De la paupérisation organisée des travailleurs de l’enseignement à la concurrence entre établissements et à la division entre enseignants
Les rémunérations des travailleurs de la fonction publique ont été si bien bloquée par les gouvernements successifs que, en 1980, le salaire enseignant en début de carrière représentait 2,3 fois le smic et en 2020 1,2 seulement. Depuis, l’inflation s’est accélérée.
En course pour un second mandat, Macron promet bien une petite revalorisation de 10 % pour les enseignants, bien inférieure aux pertes cumulées de pouvoir d’achat. Cependant, il précise tout de suite que les 850 000 professeurs ne seront pas tous concernés.
Difficile de dire qu’on va mieux payer tout le monde, y compris ceux qui ne sont pas prêts à davantage s’engager ou à faire plus d’efforts. (Macron, Les Échos, 17 mars 2022)
Gagnant le second tour contre Le Pen avec le soutien des partis « réformistes » (PS, PCF, LFI) et des principaux chefs syndicaux (dont la FSU et l’UNSA), Macron nomme Pap Ndiaye à l’Éducation nationale et reprend l’offensive contre le droit aux études et les travailleurs de l’enseignement public : contreréforme des lycées professionnels, recrutement de contractuels, service national universel (SNU) à l’école, attaque contre la formation initiale et mise en place du conseil national de la refondation (CNR)…
Devant les recteurs, le président veut permettre de « bâtir un projet au niveau de l’établissement » des 1er et 2nd degrés, « des projets innovants » liés au CNR dotés d’un budget de 500 millions d’euros sur cinq ans. Il confirme vouloir « donner plus d’autonomie aux établissements dans leur organisation, dans les recrutements, plus de liberté aux professeurs ». Les chefs d’établissements scolaires pourraient recruter eux-mêmes sur la base du projet ! Dans le même temps, une augmentation de salaire est annoncée ainsi qu’un « pacte de rémunération supplémentaire » pour ceux qui s’investissent « dans le suivi individualisé, dans des missions supplémentaires, dans des tâches d’encadrement » (vie-publique.fr, 25 aout).
Le 8 septembre, Macron en personne lance le « CNR Éducation ». Il s’appuie sur l’expérimentation de « l’école du futur » lancée à la rentrée de l’année scolaire 2021-2022 à Marseille avec l’appui de la municipalité (un maire « divers gauche » soutenu par le PS, le PCF et LFI).
C’est le maire de la ville, Benoît Payan, qui le dit : « On est en train de fabriquer à Marseille quelque chose d’unique. Avec le président de la République, on ne se soutient pas mutuellement, mais on a un intérêt commun ». (Les Échos, 2 juin 2022)
Même si les chefs syndicaux refusent prudemment de se compromettre dans le CNR, ils n’engagent aucune lutte pour exiger le retrait du plan annoncé le 25 aout.
La négociation de la rémunération « associée au pacte »
Au contraire, le 3 octobre, toutes les directions syndicales se rendent aux concertations sur les salaires autour d’une augmentation « socle » (pour tous) et du « pacte » (pour les volontaires). Le ministre confirme que « ces échanges portent à la fois la rémunération socle… et la rémunération associée au pacte. » (France Inter, 3 octobre 2022).
Les négociations durent plusieurs semaines. Cela n’empêche pas les chefs syndicaux de feindre la surprise quand un « projet de décret » prévoit « de créer une prime pour les professeurs participant à un projet CNR » (Le Monde, 6 décembre 2022). En outre, Ndiaye annonce une « nouvelle 6e » avec « l’instauration d’une heure de soutien ou d’approfondissement en maths ou en français » qui « se traduira par la suppression d’une heure de technologie dans l’emploi du temps » (Le Monde, 12 janvier 2023).
Alors que l’attaque centrale contre les retraites est lancée le 10 janvier, la « concertation » contre les salaires et les droits des professeurs se poursuit tranquillement. FO et CGT finissent par bouder les « groupes de travail » du gouvernement, sans engager pour autant de combat pour le boycott. Le 2 février, après 5 mois de palabres, Pap Ndiaye dévoile qu’« un volume horaire d’environ soixante-douze heures en plus » (France inter, 2 février) permettra de gagner 3 750 euros brut par an (soit 1 250 euros pour 24 heures supplémentaires, 1 à 3 fois par an). Les « nouvelles missions » sont le « remplacement de courte durée » (dans le secondaire prioritairement), l’aide en français et mathématiques en 6e (pour les professeurs des écoles prioritairement), la coordination de « projets CNR », la prise en charge de « devoirs faits » (collège) et des « vacances apprenantes » (stages de remise à niveau). Dans les lycées professionnels, le « pacte » est de 144 heures d’un bloc (soit 7 500 euros brut) pour soumettre les élèves à une plus grande exploitation.
