres, pour les Alsaciens-Lorrains aussi bien que pour les Indochinois, les Marocains et les Malgaches, nous réclamons le droit à disposer entièrement d’eux-mêmes, jusques et y compris la séparation s’ils le veulent. (Programme d’action, 1934)
La LCI (qui deviendra en 1938 la 4e Internationale) s’oppose aux « fronts populaires » qui soumettent le prolétariat à la bourgeoisie, qui vont conduire les révolutions française et espagnole à la défaite et ainsi prolonger la mainmise de l’impérialisme (espagnol, italien et français) sur le Maghreb.
En 1935, l’ENA adhère au Front populaire
Le programme de janvier 1935 du « Rassemblement populaire » constitué par le PS-SFIO, le PCF et le Parti radical ne comprend qu’un seul passage sur les colonies… qui omet soigneusement l’indépendance.
Constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation politique, économique et morale dans les territoires français d’outre-mer, notamment dans l’Afrique du Nord et l’Indochine. (Georges Lefranc, Histoire du Front populaire, Payot, 1974, p. 477)
Néanmoins, l’ENA participe au Front populaire.
L’Etoile nord-africaine se joignait en France au mouvement de Front populaire ; elle obtenait au printemps 1935 sa reconnaissance légale et, le 1er mai, Messali était libéré. (René Galissot, dans Histoire générale du socialisme, PUF, 1977, t. 3, p. 588)
De même, le programme électoral du PCF de mai 1936 ne mentionne que : « l’application et le respect du droit syndical pour tous, y compris les indigènes des colonies ». Le 14 juillet 1935, pour la première fois le cortège du PCF mêle les drapeaux tricolores des colonisateurs et des Versaillais et au drapeau rouge du prolétariat. Sous l’égide de l’ENA, 7 000 travailleurs arabes participent à la manifestation.
En décembre 1935, Messali Hadj fréquente Chekib Arskan, idéologue panarabe et islamiste. L’ENA renforce encore le cléricalisme qu’elle avait adopté dès sa refondation en 1933. Son biographe lambertiste (depuis reconverti en conseiller du président Macron pour la politique algérienne de l’impérialisme français) se contorsionne pour en attribuer la responsabilité… aux travailleurs algériens.
Pour Messali, placer la démonstration sur le plan religieux, c’est la situer exactement là où elle a le plus de chance d’être comprise. Il sent qu’il doit adapter ses méthodes aux populations auxquelles il veut s’adresser. (Benjamin Stora, Messali Hadj, Le Sycomore, 1982, p. 138)
Les travailleurs « indigènes » dans la grève générale de 1936
La grève générale va déferler sur la France, malgré la bureaucratie de la CGT réunifiée. De nombreux travailleurs arabes et kabyles y prennent part, ce qui oblige l’ENA à soutenir le mouvement de grève et d’occupation. Les travailleurs d’Afrique du Nord se lancent aussi dans l’action révolutionnaire.
En Afrique du Nord, les travailleurs européens ne suivirent pas seuls les mots d’ordre de grève ; la grève atteignit aussi les mineurs et les ouvriers agricoles indigènes. Cela conduisit à des heurts avec la police, la gendarmerie et la troupe. De durs combats éclatèrent dans la région de Constantine, dans les mines de Ouenza le 29 juin, à Alger, Mostaganem, Oran le 30 Juin, à Geryville le 3 juillet… ces grèves ne furent presque nulle part organisées ni dirigées par les syndicats, mais eurent un caractère spontané. (Jacob Moneta, Le PCF et la question coloniale, Maspero, 1971, p. 106)
Pour bloquer toute perspective prolétarienne en Algérie, le Parti communiste algérien récemment constitué participe, du 15 mai au 5 juillet 1936, au « Congrès musulman » avec la Fédération des élus indigènes et l’Association des oulémas (les dignitaires religieux sunnites).
Nous communistes algériens, nous ne permettrons à quiconque de dresser les militants contre les Élus, les Élus contre les Oulémas ou réciproquement. Et nous considérons comme un crime de vouloir détacher, de cette union une partie du peuple. (La Lutte sociale, 8 aout 1936)
Une délégation composée de Ben Badis (pour les oulémas) et de Ferhat Abbas (pour les élus) est reçue par le président du conseil Léon Blum (PS), le 23 juillet, à Paris, sans rien obtenir.
