L’Union européenne contre la libre circulation des travailleurs et contre l’accueil des réfugiés

Le capitalisme porte la xénophobie

Alors que la population de l’Union européenne atteint les 450 millions d’habitants, l’arrivée en quelques jours de 7 000 migrants sur l’ile italienne de Lampedusa monopolise l’attention politico-médiatique du vieux continent. En France, Darmanin convoque une réunion sur la question, la présidente de la Commission européenne annonce sa venue sur l’ile, l’héritière du MSI à la tête du gouvernement italien évoque une situation insoutenable, les partis fascisants rivalisent de propos alarmistes et racistes, les élus du RN squattent les plateaux télévisés et la tête de liste Reconquête aux élections européennes répond aux questions des journalistes en direct de l’ile sicilienne.

Pourtant si le nombre de migrants a augmenté par rapport à 2020, il n’a pas encore rattrapé son niveau d’avant la crise sanitaire et on était loin à l’époque de la vague submersive décrite dans la presse bourgeoise. En fait si de tout temps l’humanité s’est déplacée, actuellement le gros des déplacements de populations se fait à l’intérieur même du pays, sur les 85,7 millions de réfugiés dénombrés par le HCR par exemple, 53,2 millions sont toujours dans leurs pays d’origine.

Le bilan économique de l’immigration est en fait très favorable aux capitalistes des États qui la dénoncent. Le chantage à l’expulsion constitue un levier utile pour exploiter encore davantage ces travailleurs. C’est ainsi que cette main-d’oeuvre ouvrière vient grossir les rangs du prolétariat le plus exploité. En Europe, 11,3 % des travailleurs originaires d’un pays hors-UE occupent un emploi dans l’hébergement et la restauration contre 4,2 % pour les travailleurs originaires de l’UE, même chose dans le secteur de la construction (9,1 % contre 6,6 %), du ménage (11,4 % contre 2,9 %), des mines, BTP, industrie et transports (6 % contre 2,5 %), etc.

Au total, la population de l’union est composée seulement de 5,3 % d’étrangers hors-UE. Malgré cela, pas un gouvernement n’a omis de multiplier les lois contre les migrants, pas une élection qui ne voie les partis bourgeois jouer dans la surenchère xénophobe, pas un parti ouvrier-bourgeois qui ne résiste à la course à l’échalote chauvine.

C’est que la division de la classe ouvrière constitue un puissant bouclier du capitalisme à ses velléités revendicatives.

La forteresse européenne externalise

Le 8 juin dernier, les ministres de l’intérieur des 27 États de l’Union européenne signaient un accord en vue de « réformer » le droit d’asile communautaire. Jusqu’alors c’est le règlement de Dublin de 2013 qui s’appliquait. Celui-ci imposait aux réfugiés de faire leurs demandes dans leur pays d’entrée dans l’Union. Cela avait pour effet de concentrer les demandes dans les pays frontaliers (Chypre, Grèce, Malte, Italie, Espagne, Slovénie, Pologne…). Le nouvel accord prévoit d’alléger de 30 000 demandeurs annuels chacun de ces pays en les répartissant entre les autres pays de l’UE, le pays désigné pouvant refuser ces migrants en payant 20 000 euros annuels pour chaque refus. Toutefois cet allègement mis à part les pays d’entrée sont toujours tenus, de par le règlement de Dublin, de traiter les demandes d’asile des personnes arrivées par leur territoire. La poussée xénophobe des gouvernements européens accroit les tensions au sein de l’UE et met déjà à mal le nouveau mécanisme, ainsi le gouvernement fascisant Meloni-Salvini refuse depuis décembre 2022 de récupérer les migrants arrivés par l’Italie et de les enregistrer tous. En réaction, l’État allemand a déclaré refuser le système de répartition des migrants, pourtant prévu par l’accord de juin, lorsque ceux-ci arrivent par l’Italie. Selon l’association Forum réfugiés, seuls 13,2 % des requêtes de transferts étaient acceptées par les pays d’entrée en 2020.

Car, malgré le verbiage de solidarité, le réel objectif de cet accord est d’accroitre encore les difficultés d’immigration en Europe, par l’ajout de dispositions contre les migrants, de nouvelles procédures obligatoires aux frontières pour juger à la va-vite du bien-fondé de la demande d’asile. Les recalés devront être renvoyés en moins de 6 mois comme le précise la nouvelle procédure de retour.

Dans la foulée, l’UE a négocié un nouvel accord avec la Tunisie pour la gestion des migrants sur son sol. Les deux parties signent des accords comprenant la question migratoire depuis 1995.

Ce nouvel épisode arrive alors que nombre d’ONG dénoncent les traitements inhumains accordés aux migrants en Tunisie. Nombre d’entre eux sont déportés de force par la police tunisienne et laissés sans aide dans des régions désertiques proches de la Libye ou de l’Algérie.

