Les signaux avant-coureurs d’une nouvelle crise économique
Les signaux se multiplient qui indiquent la possibilité d’une nouvelle crise du mode de production capitaliste. Ce n’est pas un hasard. La crise internationale de 2008/2009 n’a été surmontée que par l’augmentation de l’exploitation de la classe ouvrière partout dans le monde, par l’injection massive de monnaie, par la paupérisation dans de nombreux pays ou régions à l’intérieur de ces pays et par la poursuite et l’aggravation de la destruction de l’environnement, comme l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis ou la déforestation en Amazonie. Partout les inégalités se creusent, les richesses se concentrent de plus en plus dans les mains d’une infime minorité. Mais la crise n’a pas été surmontée par une destruction massive de capital qui aurait temporairement redonné des marges. À nouveau s’accumulent toutes les prémices d’une nouvelle crise mondiale : surproduction, ralentissement de la croissance, hausse de l’endettement, bulles spéculatives, etc. L’OCDE a le 19 septembre abaissé ses prévisions de croissance de l’économie mondiale pour 2019 et 2020, les ramenant au niveau le plus bas depuis la crise de 2008/2009. Les échanges mondiaux stagnent, voire pourraient diminuer en 2019. Aux États-Unis comme dans la zone euro, les banques centrales relancent encore la planche à billets dans l’espoir qui reste pourtant vain de soutenir une croissance qui ralentit. Il y a aujourd’hui dans le monde quelque 15 000 milliards de dollars qui sont prêtés à des taux négatifs, ce qui fragilise les banques, tandis que les cotations de l’or, valeur refuge, dépassent aujourd’hui 1 500 $ l’once, soit son niveau de mai 2011 quand il s’était envolé lors de la crise précédente. Les détenteurs de capitaux ne trouvant à s’investir deviennent méfiants et préfèrent le court au long terme, comme l’atteste la forte demande en obligations américaines à deux ans. Ainsi à la mi-août, le taux d’intérêt sur les bons du Trésor américains à deux ans, très demandés, est brièvement passé au-dessus de celui des bons à dix ans, un inversement des courbes apparemment aberrant mais connu comme un signe avant-coureur d’une récession.
Les derniers développements de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine
La Chine, pour répondre à une remise en cause par Trump d’un accord passé en marge d’un sommet du G20 en juin au Japon, a décidé le 23 août l’imposition de taxes sur 75 milliards de dollars (67 milliards d’euros) d’importations en provenance des États-Unis, notamment sur des produits pétroliers et agricoles ainsi que sur les voitures. Trump a violemment réagi en déclarant : « Nous n’avons pas besoin de la Chine et, franchement, nous nous porterions bien mieux sans eux », et aussi : « J’ordonne par la présente à nos merveilleux groupes américains de commencer immédiatement à chercher des alternatives à la Chine, y compris de rapatrier vos sociétés et de fabriquer vos produits aux États-Unis ». Il a annoncé qu’à partir du 1er octobre, 250 milliards de dollars de marchandises importées de Chine seront taxés à 30 %, au lieu de 25 % actuellement. Et une taxe de 15 %, au lieu des 10 % prévus, sera appliquée aux 300 milliards de dollars d’importations chinoises restantes qui concernent notamment des produits de grande consommation à compter du 15 décembre. Des reports partiels de ces taxes ont été depuis annoncés alors que les négociations entre les deux puissances impérialistes ont repris le 19 septembre, mais les antagonismes entre eux étant fondamentalement inconciliables, la guerre commerciale ne s’arrêtera pas, même si elle connait quelques répits.
Contrairement aux affirmations de Trump, cette guerre ne profite pas à tous les capitalistes américains et certainement pas aux travailleurs. Le Wall Street Journal a rappelé que l’industrie automobile américaine marque déjà le pas et que l’agriculture va souffrir plus encore de ces tensions. Quant aux « ménages », c’est à une baisse moyenne du revenu disponible de 580 dollars que devraient aboutir les taxes sur les importations chinoises, selon les estimations du Congressional Budget Office. En réalité, le déficit commercial américain s’accroit, la croissance américaine est artificiellement soutenue par la planche à billets, le déficit budgétaire américain a augmenté de 17 % en 2018, et par l’endettement généralisé. Trump tempête sans y réussir pour obliger la Fed à abaisser encore ses taux directeurs au niveau de ceux de la Banque centrale européenne, dont le principal est désormais nul, ce que la Fed considère impossible compte tenu du niveau de l’endettement. Si la croissance américaine est encore un peu supérieure à 2 %, les risques d’un retournement grandissent.