L’ENA capitule devant le gouvernement de Front populaire
Dans un premier temps, l’ENA soutient le gouvernement Blum.
L’Etoile nord-africaine a, à l’occasion de l’avènement du gouvernement du Front populaire, adapté sa politique aux circonstances nouvelles dans le but de faciliter la tâche du gouvernement à l’intérieur et à l’extérieur. C’est ainsi que le 26 juin 1936, j’ai eu l’honneur de prononcer un discours pour préciser notre attitude à l’égard du gouvernement, qui a été très apprécié à la présidence du Conseil et à l’Intérieur. (Messali Hadj, « La dissolution de l’Etoile Nord-africaine », La Gauche révolutionnaire, 1 mars 1937)
L’ENA dépose respectueusement à l’Assemblée nationale française un cahier de revendications modérées dont la plus hardie concerne l’abolition du code de l’indigénat. Elle participe aux défilés du FP du 14 juillet 1936. Ses cortèges regroupent 35 000 travailleurs à Paris, 5 000 à Lyon. Le 31 juillet 1936, l’ENA tient un meeting à Paris avec 6 000 travailleurs.
Messali Hadj se rend en aout 1936 en Algérie. Comme l’ENA est la seule à défendre l’indépendance, contre le PS-SFIO, le PCF et le PCA, c’est le début de l’implantation du parti nationaliste et clérical sur le territoire algérien, jusqu’à présent limitée à l’émigration petite-bourgeoise et ouvrière en France.
En guise de réponse aux attentes algériennes, le gouvernement de Front populaire se contente d’un projet minimaliste d’assimilation. Le 30 décembre 1936, est publié au Journal officiel un projet de loi Blum-Viollette qui prévoit d’accorder la citoyenneté française et le droit de vote à 25 000 « indigènes », anciens gradés, soldats décorés, diplômés, fonctionnaires, élus et responsables syndicaux. Devant la pression de la presse réactionnaire, des partis fascistes comme le PPF et des colons, Blum retire son timide projet d’aménagement du colonialisme et reprend la politique de tous les gouvernements bourgeois précédents.
Le Front populaire, une fois au pouvoir, une nouvelle vague de répressions, emprisonnements, dissolution de mouvements, fusillades, s’abattit sur les colonisés. (Daniel Guérin, Front populaire, révolution manquée, 1963, Maspero, 1970, p. 170)
Le gouvernement du Front populaire réprime les nationalistes algériens
Le gouvernement Blum dissout l’Etoile nord-africaine en janvier 1937, le Comité d’action marocaine en mars 1937 et poursuit leurs dirigeants en utilisant la loi qui a été adoptée prétendument contre les « ligues fascistes ». Le PCF et le PCA soutiennent la répression. Messali Hadj fonde le Parti du peuple algérien. Le PPA se contente de l’autonomie de l’Algérie au sein de la République française et renonce à l’indépendance.
Le Parti du peuple algérien travaillera pour l’émancipation totale de l’Algérie, sans pour cela se séparer de la France. (El Ouma, avril 1937)
Le 27 aout 1937, Messali est arrêté avec d’autres dirigeants du PPA. Le PCF et le PCA approuvent. Il est condamné à deux ans de prison pour « reconstitution de ligue dissoute, provocation des indigènes à des désordres, manifestation contre la souveraineté française ». Seuls protestent la GR du PS-SFIO, des anarchistes et le Parti ouvrier internationaliste (section de la 4e Internationale).
Après avoir empêché avec l’aide du PCF la révolution en France, Blum est chassé du gouvernement par le Parti radical le 8 novembre 1938. Il n’y a plus de Front populaire puisque le PR rompt avec le PS-SFIO et le PCF. Celui-ci ne change pas pour autant d’orientation.
Si la question décisive du moment c’est la lutte victorieuse contre le fascisme, l’intérêt des peuples coloniaux est dans leur union avec le peuple de France et non dans une attitude qui pourrait favoriser les entreprises du fascisme et placer par exemple l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sous le joug de Mussolini et d’Hitler… Créer les conditions de cette union libre, confiante et fraternelle des peuples coloniaux avec notre peuple, n’est-ce pas, là encore, travailler à remplir la mission de la France à travers le monde ? (Maurice Thorez, Discours au congrès du PCF, décembre 1937)
Avec le pacte germano-soviétique d’aout 1939, le PCF redevient, brièvement, anticolonialiste. En juillet 1939, le gouvernement Daladier (Parti radical) interdit le PPA. En septembre, il interdit le PCF.