Selon le rapport 2022 de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), la moitié des enseignants travaillaient déjà au moins 43 heures par semaine. La moitié déclarait en 2022 « un sentiment d’épuisement professionnel élevé ».
FSU, Se-Unsa et Sgen-CFDT participent jusqu’au 6 mars. Le « dialogue social » fonctionne : les syndicats accompagnent les mesures du pouvoir au lieu d’engager la lutte pour rattraper la perte de pouvoir d’achat. Pour 850 000 enseignants, 3 milliards d’euros sont prévus l’an prochain.
Le pacte, quant à lui, a fait l’objet de longues discussions avec les organisations syndicales. S’il est vrai que ces dernières critiquent le projet, à tel point qu’elles ont quitté la table des négociations le 6 mars dernier, nous avons au préalable échangé et négocié avec elles pendant des dizaines d’heures, sur la revalorisation socle comme sur le pacte. (Ndiaye, vie-publique.fr, 4 avril)
Pour le socle, 2 milliards d’euros sont budgétés en 2024 soit une prime de 100 euros (ISAE, ISOE) pour tous et une part variable selon l’ancienneté. Pour les plus jeunes, une hausse de salaire dégressive de 230 euros mensuels (pour les débutants) à 30 euros (pour une dizaine d’années de carrière). Seul un tiers des enseignants sont concernés. Très loin de compenser les 6 % d’inflation depuis plus d’un an.
Le milliard prévu pour les « pactes » va inéluctablement diviser les enseignants si tant est que les volontaires se bousculent. À coup sûr, les femmes seront les premières touchées. Elles gagnent déjà 14 % de moins que les hommes dans l’enseignement. Avec la double journée de travail pour les enfants et la maison, beaucoup d’entre elles renonceront aux « pactes ». Toutefois, une part de volontaires existera surement et leurs « nouvelles missions » disloqueront les collectifs de travail des 1er et 2nd degrés.
Le 20 avril, Macron parade : « J’assume ce choix d’un investissement un peu différencié pour ceux qui font des efforts supplémentaires et systématiques » (Le Monde, 21 avril). Les inspecteurs et chefs d’établissements sont chargés de recruter, moyennant une prime de 1 000 euros. Les directrices et directeurs d’école deviennent aussi des recruteurs. Leur statut, avec la publication des décrets de la loi Rilhac, après « concertation » avec les chefs syndicaux le 29 mars, inclut désormais une « autorité fonctionnelle ».
Pour empêcher la dislocation et la division : rompre avec le gouvernement, préparer la grève générale
Les chefs syndicaux, dans la confidence depuis des mois, laissent les enseignants isolés les uns des autres. Ils se comportent non en adversaires, mais en conseillers du gouvernement.
Madame la première ministre, monsieur le ministre de l’Éducation nationale, nous vous demandons de vous saisir de ces enjeux importants qui conditionnent l’avenir de notre pays au travers des personnels de l’éducation et de prendre les mesures à la hauteur. (CGT, SUD Éducation, FSU, FO, UNSA Éducation, Snalc, Sgen-CFDT, fsu.fr, 12 avril)
Macron, Borne et Ndiaye sont des ennemis. Deux ans de plus de travail avant la retraite se conjuguent avec « travailler plus pour gagner plus » dans l’Éducation nationale.
La première chose à faire est de rompre avec ce pouvoir au service des capitalistes. D’ici la rentrée, au sein des syndicats et dans les établissements, les travailleurs de l’enseignement doivent tirer le bilan du mouvement de défense des retraites et s’organiser pour refuser que l’intersyndicale continue à s’associer aux plans gouvernementaux.
Il faut s’organiser contre la cogestion et les journées d’action de 24 heures impuissantes qui conduisent à chaque fois à la défaite. C’est une grève de masse, majoritaire et totale, qui empêchera les projets réactionnaires, qui vaincra le gouvernement, qui arrachera les revendications. En s’organisant dans une tendance intersyndicale et dans des comités d’action, en se joignant à la construction d’une organisation communiste révolutionnaire, les travailleurs et travailleuses de l’enseignement et de la recherche peuvent arracher une revendication unifiant les exploités : 400 euros d’augmentation pour tous et indexation des salaires à l’inflation. Pour garantir l’échelle mobile des salaires, la liberté pédagogique et le droit à la formation de la jeunesse, pour expulser de l’enseignement le patronat et l’Église catholique, il faut poser la question du pouvoir, d’un gouvernement des travailleurs renversant le capitalisme et ouvrant la voie au socialisme.