Pécresse essaie de renchérir sur Macron

Une candidate 100 % capitaliste

Valérie Pécresse se présente comme une combinaison politique de Merkel et Thatcher. Mais celles-ci avaient des antécédents familiaux petits-bourgeois qui facilitaient le contact populaire et la démagogie politique : Thatcher était fille d’un épicier et d’une couturière, Merkel, né en ex-RDA, avait pour parents un prêtre protestant et une professeure.

Par contre, Pécresse est née en 1967 à Neuilly, d’un père dirigeant du groupe Bolloré. Elle a fait ses études dans les lycées catholiques de l’élite, puis intégré l’ENA. Son mari est dirigeant d’Alstom et sa résidence principale est à Versailles, ses résidences secondaires connues étant deux maisons à La Baule en Loire atlantique et une à Combressol en Corrèze [sur son patrimoine, voir Le Canard enchainé, 2 février]. Elle est l’incarnation du séparatisme des riches qui contraste totalement avec les ghettos subis des pauvres [voir Monique Pinçon-Charlot & Michel Pinçon, Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte, 2017]. C’est par choix que les 1 % les plus riches habitent des zones privilégiées, loin des travailleurs (à part le personnel domestique), qu’ils ne voyagent jamais en métro ou en RER (ni même en classe économique des avions), qu’ils instruisent leur progéniture là où il n’y pas d’Arabes et de Noirs (sauf s’ils sont enfants d’ambassadeurs, de grands patrons ou de ministres), qu’ils prennent leurs loisirs entre eux, qu’ils fréquentent des magasins où les prix ne sont pas affichés….

En 1998, à 31 ans, elle est nommée conseillère à l’Élysée par Chirac. En 2002, à 35 ans, elle est élue députée. Elle est désignée ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche par Sarkozy. À ce titre, en 2007, elle est responsable de la loi LRU pour constituer des grandes universités au détriment des autres et d’un remodelage pro-capitaliste du CNRS. En 2011, elle est nommée ministre du budget. En 2012, elle est réélue député dans les Yvelines et soutient la campagne contre le mariage homosexuel. En 2015, elle devient présidente de la région Ile de France (elle augmente spectaculairement le prix du passe Navigo).

En 2017, elle prend la défense de Fillon « attaqué injustement » par la justice. En 2019, elle quitte LR, qu’elle estime alors nuisible à sa carrière et crée son propre parti (Libres). Elle est ainsi réélue à la tête de la région Ile de France en juin 2021. En juillet, elle se déclare candidate à l’élection présidentielle. En novembre, cette femme de conviction reprend sa carte à LR pour pouvoir se présenter à la primaire. Cela lui permet d’arriver en tête devant Ciotti qui n’est séparé de Le Pen et de Zemmour que par l’épaisseur d’un papier à cigarette.

LR pris en étau entre LREM, le RN et Reconquête

Les concessions politiques (liberté d’expression et d’organisation, droit de vote, élections, pluripartisme, concurrence des médias…) présentent un énorme avantage pour les bourgeoisies qui peuvent se les offrir : le pouvoir est légitimé, le consensus semble l’emporter sur la coercition. Mais la démocratie bourgeoisie a pour contrepartie des inconvénients pour la représentation politique des capitalistes : il faut tenir compte de l’état d’esprit des classes exploitées et subalternes ; d’autres partis sont dans la compétition.

Comme aucune candidate, aucun candidat de parti bourgeois ne peut gagner une élection en disant la vérité sur les intérêts qu’ils défendent, la classe qu’ils vont servir, Pécresse tente d’imiter les ruses des présidents de Gaulle, Pompidou, Chirac et Sarkozy. Elle essaie de se faire passer pour « sociale » mais sans inquiéter le grand capital par des foucades comme sortir de l’euro ou remettre le départ à la retraite à 60 ans (c’est d’ailleurs pourquoi Le Pen a renoncé aux deux) ou chasser tous les travailleurs étrangers du pays (comme Zemmour devant le Medef le 21 février).

Le candidat de Reconquête, après un court exposé présentant des mesures déjà connues, a vite basculé vers la thématique de « l’immigration zéro ». Un sujet clivant pour une partie des chefs d’entreprise présents, qui font appel à une main-d’œuvre immigrée… Valérie Pécresse a évidemment reçu un meilleur accueil, s’abstenant prudemment de parler des questions d’immigration. (Le Monde, 23 février)

Tous les partis politiques de la bourgeoisie (LREM, LR, RN, Reconquête, PRG…), ainsi que ceux d’origine petite-bourgeoise (EELV…) ou prolétarienne (PS, PCF, LFI…) que la bourgeoisie contrôle, sont d’accord sur l’essentiel : défendre le capitalisme et surtout la bourgeoisie française. C’est en fait la fonction de l’État bourgeois dont l’appareil (hauts fonctionnaires, état-major…) dépend assez peu des élections. Les partis bourgeois reflètent les différentes options pour gérer les rapports avec les exploités (classe ouvrière) et semi-exploités (travailleurs indépendants, cadres) du territoire et les relations avec les autres bourgeoisies (dont l’OTAN, l’Union européenne…).