En Chine, la croissance économique a ralenti à 6,2 % en rythme annuel au deuxième trimestre, au plus bas depuis au moins 27 ans. La production industrielle est notamment affectée.
Des récessions
La guerre commerciale entre les deux plus grands États capitalistes de la planète contribue à détériorer la situation économique et risque de précipiter la crise.
En Allemagne, dont l’économie dépend pour près de 50 % des exportations, le PIB a reculé au 2e trimestre de 0,1 %, l’industrie automobile est très touchée, les prévisions de croissance pour 2019 sont révisées à la baisse pour n’atteindre que 0,5 % selon la commission européenne. Elle est désormais considérée comme l’homme malade de l’Europe, ce qui signifie aussi que le gouvernement du capital doit y relancer l’offensive contre les travailleurs. L’instabilité politique, la crise tant de la CDU que du SPD, tout comme le développement du parti fascisant AFD, sont nourries par cet affaissement du principal impérialisme européen.
L’Argentine et la Turquie subissent particulièrement les conséquences du ralentissement de l’économie mondiale et de la fébrilité des capitaux spéculatifs qui l’accompagne. Ce sont en effet des maillons faibles. En Argentine, la Bourse et le peso s’effondrent. Le gouvernement Macri a demandé, mercredi 28 août, au FMI et aux détenteurs d’obligations un rééchelonnement de sa dette, contre la promesse d’une cure d’austérité budgétaire. La dette de 101 milliards de dollars fait fuir les capitaux étrangers et affaiblit dangereusement le peso, qui a perdu 50 % de sa valeur depuis le début de l’année, malgré la vente de plusieurs centaines de millions de dollars par la Banque centrale argentine sur le marché des changes, au risque d’épuiser ses réserves en dollars qui ont fondu de près de 25 % au cours des quatre derniers mois. L’inflation devrait atteindre 55 % en 2019 et les taux d’intérêts de la Banque centrale sont à 60 % !
Des rivalités
La guerre économique entre les États-Unis et la Chine et l’agressivité de l’impérialisme américain contre tous ses rivaux sont non seulement des facteurs de crise économique, mais aussi d’instabilité grandissante entre les principaux pays impérialistes et d’instabilité politique dans chaque pays. L’Allemagne et la France qui ont été brutalement interdites de toute relation économique avec l’Iran et sont placées également sous la menace de taxes sur leurs exportations aux États-Unis, cherchent à contrer l’offensive. Mais renforcer l’Europe comme contrepoids relève d’une chimère. Le nationalisme sous toutes ses formes, qui n’est que l’expression de la concurrence exacerbée entre les bourgeoisies, mine tout l’édifice.
Sentant l’impérialisme allemand en difficulté, immédiatement l’impérialisme français cherche à prendre l’avantage. Macron se pousse du col au sommet du G7 de Biarritz du 25 août, pour apparaitre comme la première puissance politique et diplomatique européenne. Sortant un ministre iranien de son chapeau, il prétend relancer le dialogue entre les États-Unis et l’Iran et offrir à ce dernier un crédit de 15 milliards d’euros pour adoucir les sanctions économiques. Mais en moins de trois jours, ces prétentions sont réduites à néant. Les États-Unis ne relâchent pas leur pression, ils poussent les feux du Brexit. Trump promet au Royaume Uni une fois sorti de la communauté européenne « un très grand accord commercial, plus grand qu’il n’en a jamais connu ».
Des risques de guerre
Contre l’Iran, l’impérialisme dominant resserre son étau. Il mobilise ses alliés, Israël et Arabie saoudite pour préparer, à défaut d’un engagement direct de l’armée américaine, une éventuelle intervention militaire de leur part. Les manœuvres militaires et provocations diverses dans le détroit d’Ormuz, les interventions de l’aviation israélienne en Syrie, au Liban et même en Irak contre les positions iraniennes ou celles de ses alliés cherchent à pousser le régime iranien à la faute dans le déclenchement de la guerre. L’attaque des installations pétrolières saoudienne le 14 septembre par des drones et des missiles attribuée à l’Iran rajoute à l’extrême tension qui peut à tout moment dégénérer en guerre ouverte. Grandes manœuvres militaires, course aux armements, intimidations, chaque impérialisme, selon ses moyens, montre ses muscles. Aucun impérialisme ne souhaite déclencher une guerre généralisée, mais les impérialismes américain, chinois et russe agissent pourtant, directement ou par pays interposés, aux limites de la confrontation militaire comme en Syrie, en Ukraine, en mer de Chine, à la frontière entre l’Inde et le Pakistan et jusqu’en Arctique.
