La victoire de Sinn Féin met en difficulté l’impérialisme britannique

La victoire électorale du Sinn Féin

Les élections législatives du 5 mai en Irlande du nord, avec une abstention qui a un peu augmenté (36,4 %), a vu la victoire du principal parti bourgeois « républicain » (partisan de l’unification de l’ile), Sinn Féin (Nous-mêmes).

Partis bourgeois Voix % Sièges +/-
SF Nous mêmes 250 388 29,02 27 0
UDP Parti unioniste démocrate 184 002 21,33 25 -3
APNI Parti de l’Alliance d’Irlande du Nord 116 681 13,53 17 9
UUP Parti unioniste d’Ulster 96 390 11,17 9 -1
TUV Voix unioniste traditionnelle 65 788 7,63 1 0
GP Parti vert 16 433 1,9 0 -2
Aontú Unir 12 777 1,48 0 0
PUP Parti unioniste progressiste 2 665 0,31 0 0
Total 745 124 86,37 79 3
 
Mouvement ouvrier Voix % Sièges +/-
SDLP Parti social-démocrate et travailliste 78 237 9,07 8 -4
PBP Le Peuple avant le profit 9 789 1,14 1 0
IRSP Parti socialiste républicain irlandais 1 869 0,22 0 0
Total 89 895 10,43 9 -4

Cette province du Royaume-Uni séparée en 1921 du reste de l’Irlande par accord entre la majorité de la bourgeoisie irlandaise (liée à l’Église catholique) et le gouvernement impérialiste britannique (utilisant comme levier la population protestante descendant de colons anglais et écossais). Sinn Féin, ex-vitrine légale de l’organisation de guérilla Irish Republican Army (IRA, Armée républicaine irlandaise), obtient le même nombre de voix mais augmente légèrement sa part des suffrages exprimés (29 %, +1,1 %) grâce à la baisse de la participation. Il obtient à l’assemblée nord-irlandaise de Stormont (à Belfast) le même nombre de sièges que sur la précédente législature avec 27 députés sur un total de 90 sièges.

L’autre parti nationaliste bourgeois irlandais, la scission de SF Aontú (Unir), ouvertement opposé à l’avortement et à l’immigration, n’obtient pas de député.

La victoire de SF est surtout due au net recul du principal parti « loyaliste » (partisan du maintien dans le Royaume-Uni), le Democratic Unionist Party (DUP, Parti unioniste démocrate). Il n’a obtenu que 21,3 % des suffrages exprimés (-6,7 %). Il n’a plus que 25 députés contre 28 dans la précédente législature et 38 précédemment. La défaite électorale est lourde pour cette pièce maitresse du dispositif de domination de l’impérialisme britannique. Le soutien du DUP au Brexit ainsi qu’à la renégociation de la frontière douanière a dopé Alliance, mis en crise le DUP et conforté Sinn Féin. Le DUP se voit en effet concurrencé sur sa droite par le Traditional Unionist Voice (TUV, Voix unioniste traditionnelle et sur sa gauche par l’Ulster Unionist Party (UUP, Parti unioniste d’Ulster) qui est plus lié au Parti conservateur anglais et l’Alliance Party of Nothern Ireland (APNI, Parti de l’alliance de l’Irlande du Nord). Ce parti, à la différence de pratiquement tous les partis bourgeois nord-irlandais, se réclame du « neutralisme ». L’APNI capte une partie de l’électorat traditionnel du DUP depuis que la majorité des électeurs Irlandais du Nord s’est prononcée en 2016 contre le Brexit, malgré la consigne du DUP [voir Révolution communiste n° 38].

Un autre parti qui échappe à la logique d’affrontement entre « catholiques » et « protestants », le Green Party (Parti vert) a perdu deux sièges.

Le parti réformiste – et nationaliste irlandais – Social Democratic and Labour Party (SDLP, Parti social-démocrate et travailliste) perd des voix et des députés au profit d’un « vote utile » pour le Sinn Féin.

L’autre formation ouvrière présentant des candidats, le parti People Before Profit (PBP, Le Peuple avant le profit), fondé par le courant cliffiste (ex- SWN, lié au SWP britannique) et présent des deux côtés de la frontière, a quant à lui gardé son unique siège.

