Simulation de concertation
Le 22 octobre dernier, le gouvernement lance un « incubateur d’idées », le « Grenelle de l’Education » en promettant une « revalorisation », la « reconnaissance » et la « protection ». Une enveloppe budgétaire de 400 millions d’euros pour les salaires 2021 est la carotte. Le ministre Bals’appuie depuis 2017 sur une collaboration constante : « nous travaillons depuis plusieurs mois avec les organisations syndicales » (Blanquer, 22 octobre). Chaque direction syndicale répond « présent » malgré les contre-réformes du gouvernement : sélection à l’Université (2018), diminution des enseignements au lycée et dévalorisation du baccalauréat (2019), loi Macron-Blanquer contre l’école (2019), loi contre le statut des fonctionnaires (2019), mesures contre les Réseaux d’aides prioritaires (2020) sans oublier l’attaque contre nos retraites l’hiver dernier…
Pendant 3 mois, 10 ateliers ont ficelé et encadré la politique éducative promise par Macron. Ces colloques ont été dirigés par des intellectuels (Daniel Pennac, Marcel Rufo, Boris Cyrulnik, François Taddéi), des capitalistes (Aurélie Jean), des hauts fonctionnaires comme le directeur de l’ENA (Patrick Jean) et la cheffe de la police des polices IGPN (Marie-France Monéger-Guyomarc’h) à qui on a ajouté un ancien joueur de rugby (Pascal Papé).
Dans le cadre du Grenelle, le gouvernement convoque le 1er décembre un « colloque scientifique » sur le thème Quels professeurs au 21e siècle ? Sans surprise, le colloque dit scientifique recommande « l’autonomie des établissements », « le pilotage des directeurs et chefs d’établissement », « l’évaluation des établissements », « la mobilité des carrières » et « une prime d’engagement ». Curieuse science ! Notons que les mêmes initiateurs (Macron, Blanquer, Vidal…) déversent l’argent public à une institution aussi obscurantiste que l’Eglise catholique (au titre des « établissements privés sous contrat ») et prétendent décider ce qui est de la politique et ce qui est de la science, à l’université (leur campagne contre « l’islamo-gauchisme »).
Soumission et flexibilité
Le 25 janvier, Blanquer reçoit les conclusions du Grenelle pour instaurer un statut du « professeur du 21e siècle » (https://www.education.gouv.fr/grenelle-de-l-education-syntheses-des-ateliers-309067). Ce mutant devrait accepter en début de carrière « une prestation de serment devant la Nation», puis « une veille pédagogique pour prendre en charge les élèves en cas d’absence courte d’un collègue », « des formations hors temps scolaire », « des heures de travail supplémentaires pourraient donner lieu à ouverture de « compte épargne temps », « des projets innovants certaines expérimentations devraient pouvoir être aidés ou récompensés ».
Les primes seraient « au mérite » et le parcours professionnel (PPCR) serait révisé car « l’ancienneté continue à peser sur les promotions ».
Dans ce projet de soumission des enseignants aux exigences de l’État bourgeois, la hiérarchie (camouflée en « GRH », gestion des ressources humaines) se transformerait radicalement. Il conviendrait de se calquer sur le modèle des entreprises capitalistes et sur les techniques d’exploitation capitaliste (les « sciences du management ») : « créer un statut de directeur d’école qui légitimerait leur rôle dans l’accompagnement des équipes », « confier aux conseillers pédagogiques (CPC) la possibilité d’assurer une GRH de proximité auprès des professeurs des écoles », « s’appuyer sur les bonnes pratiques issues d’autres mondes professionnels en menant des entretiens individuels, en réalisant des bilans professionnels et de compétences », « apprendre le plus tôt possible l’alphabet du management » « créer un écosystème RH », « accompagner les cycles de vie professionnels en installant des rendez-vous plus réguliers (…) collaborer avec des partenaires acteurs locaux du bassin d’emploi »
Un chef dans chaque école ?
La direction d’école reste assurée par un professeur des écoles sans pouvoir hiérarchique. Il faudrait « reconnaitre que le directeur est un cadre authentique, premier maillon du pilotage pédagogique et qui doit exercer une réelle fonction à bonne distance entre ses pairs et l’IEN. ». Le nouveau statut fonderait des relations totalement différentes dans le collectif enseignant de l’école primaire. Ce projet a déjà été avancé plusieurs fois, une circulaire d’août 2020 impose déjà une relative autonomie de gestion des heures de concertation pédagogique (de 108 heures annuelles) et la prime de direction augmente de 450 euros annuels cette année. En mars 2021, un projet de loi de la députée Rilhac (LREM) instaurant « une autorité fonctionnelle » pour les directeurs d’écoles a été votée au Sénat avec la majorité LR.