Les peuples colonisés constatent que l’impérialisme français n’est pas invincible. En mai 1940, les troupes allemandes envahissent la France. Le maréchal Pétain reçoit le 10 juillet 1940 les pleins pouvoirs de l’Assemblée nationale issue des élections de 1936. Le 17 mars 1941, Messali Hadj est condamné à 16 ans de travaux forcés par le régime de Vichy.
En 1944, le PS-SFIO et le PCF se rallient à de Gaulle et repoussent l’indépendance
Après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie, le 22 juin 1941, le PCF se met au service, comme le PS-SFIO et la CGT, de la fraction de la bourgeoisie française qui, autour du général De Gaulle, a fait le choix de maintenir l’alliance avec la bourgeoisie britannique.
Pétain et de Gaulle se disputent les colonies françaises. En novembre 1942, les troupes anglo-américaines débarquent en Afrique du Nord et infligent une défaite aux forces françaises fidèles au régime de Vichy. Les deux branches du mouvement nationaliste algérien, Messali Hadj (PPA) et Ferhat Abbas (UPA), proposent ensemble un Manifeste du peuple algérien, en mai 1943, qui prévoit un gouvernement présidé par l’envoyé du général de Gaulle et composé de « quatre Français et de quatre musulmans ». Le général Catroux refuse.
En mars 1944, le Conseil national de la Résistance (CNR) signé par la SFIO, le PCF et la CGT se tait sur l’indépendance des colonies et se contente de « l’extension des droits politiques, sociaux et économiques de la population indigène et coloniale ».
Le 14 mars 1944, Ferhat Abbas crée l’Association des amis du manifeste et de la liberté (AML) avec l’Association des oulémas et le PPA. L’AML se prononce pour une Algérie autonome fédérée à la France.
En 1945, le gouvernement MRP-SFIO-PCF écrase la révolte de Sétif
Le gouvernement MRP-SFIO-PCF présidé par De Gaulle, entreprend de désarmer les travailleurs, de reconstruire l’État bourgeois, de mettre fin aux grèves et de recouvrer les colonies en Asie et en Afrique. Le 23 avril 1945, il arrête Messali Hadj et le déporte à Brazzaville au Congo. Le 8 mai 1945, à Sétif, une manifestation organisée par le PPA tourne à l’émeute lorsque la police cherche à enlever les drapeaux algériens et les pancartes réclamant la libération de Messali Hadj. La répression qui dure jusqu’au 24 mai est secondée par des milices composées de colons. Alors que les émeutes font 102 morts parmi les colons, 15 000 à 45 000 Arabes sont massacrés entre mai et juin 1945.
Le 10 mai, une délégation du PCF et du PCA se rendit chez le gouverneur général pour lui désigner du doigt les responsables : le PPA et les Amis du manifeste. La délégation « s’est entretenue des provocations des agents hitlériens du PPA et d’autres agents camouflés dans des organisations qui se prétendent démocratiques » dit le compte rendu de l’audience tel que le publia le quotidien Alger Républicain, le 12 mai 1945. Les délégués avaient réclamé « le châtiment rapide et impitoyable des provocateurs ». (Grégoire Madjarian, La Question coloniale et la politique du Parti communiste français, Maspero, 1977, p. 106-107)
Ce qu’il faut, c’est punir comme ils le méritent les meneurs hitlériens ayant participé aux évènements du 8 mai et les chefs pseudo-nationalistes qui ont essayé de tromper les masses musulmanes, faisant aussi le jeu des 100 seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations algériennes et le peuple de France. (L’Humanité, 19 mai 1945)
En 1946, Abbas fonde l’UDMA et Messali Hadj fonde le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Avec le retournement de l’impérialisme américain contre l’URSS, le PCF est chassé du gouvernement par Ramadier (PS-SFIO).
Le PS-SFIO participe aux gouvernements de « guerre froide » qui suivent. En aout 1947, le ministre PS Depreux rédige un statut pour l’Algérie qui instaure deux collèges électoraux : le premier comprend les « citoyens français de plein droit » et 58 000 « citoyens de statut local » parmi les « musulmans » ; le second réunit 1 300 000 « musulmans » qui élisent une Assemblée algérienne. Une voix d’Européen vaut ainsi huit voix d’Arabes. Le PCF s’abstient.
