Après la seconde guerre mondiale, la production de plastique provient majoritairement du pétrole et du gaz naturel. Elle connait un véritable essor, avec la baisse des coûts d’extraction de l’industrie pétrolière. Plusieurs nouveaux produits sont inventés (Rilsan, Formica, polyester). Le plastique s’impose dans de nombreux secteurs (habits, alimentation, bâtiments, transports) grâce aux multiples avantages liés à ses propriétés physiques, dépassant alors les matériaux naturels comme le bois.
Une production de plastique qui s’envole au 20e siècle
Sa production mondiale, de 2,3 millions de tonnes (Mt) en 1950, croît de façon exponentielle pour atteindre 162 Mt en 1993, et 448 Mt en 2015. Entre 2000 et 2019, elle double et passe à plus de 460 Mt (Rapport « Perspectives mondiales des plastiques », OCDE, 2022).
Sur la même période, la hausse du volume des matières plastiques dépasse de 40 % la croissance économique. Les deux tiers sont consommés dans les pays de l’OCDE et la Chine, pour l’emballage (31 %), la construction (17 %), et les transports (12 %). Les projections de production des marchés capitalistes prévoient un triplement pour les prochaines décennies avec 1 200 Mt en 2060 (+3 %/an). Autant dire qu’avec une telle perspective de production, les entreprises privées leaders du domaine n’envisagent pas de se passer de cette matière, quel qu’en soit le coût pour l’environnement, et malgré les discours gouvernementaux pro-bourgeois sur la baisse de son usage.
La courbe de production des déchets plastiques suit la même tendance. En vingt ans, elle est passée de 156 Mt à 353 Mt. L’estimation pour 2060 est de 1 014 Mt. Le mode de production capitaliste, par nature anarchique, conduit inévitablement au gaspillage. Les profits sont sa seule boussole. Près de 66 % de ces déchets proviennent d’usages dont la durée de vie est inférieure à 5 ans (emballages, produits de consommation, textiles), dont 40 % dits à usage unique.
Au niveau mondial, vingt entreprises sont responsables à elles seules de 55 % des déchets plastiques avec en tête deux multinationales américaines ExxonMobile, Dow Chemical, et une chinoise, Sinopec, d’après le rapport «Plastic Waste Makers Index» de la fondation Minderoo du 18 mai 2021.
Vingt gestionnaires d’actifs institutionnels (dont Black Rock, Capital Group, Vanguard Group) détiennent plus de 300 milliards de dollars d’actions de ces sociétés productrices de plastiques.
Le 30 mai 2021, le porte-conteneurs X-Press Pearl prenait feu à quatorze kilomètres des côtes du Sri Lanka, déversant plusieurs dizaines de tonnes de produits chimiques dont des millions de granulés de polyéthylène destinés à l’industrie de l’emballage. Les plages sont alors submergées de produits toxiques, pour au moins une décennie. Pendant les jours suivants, tous les bateaux sont sommés de rester à quai avec interdiction de pêcher dans un rayon de quatre-vingts kilomètres. Une catastrophe pour l’économie locale.
Le 7e continent, l’océan-poubelle
Cet événement accidentel, cache une pollution plus insidieuse, due aux déchets plastiques rejetés dans l’environnement. En 2019, 6,1 Mt ont fini dans les milieux aquatiques (rivières, lacs, océans), et 139 Mt s’y sont déjà accumulés au fil des dernières décennies. Chaque minute, c’est un camion-poubelle qui se déverse dans les océans, dont la partie la plus visible et médiatisée est celle qui s’échoue sur les plages où le plastique constitue 73 % des déchets. 80 % des déchets plastiques retrouvés dans les eaux du globe proviennent des terres par drainage dû aux pluies et au vent dans les fleuves.
En 1997, Charles J. Moore, océanographe et navigateur, met en évidence, dans le pacifique nord, une gigantesque plaque de matières plastiques de 3,5 millions de kilomètres carrés, soit six fois la surface de la France. Surnommée « Great Pacific Garbage Patch » (« la grande poubelle du pacifique ») ou le « 7e continent », ces amas de déchets de tout type (sacs, filets, bouteilles, bidons) proviennent à 90 % du polyéthylène (PE). Ces plaques de déchets se constituent au sein de zones de convergences de courants marins (gyres ou vortex). Mesurant des dizaines de mètres d’épaisseur, ces plaques pèsent près d’un million de tonnes (six fois plus que celle du plancton) et renferment des débris plastiques inférieurs à 5 mm de diamètre. En 40 ans, la concentration de microplastiques a été multipliée par 100 dans le Pacifique Nord selon une étude de chercheurs de l’Université de Californie de San Diego.
