Gabon : l’impérialisme français perd pied en Afrique

Un pays riche en matières premières

Le Gabon est un pays de 2,3 millions d’habitants, de 268 000 kilomètres carrés, dont 88 % sont occupés par la forêt.

Cette forêt fait l’objet d’une exploitation capitaliste de plus en plus importante pour fournir des essences de bois rares aux marchés européen et chinois. C’est aussi un pays riche en minerais et en pétrole même si le gisement d’uranium est épuisé et si les puits de pétrole s’appauvrissent de jour en jour. Le groupe capitaliste français Total, pour cette raison, opère doucement son retrait. Néanmoins, en 2020, selon la Banque mondiale, cette ressource a encore représenté 38,5 % du PIB et 70,5 % des exportations.

C’est un pays à l’économie arriérée, dominé par diverses puissances impérialistes qui se disputent ses richesses avec la complicité d’une bourgeoisie compradore.

L’indépendance de 1960 a une portée limitée

En 1960, le pays devient indépendant. L’État français cherche à maintenir par tous les moyens (dont peu sont démocratiques) son influence sur son ex-empire colonial et à bloquer, avec l’aide américaine, les avancées en Afrique de l’Union Soviétique. Le Gabon devient un des rouages de la politique néocoloniale pratiquée par Charles de Gaulle et Jacques Foccart, un gangster qui a la main sur la diplomatie et les services secrets français en Afrique et qui s’enrichit au passage (la corruption n’est pas réservée aux politiciens bourgeois des pays dominés). Tout commence avec le premier président, Léon Mba, désigné par l’État français. Après avoir truqué l’élection de 1964, il est renversé par l’armée gabonaise qui remet le pouvoir au candidat battu. L’armée française intervient pour rétablir Mba.

Omar Bongo porté au pouvoir en 1967 par de Gaulle

Quand Mba tombe malade, l’Élysée le remplace par Omar Bongo, ancien membre des services secrets français. Puis des mercenaires français assassinent Mba en 1970. Foccart met en place un système à l’avantage exclusif de l’impérialisme français. Les grandes firmes capitalistes françaises comme Elf Aquitaine (absorbé en 2000 par Total) et Areva (aujourd’hui Orano) figurent parmi les principaux bénéficiaires. Accaparant une partie de la rente pétrolière, une bourgeoisie gabonaise s’enrichit sans créer pour autant d’entreprises capitalistes d’envergure. Le Gabon sert de base arrière à l’armée française et aux mercenaires français (bien avant Wagner !) pour intervenir au Nigeria (ancienne colonie britannique) et au Bénin (ex-Dahomey).

À sa mort en 2009, l’époque de l’exclusivité impérialiste française est révolue depuis longtemps. Après la disparition de l’Union soviétique en 1991, les États-Unis n’ont plus besoin de la France comme gendarme de l’Afrique.

Le coup d’État d’aout

Ali Bongo préside le Gabon depuis 2009 à la suite de la mort de son père Omar. Déjà à l’époque, il l’a emporté sur fond de suspicions de fraudes. Il est réélu dans les mêmes circonstances en 2016, à l’issue d’un scrutin inhabituellement serré pour le pays, conduisant à une grave crise politique. Sa présidence, durant ces quatorze années, est marquée par une instabilité ministérielle chronique ainsi que par un grave accident vasculaire cérébral en 2018, à la suite duquel il manque une première fois d’être renversé par une tentative de coup d’État.

Sous son règne, le Gabon tend à diversifier ses partenaires culturels et économiques.

Sacrilège ! Deux anciennes colonies françaises, le Gabon et le Togo, ont rejoint le Commonwealth. L’organisation se compose d’une cinquantaine de pays, en majorité d’anciennes colonies britanniques ayant pour point commun d’entretenir de forts liens historiques et culturels avec la couronne britannique. (Les Échos, 27 juin 2022)

Ali Bongo fait rentrer dans le jeu des groupes capitalistes d’autres pays comme le singapourien Olam et le chinois Honest Timber. Il menace en 2014 Total d’un redressement fiscal de 585 millions d’euros (« le litige s’est réglé à l’amiable, comme toujours d’ailleurs avec nos amis africains », explique peu après Patrick Pouyanné patron de Total).

Le 17 mars 2023, les chefs d’état d’Afrique centrale se réunissent pour desserrer le contrôle de la Banque de France sur le franc CFA de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (distinct du franc CFA de l’Union économique et monétaire ouest-africaine à laquelle se rattache le Niger).

