Niger : pour la fermeture des bases militaires françaises et américaines !

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Nous ne renonçons pas au droit d’opposer un impérialisme contre un autre et d’utiliser leurs antagonismes, mais seul un gouvernement révolutionnaire du peuple est capable de le faire sans devenir l’instrument d’un impérialisme contre un autre. (Trotsky, 11 aout 1937)

Au Niger, le 26 juillet 2023, au petit matin, la garde présidentielle commandée par le général Abdourahamane Tiani, séquestre le président Mohamed Bazoum, élu en 2021, à l’intérieur de la résidence présidentielle, à Niamey. Des troupes prennent position à des endroits stratégiques de la capitale.

L’influence de l’impérialisme français s’effondre au Sahel

Le coup d’État de juillet au Niger vient après une série d’autres, au Mali en aout 2020 et mai 2021, en Guinée en septembre 2021, au Burkina Faso en janvier et septembre 2022. Il précède celui du Gabon d’aout 2023. Ce que l’impérialisme français considérait comme son « pré carré » s’effondre comme un château de cartes, ce qui affaiblit son État en France comme dans le reste du monde.

26 juillet, Niamey, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie apparait sur Télé Sahel

Peu après le putsch, l’état-major se réunit le 26 juillet dans une caserne et crée le « Conseil national pour la sauvegarde de la patrie » (sic).

Nous, Forces de défense et de sécurité réunies au sein du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), avons décidé de mettre fin au régime que vous connaissez. Cela fait suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale. (CNSP, Communiqué, 26 juillet 2023)

Le Niger est le 4e producteur mondial d’uranium, avec 4 gisements dans le nord-ouest :

  • un site à Azelik relève d’une coentreprise entre l’État et les groupes capitalistes chinois CNCC et ZXJOY ;
  • celui d’Akouta est épuisé mais en cours de réhabilitation et de dépollution, celui d’Arlit tourne à plein, celui d’Imourarem est encore à l’étude, tous les trois sont aux mains d’une coentreprise entre l’État et le groupe capitaliste français Orano (ex-Areva, ex-Cogema).

85 % de la population n’a pas accès à l’électricité. Le groupe chinois Gezhouba (CGGC) construit actuellement le barrage de Kandadji qui devrait doubler la production d’électricité, tandis que le groupe chinois CMB a déjà livré une cimenterie à Badaguichiri.

L’extraction et le raffinage de pétrole d’Agadem (sud-est nigérien) sont confiés à une coentreprise entre l’État et la multinationale chinoise CNPC. La CNPC construit aussi un oléoduc de 2 000 km, le plus long d’Afrique, jusqu’au port de Sèmè-Kpodji (Bénin) destiné à exporter du pétrole brut.

La principale mine d’or est l’affaire d’une coentreprise entre l’État et la firme canadienne Endeavour.

Les putschistes misent, comme leurs homologues du Mali et du Burkina, sur le sentiment hostile à la France qui est l’ancienne puissance coloniale et la principale armée étrangère sur place.

Le gouvernement français refuse de reconnaitre les autorités issues du coup d’État, maintient son ambassadeur et ses troupes. Le gouvernement du Nigéria et plusieurs autres élus de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao/ECOWAS, à laquelle appartient le Niger) protestent contre le coup et menacent de rétablir le président élu, comme ils l’ont déjà fait.

Un front uni antiimpérialiste au service des généraux

L’Union sacrée pour la sauvegarde de la souveraineté et de la dignité du peuple (M62) nait en aout 2022 d’un bloc d’une « quinzaine d’organisations de la société civile ».

Les organisations de la société civile nigérienne appellent tous les syndicats, les organisations de la société civile, les universitaires, les hommes des médias, les transporteurs, les agriculteurs, les éleveurs et les leaders religieux à se joindre à elles pour la défense et la sauvegarde de la souveraineté et de la dignité du peuple dangereusement menacées. (M62, 2 aout 2022)

Un an plus tard, le M62 se rallie immédiatement au coup d’État.

Le M62 nourrit l’espoir que ce coup de force sera l’ultime opportunité de réparer les dérives du régime déchu et de restaurer la dignité du peuple nigérien. (Mahaman Sanoussi, secrétaire général du M62, 27 juillet 2023)

30 juillet, Niamey, manifestation convoquée par le M62 à l’ambassade de France / photo Balima Boureima

L’état-major et le M62 travaillent, pour l’instant, la main dans la main. Celui-ci appelle à une marche de soutien aux putschistes le 30 juillet à Niamey au cours de laquelle des centaines de jeunes scandent des slogans antifrançais et convergent vers l’ambassade de France.