Depuis, ce sont 5 autres zones de gyres océaniques qui ont été découvertes. Aucun océan du globe n’est épargné. La Méditerranée, mer semi-fermée, est la plus polluée au monde. Elle contiendrait 247 milliards de particules et 23 150 tonnes de déchets plastiques. Un désastre écologique dont la présence va persister pendant plus d’un siècle, le taux de renouvellement des eaux étant de 90 ans. D’autant que cette quantité apparente, car en surface, est infime au regard des plus de 99 % qui tombent au fond des océans car inférieurs à 300 microns (et 80 % inférieurs à 100 um), soit 1,9 million de particules par mètre carré.
Le plastique, une menace pour la vie animale et humaine
Ces microplastiques, dégradés par les ultraviolets du soleil, détruisent la biodiversité. Ils sont notamment ingérés par les organismes vivants des milieux marins (poissons, oiseaux), d’autant que le plastique contient beaucoup d’additifs eux-mêmes toxiques, qui renforcent sa nocivité pour la santé. Environ 700 espèces d’animaux marins en ont déjà ingéré, ou ont été piégés. La pollution plastique cause la mort chaque année, de 1,4 million d’oiseaux et 14 000 mammifères marins.
La santé humaine est également menacée à cause des éléments chimiques composant cette matière, source de perturbateurs endocriniens et de polluants organiques persistants. Une étude de chercheurs néerlandais, publiée le 24 mars 2022, a révélé la présence de microplastiques dans le sang humain de personnes en bonne santé, qui confirme une observation déjà réalisée chez l’animal. Cinq polymères couramment utilisés au quotidien (bouteilles, textiles, contenants alimentaires) y sont identifiés. Il est estimé que 5 g sont absorbés en moyenne par semaine en buvant de l’eau en bouteille (PET). Près d’un produit sur deux à l’hôpital est composé de plastique (PVC), et la phthalate s’y retrouve à 80 % dans les poches de sang.
Compte tenu de l’impact des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine et sur l’environnement, leur ubiquité ne peut que susciter des craintes. En effet, il existe désormais un fort niveau de preuves sur leur rôle dans le développement de l’obésité, du diabète, de cancers hormono-dépendants, d’effets thyroïdiens, neurodéveloppementaux et neuroendocriniens. Ils altèrent également la fonction de reproduction autant chez l’homme que chez la femme. (Sénat, Rapport, 10 décembre 2020)
Les sols seraient, eux, encore vingt fois plus pollués que les océans, les produits de l’industrie agro-chimique comme les engrais étant encapsulés dans du plastique. Les eaux usées sont contaminées lors du lavage des textiles et 80 % de résidus de plastique se retrouvent dans les boues d’épuration ensuite répandues dans les champs, affaiblissant au passage la fertilité des sols. Ce sont 100 000 tonnes de microplastiques rejetés dans les sols par an en France (Rapport parlementaire du Sénat du 10 décembre 2020).
L’empreinte carbone du cycle de vie des plastiques est évaluée à 3,4 % des émissions mondiales des gaz à effet de serre, soit 1,8 gigatonne (Gt) en 2019.
L’illusoire recyclage, sans s’attaquer aux entreprises polluantes
Face à un tel désastre et ses conséquences sur les organismes vivants, les gouvernements bourgeois tentent de mettre en place des politiques de recyclage pour limiter les rejets dans la nature.
Seulement, parmi les déchets, seuls 9 % sont recyclés, 19 % sont incinérés, 50 % finissent dans des décharges contrôlées. Mais 22 % sont abandonnés dans des décharges sauvages, brulés à ciel ouvert ou rejetés dans l’environnement. L’immense majorité (88 %) est constituée de macroplastiques (collecte inadaptée), le reste (12 %), les microplastiques (diamètre inférieur à 5 mm), produit de leur usage (usure des freins, abrasion des pneus, lavage des textiles).
Depuis 1980, le taux de recyclage au Etats-Unis est passé de 5 % à 7 %. En Allemagne et en Espagne, seuls 4 % des pots de yaourts sont ré-utilisés. La France, avec un taux de recyclage de 24,2 % en 2018, est en dessous de la moyenne en Europe (50 %), et loin de l’ambition gouvernementale de 100 % en 2025.