La guerre économique accélère les tendances nationalistes partout, elle bouscule les compromis laborieusement établis entre les bourgeoisies européennes, les vieilles alliances entre les impérialismes sur le plan mondial peuvent voler en éclats
L’usure des partis traditionnels du capital
Partout les partis traditionnels du capital sont usés, minés, discrédités et ne parviennent plus, ou très mal, à trouver une assise suffisante dans le cadre de la démocratie bourgeoise parlementaire. La démocratie bourgeoise est un régime pour temps calme, qui suppose un essor suffisant du Capital permettant à la bourgeoisie d’asseoir sa domination en s’attachant par quelques concessions mineures les petites bourgeoisies (les indépendants, les cadres) et les bureaucraties des organisations ouvrières de masse.
Les tensions économiques et politiques internationales qui indiquent de nouvelles convulsions de l’impérialisme comme mode de production viennent bousculer l’édifice de la démocratie bourgeoise. Cette tendance est particulièrement visible en Europe où les bourgeoisies, coincées entre l’offensive de l’impérialisme américain et l’essor de l’impérialisme chinois, sont incapablese d’unifier l’Europe comme une seule puissance impérialiste.
Ce n’est pas un hasard si c’est particulièrement en Europe que se développent les courants populistes, anti-européens et nationalistes chauvins. Les vieilles ficelles que les partis traditionnels du capital ont utilisées jusqu’à l’extrême ne font plus recettes car la paupérisation relative ou absolue de couches toujours plus larges de la population, non seulement de la classe ouvrière, mais aussi d’une partie de la petite bourgeoisie, ne leur garantit plus d’assise électorale stable. La réalité des difficultés de la vie quotidienne pour de larges masses fait voler en éclats les promesses et les discours.
Nombre de leurs électeurs s’abstiennent ou se tournent vers des partis écologistes d’une part, des partis populistes et fascisants d’autre part. Par exemple le PP en Espagne se vide au profit de Vox. En Allemagne, la CDU se vide au profit de l’AFD. Ils doivent nécessairement brandir le drapeau d’un nationalisme plus agressif pour dévier la colère des masses contre « l’étranger », protéger leur propre bourgeoisie et leurs diviser leurs prolétaires et accentuer leur exploitation.
L’exemple de la Grande-Bretagne
S’il est une preuve que la bourgeoisie n’est pas unifiée mais reconfigurée en permanence, qu’elle ne dirige pas directement ses affaires communes mais les délègue, avec tous les problèmes que cela pose, à une haute administration et à des partis, que sa représentation politique navigue à vue entre les contradictions internes de la classe dominante nationale, ses rapports aux autres classes de l’État, ses relations avec les autres États, c’est bien l’exemple de la sortie laborieuse du Royaume-Uni de l’UE.
En Grande-Bretagne, le succès aux élections au Parlement européen, en mai 2019, du Parti du Brexit de Farage qui avait obtenu près de 32 % des voix, loin devant les tories (Parti conservateur : 9% des voix) et les travaillistes (LP : 14%) a entrainé d’abord l’incapacité de Theresa May à faire accepter l’accord négocié avec l’UE, puis la désignation du triste fanfaron Boris Johnson, partisan du Brexit coûte que coûte avant le 31 octobre.
La bourgeoisie anglaise ne parvient pas à se dépêtrer de cette aventure. Les grands capitalistes anglais sont sans doute très majoritairement contre le Brexit et à fortiori contre un Brexit sans accord, même si quelques éléments du capital financier parasitaire s’imaginent encore plus libres de leurs mouvements une fois hors de l’UE. Mais la bourgeoisie anglaise n’a pas aujourd’hui les conditions politiques pour effacer le référendum du 23 juin 2016 qui avait décidé la sortie de l’Union européenne. Son parti traditionnel, le Parti conservateur s’était prononcé pour le Brexit. Le Parti travailliste, éventuelle roue de secours de la bourgeoisie, est resté dans l’ambiguïté la plus hypocrite sur cette question. Le petit parti bourgeois des Libdem (Parti des libéraux-démocrates), clairement contre le Brexit, a certes gagné de l’importance, mais reste encore trop faible à cette étape pour ouvrir une issue positive à la bourgeoisie britannique.