De leur côté, les directions des syndicats de travailleurs salariés se prosternent devant la junte.

L’Union des Syndicats des Travailleurs du Niger félicite et apporte son soutien indéfectible au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) pour la dénonciation des accords de défense militaire avec l’État français. L’USTN encourage le CNSP à persévérer dans son combat patriotique de lutte contre l’insécurité et la sauvegarde de l’intégrité territoriale. (USTN, 13 aout 2023)

Certaines le font en compagnie d’une organisation de petits et grands patrons.

L’unité d’actions syndicales du Niger (UAS) composée de l’Alliance des Travailleurs du Niger (ATN), de la Convergence des Travailleurs du Niger (CTN), des Syndicats des Commerçants, Importateurs, Exportateurs et Grossistes du Niger (SCIEDN), de l’Intersyndicale des Travailleurs du Niger (ITN) a rappelé que l’ensemble du peuple Nigérien est debout derrière son armée et tient à saluer la décision digne, courageuse, fraternelle et panafricaniste des pays frères du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée-Conakry. (UAS, 2 aout 2023)

Le 11 aout, à l’appel du M62, plusieurs milliers de manifestants défilent devant la base militaire française avec des drapeaux nationaux et russes. Le 14 aout, la justice décide de libérer le coordonnateur du M62 du Niger, Abdoulaye Seydou.

Le 26 aout, le stade Seyni Kountche de Niamey (30 000 places) est rempli aux deux-tiers pour soutenir et écouter les généraux. Les drapeaux sont nigériens, russes et algériens.

Les islamistes du CUAFVC entrent en scène

1 septembre, Niamey, manifestation appelée par le CUAFVC


Les islamistes, peu actifs dans la rue jusqu’alors, tentent de rivaliser avec le M62. Leur Cadre unique d’action des forces vives du changement (CUAFVC) dont le chef est le Cheikh Djibril Soumaila Karanta, président de l’Association islamique du Niger (qui a reçu officiellement l’ambassadeur américain à son siège le 21 juillet 2021) convoque des manifestations dans le pays le 1er septembre.

La foule regroupée à l’Escadrille [la place à proximité de la base française] a exécuté une prière collective, certains sur leurs tapis et d’autres à même le sol. La finalité est d’implorer le Tout-Puissant en ce jour saint de l’Islam, pour protéger le Niger et son peuple des méfaits et des complots qui le visent. Ainsi, après cette prière, des oulémas se sont succédé sur le podium pour faire des prêches et éclairer la lanterne des manifestants sur le noble combat qui se fait depuis le 26 juillet par les Nigériennes et les Nigériens. (Office national d’édition et de presse, 3 septembre 2023)

Le porte-parole des bourgeois cléricaux enjoint à la population d’obéir à la junte militaire.

L’histoire nous enseigne qu’à chaque fois qu’un peuple et ses dirigeants font bloc autour de la défense des intérêts stratégiques, ils sortent victorieux face aux ennemis. C’est pourquoi le CUAFVC a invité toutes les forces vives de la nation à faire bloc derrière nos militaires regroupés au sein du CNSP. (Boulamine Moustapha, 1 septembre 2023)

L’histoire a surtout confirmé l’avertissement d’un dirigeant de l’Internationale communiste (1919-1923).

Quant aux États et nations arriérés, il faut tout particulièrement avoir présent à l’esprit… la nécessité de lutter contre le clergé et les autres éléments réactionnaires et moyenâgeux… ; contre le panislamisme et autres courants analogues…, contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés. (Vladimir Lénine, Première ébauche de thèses sur la question nationale et coloniale, 5 juin 1920)

Le lendemain 2 septembre, la manifestation du M62, plus massive, plus bruyante et plus jeune, encercle la base de l’armée française. Aucun orateur ne se soucie de la présence militaire américaine. Parmi eux, figure le ministre du commerce et de l’industrie nommé par la junte.

Présent à ce mémorable évènement révolutionnaire, le ministre du Commerce et de l’Industrie du Niger, M. Seydou Asman accompagné des opérateurs économiques, est venu, apporter son soutien… Et aucun nigérien ne doit rester à la traine dans cette marche vers la souveraineté. Pour le ministre cette mobilisation est le point de départ de la plus grande révolution de notre pays, parce que dit-il, beaucoup de choses vont être revues pour que ça puisse uniquement profiter au peuple. (Office national d’édition et de presse, 3 septembre 2023)

Dans son discours, la trésorière du M62 avalise la fable complotiste selon laquelle les djihadistes sont créés et armés par l’État français.

