Le Royaume-Uni face aux conséquences économiques et politiques du Brexit

L’application du référendum de juin 2016

En quittant l’union douanière et le marché commun le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni est définitivement sorti de l’Union européenne (UE), après y être entré difficilement quarante-huit ans plus tôt en 1973. Si le Brexit est effectif depuis le 31 janvier 2020, une période de transition est mise en place jusqu’à la fin de l’année 2020, avant des négociations sur les nouvelles relations économiques, commerciales, politiques entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les discussions ont été laborieuses. Un compromis « acceptable » pour les gouvernements britannique, néerlandais, irlandais et allemand (un peu moins pour le français qui souhaitait plus de fermeté) a été trouvé in extremis le 24 décembre 2020. Cet accord a reçu l’appui unanime du Conservative Party (CP, Parti conservateur) ainsi que de la majorité des députés du Labour Party (LP, Parti travailliste) au Parlement.

Dès lors, le référendum du 23 juin 2016 (52 % pour une sortie de l’UE) devient effectif. Le gouvernement est coiffé par Johnson (Parti conservateur) qui avait mené avec Farage (alors UKIP) une campagne mensongère et xénophobe. La sortie était aussi promue, dans le mouvement ouvrier, par le CPB et Morning Star, le SWP et Socialist Worker, le SP et The Socialist, etc.

En France, un parti social-impérialiste (LFI) et le parti fascisant (RN) avaient applaudi.

Le Royaume-Uni, libéré de la tutelle de Bruxelles, renationalise le chemin de fer que les libéraux avaient mis en chaos. L’indépendance paye. (Jean-Luc Mélenchon, 30 janvier 2020)

On s’apercevra dans les mois et les années qui viennent que la Grande-Bretagne a bien fait, que probablement elle en tirera de très grands bénéfices. D’ailleurs je vois que le catastrophisme a laissé place à des commentaires prudents de la part de ceux qui nous expliquaient que les Britanniques allaient être ruinés, que le chômage deviendrait massif. (Marine Le Pen, 1er février 2020)

Les principaux termes de l’accord

L’accord pérennise l’absence de droits de douane sur les échanges de biens entre le Royaume-Uni et les 27 États membres de l’Union européenne, comme durant son adhésion à l’Union européenne, y compris sur les produits agricoles et sur les produits de la pêche. Il oblige le Royaume-Uni à respecter un certain nombre de normes européennes. Cependant, il introduit de nombreux contrôles douaniers et des vérifications de normes sanitaires et phytosanitaires.

Déjà 1,3 million d’immigrants ont quitté le pays en 2020, si bien que la population de Londres a baissé de 8 %. L’accord supprime par contre la libre circulation des personnes entre les deux territoires. Les travailleurs britanniques n’ont plus les mêmes possibilités de travailler ou d’habiter dans l’Union européenne et vice versa. L’enseignement supérieur britannique est désormais en dehors du système Erasmus de l’UE. Il y aura moins d’échanges d’étudiants.

L’accord ne porte pas sur les services financiers, qui doivent faire l’objet d’autres discussions en 2021, mais des dérogations temporaires ont été accordées pour un certain nombre d’activités financières. Plus généralement, l’accord ne porte pas sur la question des services.

Un autre point important des négociations a été le mécanisme de garantie et d’arbitrage en cas de désaccord, notamment sur la concurrence, le droit du travail, la réglementation environnementale et l’aide publique aux entreprises. Si un litige survient, une augmentation des droits de douane est possible, mais elle sera décidée par un organisme d’arbitrage. De même pour les aides étatiques, un organisme d’arbitrage pourra demander la restitution des aides.

Le Royaume-Uni a obtenu de ne pas être assujetti à la Cour de justice de l’Union européenne.

Johnson vante la souveraineté retrouvée du Royaume-Uni

Ce que nous avons vu, c’est que de nombreuses entreprises dans ce pays n’exportent pas comme elles le pourraient… la réalité tragique de… la vie des affaires est qu’il y a une certaine bureaucratie. Nous essayons de la supprimer, mais nous avons une énorme opportunité d’élargir nos horizons et de penser globalement et de voir grand. (Boris Johnson, BBC, 3 janvier 2021)

Un des premiers projets du gouvernement est de supprimer la limite de 48 heures de travail par semaine et d’autres protections sur le temps de travail qu’avait imposées l’UE. Un autre est de réduire le droit d’asile.