Dans la continuité de ce changement de statut, il faudrait la « désignation de directeurs référents dans la circonscription auprès de l’IEN, ou de directeurs ressources pour plusieurs écoles de petite taille dans les territoires enclavés. ». Pour l’avenir, le conseil des maîtres s’effacerait devant « le directeur ou chef d’établissement qui impulse et initie » avec la « création de postes fléchés, gestion de projets, pratiques innovantes et collectives ». Il est proposé un « statut spécifique à la directrice et au directeur pour les grosses écoles ».
Selon la marionnette Grenelle dont Macron et Blanquer tirent les ficelles, l’évolution de carrière, les primes et salaires pourraient se décider en partie au sein de l’école car « la directrice d’école ou le directeur d’école serait associé à l’évaluation dans le PPCR avec l’IEN sur les aspects administratifs, organisationnels et fonctionnels ». Concrètement, il faudrait « supprimer l’accord préalable du DASEN et de l’IEN avant la délibération au conseil d’école, sur le projet d’école, sur des aspects organisationnels et décisionnels. ». Pour résumer, le Grenelle veut « un statut fonctionnel pour les directeurs d’école afin de favoriser l’autonomie » des établissements ; leur concurrence.
Pénurie et concurrence
La formation serait si possible « locale » et pour « les problématiques de turn-over ou d’absentéisme des personnels récemment recrutés », chaque jeune professeur disposerait « d’un tuteur et/ou d’un mentor ». Un tel management correspond, en tout point, à la surveillance par les pairs et l’obligation de résultats et de comportements dont Singapour, un Etat peu démocratique, est l’exemple. La formation actuelle serait réduite à la transmission des ordres ministériels tout en renforçant « l’autonomie de gestion et budgétaire » et en valorisant les « fonctions mixtes » d’enseignement et de surveillant comme l’enseignement catholique le pratique avec ses préfets d’études, ses responsables de niveaux…
La gestion des établissements publics devrait, en conséquence, changer et les instances diverses (CHSCT, conseil pédagogique, comité d’éducation) deviendraient, dans le secondaire un « conseil éducatif » unique tenu par le chef d’établissement. Dans la même veine le projet d’établissement deviendrait « un projet d’autonomie et de réussite d’établissement (PARE) » accompagné d’un « document d’objectifs » imposé au collège et au lycée pour « 5 ans ». En conséquence, il faudrait « expertiser l’idée qu’un professeur principal puisse devenir principal adjoint dans le même collège ». Il faudrait « inciter le chef d’établissement à créer une CVthèque » pour disposer des compétences de ses salariés.
Tout en instaurant une politique contractuelle et locale des réseaux d’enseignement prioritaires (REP), le ministère suggère la « possibilité d’un recrutement hors mouvement dans la limite de 25 % des postes par le chef d’établissement pour les établissements en éducation prioritaire (Rep+) ».
Pour inculquer les « valeurs de la République », la prescription est d’« encourager le recours plus fréquent à l’intervention de partenaires institutionnels (police, gendarmerie, justice) ».
Le ministère a pondu la circulaire du 2 mars attribuant les 400 millions d’euros promis. Ils sont destinés à 31 % des enseignants les plus jeunes en 2021 : de 100 euros net (échelon 1) à 58 euros (échelon 6), une moyenne de 12 euros par enseignant. Une « prime informatique » de 150 euros a été versée en février à tous les enseignants et une « prime d’attraction » est annoncée.
Front unique pour empêcher les attaques annoncées
Si toutes les directions syndicales ont cautionné la concertation de Macron-Blanquer, la CGT éduc’action puis la FSU (majoritaire chez les enseignants) ont claqué la porte fin novembre en constatant « les effets néfastes de cette politique » (FSU, 27 novembre). Mais ni l’une ni l’autre n’ont mis le paquet pour mobiliser les travailleurs de l’enseignement public. Elles se sont contentées de décréter une énième « journée d’action » le 26 janvier constatant que le « Grenelle du ministre est inacceptable » et pour « exiger des créations de postes, une autre politique éducative, le dégel de la valeur du point d’indice » (CGT, FSU, FO, Solidaires, SNALC, 7 janvier). Comment gagner ? Mystère ! Comme à chaque fois, la journée d’action n’a rien produit.
La responsabilité des directions syndicales est de dénoncer le Grenelle, de refuser toute concertation de ses conclusions, d’engager le combat pour le retrait du projet de loi Rihlac-Blanquer.
Les revendications des enseignants, des accompagnants, des autres contractuels, des travailleurs des communes dans les écoles (ATSEM), ceux des départements dans les collèges, des régions dans les lycées, administratifs, comprennent le maintien du statut des enseignants, la titularisation des précaires, le rattrapage du pouvoir d’achat (-15 % depuis 2000), l’intégration des primes dans les salaires, une augmentation pour tous, les recrutements massifs pour assurer l’enseignement pour tous les enfants, en particulier de ceux des travailleurs pauvres.
C’est sur ces bases que les travailleurs et travailleuses de l’éducation doivent se réunir, s’organiser, imposer le front unique de leurs organisations pour balayer les attaques projetées par le gouvernement.