Dans le moment présent, « l’indépendance » de l’Algérie constituerait à la fois un leurre et une consolidation des bases de l’impérialisme en Algérie et dans le monde : les communistes condamnent cette position fausse… Nous sommes en effet convaincus que l’Union française, malgré toutes les imperfections… donne actuellement aux peuples d’Outre-mer la seule possibilité de marcher surement à la conquête de la liberté et de la démocratie. (Léon Feix, « Quelques vues sur le problème algérien », Cahiers du communisme, septembre 1947)
Le PCF et le PS sont hostiles à l’indépendance
Le 12 mai 1952, le gouvernement Pinay assigne Messali Hadj à résidence à Niort (Deux-Sèvres). En mars 1953, des jeunes membres du MTLD inspirés par l’exemple des guérillas staliniennes constituent le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA). Le 14 juillet 1953, à Paris, la police de la République disperse dans le sang une manifestation pacifique des travailleurs algériens.
Six mois après la défaite de l’armée coloniale française à Dien Bien-Phu, le CRUA estime que l’heure de l’action est venue. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, une soixantaine d’attentats sont perpétrés en différents points du territoire algérien contre des objectifs militaires. Le CRUA se renomme Front de libération nationale (FLN). Il fixe comme objectif à la lutte armée « la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». Le 3 novembre, le PCA laisse la revendication de l’indépendance au FLN.
La meilleure façon d’éviter les effusions de sang et d’instaurer un climat d’entente et de paix consiste à faire droit aux revendications algériennes par la recherche d’une solution démocratique qui respecterait les intérêts de tous les habitants de l’Algérie sans distinction de race ni de religion, et qui tiendrait compte des intérêts de la France…
Le parti stalinien fait une déclaration qu’il invoquera fréquemment plus tard pour montrer qu’il a sans cesse défendu les Algériens. En réalité, elle refuse toujours l’indépendance et insinue même que le FLN fait le jeu des colonialistes.
Le Parti communiste français qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n’étaient pas fomentés par eux, assure le peuple algérien de la solidarité de la classe ouvrière française dans sa lutte de masse contre la répression et pour la défense de ses droits. (PCF, « Déclaration sur la situation en Algérie », 8 novembre 1954, Cahier du communisme, novembre 1954)
Le 12 novembre 1954, le président du conseil Mendès-France (Parti radical) décide la répression.
À la volonté criminelle de quelques hommes doit répondre une répression sans faiblesse. Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition, aucun compromis avec elle. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la Nation et l’intégrité de la République.
Mitterrand (UDSR) l’appuie sans réserve : « L’Algérie, c’est la France ». La République bourgeoise saisit La Vérité et Libertaire.
La FCL et les deux PCI sauvent l’honneur du mouvement ouvrier français
Face à l’insurrection, les anarchistes se divisent. La Fédération anarchiste reste neutre. La Fédération communiste libertaire, défend vigoureusement le droit à l’indépendance du peuple algérien.
La section française de la 4e Internationale, qui s’appelle Parti ouvrier internationaliste puis le Parti communiste internationaliste prend position pour l’indépendance des colonies et pour que le prolétariat y prenne la tête de la lutte contre l’impérialisme français.
Mais, en 1951, la 4e Internationale dirigée par Pablo et Mandel renie son programme pour revenir à la réforme de la bureaucratie stalinienne (malgré l’opposition de quelques sections) et au front uni antiimpérialiste, c’est-à-dire à la subordination à la bourgeoisie nationale dans les pays dominés (sans aucune opposition). Cela entraine l’exclusion de la section française (PCI) et l’explosion de l’internationale en 1953.
Les deux fractions s’engagent pour l’indépendance de l’Algérie, mais sans tenter de construire un parti ouvrier algérien. Le PCI majorité (l’ancêtre du POI et du POID) s’aligne en 1954 sur le MNA tandis que le PCI minorité (l’ancêtre du NPA et d’Ensemble) capitule devant le FLN.
En 1956, sans aucun lien avec la 4e Internationale du temps de Trotsky, Hardy fonde un groupe concurrent purement français, VO (l’ancêtre de LO). VO étant satellisée par le PCF, elle ne se prononce pas pour l’indépendance avant que le PCF tourne. Elle trouve seulement que la guerre coute trop cher aux travailleurs français.