Corbyn, le dirigeant du Parti travailliste, tente de réunir une coalition sans principe avec les fractions de la représentation politique de la bourgeoisie écossaise et anglaise opposées à Johnson. Mais l’opposition reste hétéroclite, entre les partisans d’un Brexit avec accord et ceux qui sont contre le Brexit. Elle est parvenue à bloquer Boris Johnson au Parlement, mais sans pouvoir proposer d’autre issue qu’une nouvelle demande de report du Brexit.
Les bourgeoisies continentales sont divisées sur la question, l’Allemagne qui a beaucoup à perdre d’une rupture sans accord y serait favorable tandis que la bourgeoisie française qui espère tirer avantage du départ de la Grande-Bretagne est sur une ligne beaucoup moins conciliante.
Trump a promis à Johnson au G7 de Biarritz un accord commercial merveilleux avec les États-Unis dès qu’il se serait débarrassé de l’Union européenne, mais Johnson l’a accueilli prudemment. La bourgeoisie britannique sait aussi qu’en cas de sortie de l’Union européenne, l’impérialisme américain imposera ses conditions comme il l’a fait à Bretton Woods en 1944. C’est donc l’impasse qui se prolonge, discréditant et usant chaque jour un peu plus et le Parti conservateur et le Parti travailliste. Qui tirera les marrons du feu ? Tant que la direction de la classe ouvrière reste aux mains d’un parti monarchiste et social-impérialiste comme le Labour Party, certainement pas le prolétariat, mais plutôt l’aile la plus réactionnaire des partis bourgeois, les populistes xénophobes de Farage.
Et celui de l’Allemagne
En Allemagne, la réunification s’est faite en 1989 au compte du capitalisme. Cela a engendré non pas l’harmonisation, mais le maintien d’inégalités et même parfois l’aggravation des conditions de vie, notamment celui des régions industrielles de l’Est devenues obsolètes, pour une partie du prolétariat et pour une partie de la petite bourgeoisie dont l’existence dépend du niveau de vie du prolétariat.
Pour cette partie du prolétariat, les promesses du capitalisme, de la CDU comme du SPD, et aussi les illusions des masses, ont laissé place à une réalité plus amère. Ni la CDU, ni le SPD ne leurs ont offert une quelconque perspective autre que les dures lois du capitalisme. Die Linke qui avait un moment capitalisé des voix ouvrières à l’Est s’est discréditée à son tour, qu’elle soit dans l’opposition en Saxe ou qu’elle participe au gouvernement dans le Brandebourg. Dans ces deux régions, les résultats des élections régionales du 1er septembre 2019 sont édifiants : alors que la participation est en nette augmentation, l’AFD triple pratiquement ses voix en Saxe avec 27,5 % et les double presque dans le Brandebourg avec 23,5 %. En conséquence, la CDU comme le SPD perdent un grand nombre de voix, comme DL.
L’AFD s’est payé le luxe de se réclamer du « Tournant » (« Die Wende ») de la mobilisation populaire de 1989 contre le mur en déclarant : « Aujourd’hui, les conditions de vie ne sont toujours pas égales entre l’Est et l’Ouest. (…) Les gens ne sont pas descendus dans la rue en 1989 pour obtenir en retour ce que nous devons supporter aujourd’hui » ou en reprenant le mot d’ordre « Wir sind das Volk ». Les commentateurs bourgeois se rassurent en déclarant d’une part qu’en Saxe comme dans le Brandebourg, des coalitions entre CDU, SPD, Grünen (Verts), etc. peuvent toujours gouverner et d’autre part que la situation de l’Allemagne dans sa totalité est bien différente de celle de ces deux Länders. C’est en partie exact tant que la machine du capitalisme allemand va sur sa lancée. Ce qui explique que l’usure de la CDU comme du SPD soit au plan national compensée par la montée des Verts, qui cogèrent aussi bien avec la CDU que le SPD.
Mais au vu des circonstances de la situation mondiale, les conditions économiques et donc politiques pour la bourgeoisie allemande sont bien prêtes de changer alors que le parti fascisant AFD se renforce d’ores et déjà. D’autant qu’un certain nombre de leçons valent pour toute l’Allemagne : c’est bien sous le gouvernement du SPD Schröder que des mesures violentes ont été imposées à toute une partie de la classe ouvrière, qui laissent encore des traces aujourd’hui. Par exemple près d’un retraité sur deux vit en Allemagne en dessous du seuil de pauvreté ! De plus, les traditions de cogestion des affaires de la bourgeoisie sont si habituelles en Allemagne, à tous les niveaux, entre le SPD et la CDU, et depuis si longtemps, qu’une partie croissante de la classe ouvrière et de la jeunesse abandonne le SPD. Dans le même temps, Die Linke qui n’est qu’une variante du réformisme, est évidemment incapable d’offrir une perspective révolutionnaire et se discrédite à mesure de ses renoncements et de ses participations aux gouvernements régionaux.
