Johnson gagne les élections et sépare la Grande-Bretagne de l’Union européenne

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Après plus de trois ans de longs et tumultueux débats, le Parlement britannique a définitivement adopté l’accord de Brexit, entrainant la sortie historique de la 5e économie mondiale de l’Union européenne le 31 janvier 2020.

Nous pouvons maintenant oublier les rancoeurs et les divisions de ces trois dernières années et nous concentrer sur la mise en oeuvre d’un avenir radieux et palpitant. (Boris Johnson, Communiqué, 18 janvier)

Trois premiers ministres conservateursen trois ans

La démocratie bourgeoisie présente l’avantage de légitimer l’État mais elle oblige les partis de la classe capitaliste à bien des contorsions pour gagner les élections. Le principal parti bourgeois britannique a bien involontairement plongé la Grande-Bretagne (et l’Irlande) dans une crise politique qui a duré trois ans, de 2016 à 2019, en nuisant au capitalisme britannique et en éprouvant ses institutions les plus sacrées…

Pour des raisons de tactique politique, le premier ministre David Cameron, du Conservative Party (CP, Parti conservateur), croit habile de convoquer un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne pour le 23 juin 2016. Durant la campagne, Cameron lui-même et son parti se prononcent pour le maintien dans l’UE, avec l’appui des Liberal Democrats (LD, Libéraux-démocrates), un autre parti bourgeois. Le référendum donne lieu à un déchaînement de démagogie et de chauvinisme, mettant en cause l’immigration venue des pays européens, par un parti fascisant, l’UKIP et une minorité du CP menée par l’ancien maire de Londres. Nigel Farage (UKIP) exprime l’angoisse des capitalistes de l’industrie et des services malmenés par la concurrence allemande, française, néerlandaise, italienne et Boris Johnson (CP) reflète les vues de firmes de la finance britannique très mondialisée.

À cause du parti ouvrier traditionnel, le Labour Party (LP, Parti travailliste) dirigé par l’aile gauche et Jeremy Corbyn, la classe ouvrière est incapable de saisir la fracturation de la classe dominante pour affirmer ses propres intérêts et une perspective révolutionnaire. Au contraire, elle se trouve divisée entre deux choix électoraux également bourgeois, l’un pour une Grande-Bretagne capitaliste dans l’Europe capitaliste, l’autre pour le repli illusoire sur une Grande-Bretagne capitaliste hors de l’UE repliée à l’abri de ses frontières. Pire, une partie rend responsable de sa situation les travailleurs étrangers venus d’Europe, dont près d’un million de Polonais.

La bureaucratie syndicale de la confédération unique (TUC) et les parlementaires du parti réformiste traditionnel sont plutôt pour le statu quo, reflétant la position de la majorité de la classe dominante. Corbyn qui, toute sa vie, a été hostile à l’UE sur une base sociale-chauvine, prend mollement position pour rester, tandis que les organisations non représentées au parlement (SWP, CPB, SP…) mènent une campagne opportuniste pour la sortie, en arguant que l’UE est capitaliste (mais l’État britannique l’est-il moins ?) et que le référendum est l’occasion de chasser Cameron (mais pour le remplacer par qui ?).

Le départ l’emporte à une courte majorité (51,9 %) à la grande satisfaction, en France, des partis bourgeois xénophobes (FN-RN, DlF), suivis abjectement par les partis sociaux-chauvins (LFI, PCF, PCRF, POID, PCOF…). Le résultat encourage les fascistes à passer à l’acte contre des Polonais. La bourgeoisie britannique se fracture. Cameron est remplacé par Theresa May, du même parti. Son gouvernement, uniquement conservateur, comprend des ministres favorables au maintien et d’autres favorables au retrait (dont Johnson). De son côté, le Parti travailliste reste paralysé par les deux fractions de la bourgeoisie. Les adversaires de Corbyn, tant à l’intérieur (l’aile droite nostalgique de Tony Blair) qu’à l’extérieur (CP, LD et surtout médias capitalistes) l’affaiblissent en outre avec une accusation, aussi mensongère que récurrente, d’antisémitisme.

