En fait, le syndicalisme du début du 20e siècle se trouve éclaté entre un syndicalisme de métier qui accepte le cadre du capitalisme et refuse toute action politique (AFL américaine…), un syndicalisme révolutionnaire hostile aussi à l’action politique mais qui prône la révolution sociale (IWW américains, CGT française, CNT espagnole, USI italienne, FOCh chilienne…), un syndicalisme lié aux partis politiques ouvriers (Belgique, Allemagne, Australie, Grande-Bretagne…), un syndicalisme clérical (Belgique, Italie, France, Allemagne…).
Les différences s’estompent car les appareils des organisations de masse, composés d’anciens travailleurs devenus permanents et échappant à l’exploitation, tendent à devenir des « bureaucraties » ouvrières au service de la classe dominante. La guerre entre puissances impérialistes qui éclate en 1914 révèle la corruption et l’intégration des bureaucraties syndicales : en France, l’union sacrée emporte aussi bien la CGT que le PS-SFIO.
L’Internationale communiste (IC) du vivant de Lénine (1919-1924) intervient à juste titre dans les syndicats de masse qui restent aux mains des bureaucraties « réformistes ». Mais, durant la « troisième période » de l’IC (1928-1934), Staline pousse aux scissions syndicales, oblige les partis communistes à refuser toute unité d’action avec les syndicats réformistes et les partis socialistes, ce qui aboutit à la victoire du fascisme en Allemagne en 1933.
Aux Etats-Unis, les luttes revendicatives de masse de 1933 à 1937 font surgir un syndicalisme d’industrie (CIO). Si l’AFL est « apolitique », le CIO soutient le Parti démocrate avec le concours du CPUSA stalinien. En France, la CGTU contrôlée par le PCF fusionne en 1936 avec la CGT à direction social-impérialiste (incarnée par Léon Jouhaux). La CGT réunifiée s’associe à la coalition du Front populaire (PCF, PS-SFIO, Parti radical…). En Espagne, les militants de la CNT sont à la tête de la résistance au coup militaire de Franco. Mais la direction anarchiste rejoint les gouvernements bourgeois de Frente Popular de Madrid et de Barcelone en 1937. La collaboration de classe du PCE, du PSOE et de la CNT facilite la victoire fasciste de 1939.
Après la défaite de l’Allemagne et du Japon, la CGT française ou le TUC britannique condamnent les grèves. Les LO norvégienne et suédoise réussissent à les empêcher dans cette période.
Le retournement de l’impérialisme américain contre l’URSS en 1947 (« guerre froide ») et contre la Chine en 1949 (guerre de Corée) amène à la purge des syndicats aux États-Unis et à des scissions syndicales fomentées par l’État américain (agissant par le biais de la bureaucratie de l’AFL et du CIO). En France, FO quitte en 1947 la CGT avec la complicité du PS-SFIO. Seule la FEN refuse la scission. La CGIL italienne subit la rupture en 1948 de la CISL manigancée par le pape, le Parti démocrate-chrétien puis en 1949 de l’UIL soutenue par le Parti socialiste. Au Japon, Sohyo se sépare de Sanbetsu en 1950 avec l’aide du PSJ, puis Zenro scissionne de Sohyo en 1954 avec l’aide du PSD. En 1955, l’AFL et le CIO, qui soutiennent tous deux la chasse aux sorcières, fusionnent.
En France, en 1964, la majorité de la CFTC prend ses distances avec l’Église catholique qui s’affaiblit et se renomme CFDT. À partir de 1974, elle renforce ouvertement le PS et participe à l’Union de la gauche (PS-PCF-PRG…). Elle approuve le « tournant de la rigueur » du gouvernement front populiste en 1983. Vers 1984, l’appareil de la CGT s’émancipe de la mainmise du PCF en déclin. Celui de la CFDT exclut ses opposants en 1988, ce qui engendre les SUD. Ceux-ci lancent une nouvelle confédération en 1998, Solidaires, qui se calque sur la CGT, avec un fonctionnement moins brutal. En 1992, la fraction PCF de la FEN, appuyée avec enthousiasme par la LCR et par LO, scissionne pour fonder la FSU. En 2000, ce qui reste de la FEN constitue l’UNSA.
Ainsi, les appétits bureaucratiques et les manoeuvres d’appareil ont multiplié les organisations syndicales au détriment de la classe bouvière. Elles sont plus financées par l’État bourgeois que par les cotisations des travailleurs. Toutes leurs bureaucraties cogèrent les grandes entreprises (dans leur conseil d’administration ou de surveillance) et la protection sociale du pays (les quatre branches de la Sécu, le régime de retraites complémentaires). Toutes participent aux institutions de collaboration de classes mises en place par l’État bourgeois (Conseil économique, social et environnemental, Conseil d’orientation des retraites, Conseil commun de la fonction publique, Conférence nationale de santé…). Toutes acceptent de discuter des plans des patrons et des gouvernements contre les travailleurs.
L’avant-garde communiste ne doit pas abandonner aux bureaucrates les syndicats de masse, mais s’organiser pour leur disputer en s’appuyant sur les besoins des travailleurs de la base : défense des acquis ! revendications et pas propositions ! indépendance des syndicats ! démocratie dans les syndicats ! unification syndicale sur cette base !