L’impérialisme américain et son rival chinois se défient à Taïwan

Le 2 aout, une des principaux dirigeants politiques américains se rend officiellement à Taipeh, la capitale de Taiwan. Le 4 aout, le gouvernement chinois déclenche de grandes manoeuvres militaires dans le détroit qui sépare l’ile du continent.

Le Monde, 7 aout

L’enjeu que représente Taïwan

En 1945, après le départ des troupes japonaises, le Guomindang (Kuomintang, GMD) qui gouverne la Chine prend le contrôle de Taïwan (Formose) une ile de l’ancien empire chinois peuplée de 10 millions d’habitants. En 1947, le GMD réprime la population locale et instaure la loi martiale, c’est la « terreur blanche ». En 1949, le Parti communiste chinois (PCC) chasse le GMD du continent. Celui-ci se replie sur Taïwan, Jiang Jieshi (Chiang Kaï-shek) y maintient un régime despotique soutenu par l’impérialisme américain, alors hégémonique, au nom de la défense du « monde libre », bien sûr. Le GMD prétend unifier la Chine en chassant les communistes. De son côté, le PCC réclame Taiwan.

La bourgeoisie profite, comme celle de la Corée du Sud, de la guerre de Corée et de la guerre du Vietnam pour devenir autonome en combinant investissements étrangers (surtout américains et japonais), protectionnisme et réforme agraire. Sur place, se développe une accumulation du capital.

Officiellement, en RPC, les échanges avec l’ile sont interdits. Mais, en 1979, Deng Xiaoping ouvre des « zones économiques spéciales » où les entreprises du reste du monde peuvent exploiter la main-d’oeuvre sans grève ni syndicat. Les capitalistes hans de Hongkong, Macao, Singapour et Taiwan en sont avides et transfèrent de la technologie.

La même année, le Congrès des États-Unis adopte une loi (Taïwan Relations Act) qui définit les relations avec Taïwan comme semblables à celles avec tout autre État, à l’exception de relations diplomatiques officielles. Elle autorise la vente d’armes à des fins défensives à Taïwan. En 1987, la loi martiale est levée. Une partie de la bourgeoisie locale en profite pour lancer le Parti démocrate progressiste (Minjindang, PDP) qui veut l’indépendance… ou plus exactement, la dépendance envers les États-Unis.

Avec la restauration du capitalisme en Chine en 1992, les relations économiques et diplomatiques s’épanouissent. En 1996, le GMD est contraint de partager le pouvoir à Taiwan sous la forme d’élections. En 2000, le PDP emporte l’élection présidentielle.

En 2002, ses principaux groupes capitalistes ayant atteint la taille critique, le gouvernement de Taiwan renonce officiellement au protectionnisme et adhère à l’OMC pour leur ouvrir les marchés étrangers. En 2010, un accord de coopération économique sanctuarise les intérêts des grandes multinationales chinoises (Huawei, ZTE, China Mobile…), américaines (Apple, Google, Microsoft…) et taïwanaises (Foxconn, le premier groupe mondial de semi-conducteurs TSMC…).

Ce n’est qu’en 2011 que le droit des syndicats est reconnu. Toutefois, une grève ne peut être déclenchée que si elle a été approuvée, lors d’un vote à bulletin secret, par la majorité des adhérents du syndicat déposant le préavis.

En 2015, à Singapour, Xi Jinping rencontre Ma Ying-Jeou, président GMD de Taïwan. Mais Tsai Ing-wen, du PDP, est élue en 2016. Elle veut maintenir le statu quo vis-à-vis de Pékin et obtenir plus de reconnaissance diplomatique. Elle fait adopter en 2017 une loi sur le travail permettant au patronat de faire travailler les salariés douze jours consécutifs, en 2019 une loi qui autorise le mariage homosexuel. La guerre commerciale entreprise par Obama et Trump contre la Chine entraine une forte croissance des exportations taïwanaises vers les États-Unis. Tsai est réélue en 2020.

Les États-Unis veulent contenir la Chine

Taipe, 3 aout, Nancy Pelosi (avec l’écharpe) et Tsai Ing-wen (en veste grise) ; en arrière-plan, le portrait de Jiang Jieshi (Chiang Kaï-shek), le bourreau des ouvriers chinois / photo La Presse, 2022

L’armée américaine possède 800 bases à l’étranger. Qu’ils soient présidés par un membre du Parti démocrate ou du Parti républicain, les États-Unis ont une stratégie mondiale, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit toujours couronnée de succès.

Après l’éclatement de l’URSS, qui était un État ouvrier dégénéré, le principal adversaire de la bourgeoisie américaine est progressivement devenu la Chine, où le capitalisme a été restauré de manière plus maitrisée qu’en Russie. La République populaire de Chine (RPC) est un géant capitaliste et elle ne peut repartager le monde qu’au détriment du Japon, de l’Allemagne et surtout des États-Unis.

De ce point de vue, Trump continuait Obama comme Biden continue Trump. Les présidents changent souvent, les généraux moins vite.