La logique de la rentabilité capitaliste fait que la production de plastique à partir du recyclage reste plus couteux qu’avec des résines vierges. De plus, de nombreux polymères se dégradent mal ou pas du tout lors du processus de recyclage, qui ne change en rien la nature du produit final, qui reste aussi un polymère. En outre, la législation qui a interdit des substances utilisées par le passé n’imposent aucune dépollution aux industriels qui les produisaient. A l’échelle mondiale, le taux de recyclage pour 2060 est estimé à 17 % (Rapport de l’OCDE, 2022). Mais avec une production de plastiques par les multinationales du secteur qui va tripler, la résolution des politiques bourgeoises à éradiquer ce fléau est bien faible. Autant écoper un navire avec une cuillère.
L’Asie est devenue la région majoritaire dans la production mondiale de plastique en 2018 (51 %), dont 30 % rien qu’en Chine. L’Asie du Sud-Est et le Pacifique sont les zones géographiques produisant le plus de déchets, soit 57 millions de tonnes (Rapport parlementaire du Sénat, 10 décembre 2020).
Les pays impérialistes produisent plus de déchets plastiques que les pays dominés. L’Allemagne, par exemple, en produit dix fois plus par habitant que le Mozambique. L’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada, Bermudes) ne représente que 5 % de la population mondiale, mais 14 % des déchets de toute nature, soit 289 millions de tonnes, dont 12 % provenant des plastiques soit 35 millions de tonnes.
Les promesses intenables des classes dirigeantes
Pour le système capitaliste, tout objet est voué à être transformé en marchandise, et les déchets plastiques ou non, n’y échappent pas. Un véritable marché d’exportations des détritus générés dans les pays dominants s’est constitué, dont 72,4 % sont envoyés en Chine et à Hong-Kong. Le Japon (925 900 tonnes), les Etats-Unis (811 400 t) et l’Allemagne (701 500 t) sont les 3 plus gros exportateurs. La France arrive 5e avec 404 000 tonnes. En 2017, le gouvernement chinois a mis en place des mesures restrictives sur l’importation de plastique non industriel à travers son programme « National Sword ». Depuis, les importations se sont déplacées vers des pays comme la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam qui n’ont pas les infrastructures pour recycler ces déchets.
Récemment, la fuite d’une lettre du directeur du commerce international de l’American Chemistry Council révélait que les États-Unis, par le biais d’un accord commercial, essayaient de convaincre le Kenya d’accueillir une partie de leurs déchets plastiques.
Des contrats passés en mars 2023 par les cuisines de l’Élysée avec 3 fournisseurs révèlent que la fin du plastique jetable n’est pas à l’ordre du jour, malgré les propos de Macron (« Il n’y a pas de temps à perdre ») lors de l’ouverture le 29 mai 2023 de la deuxième session du comité intergouvernemental de négociations sur un traité sur la pollution plastique.
Ce sont 800 000 articles de cuisines à usage unique qui pourraient être livrés au cours des 4 prochaines années (rouleaux de films alimentaires, sacs de cuisson sous vide, barquettes de cuisson) en se basant sur une estimation de commande, incluse dans le marché (Le Monde, 4 septembre 2023). 17 des 30 références du cahier des charges contiennent du plastique. Même s’il parle pour la galerie d’« une bombe à retardement » (Macron, 29 mai 2023), l’État bourgeois donne la pleine mesure de son incapacité à répondre aux enjeux de la catastrophe en cours.
L’impact de la production capitaliste sans limites entraine l’humanité vers la destruction de l’environnement, visible déjà à travers deux phénomènes que sont le plastiglomérat (roche non naturelle d’agrégats de plastiques fondus au sud de Hawaï) et la plasticroûte (roche incrustée de plaques de vernis en plastique sur l’ile de Madère).
En plus des enjeux climatiques, l’urgence de la révolution sociale mondiale se mesure chaque jour face à un capitalisme porteur de catastrophes de plus en plus certaines. Celle de la destruction de l’environnement par les déchets plastiques illustre une fois encore que confier la production aux intérêts de la bourgeoisie précipite l’humanité dans le mur.
Les pollutions, le réchauffement climatique n’ont pas de solution dans le cadre étroit des États bourgeois nationaux, et les luttes inter-impérialistes constituent de plus un obstacle à leur résolution, voire les exacerbent, les approfondissent.
Les travailleurs et les jeunes en formation ne peuvent pas limiter leur réflexion, ni leur action dans une logique bornée et nationaliste mais doivent rejoindre les communistes authentiquement internationalistes, seuls capables de prendre la tête de la révolution mondiale pour imposer l’expropriation des capitalistes.
La conquête du pouvoir et la constitution d’un gouvernement ouvrier est le passage obligé à l’établissement de conditions d’une production débarrassée de l’exploitation par une minorité, de l’aliénation du fétichisme de la marchandise, et uniquement dictée par la satisfaction des besoins de l’humanité.