En aout 2023, Bongo fils concourt pour un troisième mandat consécutif. Or, à la proclamation des résultats de l’élection, très certainement truquée, il ne faut que quelques minutes pour qu’une dizaine de militaires fassent irruption à la télévision, dans la nuit du mardi 29 au mercredi 30 aout, et proclame la dissolution de « toutes les institutions de la République » et la « fin du régime ». Réunis au sein d’un « Comité pour la transition et la restauration des institutions » (CTRI), ces gradés, issus de différents corps de l’armée, justifient leur coup de force sur la chaine Gabon 24, abritée au sein de la présidence, en invoquant « la grave crise institutionnelle, politique, économique et sociale » que traverse le pays.

À l’issue du coup, le chef de la garde républicaine, le général Brice Oligui Nguem supplante Bongo. Il suspend l’ensemble des libertés démocratiques et nomme un « gouvernement de transition » pour les deux prochaines années. Vu la domination du pays, la corruption et le trucage électoral du président destitué, l’absence de solution civile progressiste, une partie de la population se fait, pour l’instant, des illusions dans la junte.

Un nouveau revers pour l’impérialisme français

La victoire des putschistes peut signifier la chute d’un « ami de la France », que Macron était allé soutenir en mars lors d’un sommet écologique à Libreville. Elle peut menacer à moyen terme la présence de la base militaire de la France, l’une des quatre installations permanentes prépositionnées sur le continent, avec ses 400 soldats d’élite. Enfin, elle peut faire peser une menace sur la présence économique au Gabon, où sont installées une centaine d’entreprises françaises. Cela dit, le gouvernement français ne s’indigne pas du renversement du président et condamne mollement le coup d’État (tout comme l’Union africaine et l’Union européenne) car le nouveau président ne semble pas être frontalement opposé à l’ancienne puissance coloniale comme l’est à contrario la junte nigérienne ou malienne.

Mais les mêmes causes produisent les mêmes effets dans l’ex-zone coloniale française. Les peuples d’Afrique de l’Ouest, et le Gabon n’y dérogent pas, ils ne supportent plus la domination de l’ancienne puissance coloniale.

Les États-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne, l’Inde, l’Allemagne, l’Italie, la Turquie avancent leurs pions, avec les mêmes buts et les mêmes méthodes (moins le handicap du passé colonial).

Le déclassement de l’impérialisme français ne date pas d’hier mais il prend une dimension plus intense depuis 2020. Dès les années 2010, le continent ne compte plus que pour 3 % dans le commerce extérieur français contre 40 % dans les années 1960. À partir de la crise ivoirienne de 2011, le retrait des entreprises françaises s’accélère. Du fait de la concurrence d’entreprises de BTP chinoises, Bouygues s’est désengagé du Sénégal, du Cameroun, du Nigeria et de Djibouti.

Quelle perspective pour les masses laborieuses ?

Il ne peut pas y avoir de réelle indépendance au Gabon et une perspective socialiste en Afrique de l’ouest sans infliger des coups à l’impérialisme français. C’est pourquoi il est du devoir du mouvement ouvrier français (partis politiques et syndicats) d’exiger le retrait immédiat des troupes françaises du Gabon, la fermeture de la base qui les accueille.

Pour autant, les reculs français ne sont pas forcément une avancée pour les travailleurs du pays et du continent. Le coup d’État militaire, préparé par une faction de la bourgeoisie gabonaise qui ne voulait plus du clan Bongo à sa tête, ne résout en rien les problèmes fondamentaux des salariés, des travailleurs du secteur informel des villes et des paysans.

En effet, l’exploitation capitaliste pèse de plus en plus fortement sur eux au fur et à mesure des crises économiques et de l’accroissement des rivalités entre grandes puissances. La prise du pouvoir par un général, la suspension des libertés démocratiques sont dangereuses. Les rivaux de l’impérialisme français, avec la complicité de la bourgeoisie nationale, sont prêts à fondre sur le pays pour le piller et l’asservir.

Au Gabon, la classe ouvrière doit aussi apparaitre comme classe pour soi, indépendamment de la bourgeoisie, de toutes ses fractions. Elle doit lutter contre les exploitations et les oppressions, contre l’immixtion de toutes les puissances impérialistes, défendre les libertés démocratiques, s’organiser contre la junte qui vient de prendre le pouvoir au compte de la bourgeoisie nationale.

Pour l’avenir des peuples africains, il faut ouvrir la perspective des États-Unis socialistes d’Afrique par la révolution ouvrière et paysanne, arracher le pouvoir aux bourgeoisies compradores en uniforme ou en civil. Pour y parvenir, la reconstruction d’une internationale ouvrière, la construction d’un parti communiste révolutionnaire au Gabon et dans chaque État sont indispensables.

14 septembre 2023