L’UE, comme le gouvernement conservateur, souhaite éviter une sortie sans accord. Les différents impérialismes européens (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, etc.) sont par ailleurs tiraillés entre le besoin de sceller rapidement un accord pour mettre fin à une période d’incertitude néfaste pour la bonne marche de l’économie capitaliste (Merkel) et la tentation de faire payer un prix maximal à la bourgeoisie britannique (Macron). En avril 2017, faute de majorité absolue au parlement, May convoque des élections législatives anticipées qui ne résolvent pas le problème. Elle est contrainte de pactiser avec les députés du Democratic Unionist Party (DUP, Parti unioniste démocratique) d’Irlande du Nord.

May parvient péniblement à un accord fin 2018, qui est rejeté trois fois en 2019 à la Chambre des communes. Elle ne contrôle plus son groupe parlementaire. Le report du Brexit contraint l’État à organiser des élections européennes. Le 23 mai 2019, avec une grande abstention (73 %), le Brexit Party (BP, Parti du Brexit) de Farage récemment créé arrive en tête avec 30,7 % des voix, suivi des LD avec 19,7 %, du Labour Party avec 13,7 %, du Green Party (Parti Vert) avec 11,8 %. Derrière, le Parti conservateur ne réunit que 8,8 % des suffrages. Cette déroute oblige May à démissionner. En juillet, le CP la remplace par Johnson, soutenu par Trump, grâce à 66,1 % des voix lors de la consultation interne.

Johnson met fin à la crise politique au détriment du Parti travailliste

Le 28 août, Johnson décide de suspendre le parlement du 10 septembre au 14 octobre, selon une procédure ancienne dite de prorogation. Corbyn qualifie l’acte de « menace pour la démocratie ». De maigres manifestations, convoquées par le LP et les organisations ouvrières à sa gauche, ont lieu dans les principales villes du pays. Cette faible mobilisation confirme la désorientation de la classe ouvrière, dont attestaient déjà le référendum sur le Brexit et les élections au Parlement européen.

Le 24 octobre, le premier ministre propose à la chambre des communes des législatives anticipées pour le 12 décembre. Les travaillistes acceptent. L’axe de la campagne du Parti conservateur est la sortie (Get Brexit done : accomplissons le Brexit). Il reçoit l’appui de Farage (BP) qui retire ses candidats des 317 circonscriptions remportées par le CP aux précédents législatives, ne leur laissant ainsi plus que 3 circonscriptions à gagner pour atteindre la majorité absolue. Ce retrait s’explique par la reprise par Johnson de son orientation, le retour illusoire à une Grande-Bretagne souveraine.

Le Parti travailliste reste incapable de se prononcer clairement, tout en reprenant le programme réformiste anglais traditionnel : nationalisations, respect de la monarchie, maintien dans l’OTAN… Dans un climat de patriotisme et de xénophobie exacerbés, il perd 2,5 millions de voix par rapport à 2017 et surtout 59 députés au parlement de Westminster. De fait, c’est une défaite cuisante pour un parti basé sur les élections et la gestion loyale du capitalisme au nom d’une majorité parlementaire.

Il est vrai que le système électoral britannique favorise les candidats arrivés en tête : c’est un scrutin uninominal majoritaire à un tour dont la découpe des circonscriptions favorise naturellement le Parti conservateur. Nationalement, le CP progresse peu (+1,2 %). Le LP perd 8 % entre 2017 et 2019 mais surtout il s’effondre de 10,5 % en moyenne dans les circonscriptions qui ont massivement voté leave. Ainsi sur les 59 circonscriptions perdues par le LP, la plupart sont des circonscriptions du centre et du nord de l’Angleterre, des régions qui étaient traditionnellement acquises au Parti travailliste. Parmi les 100 circonscriptions ayant la plus forte concentration ouvrière du pays, le LP passe de 72 à 53 députés tandis que le Parti conservateur passe de 13 à 31 députés. Ce sont ces mêmes circonscriptions qui avaient en 2016 voté massivement pour la sortie de l’UE : de 65 % à 75 %. Ces zones ont subi la fermeture des mines et la désindustrialisation des années 1980, avec une montée de la misère, du chômage, de la précarité, du délabrement du logement, la dislocation des services publics.

