Des mesures discriminatoires contre les musulmans
Aux élections législatives de 2014, le parti bourgeois traditionnel, le Congrès est supplanté par le Bharatiya Janata Party (Parti indien du peuple, BJP), un parti clérical et fascisant de l’Hindutva. Modi est l’expression d’une tendance internationale de la bourgeoisie vers la réaction, le cléricalisme, le militarisme et la xénophobie dont témoignent aussi Netanyahu en Israël, Al-Sissi en Égypte, Erdoğan en Turquie, Orbán en Hongrie, Trump aux États-Unis, Al-Assad fils en Syrie, Poutine en Russie, Xi en Chine, Duerte aux Philippines, Bolsonaro au Brésil, Áñez en Bolivie… Pour remporter les élections législatives d’avril-mai 2019, alors que l’économie ralentit (en 2019, le plus bas taux de croissance du PIB depuis 40 ans), le premier ministre sortant Modi et son parti renchérissent dans la démagogie sécuritaire, nationaliste, cléricale, militariste. Le BJP l’emporte avec la majorité absolue (303 sièges sur 543) au Lok Sabhan (la chambre des députés).
En 1947, lors de la partition, Hari Singh, le maharajah de Jammu-et-Cachemire, peuplé principalement de musulmans, avait décidé de rejoindre l’Union indienne à condition de conserver une large autonomie. Selon l’article 370 de la constitution indienne, les lois votées par le parlement de New Delhi ne s’appliquaient pas au Cachemire, en dehors des domaines de la défense, des affaires étrangères, des finances et des communications.
Fin juillet 2019, l’État indien envoie des troupes supplémentaires (50 000 militaires) au Jammu-et-Cachemire rejoindre les 700 000 soldats et policiers déjà présents, il évacue les étrangers. Début août, les communications mobiles sont coupées, les écoles fermées, un couvre-feu est imposé sur une partie de la région et les dirigeants de tous les partis sont assignés à résidence, 4 000 personnes sont arrêtées. Les parlementaires des grands partis ouvriers légaux, le PCI et le PCI-M, lorsqu’ils tentent de se rendre au Jammu-et-Cachemire, sont refoulés par la police de Modi et d’Ajit Doval.
Le 5 août, Amit Shah, le ministre BJP de l’intérieur, soumet au Rajya Sabha, le sénat fédéral, un projet de loi annulant l’article 370 de la constitution. Il est ratifié à la majorité des deux tiers. Les 7,5 millions de Cachemiriens, eux, ne sont pas consultés. L’autonomie du Jammu-et-Cachemire est supprimée, l’ancien État est scindé en deux « territoires de l’Union » dépourvus de parlement et placés sous l’autorité du gouvernement central. Désormais, les Indiens originaires d’autres États pourront acheter des terres au Cachemire, être employés dans son administration et voter aux élections locales s’ils y résident.
Le 31 août 2019, en Assam (nord-est), le BJP fait exclure de la citoyenneté indienne 2 millions de musulmans. Il veut généraliser le registre national des citoyens (NRC) à tout le pays en avril 2020.
Le 11 décembre, le gouvernement Modi-Shah change la loi sur la citoyenneté Le Citizenship Amendment Act (CAA) ouvre l’accès à la nationalité indienne aux réfugiés de six religions originaires d’Afghanistan, du Pakistan et du Bangladesh, à l’exception des musulmans.
Les protestations contre le gouvernement Modi-Shah
La résistance commence le 4 décembre à l’initiative du All Assam Students Union (AASU), une organisation étudiante de l’Assam. Elle fait boule de neige en un mouvement étudiant panindien le 15 décembre, dont la manifestation organisée par des étudiants de l’Université Jamia Millia Islamia (JMI) de New Delhi. Le 5 janvier, la branche étudiante du BJP, l’ABVP, attaque l’université Jawaharlal Nehru (JNU) de New Delhi et moleste pendant trois heures étudiants et professeurs, causant une trentaine de blessés graves, dont la présidente du principal syndicat de l’université, Aishe Ghosh, en lutte contre une augmentation massive des frais de logement et de scolarité. À l’extérieur, la police est restée inerte. Cette fois-ci, les cibles ne sont pas musulmanes. La violence policière (25 morts) et fasciste, loin de faire régresser la protestation, suscite des manifestations populaires gigantesques qui défendent les étudiants et la laïcité.
En outre, la classe ouvrière montre sa force, capable potentiellement de combattre toutes les oppressions et d’ouvrir la voie à un nouvelle société, basée sur la collectivisation des moyens de production. L’Inde compte plus de 520 millions de travailleurs, dont 6 % à 7 % seulement sont employés dans des entreprises du secteur formel et dont à peine 2 % sont syndiqués. La dernière enquête sur l’emploi et le chômage réalisée par le gouvernement en 2012 estimait que plus de 62 % des personnes employées étaient des travailleurs payés à la journée, ce qui rend leur source de revenus saisonnière et très vulnérable aux fluctuations de l’activité.
