Macron affaibli désigne un gouvernement peu renouvelé
Un mois après sa réélection, Macron a nommé le 20 mai son nouveau gouvernement, l’occasion pour lui de réaffirmer les attaques qu’il compte mener contre les travailleurs, notamment en s’en prenant aux retraites, et d’insister sur la méthode qu’il souhaite appliquer en s’appuyant sur les directions syndicales.
Macron sait que sa marge de manœuvre est plus restreinte qu’il y a 5 ans, son assise électorale et politique est plus étroite. Du côté du personnel politique, il n’a guère pu piocher davantage dans le PS et LR. Il a investi Manuel Valls, ancien ministre PS du temps où Mélenchon l’était aussi, comme candidat de Renaissance (ex-LREM) et a donné un poste de ministre à Damien Abad, l’ancien président des députés LR de l’assemblée (et, selon Mediapart, accusé de viol). Le besoin de s’appuyer sur la participation des directions syndicales à ses projets contre les travailleurs en est renforcée.
À cette fin, c’est Elisabeth Borne, qui a dirigé 3 ministères sous le précédent quinquennat, qui se voit confier Matignon. C’est elle qui avait mené l’attaque de 2018 contre le statut des cheminots. Le gouvernement Macron-Philippe et sa ministre du travail avaient été à l’époque épaulés par les responsables syndicaux (CGT, CFDT, UNSA, SUD) de la SNCF qui avaient épuisé les salariés du rail dans une grève « glissante » ou « perlée » tout en maintenant en continu le dialogue avec le gouvernement sur son projet.
Les chefs de la CGT et de la CFDT ont déjà annoncé qu’ils ne cesseraient pas d’aider Macron quand celui-ci aurait des problèmes à gérer le capitalisme français.
Le président de la République considère que les syndicats ne servent à rien. Il vient juste nous chercher quand il y a des problèmes. (Philippe Martinez, Sud Radio, 13 mai 2022)
Ils ne pourront pas faire tout seul. […] Il faut qu’on rentre dans une nouvelle ère. Cette nouvelle ère, ça n’est pas arriver en réunion et avoir une conclusion trois heures après qui est la même que lorsqu’on est arrivé : c’est de la co-construction, c’est écouter les interlocuteurs sociaux et économiques. (Laurent Berger, BFMTV, 19 mai 2022)
Au ministère du travail, est nommé Olivier Dussopt, un ancien du PS, qui sera donc en charge de conduire la réforme des retraites voulue par la bourgeoisie française. Lui aussi est fin connaisseur des bureaucrates syndicaux du temps où il était secrétaire d’État à la fonction publique.
Les chantiers sont nombreux et je les mènerai dans la concertation. (Olivier Dussopt, Twitter, 20 mai 2022)
Les intéressés, dont le chef de FO, ne se sont pas faits prier pour manifester leur accord.
Le ministère du travail, c’est, par définition, d’une certaine façon, le ministère du dialogue social. (Yves Veyrier, Franceinfo, 21 mai 2022)
NUPES : un énième front populaire
Avant l’élection présidentielle, à écouter Mélenchon, c’en était fini des tractations politiques, surtout avec le PS « libéral », et il allait devenir président, ce qui permettait d’éviter de manifester et de faire grève.
Mélenchon s’est retrouvé en 3e position, mais loin devant les candidats des autres partis réformistes (Hidalgo, Roussel). Fort de ce résultat, Mélenchon a tourné casaque, recréé une forme d’union de la gauche autour de LFI et partagé les circonscriptions. Maintenant, l’objectif principal serait de « l’élire premier ministre » de Macron. Cet objectif, au demeurant largement chimérique, résume à lui seul tout le sens de cette opération : servir la bourgeoisie. Comment en effet pourrait-il en être autrement dans un gouvernement de cohabitation avec un attelage Macron Mélenchon-Jadot ?
Le « pole LFI » de la NUPES qui soutenait Mélenchon était déjà un mini-front populaire puisqu’il comprenait non seulement Générations (une scission du PS), Ensemble (des scissions du NPA) et le POI (issu de la décomposition du « trotskysme » français), mais REV (un groupe écologiste fondamentaliste qui veut interdire la consommation de viande).