Le premier ministre a mis en avant la souveraineté retrouvée du pays pour expliquer sa stratégie « victorieuse » de vaccination anti-Covid. La campagne très active de vaccination par Astra Zeneca, développé au Royaume-Uni, a permis de vacciner plus de 29 millions de personnes à cette date sur 67 millions d’habitants (7 millions en France sur 65). Cela dit, le pays, à cause de l’état déplorable de son système de santé publique (le NHS a subi des coupes sombres depuis près de quarante ans, menées tant par les gouvernements conservateurs de Thatcher, Major, Cameron et May que par les gouvernements travaillistes de Blair et Brown), a été jusqu’à présent le plus touché d’Europe par l’épidémie. Près de 125 000 habitants ont trouvé la mort à cause du manque de moyens de la NHS et de la lenteur du gouvernement Johnson à confiner. Et ce n’est pas la proposition d’augmentation de 1 % des salaires des travailleurs de la santé, sans aucun plan d’embauches digne de ce nom, qui va permettre de renforcer les capacités du NHS.

« Global Britain » ou la volonté illusoire de restaurer la grandeur

Le Royaume-Uni, larguant les amarres avec l’UE, doit revoir sa place dans le monde. Johnson propose une stratégie dite « Global Britain » (une Grande-Bretagne mondiale).

Elle est militariste : dotation de 80 ogives nucléaires supplémentaires en violation des traités de dénucléarisation, projet de 3e porte-avions, renforcement de l’alliance du renseignement « Five Eyes » avec les pays anglophones… afin d’être à l’avant-poste, à côté de l’impérialisme américain, pour contrer la Chine et la Russie.

Elle prétend revenir dans le jeu en Afrique et en Asie : soutien aux oppositions bourgeoises de Hongkong et de Birmanie, envoi d’un porte-avions au Proche-Orient et d’un autre en Asie de l’Est.

Cette volonté se heurte déjà à des limitations et contradictions, comme les ambitions de l’impérialisme français : l’État britannique ne dispose que d’une base industrielle réduite, il ne peut contourner économiquement l’UE qu’en développant des échanges avec la Chine. Mais sa servilité à l’égard des États-Unis le conduit à rompre avec le fournisseur téléphonique Huawei, alors que Biden le récompensera mal car les tractations avec un petit pays qui n’a pas les marges de négociation de l’UE seront très inégales.

Premières données économiques inquiétantes

En outre, la réalité économique est rapidement remontée à la surface et les difficultés ont commencé à surgir de toutes parts. En effet, le pays fait face à une forme de décrochage économique, fruit de la combinaison de la crise économique et sanitaire et des premiers effets du Brexit. Malgré une intervention étatique importante (25 % du PIB contre 21 % en France et 15 % en Espagne), en 2020, le Royaume-Uni a vécu sa pire contraction économique : son PIB a reculé de 9,8 %. Cela reste l’une des pires performances des grandes économies européennes, avec l’Espagne, et la plus forte récession des pays du G7.

Or, 2021 semble accentuer ce décalage par rapport à ses rivaux. Ainsi, selon les statistiques publiées le jeudi 11 mars par l’Office national des statistiques (ONS), le commerce extérieur du Royaume-Uni est en net recul en janvier. En effet, les exportations de biens ont plongé de 19,3 % à 5,3 milliards de livres à cause d’une dégringolade de près de 41 % des exportations vers l’UE.

Le PIB a quant à lui reculé de 2,8 % en janvier, alors que le pays venait de se reconfiner, après une hausse de 1,2 % en décembre, d’après l’ONS. Le 24 mars, il recense 1,7 million de chômeurs, 360 000 de plus qu’il y a un an.




Bien entendu, ces résultats sont à prendre avec précaution, mais ce n’est pas impunément qu’on entrave délibérément les échanges avec son premier partenaire commercial.

Comme si cela ne suffisait pas, la City de Londres a aussi perdu sa première place européenne comme plateforme boursière au profit d’Amsterdam. La bourse néerlandaise a ainsi échangé 9,2 milliards d’euros par jour en janvier, contre 8,6 milliards d’euros à Londres, selon la société financière américaine CBOE, qui opère dans les deux villes. En comparaison, la moyenne des échanges quotidiens à la City de Londres s’élevait à 17,5 milliards d’euros en 2020, alors que Francfort arrivait en deuxième position avec 5,9 milliards d’euros et Amsterdam en sixième position avec 2,6 milliards d’euros.

Francfort attire les banques, Dublin et Luxembourg les sociétés d’investissement, Paris les marchés de capitaux. Tout indique que les nouvelles relations UE-Royaume-Uni nuisent au secteur britannique de la finance, d’ailleurs réticent en 2016 à la sortie de l’UE.

Les litiges sur l’accord ont déjà commencé

Aujourd’hui, selon un sondage Ipsos-Mori, 78 % des Britanniques voudraient des relations étroites entre leur pays et l’UE (The Economist, 27 mars 2021).