Le retrait du corps expéditionnaire d’Algérie, le respect du droit des peuples d’Afrique du Nord à disposer d’eux-mêmes, viennent en tête de toutes les revendications car cette guerre en est arrivée à un point où sa poursuite entraine automatiquement une forte baisse du niveau de vie de la classe ouvrière métropolitaine. (Lutte de classe 2, décembre 1956)
Contrairement aux deux fractions du PCI et à la FCL qui sont réprimées, la FA et VO ne sont jamais inquiétées par la police.
En 1956, le PS-SFIO et le PCF votent « les pouvoirs spéciaux »
Hier et aujourd’hui, engagés et appelés, s’exposaient et parfois mouraient pour la paix, pour la France, pour l’ONU… mais toujours pour le peuple français. (Jean-Luc Mélenchon, Libération, 27 avril 2000)
En fait, les appelés, pour la plupart des travailleurs, sont livrés jusqu’à deux ans à la hiérarchie militaire gaulliste et fasciste pour réprimer en Algérie d’autres travailleurs dans l’intérêt des grands propriétaires fonciers locaux et des groupes capitalistes impérialistes. Ils tentent de résister.
En aout-septembre-octobre 1955, dans un effort spontané pour se libérer des objectifs bourgeois du PS et du PCF, la classe ouvrière de ce pays tend toute son énergie pour « déborder » les appareils traditionnels. Saint-Nazaire, Nantes et, à leur suite, Rouen, Albi, la RATP, etc., retentissent comme l’appel à la grève générale. En écho, les rappelés dans les casernes, dans les trains, dans les ports, sur les bateaux, lancent le mot d’ordre : les civils avec nous ! Mais le prolétariat sera tenu en échec non par la force de l’État bourgeois mais par la volonté de deux forces ouvrières traditionnelles d’enserrer son combat dans le carcan du parlementarisme bourgeois. Leur élan est brisé par la force contrerévolutionnaire des appareils traditionnels du mouvement ouvrier qui canalisent la lutte des masses et des soldats dans le système de la démocratie parlementaire. Les ouvriers reprennent le travail, tandis que les rappelés débarquent à Alger, isolés, impuissants, démoralisés et sont lancés dans la guerre contrerévolutionnaire. (Robert Langlade, Comment de Gaulle a pris le pouvoir, 1958, OCI, p. 4)
Le 31 janvier 1956, jour de l’investiture du gouvernement colonialiste incluant le PS-SFIO, les deux partis sociaux-impérialistes se prononcent contre l’indépendance.
L’objectif de la France, la volonté du gouvernement, c’est maintenir et renforcer l’union indissoluble entre l’Algérie et la France métropolitaine. (Guy Mollet, PS-SFIO)
Sur la base de la reconnaissance des revendications nationales du peuple algérien, il est possible d’en faire un ami et un allié de la France au sein d’une véritable Union française… Ainsi et ainsi seulement, pourront être déjoués les plans de certains de nos alliés atlantiques, qui aspirent à imposer leur domination en Afrique du Nord, et bénéficient de l’appui de milieux colonialistes français, ne reculant nullement devant le séparatisme pour conserver leur situation privilégiée… (Jacques Duclos, PCF)
Le 12 mars 1956, les députés PCF et PS-SFIO votent les pouvoirs spéciaux. Cela suspend les garanties et libertés individuelles en Algérie, l’exercice des pouvoirs de la police et de la justice passe aux mains de l’armée. La torture est généralisée.
Des militants du PCI majorité et de la FCL sont arrêtés. Le meeting commun du PCI et de la FCL prévu le 21 décembre est interdit. Il faut attendre le 29 juillet 1956 pour que les députés PCF votent contre les crédits militaires.
En 1959, au Congrès confédéral de la CGT, un des responsables de la fédération de France du FLN, ouvrier chez Renault, met en cause l’attitude des directions syndicales.