Un premier accord a été conclu (le 2 mai) avec des représentations politiques de la bourgeoisie, le « pôle écologiste de la NUPES » : EELV, l’organisation sœur du Green Party qui est membre de l’exécutif en Irlande, des Grünen qui participent au gouvernement bourgeois en Allemagne et en Autriche ; Génération écologie de Delphine Batho, ancienne ministre de Hollande. Sans deux organisations qui avaient soutenu Jadot et qui n’ont pas voulu s’associer à LFI : Cap21 de Corinne Lepage, ancienne ministre de Chirac, ni le Mouvement des progressistes, scission du parti de Macron. Les uns comme les autres n’ont aucun lien avec le mouvement ouvrier et toutes ont, à un moment ou un autre, été aux affaires de la bourgeoisie française.
Une fois obtenu l’accord, LFI s’est tourné vers les autres partis sociaux-patriotes. Le PS (le 4 mai) et le PCF (le 3 mai) ont accepté pour ne pas tout perdre. Les négociations ont porté avant tout sur les investitures. La NUPES a, ensuite, adopté un programme commun : exit la suppression de la BAC, le retrait des troupes françaises du Sahel, la sortie de l’OTAN et même la déjà très fumeuse interdiction des licenciements « économiques », ne concernant que les entreprises qui font du profit, comme si les autres licenciements étaient justifiables pour la classe ouvrière !
Si certaines revendications du programme de l’Union populaire sont conservées : SMIC à 1 500 euros, blocage des prix des produits de première nécessité (mais pas un mot de l’indexation automatique des salaires sur les prix), retraite à 60 ans (mais les 40 annuités revendiquées dans le programme obligeront la plupart à aller au-delà), nationalisation d’EDF, d’Engie, des autoroutes, de certains aéroports (mais il n’est pas question d’expropriation), elles sont à minima, en deçà des programme des précédents fronts populaires qui étaient eux-mêmes compatibles avec le capitalisme.
En réalité, si l’on examine les choses sereinement, le programme de transformation proposé en 2022 est plutôt moins ambitieux que ceux de 1936 ou de 1981. (Thomas Piketty, Le Monde, 7 mai 2022)
Si l’idéologie électoraliste et l’absence de perspective révolutionnaire peuvent pousser de nombreux travailleurs à entretenir des illusions sur cette alliance, la place de ce front populaire est la même que celle de ses prédécesseurs. Son but est de désarmer la classe ouvrière en la plaçant politiquement à la remorque de la bourgeoisie par sa perspective (gouverner avec Macron dans le cadre de la 5e République).
La plupart des mesures progressistes ne seraient pas appliquées ou seraient provisoires puisque, pour les garantir, il faudrait s’en prendre au capital, ce que la NUPES ne veut surtout pas. Cela est confirmé par l’ouverture à des partis bourgeois comme EELV et compagnie. Dans une logorrhée de 2 heures, le chef suprême de LFI a prétendu avoir « écrit une page historique de l’Histoire » en obtenant que dès le premier tour, les partis d’origine ouvrière laissent la place à des partis bourgeois.
Ce qui n’a été fait ni par le cartel des gauches, ni par le Front populaire, ni à la Libération, ni par Mai 68, ni par le programme commun, nous l’avons fait ! (Jean-Luc Mélenchon, Discours à la convention de la NUPES, 7 mai)
Toute alliance des organisations d’origine ouvrière avec des partis bourgeois ne peut se faire que sur la base d’un accord programmatique commun à tous les partenaires, celui de la bourgeoisie. À l’exception du monopole du drapeau tricolore et à l’interdiction du drapeau rouge imposés par Mélenchon, l’analyse communiste révolutionnaire du front populaire français de 1936 est toujours d’actualité.
Les meetings communs, les cortèges à grand spectacle, les serments, le mariage du drapeau de la Commune avec le drapeau de Versailles, le tintamarre, la démagogie, tout cela n’a qu’un but : contenir et démoraliser le mouvement de masse. (Léon Trotsky, La France à un tournant, 21 mars 1936)
LO refuse de rejoindre la NUPES mais n’y oppose qu’un plat économisme.