Selon l’accord et en particulier son « protocole nord-irlandais », l’Irlande du Nord reste temporairement dans le marché intérieur européen pour les échanges de biens. Le 3 mars le gouvernement Johnson a décidé de décaler de six mois l’introduction, prévue fin mars, de contrôles douaniers sur les produits agroalimentaires entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord.

Bien entendu, les principales puissances impérialistes de l’Union européenne (UE) ainsi que la République irlandaise ne sont pas restées de marbre. Elles sont à l’origine de deux procédures d’infraction contre le Royaume-Uni, qu’elles accusent de violer l’accord sur le Brexit avec des modifications unilatérales apportées aux dispositions commerciales relatives à l’Irlande du Nord. L’UE considère que l’impérialisme britannique veut à la fois le beurre et l’argent du beurre en se dispensant des contrôles.

Risque de dislocation de l’Etat

Comme en Espagne, la monarchie devant laquelle se prosterne toujours le parti ouvrier traditionnel perd de son prestige. La sortie de l’Union européenne nourrit les tendances centrifuges au sein du Royaume-Uni, avec des volontés indépendantistes de plus en plus affirmées en Écosse. Pour l’Irlande du Nord, les conditions de sortie de l’UE affectent le laborieux compromis des accords de paix de 1998.

La revendication indépendantiste en Écosse est portée par le parti bourgeois réactionnaire Parti nationaliste écossais SNP qui ne fait pas mystère de vouloir profiter seul de la manne des gisements pétroliers. S’il existe un particularisme, l’Ecosse n’a jamais été une colonie et il est clairement impossible que la dislocation de la Grande-Bretagne se fasse au compte des travailleurs dans le cadre du système capitaliste.

L’Irlande a, par contre, été une colonie violemment opprimée par la bourgeoisie anglo-écossaise. Son peuple a été affamé et sa révolte légitime a été plusieurs fois réprimée de manière sanglante.

Terrorisée par le risque de révolution sociale, la majorité de la bourgeoisie irlandaise a capitulé en 1921, ce qui a entraîné la partition de l’île, une partie du territoire restant dans le Royaume-Uni et une autre, formellement indépendante, sombrant dans une guerre civile, la réaction catholique et la dépendance économique envers l’impérialisme britannique. L’unification démocratique dans une république véritablement laïque reste une revendication légitime.

La nouvelle direction du Parti travailliste mène une purge en son sein

Depuis l’élection du chef de l’aile droite Keir Starmer (qui avait commencé sa carrière à gauche du parti : il était dans sa jeunesse au groupe pabliste Socialist Alternatives) à la tête du parti le 4 avril 2020, la nouvelle direction mène une offensive contre tous les militants ou regroupements ayant de près ou de loin des attaches avec le socialisme.

Cette véritable chasse aux sorcières menée par la direction néo-blairiste a continué de plus belle en ciblant des responsables et des militants du LP qui contestaient la nouvelle ligne de soutien de fait à la politique du gouvernement du premier ministre conservateur Johnson. Les opposants ont été suspendus et, pour certains, exclus. Par conséquent, des milliers de militants, souvent jeunes, ont quitté le parti.

Cette purge tente de prévenir un « nouvel accident » de type Corbyn et de donner des gages à la bourgeoisie britannique. En janvier, la direction du LP a voté pour l’accord entre le gouvernement Johnson et l’UE.

Il est indubitable qu’en se séparant des partis bourgeois au parlement, le Parti travailliste fait un premier pas vers le socialisme et vers la politique de classe… Mais il ne s’ensuit pas pour autant que c’est un parti réellement indépendant de la bourgeoisie, qu’il mène une lutte de classe… (Lénine, La session du bureau socialiste international de l’Internationale ouvrière, octobre 1908)

La classe ouvrière doit rompre avec toutes les fractions de la bourgeoisie

Les communistes reconnaissent le droit des peuples opprimés à l’autodétermination et à la séparation. Mais ils mettent en garde contre la division du prolétariat et sa soumission à d’innombrables nationalismes, contre la constitution d’États rétrécis dépendants des puissances impérialistes. Ils leur opposent la fédération républicaine des îles britanniques dans le cadre des États-Unis socialistes d’Europe.

L’illusion nationaliste propagée par Johnson risque d’être de courte durée. En effet, l’impérialisme britannique est voué depuis 1940 à n’être qu’un supplétif de l’impérialisme américain. L’Union européenne et les tractations avec ses rivaux allemand et français lui procuraient une marge qu’il a perdue.

Pour remettre à flot le « navire britannique », il faut s’en prendre aux travailleurs. Là se situe le défi pour la classe ouvrière britannique : résister à cette offensive, démocratiser ses syndicats, combattre la soumission du Parti travailliste à la monarchie et à la bourgeoisie anglaise, construire le parti qui lui manque actuellement, un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste qui ouvrira la perspective de la révolution, du socialisme.

27 mars 2021