À quelle classe a servi la « conférence sociale » du 16 octobre ?

Macron décide de convoquer les « partenaires sociaux »

Après sa victoire contre les retraites des salariés, facilitée par toute une panoplie de diversions de l’Intersyndicale et de la NUPES, la première ministre Borne avait laissé entendre qu’elle voulait réunir les « partenaires sociaux » dans une « conférence sociale ».

Le 30 aout, répondant à la convocation de Macron, tous les partis représentés au parlement se sont rendus à Saint-Denis. Même LFI qui appelait à des casserolades pour empêcher le président de la République de parler en public quelques semaines avant. Après que les députés et sénateurs du mouvement ouvrier (PCF, LFI et PS) ont pris le diner de bon appétit avec leurs collègues des principaux partis bourgeois (EELV, Renaissance, MoDem, UDI, LR, RN), avec les membres du gouvernement et avec le président, celui-ci a annoncé une « conférence sociale sur les bas salaires ».

Selon l’État bourgeois, il n’y a pas de lutte entre les classes. Il y a un intérêt général, qu’il incarne, et des intérêts particuliers. Parmi les multiples représentants de la société civile (la société moins l’État), on trouve au niveau « interprofessionnel » (national) :

  • 3 organisations d’employeurs (dans l’ordre de représentativité : MEdeF, CPME, U2P)
  • 6 organisations de salariés (dans l’ordre de représentativité : CFDT, CGT, FO, CFE-CGE, CFTC, Solidaires).

Ce qui justifierait le terme mystificateur de « partenaires » est qu’elles gèrent ensemble des régimes de protection sociale que l’État a concédé en 1945 (les branches du régime général de la Sécurité sociale) ou qu’ils ont fondé ensemble ultérieurement (UNEDIC, AGIRC-ARRCO).

La première ministre consulte le patronat et les principales confédérations syndicales début octobre pour préparer la conférence sociale.

La semaine dernière, avec le ministre du travail Olivier Dussopt, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec vous, pour préparer cette conférence sociale… (Elisabeth Borne, Discours introductif, 16 octobre)

Le gouvernement choisit le lieu. Ce sera le palais d’Iéna, à Paris, où est logé le Conseil économique, social et environnemental (CESE), comme lors des conférences sociales convoquées par le président Hollande (PS) à partir de 2012. Le CESE, dans la 5e République gaulliste, est une assemblée constitutionnelle qui conseille le gouvernement ou le parlement et qui favorise le « dialogue social », autrement dit la collaboration de classes. Parmi ses membres, 16 membres de la CFDT, 16 de la CGT, 9 de FO, 4 de la CFTC, 4 de la CFE-CGC, 4 de l’UNSA, 2 de Solidaires (SUD) et aussi 1 FAGE et 1 UNEF qui touchent chacun 3 861,29 euros brut par mois, cumulables avec le salaire ou la pension de retraite. Le CESE de décline dans chaque région, ce qui assure des postes supplémentaires aux appareils des syndicats et des associations.

Pour savoir à quoi sert la conférence sociale, il suffit d’écouter Borne

Borne à la conférence sociale / photo L’Usine nouvelle


L’état-major de la CGT annonce qu’il sera présent et tente de faire croire que, grâce à la magie du verbe des pontes syndicaux, le gouvernement va changer de cap.

Le pays, les travailleuses et les travailleurs ont besoin d’une tout autre politique pour répondre à leurs attentes de progrès social… La Première ministre devra sortir de cette conférence sociale avec des mesures fortes et contraignantes pour les employeurs et les actionnaires. La CGT alerte le gouvernement sur la nécessité et l’urgence de prendre enfin en compte la situation économique des Français.es. (CGT, Communiqué, 12 octobre)

La secrétaire confédérale Binet est là en personne pour faire ses « propositions », comme ses homologues, quand Borne mène ce que la presse patronale appelle « une grande messe sociale » (L’Usine nouvelle, 16 octobre). La première ministre ne cache pas que son but est l’apaisement des tensions sociales, la collaboration entre les classes, et qu’elle est complémentaire des rencontres des partis parlementaires convoquées le 30 aout et le 30 octobre par le président de la république.

