Pour autant, des groupes fascisants comme le Irish Freedom Party (Parti irlandais de la liberté), voire fascistes comme le National Party (Parti national) ou Ireland First (Irlande d’abord), tous souverainistes anti-UE, islamophobes, racistes, antiavortement, homophobes et antivaccins ont répandu cette rumeur, attisant ainsi un sentiment anti-immigrés, et ont appelé à un rassemblement le jour même sur le lieu de l’agression, avec le soutien de dirigeants de groupes fascistes britanniques comme Paul Golding (Britain First) ou Tommy Robinson (English Defence League). Quelques centaines de personnes (environ 500) ont participé au pogrom, brandissant des drapeaux nationaux et surtout des pancartes racistes comme « Irish Lives Matter » (les vies irlandaises comptent), « Ireland is Full » (l’Irlande est pleine) ou « Get them out » (qu’on les mette dehors).
Quatre autobus et un tramway ont été endommagés, détruits pour certains, une quinzaine de magasins ont été pillés, des personnes perçues comme étrangères ont été agressées, physiquement et verbalement (« Retourne d’où tu viens »), des femmes musulmanes se sont vus confisquer leur foulard, un chauffeur de bus et un commerçant ont été menacés, les camions d’incendie ont été « bombardés de projectiles » et « frappés avec des objets en fer » alors qu’ils intervenaient dans un centre de réfugiés incendié lors des émeutes (The Journal, 24 novembre). Les Gardai (policiers irlandais) était visés par des lancers de projectiles, des voitures de police ont été endommagées par une « faction de hooligans dingues mus par une idéologie d’extrême droite », selon le commissaire de police (The Irish News, 23 novembre). 400 policiers anti-émeute ont été déployés, du jamais vu dans l’histoire récente de l’Irlande. 34 personnes ont été arrêtées, 60 policiers blessés. Alors que le fascisme avait jusqu’à présent une influence négligeable en Irlande (tout comme au Royaume-Uni), ces événements témoignent de la portée mondiale de la montée des courants xénophobes et fascistes. 307 manifestations anti-immigration ont eu lieu en Irlande en 2022, 169 pour le seul premier semestre 2023.
Tout comme le Parti travailliste dont la dirigeante Ivana Bacik a demandé plus de policiers, Sinn Féin a réagi par la voix de sa principale dirigeante Mary Lou McDonald pour qui « nous n’avons pas assez de policiers… qui ont tout son soutien » (Sinn Féin, Communiqué, 24 novembre). C’est avec ce parti que People Before Profit (Les gens avant le profit), une coalition opportuniste impulsée par le SWP centriste (qui aujourd’hui a pris le nom de Socialist Workers Network) envisage de s’allier pour les élections législatives prévues début 2025 et former un « gouvernement de gauche ». Ils ne devraient pas se plaindre de l’annonce par le gouvernement d’un projet de loi visant à renforcer la vidéosurveillance et donc les capacités de la police, notamment avec l’utilisation de caméras-piétons. Cet événement est une opportunité pour le Taoiseach (Premier ministre) Leo Varadkar (Fine Gael, un des deux principaux partis de la bourgeoisie irlandaise), selon qui l’Irlande devrait « ralentir le flux » migratoire (RTÉ, 19 novembre).
Malgré quelques avancées récentes comme le droit au mariage homosexuel en 2015, le droit à l’avortement en 2021, le contexte est celui d’une crise sociale rampante en Irlande. C’est le cas dans le secteur du logement : depuis la crise de 2008, l’État n’investit plus dans les logements sociaux, si bien que les loyers sont extrêmement élevés, en particulier à Dublin mais aussi dans tout le pays. Selon la Banking & Payments Federation Ireland, le loyer moyen a augmenté de 82 % pour la période 2010-2022 (18 % en moyenne dans l’Union européenne), alors que les salaires ont augmenté de 27 %, et la production de logement a augmenté de 130 000 unités, alors que la population augmentait de plus de 500 000.Varadkar a reconnu qu’il manque 250 000 logements. 12 000 personnes sont sans abri, parmi lesquelles 1 400 demandeurs d’asile (Conseil irlandais pour les réfugiés).
C’est le cas aussi dans le secteur de la santé.
Trop peu de médecins, trop peu de lits et trop peu de professionnels de santé. Nous n’investissons tout simplement pas suffisamment dans le recrutement de personnel et dans l’augmentation de la capacité à répondre aux besoins des patients. (Association médicale irlandaise, Irish Mirror, 3 janvier 2024)
En particulier, 127 000 interventions ont été annulées ou reportées au cours des six premiers mois de l’année (Irish Examiner, 15 aout 2023).
L’exacerbation des tensions sociales ont été saisies par la bourgeoisie comme une opportunité pour diviser les travailleurs, en particulier en faisant porter la responsabilité aux étrangers, elle utilise de plus en plus fréquemment les migrants comme boucs émissaires pour s’en prendre à l’ensemble des travailleurs, même si ce sont les immigrés qui assurent les tâches les plus difficiles et même si les réfugiés sont les plus mal logés de tous. Aussi, même si les partis fascisants n’ont jamais réuni beaucoup de voix, l’approfondissement de la crise sociale pourrait leur bénéficier, y compris parmi les jeunes en colère des milieux populaires confrontés au chômage et au cout du logement. Surtout si aucun parti ouvrier révolutionnaire n’apparait des deux côtés de la frontière pour opposer l’ensemble des travailleurs à tous les capitalistes (irlandais, britanniques, étatsuniens, etc.) et ouvrir la perspective socialiste de l’unification par un gouvernement ouvrier, dans le cadre de la fédération socialiste des iles britanniques et des États-Unis socialistes d’Europe.
Pourtant, la question migratoire n’a pourtant jamais été centrale dans la politique de ce pays, un pays d’émigration jusqu’aux années 1990. Les Irlandais, chassés de leur pays par la faim et la pauvreté, ont longtemps été des « sales immigrés », que ce soit en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord ou en Australie. Le chef de Ireland First est lui-même un ancien immigré au Canada. Le paysage de la migration vers l’Irlande a considérablement changé au cours des vingt dernières années, passant d’un phénomène mineur au point où vingt pour cent de la population actuelle est née à l’étranger (un million sur cinq). Le nombre de demandeurs d’asile est passé de 7 500 en 2021 à 74 000 cette année, pour la plupart des Ukrainiens.
Auto-défense contre les bandes fascistes !
Régularisation de tous les sans-papiers !
Libre circulation des travailleurs et des réfugiés !