En Italie, en Autriche, en France, etc. des processus similaires, à partir à chaque fois de conditions particulières, sont en œuvre.
La résistible montée de la réaction
Il y a des différences importantes et des similitudes entre aujourd’hui et la première moitié du XXe siècle. La montée des courants nationalistes, plus ou moins fascisants qui arrivent jusqu’au pouvoir au travers des veilles formations politiques (États-Unis, Japon …) ou sous forme de partis plus récents (Hongrie, Pologne, Brésil, Italie, Autriche, Turquie, Inde, Philippines…) va de pair avec des reculs de la classe ouvrière.
Elle n’a pas encore lieu, comme dans les années 1920 et 1930, sur la base d’un écrasement physique des organisations ouvrières par les bandes fascistes comme ce fut le cas en Italie, en Allemagne, par les armées fascistes de Franco en Espagne et comme conséquence d’une crise révolutionnaire mise en échec par la trahison des directions du mouvement ouvrier.
Le fascisme est le résultat d’une configuration des classes particulière. Le fascisme nait comme mouvement de masse de la petite bourgeoisie déclassée mobilisé par des aventuriers. Ils obtiennent par leur violence contre le mouvement ouvrier le soutien de secteurs de la bourgeoisie déçus par l’impuissance de sa représentation parlementaire.
Le fascisme est l’organisation de combat de la bourgeoisie pour la guerre civile… c’est les troupes de choc de la bourgeoisie quand elle pense que la vieille machine étatique n’est plus adéquate, parce qu’entravée par la légalité et la démocratie, au moment où la bourgeoisie a besoin d’une force pour faire baisser la pression du prolétariat. Elle crée alors des groupes de combat, prêts à tout, et piétine sa propre légalité, sa propre démocratie, afin de conserver son pouvoir. (Trotsky, « Où en sommes-nous ? », 21juin 1924, Contre le fascisme, Syllepses, 2015, p. 88)
La bourgeoisie n’a jamais été démocratique, même quand elle était en lutte contre la monarchie absolue, l’Église et la féodalité. Ce n’est pas la grande bourgeoisie qui a conduit la révolution française de la fin du XVIIIe siècle, mais des directions successives de la petite bourgeoisie urbaine (Constitutionnels, Girondins Jacobins) poussée par la mobilisation des paysans pauvres et des « bras nus » du proto-prolétariat des grandes villes. Le suffrage universel n’a été octroyé au XXe siècle que par la lutte du peuple et il a fallu attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que les Noirs aient les mêmes droits que les Blancs sur tout le territoire des États-Unis. Certes, tant qu’elle le peut, la bourgeoisie préfère un régime qui lui permet de débattre librement et de contrôler étroitement l’État, voire qui sauvegarde les apparences de la démocratie aux yeux des classes exploitées et semi-exploitées.
Mais il ne faut pas s’imaginer que la bourgeoisie suit un plan rationnellement établi, elle est prête à revenir sur les concessions politiques, comme elle l’a fait dans les pays impérialistes sur les concessions économiques. Plus ses marges se réduisent, plus le mode de domination de la bourgeoisie s’oriente, sauf réaction de la classe ouvrière, vers un État fort, restreignant les libertés démocratiques pour le peuple tout en préservant la pluralité de ses journaux, de ses clubs et de ses « think tanks », de ses partis. Si cela ne suffit pas, elle préfère encore voir l’État s’autonomiser et le pouvoir lui échapper partiellement et provisoirement (au bénéfice d’un bonaparte ou, pire, d’un führer) que le soulèvement des masses, que la révolution sociale. Ainsi, au Soudan, l’opposition bourgeoise (ALC) a accepté le 3 août une « transition » de trois ans sans élection avec la junte (CM) qui recourut contre les masses aux troupes fascistes du général Hemetti (RSF).
