1871 : le premier gouvernement ouvrier

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Le 18 mars 1871, le peuple de Paris brandit le drapeau rouge et déclara la guerre à la fois au drapeau tricolore français flottant à Versailles et au drapeau tricolore allemand, hissé sur les forts occupés par les Prussiens. Avec ce drapeau rouge, le prolétariat de Paris se dressait à une hauteur surplombant de loin les vainqueurs aussi bien que les vaincus. Ce qui fait la grandeur historique de la Commune, c’est son caractère éminemment international, c’est le défi qu’elle lança hardiment à tout sentiment de chauvinisme bourgeois. Le prolétariat de tous les pays ne s’y est pas trompé. Que les bourgeois célèbrent leur 14 juillet, la fête du prolétariat sera toujours le 18 mars. (Engels, Aux ouvriers français, 26 mars 1892)


Dessin de Tardi, Le Cri du peuple, 2004

Pourquoi tant de haine ? Pourquoi tant de falsification ?

Le président de la république bourgeoise Macron aime beaucoup commémorer mais pas au point de rendre hommage à la Commune de Paris de mars à mai 1871. Le parti bourgeois qui s’intitule Les Républicains vomit la première république ouvrière du monde.

Ce mercredi 3 février, le conseil municipal de Paris s’étire depuis des heures, et les élus n’ont qu’une envie : voter rapidement les dernières délibérations, puis rentrer. Mais soudain, Rudolph Granier (LR) prend le micro et réveille l’hémicycle. Il évoque « les incendies de la Commune qui ont ravagé des pans entiers de la capitale »… Pas question de valoriser « ce triste moment de guerre civile », plaide l’avocat Antoine Beauquier (Parti chrétien démocrate). À ses yeux, nul besoin de transformer en héros « les fédérés qui, le 26 mai 1871, exécutèrent cinquante et un prisonniers, dont dix prêtres, bien sûr, et trente-neuf gendarmes »… Son collègue David Alphand (LR) mentionne un autre aspect qui le hérisse : « La confiscation des moyens de production ». (Le Monde, 19 février 2021)

Par contre, les partis d’origine ouvrière (PS, LFI, PCF…) célèbrent traditionnellement l’événement, mais pour l’édulcorer, le vider de son contenu révolutionnaire. Les réformistes fêtent parfois les révolutionnaires, mais à condition qu’ils soient morts. Ils ont depuis longtemps adopté le drapeau du gouvernement des Versaillais qui a écrasé la Commune, ils demandent plus de policiers chassés par le peuple en armes en mars 1871, ils votent le budget de l’armée française héritière des fusilleurs de la Commune.

La mairie de Paris (dont la maire, Hidalgo, est au PS et l’adjointe en charge de la mémoire, Patrice, est au PCF) ose éditer une affiche aux couleurs tricolores.


Mars 2021, affiche tricolore de la mairie de Paris (PS-PCF-Générations-EELV-PRG)

L’objectif de la municipalité est de « mieux faire connaître cet épisode essentiel de la Ville de Paris », notamment auprès des plus jeunes, a poursuivi Laurence Patrice, qui rappelle que « le siège fut très dur pour le peuple de Paris ». Pour autant, il n’est « pas question », selon l’adjointe, « de glorifier les violences engendrées par la révolte ». (CNews, 11 mars 2021)

Le chef de LFI, pour qui l’ennemi n’est pas la bourgeoisie française mais l’allemande, qui préfère le drapeau tricolore au drapeau rouge, qui substitue le bulletin de vote à l’armement du peuple, avertit : « Ne pas confondre 1871 et 2021 » (Jean-Luc Mélenchon, 18 mars 2021).


Mai 1971, manifestation tricolore du PCF

De même, un historien du PCF, Roger Martelli, explique : « faire de la Commune un modèle qu’il suffirait de recopier n’a pas grand sens ». Prouvant qu’il n’a aucune intention d’imiter les Communards, le stalinien défroqué implore les héritiers des Versaillais, en particulier Macron pour qui il a voté en 2017.

La République se doit de commémorer la Commune de Paris de 1871. Nul n’est tenu, en son âme et conscience, de la « célébrer ». Mais, à l’inverse, rien ne sert de délégitimer celles et ceux qui entendent le faire… (Le Monde, 28 février 2021)

Leçons toujours actuelles


Mai 1871, barricade boulevards Voltaire et Lenoir

La Commune ne date pas d’une époque dépassée, comme l’insinuent Mélenchon et Martelli. Elle est actuelle parce qu’elle voulait « la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des privilèges » (Déclaration au peuple français, 20 avril 1871). La lutte de la classe ouvrière internationale pour son émancipation n’a jamais cessé depuis. La lutte des classes oppose toujours la minorité de ceux qui possèdent, comme propriété privée, les moyens de production, et la majorité de ceux qui ne possèdent en propre que leur force de travail et qui doivent la vendre.