L’unité, ça n’est pas nier nos différences, c’est aussi être capable de se parler, de mener ensemble un dialogue apaisé, pour construire des solutions dans l’intérêt du pays et des Français. C’est précisément l’enjeu de cette conférence sociale, dans la lignée des rencontres de Saint-Denis initiées par le président de la République, avec les partis politiques. (Elisabeth Borne, Discours introductif, 16 octobre)

La cheffe du gouvernement l’inscrit dans la politique antisociale de l’État qui, après avoir attaqué le droit à la retraite, allège la formation professionnelle (plus d’apprentis qui ont moins d’heures de cours et fournissent plus de travail lors des stages plus longs payés médiocrement par l’État) et malmène une fois de plus les chômeurs (notamment ceux qui relèvent du RSA).

Au sein de cet hémicycle du Conseil économique, social et environnemental, chambre de la société civile, nous ouvrons aujourd’hui, organisations patronales, syndicales, gouvernement, chercheurs, experts, une nouvelle étape pour notre démocratie sociale. C’est le sens de la politique menée depuis 2017, en favorisant l’apprentissage, la formation, avec par exemple la création du compte personnel formation, et en accompagnant davantage les personnes les plus éloignées de l’emploi. Avec Olivier Dussopt, nous poursuivons notre action, notamment avec la création de France Travail. (Elisabeth Borne, Discours introductif, 16 octobre)

Le point de vue des directions confédérales

Binet à la conférence sociale / photo CGT


Solidaires (les SUD) dénonce la supercherie… que cette confédération a pourtant cautionnée jusqu’au bout.

L’Union syndicale Solidaires a participé ce jour à la « Conférence sociale » organisée par le gouvernement… Force est de constater qu’elle n’a eu de sociale que le nom et qu’au-delà de la mise en scène, les pistes proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux. (USS, Communiqué, 16 octobre)

La CGT, qui continue à parler « des Français » comme s’il n’y avait pas une minorité d’exploiteurs et une majorité d’exploités dans le pays, doit convenir que Binet n’a rien obtenu.

Très attendue par les Français, la journée d’échanges et de réflexions voulue par l’Élysée autour des rémunérations et du pouvoir d’achat s’est révélée « décevante », selon la CGT. (NVO, 17 octobre)

FO ne désespère pas.

Le 16 octobre dernier se tenait la conférence sociale voulue par le président de la République. Photo de famille ? Exercice de communication ? Tentative des pouvoirs publics de se racheter une conduite ? C’était sans doute un peu tout cela à la fois… La porte est ouverte… Nous avons redit que le dialogue social doit retrouver un nouvel élan, nous avons redit nos attentes sur l’autonomie des interlocuteurs sociaux… (FO Hebdo, 25 octobre)

La CFDT sort, elle, réjouie. Elle prétend sans honte que cette cérémonie était le but des manifestants du printemps. Autrement dit, ils auraient gagné, pas perdu contre le gouvernement !

La tenue d’une conférence sociale qui a réuni organisations syndicales et patronales et gouvernement, le 16 octobre 2023 au Conseil, économique, social et environnemental, était importante. Grâce aux mobilisations qui ont rassemblé des millions de salariés et d’agents publics dans la rue au premier semestre 2023, grâce à la CFDT qui n’a cessé de mettre les enjeux du travail dans le débat public, les salaires et le pouvoir d’achat ont enfin fait l’objet de discussions et d’échanges entre organisations syndicales, organisations patronales et le gouvernement. (CFDT, Communiqué, 16 octobre)

Sur quoi débouche réellement la conférence sociale ?

L’organisatrice se félicite du comportement des dirigeants syndicaux et du succès de l’opération gouvernementale.