La débâcle électorale provoque le désarroi et la désorientation de l’aile gauche du LP dans laquelle étaient entrés un certain nombre de groupes centristes (CPGB, AWL, Workers Power, Socialist Action…). La guerre est ouverte pour la succession de Corbyn. Un point commun entre les deux ailes du LP est la défense du couple princier Harry et Meghan Windsor sous prétexte d’une supposée attaque sexiste et raciste de la part de la couronne alors que le programme minimum d’un parti ouvrier devrait être le combat pour la République.

Entre l’UE et les États-Unis, des lendemains difficiles

La promesse démagogique d’une période de prospérité ouverte par la sortie de l’UE, d’un Golden Age, sera difficile à tenir. La croissance économique ralentit et l’unité politique du Royaume-Uni est ébranlée. En effet, en Irlande du Nord, le DUP perd 2 députés et sa majorité absolue. En Écosse, le parti bourgeois nationaliste Scottish National Party (SNP) remporte 48 des 59 circonscriptions.

Pour l’emporter, le premier ministre a promis de mettre fin à l’austérité et d’investir massivement dans la santé (NHS) et l’école. Il a même annoncé le 31 décembre une augmentation de près de 6,2 % du SMIC pour le 1er avril 2020. Mais, de façon contradictoire, il a aussi mis en avant dans son programme l’objectif de transformer le Royaume-Uni en un paradis fiscal où la main-d’oeuvre serait flexible. Les travailleurs venus d’Europe de l’est seraient particulièrement précarisés, ce qui fragiliserait l’ensemble de la classe ouvrière.

Les rapports avec l’Union européenne ne sont toujours pas fixés. Environ 40 traités commerciaux conclus par l’UE ne vont plus s’appliquer (Japon, Singapour, Canada, Vietnam…). Or, l’UE était en meilleures conditions pour négocier que le Royaume-Uni tout seul.

Le gouvernement britannique s’oppose à la prolongation de la période de transition après 2020. Il a fait inscrire ce point dans la loi d’application de l’accord, en cours d’examen à la chambre des Lords. Johnson a aussi déclaré son refus d’un « alignement » sur les règles européennes. Parallèlement à ses discussions tendues avec l’UE, Johnson a clairement exprimé son intention de mener des « négociations commerciales avec d’autres économies mondiales de premier plan ». En clair, cela signifie négocier un accord de libre-échange en priorité avec les États-Unis. Trump et son administration vont profiter à fond de la position de faiblesse de l’impérialisme britannique.

L’économie britannique est inextricablement liée à celle du continent : par exemple, 47 % des exportations de biens du Royaume-Uni vont vers l’Union européenne. Dans le cadre de la crise économique mondiale qui menace, elle sera prise en tenaille, comme l’ensemble des économies européennes, par la guerre commerciale qui sévit entre les États-Unis et la Chine.

Toutes les bourgeoisies européennes, et celle de la Grande-Bretagne en premier lieu, rêvent de renforcer leur compétitivité sous peine d’un déclin accentué fait de désindustrialisation et de faillites de régions entières. Cela signifie que l’État, avec à sa tête le gouvernement conservateur, se doit d’attaquer frontalement et très rapidement sa classe ouvrière, ce qui est contradictoire avec les promesses démagogiques mises en avant durant la campagne électorale. Ainsi, Johnson entend mener un programme d’austérité. Il a demandé à tous ses ministres d’étudier « ligne par ligne » toutes les dépenses. Le temps est venu de « décisions dures », a-t-il prévenu.