Dans le passé, le capitalisme ne s’est jamais accommodé de la démocratie « pure », tantôt y rajoutant quelque chose et tantôt la remplaçant par un régime de répression ouverte. Le capital financier « pur » n’existe nulle part. Même quand il occupe une position prédominante, le capital financier n’agit pas dans le vide, mais est obligé de compter avec les autres couches de la bourgeoisie et avec la résistance des classes opprimées. Entre la démocratie parlementaire et le régime fasciste, s’intercalent inévitablement toute une série de formes de transition, dont l’une remplace l’autre tantôt de façon pacifique et tantôt par la guerre civile. (Trotsky, « Bonapartisme et fascisme », 15 juillet 1934, Contre le fascisme, p. 437)
Pour vaincre, la classe ouvrière a besoin de perspectives révolutionnaires
Aujourd’hui, nulle part la classe ouvrière n’a été écrasée. Au Brésil, en Turquie, en Autriche, elle peut relever la tête. En Turquie, précisément parce que ce n’est pas encore le fascisme, Erdoğan a subi une défaite relative aux élections municipales en perdant plusieurs grandes villes, certes au profit d’autres partis bourgeois. Sa tentative pour récupérer Istanbul a échoué. En Hongrie, il y a eu des manifestations importantes contre Orban. En Italie, même sous le gouvernement Salvini-Di Maio, se sont déroulées d’importantes manifestations. Et au Soudan, en Algérie et à nouveau en Égypte aujourd’hui ! Au Brésil, malgré la réaction, indiscutablement une partie de la classe ouvrière des villes et des campagnes, des prolétaires des favelas et des fonctionnaires, des étudiants reste mobilisée pour les droits des femmes et des Indiens, la défense de l’instruction publique, des retraites, de l’environnement… Mais la lutte pour les libertés démocratiques ou pour les revendications économiques, qui doit se conduire sur la ligne du front unique de toutes les organisations ouvrières contre la dictature et peut rallier une fraction de la petite bourgeoisie, n’est pas la lutte syndicaliste ou trade-unioniste, la lutte pour « la démocratie » ou l’addition « des luttes », mais l’unification par la lutte de classe contre l’exploitation et l’oppression, le combat pour la révolution socialiste.
Pour que les masses brésiliennes aient une perspective politique pour se battre, qui inclut l’auto-défense ouvrière, donc l’armement du prolétariat, il est indispensable que l’avant-garde ouvrière puisse se forger politiquement contre la bureaucratie traitre du PT et de la CUT, contre tous les capitulards « trotskystes » qui hier ont accompagné la soumission du PT à la bourgeoisie et récidivent aujourd’hui en se pliant au front « démocratique » avec des partis bourgeois du PT et de la CUT contre le front unique ouvrier.
Les militants révolutionnaires, pour constituer un pôle de regroupement et de construction d’organisations révolutionnaires, ne doivent pas renvoyer leur programme aux calendes, faute de quoi la plus grande confusion s’installe et la classe ouvrière continue à reculer. Or la confusion, c’est précisément le cas des manifestations fin 2018 en Hongrie, où se sont côtoyés les syndicats avec tous les partis « d’opposition » à Orban, partis bourgeois et Jobbik compris. C’est le cas en Italie avec la manifestation du 9 février 2019 rassemblant plusieurs centaines de milliers de travailleurs à Rome avec tous les syndicats, mais aussi plusieurs délégations d’entrepreneurs et le PD de Renzi et Zingaretti, ce qui a abouti à réclamer au gouvernement un plan massif d’investissement publics et privés, ce qui n’est pas un mot d’ordre ouvrier.
L’affaiblissement manifeste des organisations sociales-réformistes ne s’est pas accompagné de la construction d’organisations révolutionnaires, au contraire. Toutes les organisations plus ou moins centristes se réclamant de la révolution les jours de fête et usurpant le prestige de Marx, Lénine et Trotsky ont fait barrage : certaines ont soutenu, voire se sont intégrées aux organisations type Syriza, Podemos, LFI ou Die Linke, toutes renvoient aux calendes le combat pour un gouvernement ouvrier et toutes s’alignent dans la pratique sur les différentes variantes de front populaire, comme elles l’ont montré encore récemment en Catalogne ou pour l’Assemblée constituante en Algérie. Elles soutiennent contre quelques places dans l’appareil les diverses bureaucraties syndicales qui s’associent aux attaques patronales et gouvernementales, sabotent et trahissent les luttes ouvrières. Le marxisme est sciemment dévoyé au profit d’idéologies bourgeoises et petites-bourgeoises.
Ce n’est pas la combattivité qui manque, c’est la clarté politique.