Le prolétariat s’était développé avec le capitalisme français pendant les quarante années qui précèdent la Commune, tout en subissant la répression de la deuxième république bourgeoise (1848-1851) puis du second empire (1852-1870). Même s’il n’avait pas d’organisation politique sérieuse, il était la force motrice du mouvement populaire exprimé par l’insurrection du 18 mars.

La révolution prolétarienne qui se déclencha à Paris en mars 1871 commença par la destruction du vieil appareil gouvernemental.

Le prolétariat ne peut pas, comme l’ont fait les classes dominantes aux époques successives de leur triomphe, se contenter de prendre l’appareil d’État existant… il doit détruire cet instrument de domination de classe. (Marx, Deuxième essai de rédaction d’une adresse de l’Association internationale des travailleurs, 10 mai 1871)

Elle le remplaça par une assemblée communale qui concentrait les pouvoirs législatif et exécutif, dont les membres étaient révocables à tout instant, qui s’appuyait sur la Garde nationale, la milice ouvrière. Durant les 72 jours où le drapeau rouge de la Commune flotta sur Paris, le prolétariat s’affirma pour la première fois dans le monde en classe dominante, par des institutions qui n’étaient plus véritablement un État.

La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. (Marx, La Guerre civile en France, 30 mai 1871)

La Commune n’aurait pas eu lieu sans la mobilisation des femmes, en dépit de l’arriération et de la misogynie léguées par Pierre-Joseph Proudhon au mouvement ouvrier français (combattue par le conseil général de l’Association internationale des travailleurs animé par Karl Marx). Sous la pression de l’organisation des femmes travailleuses (Union des femmes), la Commune a entrepris leur émancipation : salaires égaux aux institutrices, reconnaissance de l’union libre, pension aux femmes demandant la séparation…


Mai 1871, barricade de la place Blanche

En peu de temps, elle prit d’autres mesures démocratiques que la bourgeoisie n’a nulle part accomplies, même dans les pays les plus avancés.

Une fois abolies l’armée permanente et la police, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres, elle décréta la séparation de l’Église et de l’État… La totalité des établissements d’instruction furent ouverts au peuple gratuitement… (Marx, La Guerre civile en France, 30 mai 1871)

Elle commença à prendre des mesures sociales : interdiction des amendes sur salaire, fin du travail de nuit, remise aux associations ouvrières des fabriques et des ateliers abandonnés ou paralysés par leurs propriétaires…

Son véritable secret, le voici : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des exploiteurs, le forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. (Marx, La Guerre civile en France, 30 mai 1871)

Vive la Commune ! Pour la république des travailleurs !

L’alternative à l’État bourgeois se retrouve, sous des noms divers, dans toutes les révolutions postérieures : soviets en Russie en 1905 et 1917, conseils d’ouvriers et de soldats en Allemagne en 1919, comités en Espagne en 1936, conseils ouvriers en Hongrie en 1956, assemblée populaire en Bolivie en 1971, cordons industriels au Chili en 1973, shoras en Iran en 1979…

Voilà pourquoi la bourgeoisie française, effrayée de tout perdre, a bombardé Paris en mai 1871 avec le soutien de l’État prussien, a écrasé la Commune de manière sanglante en 1871 pour donner naissance à la 3e république, a assassiné par milliers les travailleurs, déporté des milliers d’autres sous les applaudissements de toutes les bourgeoisies du monde, monarchistes ou républicaines.

Voilà pourquoi aujourd’hui le vieux parti gaulliste LR dénonce la Commune de Paris, pourquoi l’ex-banquier Macron et la fascisante Le Pen voudraient l’effacer, pourquoi les partis sociaux-chauvins l’édulcorent.

Voilà pourquoi les travailleurs avancés du monde fêtent la Commune de 1871 et pourquoi ils en reprendront l’exemple, pour liquider à tout jamais la classe dominante à l’échelle mondiale. Dans cette voie, les travailleurs de ce pays n’ont pas besoin d’un autre président ou d’une 6e république bourgeoise, mais d’une 2e république ouvrière et des États-Unis socialistes d’Europe.

Les lutteurs de 1871 ne manquaient pas d’héroïsme. Ce qui leur manquait était la clarté dans la méthode et une organisation dirigeante centralisée. (Trotsky, Les Leçons de la Commune, février 1921)

28 mars 2021