Alors que la Tunisie et l’UE s’apprêtaient à signer cet accord, des centaines de personnes, dont des enfants, demeuraient bloquées aux frontières désertiques du pays, initialement sans eau, nourriture, ni abri. (Amnesty international, 17 juillet 2023)

Le président tunisien Kaïs Saïed, qui s’est arrogé la majorité des pouvoirs par référendum le 25 juillet 2022, multiplie les propos racistes et xénophobes et encourage les agressions des migrants, particulièrement les noirs, accroissant dans le même temps l’oppression des 10 à 15 % de Tunisiens noirs. L’économie tunisienne est l’une des plus fragilisées par la crise du Covid-19, le manque d’emplois et les pénuries alimentaires qui en ont résulté incitent la classe dirigeante à en accuser les migrants noirs. D’autant que les aides économiques octroyées par le FMI et l’UE exigent des « restructurations », c’est-à-dire de nouvelles attaques contre la classe ouvrière locale ; dévier le mécontentement de la population vers les étrangers est une stratégie classique sous le capitalisme.

Le nouvel accord, signé le 16 juillet à Tunis par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, prévoit d’accroitre les moyens de la Tunisie pour empêcher les migrants de quitter son sol afin de gagner les rives européennes, et de faciliter les expulsions en faisant du pays une étape entre l’Europe et le pays d’origine. Ce programme sera financé par l’UE via une aide annuelle portée à 105 millions d’euros pour 2023. L’UE accorde également, en contrepartie, à la Tunisie d’intégrer le programme d’échange Erasmus, une enveloppe de 65 millions d’euros pour des écoles, de futurs projets d’un câble sous-marin pour la fibre optique (150 millions d’euros) et de l’électricité (307 millions d’euros).

L’UE a noué 25 accords avec d’autres pays africains portant sur la captation et la répression des migrants. L’agence Frontex bénéficie d’un budget annuel de 754 millions d’euros, le plus gros budget de l’UE. L’Europe des capitalistes c’est celle des frontières et des exactions.

Ces cinq dernières années, un certain nombre d’enquêtes ont montré que Frontex a violé les droits et la sécurité des migrants qui traversent la Méditerranée, notamment en aidant les garde-côtes libyens, financés par l’UE, à renvoyer des centaines de milliers de migrants en Libye, un pays dans lequel certains sont détenus, torturés ou exploités comme esclaves sexuels. (Le Monde, 6 septembre 2023)

Concernant les aides financières de l’UE aux économies africaines, elles n’améliorent en rien les conditions de vie des populations locales. Même les fonds destinés officiellement à financer des infrastructures sociales ou l’aide aux migrants sont en vérité confisqués en grande partie par la bourgeoisie locale et l’État lui-même, comme c’est le cas avec les accords UE-Turquie.

En Turquie, le candidat de l’opposition bourgeoise Kemal Kilicdaroğlu attaque Erdoğan sur la présence de millions de Syriens réfugiés dans le pays.

Les subventions de l’UE aux polices locales augmentent la surveillance des populations et la répression des contestations. Les gouvernements en place achètent des outils technologiques de pointe dans l’extraction de données des téléphones, de reconnaissance faciale, de contrôle biométrique, de drones, etc. Ces technologies de contrôle et de répression sont bien évidemment utilisées contre les migrants à la demande des capitalismes européens mais également contre la population locale à l’initiative des gouvernants sur place.

En réalité, avec ces mesures, l’UE mène de dangereuses expériences technico-politiques : elle équipe des gouvernements autoritaires d’outils répressifs qui peuvent être utilisés contre les migrants, mais contre bien d’autres personnes aussi. (Le Monde, 6 septembre 2023)

L’UE profite de ce matériel de surveillance installé aux postes frontières nationaux pour alimenter les bases de données policières comme celles des agences Interpol et Europol. Les photographies, données biométriques, empreintes digitales des migrants intra-africains viennent ainsi grossir les fichiers de surveillance des forces répressives internationales et européennes. L’UE expérimente dans les pays africains des technologies de surveillance encore interdites sur son propre sol.

Les organisations d’origine ouvrière et les syndicats de travailleurs doivent défendre ensemble les travailleurs quelles que soient leur origine ou leur situation et exiger :

  • L’abrogation de tous les dispositifs et lois anti-étrangers,
  • La régularisation de tous les travailleurs et étudiants étrangers
  • Les mêmes droits pour tous les travailleurs
  • La libération de tous les immigrés sans papiers et la fermeture des centres de rétention
  • L’ouverture des frontières aux réfugiés, la liberté de circulation et d’installation de tous les travailleurs et étudiants étrangers.

16 septembre 2023