En septembre 2019, les CTU, l’alliance intersyndicale de 10 confédérations (INTUC, AITUC, HMS, CITU, AIUTUC, TUCC, SEWA, AICCTU, LPF, UTUC), convoquent pour le 8 janvier une « bharat bandh » (grève générale, en fait une simple journée d’action) contre la politique anti-ouvrière du gouvernement, les privatisations, la précarisation du droit du travail, pour un salaire minimum à 21 000 roupies par mois. La seule centrale à rester à l’écart, la BMS, est contrôlée par le BJP. Par contre, l’appel est soutenu par les partis ouvriers, des syndicats étudiants et de multiples associations. Avant le 8, les CTU protestent contre la violence à l’université.
La grève rassemble 180 millions de travailleurs salariés, d’étudiants et de paysans pauvres. Elle est particulièrement suivie dans la région du Bengale, à l’est, et au Kerala, au sud : transports publics, usines automobiles, mines de charbon, plantations de jute, banques, réseau de garderies rurales financé par l’État (Angwadi Services), électricité… Dans le reste du pays, plusieurs banques et les réseaux publics de bus sont touchés.
Pour le droit à l’autodétermination du Cachemire, pour la laïcité, pour un gouvernement ouvrier et paysan
En Inde, pèse toujours sur la classe ouvrière et l’intelligentsia l’héritage empoisonné du stalinisme, de son « étape démocratique » reléguant la révolution socialiste aux calendes grecques, de son « front uni anti-impérialiste » ou de son « front populaire » qui subordonnent les exploités à telle ou telle fraction de la bourgeoisie, du culte du chef, de l’utilisation de la calomnie et de la violence au sein du mouvement ouvrier.
La difficulté est que la 4e Internationale, fondée en 1938 contre les directions réformistes, a disparu dans les années 1950, sous la pression du stalinisme, du nationalisme bourgeois et de la sociale-démocratie, entrainant dans sa débâcle les sections du sous-continent (BLPI, LSSP). Depuis, ses multiples avatars se vautrent dans le centrisme et le réformisme.
Celui qui n’ose pas énoncer à voix haute les tâches révolutionnaires n’aura jamais le courage de les mener. (Trotsky, Pour la 4e Internationale, 1935)
Par exemple, le POID et ses partenaires de la « 4e Internationale » lambertiste ont fondé en Inde, en novembre 2017, un « Comité international ouvrier » dont le programme se réduit aux formules creuses de franc-maçon, de politicien réformiste et de bureaucrate syndical : « contre la barbarie, la guerre et le démantèlement des nations ».
Contre le démantèlement des nations ? L’unité de la nation est un mythe qui sert à la classe dominante pour soumettre les classes exploitées et semi-exploitées. Les travailleurs conscients de tous les pays savent qu’il faut y opposer leur lutte de classe, leur combat pour prendre la tête des classes laborieuses et subalternes contre la bourgeoisie locale. Dans le sous-continent indien, le prolétariat en marche balaiera les frontières du Sri Lanka, de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh.
Il est exact que le socialisme reconnait à chaque peuple le droit à l’indépendance et à la liberté, à la libre disposition de son propre destin. Mais c’est véritablement tourner le socialisme en dérision que de présenter les États capitalistes actuels comme l’expression du droit à l’auto-détermination. (Luxemburg, La Crise de la sociale-démocratie, 1915)
D’ores et déjà, il doit reconnaître au peuple opprimé du Cachemire éclaté aujourd’hui entre trois États (Inde, Pakistan, Chine) le droit de décider de son sort, jusqu’au droit à l’indépendance.
Le renforcement de l’oppression nationale à l’époque de l’impérialisme commande, non pas de renoncer à la lutte « utopique », comme le prétend la bourgeoisie, pour la liberté de séparation des nations, mais, au contraire, d’utiliser au mieux les conflits qui surgissent également sur ce terrain, comme levier pour une action de masse et des manifestations révolutionnaires contre la bourgeoisie. (Lénine, La Révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916)
Quant à la paix, elle ne peut être obtenue que par la révolution prolétarienne, l’armement des travailleurs, le pouvoir des conseils de travailleurs en Inde, la création de la fédération socialiste d’Asie du Sud.
Le pacifisme petit-bourgeois part des prémisses qu’il serait possible d’assurer la paix par des moyens particuliers, spéciaux, extérieurs à la lutte de classe du prolétariat, à la révolution socialiste. (Trotsky, La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 1940)
Les noyaux marxistes existant en Inde doivent se regrouper au plus vite pour constituer une organisation prolétarienne révolutionnaire de toute l’Etat, en lien avec l’avant-garde internationale. Et se battre, dans l’immédiat, pour le front unique de toutes les organisations ouvrières (PCI, PCI-M, AITUC, CITU, HMS, INTUC…), paysannes et étudiantes indiennes pour les revendications économiques, mais aussi pour l’autonomie du Jammu-et-Cachemire, le retrait des forces de répression, la restitution de la nationalité indienne aux musulmans radiés de l’Assam, la séparation de l’État et de la religion, l’égalité des femmes et des hommes.