Le DUP remet en cause le cadre des accords de Belfast de 1998

Depuis les accords de Belfast de 1998 (dits « du vendredi saint ») entre le Royaume-Uni, la République d’Irlande, le DUP et le SF parrainés par les États-Unis, le premier ministre de l’Irlande du Nord est désigné parmi les députés du premier parti arrivé en tête aux élections. Le poste d’adjoint au chef de l’exécutif revient à un élu du second groupe parlementaire. Les autres formations politiques, qui doivent officiellement se réclamer du nationalisme ou de l’unionisme pour gouverner, se répartissent les postes de ministres en fonction de leurs résultats électoraux.

Le DUP présidait la province depuis 1998. Michelle O’Neill, la vice-présidente du SF, aurait dû devenir la première ministre d’Irlande du Nord. Mais, le 9 mai, Jeffrey Donaldson, le chef de file du DUP, a confirmé que son parti refusait de nommer un premier ministre adjoint tant que le gouvernement britannique n’aura pas substantiellement renégocié le protocole nord irlandais. L’Accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne signé en 2020 entre Londres et Bruxelles comporte un protocole qui institue une frontière douanière entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, pour ne pas entraver les échanges économiques intenses entre les deux parties de l’ile.

La paralysie du gouvernement de la province déclenche l’administration provisoire par le gouvernement de Londres. En outre, si un exécutif n’est pas constitué dans les vingt-quatre semaines, de nouvelles élections législatives doivent être convoquées.

L’intégration du Sinn Féin aux institutions bourgeoises des deux côtés de la frontière


Sinn Féin-IRA est né, historiquement, de la rupture avec l’aile majoritaire du mouvement nationaliste irlandais qui, refusant la révolution sociale, renonça à une Irlande unifiée et indépendante et livra la minorité « catholique » à l’oppression dans le Nord [voir Révolution communiste n° 16].

En échange de leur reniement, les partis Fianna Fáil et Fine Gael gouvernent depuis, ensemble ou séparément, l’Irlande du Sud.

SF-IRA, en décidant de participer en 1986 aux élections des deux parlements issus de la partition, a commencé à abandonner son propre programme.

Adams l’a confirmé en désarmant l’IRA et en signant des accords de 1998. SF a fourni sans discontinuer des vice-ministres aux premiers ministres DUP d’Irlande du Nord et des ministres aux gouvernements bourgeois d’Irlande du Nord.

En Irlande du Sud, il a remporté en voix et pourcentage les élections en 2020, même s’il a été écarté du gouvernement par une coalition des perdants [voir Révolution communiste n° 39].

En Irlande du Nord, SF a concentré sa campagne sur le cout de la vie, avec les slogans creux de tous les partis bourgeois : « votez pour un vrai changement », « un premier ministre pour tout le monde ».

La crise politique irlandaise dans le contexte de la guerre en Ukraine

Bien qu’historiques par leur résultat, ces élections n’apportent rien aux travailleurs nord-irlandais quelle que soit leur confession ou leur non-confession. Au contraire, la crise politique de l’Irlande du Nord aggrave les tensions au sein du Royaume-Uni (dont le gouvernement doit gérer aussi la montée du nationalisme écossais) ainsi qu’entre celui-ci et l’Union européenne.

Sinn Féin et le gouvernement irlandais Martin (Fine Gael et Fianna Fáil) défendent l’accord de 2020 et misent sur l’Union européenne, mais les États impérialistes allemand et français qui la dirigent n’accordent pas la priorité aux aspirations nationales mais à leurs propres intérêts, comme leur attitude envers l’Ukraine en 2014 et la Catalogne en 2017 l’a illustré.

Le DUP et le gouvernement britannique Johnson (Parti conservateur) remettent en cause le protocole signé en 2020, ce qui pourrait provoquer une guerre commerciale avec l’UE.

Après des mois de discussions infructueuses, la cheffe de la diplomatie Liz Truss a expliqué devant les députés que le gouvernement comptait « introduire un projet de loi dans les prochaines semaines pour apporter des changements au protocole ». (Le Monde, 19 mai)

Alors que la guerre fait rage en Ukraine, l’État impérialiste américain ne peut pas permettre une division au sein de l’OTAN, entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (France, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, etc.).

Dans tous les cas, les communistes sont pour la sortie de l’OTAN de la République irlandaise et du Royaume-Uni, la réunification de l’Irlande par la classe ouvrière, un gouvernement de la classe ouvrière irlandaise, une fédération socialiste des iles britanniques, pour les États-Unis socialistes d’Europe.

Cela nécessite la construction par les travailleurs conscients d’un parti ouvrier révolutionnaire, tant en Irlande qu’en Grande-Bretagne, membres tous deux de l’internationale révolutionnaire.

23 mai 2021