Nous ne sommes pas en mesure d’empêcher la crise et d’arrêter cette flambée des prix, mais nous pouvons et nous devons nous battre pour ne pas en faire les frais. (LO, 16 mai 2022)
Contrairement à ce que dit LO, le prolétariat est « en mesure d’empêcher la crise ». Mais il lui fui faut pour cela s’affranchir des directions réformistes et des bureaucraties syndicales corrompues qui le trahissent. S’il ne parvient pas à les déborder, il n’obtiendra pas non plus l’échelle mobile des salaires.
En fait, LO n’a aucune opposition de principe aux fronts populaires-union de la gauche. Elle a voté UG (incluant le PRG) au second tour des législatives de 1981 et est elle-même entrée dans des blocs avec des partis bourgeois lors des deux tours des élections municipales de 2008.
Le NPA qui a participé aux négociations de la NUPES, même lorsque l’accord avait été ratifié par le Pôle écologiste, n’a finalement pas intégré la coalition. Déçu par le peu de circonscriptions qui lui était laissé et dénonçant la présence du PS, car « libéral », celle d’EELV ne lui posant par contre aucun problème.
Nous aurions pu nous mettre d’accord avec l’Union populaire, le PCF et même ERLV, mais ne ne pouvons pas valider un tel accord incluant le Parti socialiste. (NPA, Déclaration, 5 mai 2022)
S’il dénonce la politique anti-ouvrière des gouvernement constitués par le PS, le NPA oublie qu’ils comportaient souvent le PCF et ne s’offusque pas pour autant de la présence d’anciens ministres de Hollande ou Jospin (dont Mélenchon lui-même), voire de Macron ou Chirac, dans les autres formations avec lesquelles il comptait s’allier.
Mais ni la distinction entre « gauche institutionnelle » et « gauche de combat », ni celle entre libéralisme et protectionnisme ne déterminent la nature sociale d’une formation politique. Tous les partis « réformistes » (LFI, PS, PCF…) sont dirigés par des agents de la bourgeoisie qui prétendent parler au nom des travailleurs. Ils obtiennent des postes grâce aux travailleurs mais y trahissent à tous les coups les intérêts de la classe ouvrière en invoquant les menaces politiques, les circonstances économiques, les exigences de leurs alliés, les contraintes de l’Union européenne, etc.
Seule l’indépendance de classe, c’est à dire la distinction entre capitalistes et travailleurs, entre bourgeoisie et prolétariat permet de juger l’opportunité d’une alliance. Un front ne peut faire progresser les exploités et les opprimés qu’en se basant sur une indépendance totale vis à vis de la bourgeoisie, de l’ensemble de ses partis.
Pour l’indépendance de classe
Pour la bourgeoisie, l’utilité actuelle de la NUPES est de contenir le mécontentement des travailleurs dans le carcan du jeu électoral bourgeois. Celle des directions syndicales est de protéger le gouvernement en participant à la mise en place des attaques annoncées.
LO, le NPA et compagnie secondent les directions syndicales en appelant à participer aux journées d’action qui serviront à épuiser les travailleurs, en ne dénonçant pas la participation des dirigeants syndicaux aux négociations des attaques du gouvernement dont le calendrier est déjà établi.
Comme lors de la présidentielle, aucune voix ouvrière ne doit se porter sur des candidats de la bourgeoisie (EELV, PRG, MoDem, Renaissance, LR, DlF, RN, Reconquête…).
Les contreréformes annoncées et celles à venir dans le contexte d’une dégradation des perspectives économiques mondiales et d’augmentation des conflits inter-impérialistes ne peuvent être combattues qu’en affrontant le patronat et son gouvernement.
Ceci implique d’imposer aux directions syndicales de rompre avec la bourgeoisie, de boycotter toutes négociations avec le gouvernement, de quitter les instances de collaboration de classe tant étatique (COR, CESE…) que les conseils d’administration des entreprises. Cela conduit également à lutter contre le dispositif des « journées d’action », des « grèves perlées » ou « glissantes », des « grèves reconductibles » site par site.
Sur les lieux de travail, d’étude et de vie, dans les syndicats, regroupons-nous pour préparer dès à présent la grève générale pour la défaite du gouvernement Macron-Borne, pour organiser l’autodéfense contre la police et les nazillons, pour contrer et renverser la bourgeoisie française, pour mettre en place un gouvernement des travailleurs et ouvrir la perspective des États-Unis socialistes d’Europe.