Biden renforce l’alliance quadrilatérale (Quad ou QSD) entre l’Inde, l’Australie, le Japon et les États-Unis. En juin 2022, il dévoile un projet d’accord commercial pour cette alliance, le Cadre économique indopacifique (IPEF). Dans la région Pacifique, au détriment de l’impérialisme français, l’alliance militaire AUKUS réunit la Grande-Bretagne, l’Australie et les États-Unis. En octobre 2021, la présidente taïwanaise confirme que les forces spéciales étasuniennes forment les militaires de son pays. Les deux gouvernements négocient un accord commercial.

Washington ne craint visiblement pas d’irriter Pékin. Après avoir affiché avec vigueur, fin mai, le soutien américain à Taïwan si l’ile venait à être attaquée par la Chine, les États-Unis ont annoncé mercredi avoir lancé avec Taipei un nouveau cadre de discussions : l’Initiative EU-Taïwan pour le commerce du 21e siècle. (Les Échos, 2 juin 2022)

C’est dans cette offensive contre la Chine que s’inscrit la visite de Nancy Pelosi, la présidente (Parti démocrate) de la Chambre des représentants… et épouse d’un capitaliste à la tête de 135 millions de dollars. Le président, embarrassé, prétend que la visite de Pelosi est un « choix personnel ». Contre l’avis de Trump, une vingtaine d’élus du Parti républicain affirment que Pelosi a parfaitement le droit de se rendre à Taïwan, alors que les « socialistes » du Parti démocrate, Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez, se gardent de toute critique.

La Chine augmente la pression


Depuis 1992, comme toute bourgeoisie, celle de la RPC repose sur l’idéologie nationaliste. Comme toute bourgeoisie impérialiste, elle veut sécuriser ses multinationales, ses importations et ses exportations, contrer les menaces de ses rivales. En 2005, Pékin adopte une loi « anti-sécession » exprimant clairement son désir de rattacher Taïwan au continent. Xi est de plus en plus menaçant envers Taïwan. En 2021, il étouffe l’opposition à Hongkong par la loi, la police et la justice.

L’armée chinoise a considérablement renforcé ses positions en mer de Chine. Dans un rayon de 500 km autour de Taipeh, il y a 39 bases militaires chinoises et 2 étasuniennes. Les communications militaires américaines reposent sur des satellites vulnérables aux missiles chinois alors que les chinoises passent surtout par des câbles de fibre-optique plus fiables. L’armée chinoise dispose aussi de missiles « tueurs de porte-avions ».

Le 4 aout, après la visite de Pelosi à Taipeh, le gouvernement chinois s’engage dans de grands manoeuvres militaires contre Taïwan qui durent jusqu’au 7. Pas moins de dix missiles tirés, une quinzaine de bateaux, des drones, des cyberattaques et plus de 60 avions. Les chasseurs et les frégates franchissent la ligne médiane du détroit de Formose qui sépare les deux pays.

Retrait de toutes les troupes impérialistes de la région ! Droit pour le peuple taïwanais de décider !

La plupart des partis bourgeois, en France, se rangent derrière leur gouvernement : d’un côté les doux démocrates (Ukraine, Taïwan et les puissances occidentales), de l’autre les agressifs ennemis de la démocratie (Chine, Russie). Le PS se range avec les premiers.

Le PCF et LFI penchent pour que l’impérialisme français joue la carte de la Russie ou de la Chine, avec comme phare inévitable le général De Gaulle.

Lourde de conséquences est la provocation des USA à Taïwan… Taïwan est un sujet tendu depuis la libération de la Chine. Mais, pour les Français depuis 1965 et le général de Gaulle, il n’y a qu’une seule Chine. Taïwan est une composante à part entière de la Chine. (Jean-Luc Mélenchon, Blog, 3 aout 2022)

« Les Français depuis 1965 » dont parle l’ancien ministre de la 5e République, c’est la bourgeoisie française et son État. De Gaulle est un de ses serviteurs, qui a commencé sa carrière en 1919 en Pologne contre l’Armée rouge et qui l’a fini en 1968 en menaçant la grève générale de l’intervention de l’armée.

Pour le prolétariat mondial, un conflit militaire entre puissances impérialistes serait une catastrophe. Les travailleurs de France, de Taïwan, de Chine, des États-Unis doivent affronter leur propre bourgeoisie. C’est au peuple de Taïwan, de Hongkong, du Xinjiang… de décider s’il veut être rattaché à la Chine ou s’il préfère en être séparé.

En Chine comme aux Etats-Unis, les travailleurs doivent s’organiser pour exiger de leurs organisations qu’elles se prononcent contre l’impérialisme, pour le droit des peuples, pour l’internationalisme.

Retrait des troupes et des flottes de guerre ! Fermeture des bases militaires ! À bas le Quad et l’AUKUS !

En s’unissant contre leur propre bourgeoisie, les exploités français, chinois et américains aideront les travailleurs de Taïwan, d’Hongkong et du monde entier à lutter pour leur émancipation. En posant la question de leur propre pouvoir, celui de gouvernements ouvriers expropriateurs des capitalistes, les travailleurs ouvriront la voie à la fédération socialiste d’Asie de l’Est, au socialisme mondial.

9 aout 2022


Cahier révolution communiste n° 31