Nous nous sommes réunis ici, hommes, femmes, civils et militaires pour un seul objectif qui est le Niger… Ce ne sont pas ces terroristes qui nous combattent parce qu’ils ne peuvent pas faire ce massacre de centaines de morts civils et militaires… Ce terrorisme ne vient pas du ciel, ça ne pousse pas de la terre, ça a été créé par la France, autrement, nous ne pouvons pas comprendre quelqu’un qui n’a jamais été à l’école faire des armements, des munitions, faire des embuscades. (Souleymane Falmata Taya, 2 septembre 2023)

Loin des gestes médiatiques, l’extraction d’uranium par Orano continue.

Les autres puissances impérialistes jouent leur carte

L’impérialisme russe a pris pied au Centre-Afrique en 2018, au Mali en 2022. En retour, l’armée capitaliste privée Wagner pille les ressources naturelles, à son compte et à celui de l’État russe. Le 11 aout, la Russie met en garde contre toute tentative de déloger les putschistes.

La Chine est de plus en plus influente en Afrique, où elle dispose d’une base militaire. Elle est le premier fournisseur de biens au Niger et le deuxième investisseur derrière la France. Le gouvernement Xi est pris par surprise par le coup d’État, qu’il ne condamne pas. Le 4 septembre, à l’issue d’un entretien avec le premier ministre du gouvernement nommé par la junte, l’ambassadeur annonce que son pays est prêt à servir de médiateur.

Les États-Unis sont très présents militairement. Leur principale préoccupation est d’empêcher la Russie de supplanter la France. Le gouvernement Biden condamne le renversement du président, mais sans le qualifier de coup. Il poursuit, comme l’ONU, l’aide humanitaire. Le 7 aout, il envoie la vice-ministre des affaires étrangères (« sous-secrétaire d’État ») Nuland s’entretenir avec la junte à Niamey. Le 9 aout, le ministre des affaires étrangères Bliken rappelle à l’ordre le Niger, la Cedeao et la France en demandant une « résolution pacifique » de la crise.

L’Allemagne tente de prendre une place en Afrique. Le chancelier Scholz a ainsi visité, en mai 2022, le Niger, le Sénégal et l’Afrique du Sud, le ministre de l’économie, Habeck, s’est rendu en Namibie et en Afrique du Sud en décembre 2022, en février 2023 le ministre des finances, Lindner, est allé au Mali et au Ghana, etc. Après le coup, l’UE suit la France et décide de sanctions. Au fil du temps, la Suède et l’Allemagne se séparent de la France et se prononcent clairement contre toute intervention militaire, même africaine, une option que la France encourage. L’ambassadeur allemand n’est pas menacé d’expulsion.

Indépendance de classe et solidarité internationale des travailleurs !

Au Niger, la classe ouvrière doit apparaitre comme classe, lutter contre toutes les exploitations et oppressions, s’opposer à la réaction islamiste sous toutes ses formes, arracher la lutte contre l’impérialisme des mains des généraux corrompus et impotents. Pour y parvenir, la classe ouvrière a besoin de créer un parti ouvrier révolutionnaire dont les mots d’ordre immédiats seraient : :

  • Fermeture de toutes les bases militaires !
  • Aucune censure de la junte sur les informations !
  • Rupture des syndicats de travailleurs salariés avec la junte !
  • Création de milices ouvrières et paysannes contre les djihadistes et les menaces d’intervention !
  • Annulation de la dette publique envers le FMI, la BM, les grandes puissances !
  • Contrôle ouvrier sur la production et l’exportation d’or, d’uranium et de pétrole !

Dans les États voisins, les travailleurs doivent se lever pour protéger le peuple nigérien et ouvrir la voie, avec eux, d’une véritable démocratie basée sur les conseils ouvriers et paysans :

  • Aucune menace d’intervention militaire de la Cedeao au Niger !
  • Fin immédiate des sanctions !
  • Dehors, toutes les troupes étrangères !
  • Abolition des frontières coloniales par une fédération socialiste d’Afrique du Sahel !

En France, dans un pays où la classe ouvrière comporte des milliers de travailleuses et travailleurs d’origine nigérienne (et où des centaines de jeunes nigériens étudient), les partis ouvriers, les syndicats de salariés et les syndicats étudiants doivent prendre position contre leur bourgeoisie rapace et son gouvernement :

  • Retrait des troupes françaises du Niger ! Fermeture de toutes les bases militaires françaises !
  • Fin des sanctions contre le Niger ! Annulation de la dette envers les banques et l’État français !
  • Liberté de circulation et d’établissement des travailleurs et étudiants nigériens !

9 septembre 2023

Collectif révolution permanente (Argentine, Autriche, Espagne, France, Turquie)