Je veux saluer votre engagement pour faire de cette Conférence sociale, non seulement un moment de concertation utile, mais aussi une première étape de construction de solutions. J’ai toujours eu une conviction : c’est par le dialogue et la concertation que l’on trouve des meilleures solutions. (Elisabeth Borne, Discours de conclusion, 16 octobre)

Les « meilleures solutions » comme étrangler les systèmes publics de l’enseignement et de la santé ? Comme repousser de deux ans l’âge de la retraite à taux plein ?

Une « concertation utile » à qui ? Les travailleuses et les travailleurs n’en tirent qu’une désorientation supplémentaire, sans aucune concession significative. Le gouvernement annonce un nouvel organisme de collaboration de classes (et de corruption des appareils syndicaux) plus de vagues promesses qui ne coutent rien aux capitalistes ni à leur État.

revoir les grilles des conventions collectives, ce qui est déjà largement accompli au moment de la conférence.

La Première ministre a indiqué que le ministère du Travail recevrait « prochainement toutes les branches ayant des minima en dessous du SMIC pour qu’elles s’expliquent sur leur retard ». « Si nous ne constatons pas de progrès significatifs d’ici le 1er juin 2024, le gouvernement proposera au Parlement un texte de loi qui permettra de calculer les exonérations non pas sur la base du SMIC, mais sur la base du minima de branche », a-t-elle affirmé. (Les Échos, 17 octobre)

créer un index sur l’égalité entre hommes et femmes, alors que des organismes officiels en dispose de plusieurs types et publient régulièrement des synthèses (INSEE, Femmes et hommes, l’égalité en question, 3 mars 2022) et que, si l’index du ministère du travail crée en 2018 sous Macron (« égapro ») ne fonctionne pas, c’est que les employeurs ne le fournissent pas ou le truquent.

Elisabeth Borne a aussi proposé aux partenaires sociaux de « bâtir un nouvel index » sur l’égalité femmes-hommes… (Les Échos, 17 octobre)

étudier les exonérations de cotisations sociales, alors qu’il existe déjà une administration des impôts, une Sécurité sociale, un Conseil général de l’économie…

Des experts vont avoir pour mission d’analyser les interactions entre exonérations, salaire et prime d’activité. Les partenaires seront associés à cette mission. (site Tissot sur le droit du travail, 19 octobre)

mettre en place un Haut Conseil des rémunérations qui complètera le CESE, le Comité de suivi de la négociation salariale de branches…

Je vous propose la mise en place d’un Haut conseil des rémunérations. Lieu de travail, d’échanges et de propositions, il nous permettra d’avancer sur le lien entre productivité, création de valeur et salaire… Vous serez pleinement associés à sa définition. (Elisabeth Borne, Discours de conclusion, 16 octobre)

Est-ce que par ce biais que les travailleuses obtiendront l’égalité des salaires et l’ensemble du prolétariat l’indexation des salaires ? On sait d’avance que non.

Combien toucheront les chefs syndicaux qui siègeront au HCR ? On ne le sait pas encore.

La base économique de l’opportunisme est la même que celle du social-impérialisme… le droit aux miettes des profits réalisés dans le pillage des autres nations par leur bourgeoisie nationale. (Vladimir Lénine & Grigori Zinoviev, aout 1915)

En récompense de leur aide indéfectible, le gouvernement de la bourgeoisie va jeter à ses chiens de garde un os supplémentaire à ronger. De leur côté, les bureaucraties syndicales corrompues peuvent, comme au printemps, compter sur les partis sociaux impérialistes (et sur leurs adjoints pseudo-trotskystes) pour les couvrir. Aucune organisation n’a dénoncé la conférence antisociale. Aucune n’a combattu à cette occasion pour l’indépendance de classe, pour la rupture des syndicats avec Macron et Borne.

Décidemment, il est temps de construire un parti ouvrier révolutionnaire et des fractions lutte de classe dans les syndicats !

10 novembre 2023