Pour un parti ouvrier républicain et internationaliste

Pour s’opposer à ce cours réactionnaire, pour surmonter l’impuissance et la capitulation du réformisme à la Corbyn, il faut que des militants se situant sur le terrain de la révolution puissent s’organiser et regrouper les travailleurs conscients dans une organisation communiste de tout l’État, Écosse comprise, en lien avec ceux d’Irlande et du monde entier. L’avant-garde doit se débarrasser des illusions dans le travaillisme et le réformisme : croire que le Parti travailliste pourrait aller au socialisme sous la pression des masses et de son aile gauche, tenter de le concurrencer avec un autre projet réformiste (SLP de 1996, SSP de 1998, Respect de 2004, PBP de 2005, TUSC de 2010, LU de 2013…).

Le Parti travailliste, au mieux, deviendra un cadre de front unique. En aucun cas, il ne pourra vaincre la bourgeoisie et renverser son État, comme le prouve toute l’histoire de la lutte des classes en Grande-Bretagne, confirmant les analyses de Lénine et de Trotsky. Sans tourner le dos aux travailleurs des organisations de masse (syndicats et LP), l’avant-garde doit entreprendre la construction d’un parti clairement et ouvertement révolutionnaire, membre d’une internationale fondée sur le communisme de Marx, Engels, Luxemburg, Lénine et Trotsky. Elle doit développer un programme transitoire qui réponde aux attentes sociales et politiques de la classe ouvrière britannique et de la jeunesse en formation, du type :

Aucun paiement à l’UE d’une quelconque facture de divorce, ouverture des frontières aux travailleurs, aux étudiants, aux réfugiés ! Abrogation de toutes les lois antisyndicales et de précarisation du travail, augmentation des salaires, suppression des droits d’inscription à l’université, des moyens pour le NHS et des logements sociaux ! Abolition de la monarchie, République, dissolution de la chambre des Lords, séparation de l’État et de l’Église anglicane ! Restitution de Gibraltar à l’Espagne, droit de séparation de l’Ecosse, réunification de l’Irlande dans le cadre d’une fédération socialiste des îles britanniques ! Fin immédiate des expéditions militaires au Proche-Orient, fermeture des bases militaires à l’étranger et en premier lieu en Irlande du Nord, sortie de l’OTAN ! Dissolution de l’ensemble des corps de répression et armement du peuple pour lutter contre la réaction ! Nationalisation sans indemnité ni rachat des principaux groupes capitalistes opérant en Grande-Bretagne, des terrains des villes ! Gouvernement des travailleurs, États-Unis socialistes d’Europe !

20 janvier 2020

Parti Votes % +/- Sièges +/-
Conservative and Unionist Party (Tories) 13 996 451 43,60 +1,2 365 +48
Labour Party 10 295 907 32,20 -7,9 202 -60
Liberal Democrats (LibDems) 3 696 423 11,50 +4,2 11 -1
Scottish National Party (SNP) 1 242 380 3,90 +0,9 48 +13
Green Party of England and Wales 865 697 2,70 +1,1 1 =
Parti du Brexist 642 323 2,00 Nv. 0 =
Democratic Unionist Party 244 127 0,80 -0,1 8 -2
Sinn Féin 181 853 0,60 -0,2 7 =
Plaid Cymru 153 265 0,50 = 4 =
Alliance Party of Northern Ireland 134 115 0,40 +0,2 1 +1
Social Democratic and Parti travailliste 118 737 0,40 +0,1 2 +2
Ulster Unionist Party, UUP 93 123 0,30 = 0 =
Yorkshire Party 29 201 0,10 = 0 =
UK Independence Party (UKIP) 22 817 0,10 -1,8 0 =
Autres partisk 325 701 1,02 0 =
Indépendants       0 -1
Speaker 26 831 0,10 1 =
Votes valides 32014065
Votes blancs et nuls
Total 100 = 650 =
Abstentions
Inscrits / Participation 47587254 ≈67,30