Au lieu d’amener les travailleurs à prendre position contre la guerre d’Algérie tout simplement parce que la guerre, surtout coloniale, se trouve en contradiction flagrante avec les principes de la classe ouvrière. Non. Les travailleurs, face au problème, ont été habitués à prendre une position déterminée avant tout par intérêt. Puisque le slogan « la guerre d’Algérie coute cher » passe en premier, ils sont appelés à lutter contre cette guerre parce qu’elle menace leur niveau de vie… (Aboubekr Belkaïd, « Intervention au congrès de la CGT métallurgie », 1959, cité par Nicolas Hatzfeld, Les Syndicats de l’automobile aux congrès fédéraux 1948-1963, PUR, 2005, p. 38)
1958, l’armée française porte de Gaulle au pouvoir
Malgré la supériorité militaire et l’usage généralisé de la torture, l’armée n’arrive pas à vaincre à cause du soutien grandissant de la population au FLN.
Les généraux, en lien avec les réseaux gaullistes, se soulèvent contre le régime parlementaire de la 4e République et prennent le pouvoir à Alger. Le 15 mai 1958, de Gaulle fait savoir qu’il se tient prêt à « assumer les pouvoirs de la République ». Le 16 mai, l’Assemblée vote l’état d’urgence pour 3 mois par 461 voix (dont celles du PS-SFIO et du PCF) contre 114. Le 20 mai, à l’unanimité (PS-SFIO et PCF compris), l’Assemblée « se fait un devoir d’exprimer à nos soldats et à leurs chefs la profonde reconnaissance de la nation pour les services déjà rendus à l’unité de la patrie et au drapeau de la République qui, dans la légalité, sortiront vainqueurs de l’épreuve actuelle ».
Le bonaparte forme sans attendre un gouvernement de rassemblement incluant Mollet (PS-SFIO). Le 28 mai, contre la prise du pouvoir appuyée par l’armée, un million de travailleurs protestent dans toute la France à l’appel de la CGT, de nombreuses organisations syndicales FO, CFTC et FEN.
Le 6 juin 1958, Messali Hadj capitule.
Je considère que tout cela signifie que, dans la pensée du général de Gaulle, il y a des ouvertures susceptibles de permettre la création de l’État algérien, pour aller ensuite à un Commonwealth, du type anglais, France-Maghreb et France-Afrique. (Bulletin d’information du MNA, 15 juin 1958)
Le 19 septembre 1958, le FLN proclame le gouvernement provisoire de la République algérienne présidé par Abbas.
En France, une minorité du PS-SFIO hostile à de Gaulle et favorable à l’indépendance scissionne et fonde le PSA qui devient PSU en 1960.
En 1961, de Gaulle massacre les ouvriers algériens à Paris
Les fractions déterminantes de la bourgeoisie française savent que le colonialisme direct est périmé. Le général de Gaulle change de cap. Le 11 avril 1961, lors d’une conférence de presse, il évoque un État algérien souverain.
Une fraction de l’état-major, appuyée par la majorité de la population algérienne d’origine européenne, déclenche un nouveau coup d’État le 21 et 22 avril à Alger. Le 24 avril, dix millions de travailleurs font grève en France pour s’y opposer. De nombreux appelés refusent d’obéir aux ordres ou de les retransmettre. Le putsch échoue.
Le 17 octobre 1961, le FLN organise, à Paris, une manifestation contre le couvre-feu imposé aux Algériens par le préfet de police Papon. La manifestation interdite est sauvagement réprimée par de Gaulle.
Seul le syndicat étudiant UNEF appelle à manifester : 10 000 étudiants défilent à Paris le 18 novembre.
L’histoire n’est jamais écrite d’avance
La décolonisation était inévitable. Mais qui allait la mener en Algérie et en France a dépendu de la crise de direction du prolétariat mondial.
Aucune organisation française n’a tenté de construire un parti ouvrier révolutionnaire en Algérie :
- majoritaires, le PCF et le PS-SFIO se sont opposées au sentiment national d’un peuple opprimé,
- minoritaires, les organisations « trotskystes » se sont calquées sur le PCF et n’ont pas soutenu le mouvement national (VO de Hardy) ou bien ont capitulé devant sa direction bourgeoise, soit sa branche MNA (le PCI majorité de Lambert), soit sa branche FLN (le PCI minorité de Frank et Krivine).
Le 5 juillet 1962, au prix de centaines de milliers de morts arabes, l’indépendance de l’Algérie est proclamée. La révolution algérienne naissante est étouffée par l’appareil du FLN qui mue en bourgeoisie nationale qui reste dépendante de l’impérialisme mondial et oppresseuse de son propre peuple..