À première vue, le tableau que présente ceux qui sont en charge des affaires du pays est la succession d’une infinité des gouvernements… Cela est très important pour le fonctionnement et la légitimité du système politique, puisqu’il suggère que les électeurs, en votant pour l’un ou l’autre des principaux partis en compétition, peuvent choisir entre des alternatives déterminantes et incompatibles… Ce qui est le plus frappant en réalité sur les chefs politiques et les gouvernants n’est pas tant leur différence que leur accord sur les questions essentielles. (Ralph Miliband, The State in Capitalist Society, 1969, Quartet, p. 63-64)

Pendant plus d’un demi-siècle, le parti gaulliste était le partis bourgeois traditionnel -c’est pourquoi Pécresse l’avait choisi quand elle est sortie seconde de l’ENA- mais Macron l’a supplanté en 2017, comme Giscard d’Estaing en 1974. Le MRP-RPF-UNR-UDR-RPR-UMP-LR avait une base électorale populaire mais aujourd’hui seulement 8 % des « ouvriers » et 10 % des « employés » qui votent le feraient pour Pécresse. Des travailleurs salariés arriérés ont transféré leur vote à Le Pen et Zemmour séduit nombre d’indépendants et de cadres qui votaient encore Fillon (qui est désormais manageur d’un groupe capitaliste de Russie, où on n’est pas très regardant sur les casiers judiciaires).

Pécresse a donc la rude tâche de tenter de surmonter la concurrence de Macron d’un côté, de Zemmour et Le Pen de l’autre. Cependant, LR continue d’être grignoté par le pouvoir en place, comme en témoigne le ralliement récent de Natacha Bouchart, la maire LR de Calais, et d’Éric Woerth, l’ancien ministre du budget puis du travail du gouvernement Sarkozy-Fillon. Même Raffarin, ancien premier ministre de Chirac s’apprête à rallier la candidature de Macron. Zemmour a depuis janvier comme porte-parole Guillaume Peltier, qui fut vice-président de LR de 2019 à 2021. Au dernier sondage (Opinion-Way pour Les Échos, 25 février), Macron obtiendrait au premier tour 24 % des voix, Le Pen 17 %, Zemmour et Pécresse 14 %.

Pour tenter de se qualifier au 2e tour, la candidate investie par LR se rend dans les petites villes et s’efforce de flatter la petite-bourgeoisie traditionnelle, tout en reprenant à Sarkozy le thème du nettoyage des banlieues des métropoles : « Je veux nettoyer les quartiers. Je vais ressortir le Kärcher de la cave. » (Entretien à La Provence, 5 janvier) et à Zemmour celui du « grand remplacement » : « Pas de fatalité, ni au grand déclassement ni au grand remplacement ! » (Discours de Paris, 13 février).

Un très mince vernis écologique et social

Comme Pécresse « ne croit pas à une écologie punitive » (Le Courage de dire et la volonté de faire, LR, novembre 2021, p. 12), elle laissera les communes décider de l’urbanisme et elle ne veut pas interdire ou taxer les activités polluantes. Exceptions : interdire des éoliennes dans certaines zones (p. 13) ; « instaurer une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne » (p. 11, 12), une forme déguisée de protectionnisme.

Vu la paupérisation de centaines de milliers de personnes lors de la pandémie et la montée de l’inflation depuis la reprise capitaliste mondiale, accentuée par la guerre en Ukraine, Pécresse estime qu’il faut lâcher quelques miettes.

Elle ne cesse de faire des propositions sur les aides sociales ou de vanter des mesures pour augmenter le pouvoir d’achat ou les salaires. (Le Monde, 27 janvier)

La plaquette officielle, dont rien ne dit qu’elle serait appliquée en cas de présidence de Pécresse, envisage « la baisse de la TVA sur les taxes de consommation électrique » (p. 23), ce qui serait loin de suffire à contrer l’inflation. Elle promet l’augmentation des pensions de réversion des conjoints survivants qui n’ont pas eux-mêmes de pension (p. 9). Le cadeau ne concerne pas énormément de personnes.

Si elle parle de durcir la lutte contre « la fraude fiscale », c’est pour aussitôt ajouter celle contre « la fraude sociale » (p. 23) alors qu’elles sont sans comparaison et qu’elle ne désigne pas par « fraude sociale » le fait que les employeurs ne déclarent pas tous les salariés. Pour éviter aux riches de frauder le fisc, Pécresse propose de diminuer encore l’imposition, assez réduite, des successions (p. 15).

Pour inciter, dit-elle, « la natalité » (p. 14), elle veut « restaurer l’universalité des allocations familiales » (p. 15) et promet une allocation à « tous les parents qui auront un premier enfant » (p. 14). Autrement dit, même les riches toucheront de l’argent public (celui de la Sécu, branche famille) pour leurs enfants.

Enfin, elle prétend « augmenter de 10 % les salaires nets jusqu’à 2,2 smic, 3 500 euros » (p. 8). En réalité, il n’y aura guère d’effort des patrons : « je transfèrerai les cotisations vieillesses payées par les salariés aux entreprises… l’État reprendra environ deux-tiers de ce cout à son compte » (p. 8). Le peu (3,3 %) qui resterait à la charge des patrons devrait être compensé par une augmentation du temps de travail ou la diminution des salaires indirects (allocation chômage, pension de retraite…) : « le restant sera assumé par les entreprises au terme d’une négociation donnant-donnant, notamment sur l’organisation du temps de travail, l’assurance-chômage, les retraites et les différentes contributions des entreprises » (p. 8).

Elle veut institutionnaliser la concertation avec les directions syndicales, sachant que celles-ci ont jusqu’à présent accepté de discuter toutes les mesures antisociales des gouvernements jusqu’à Macron-Castex inclus : « chaque printemps, se tiendra une grande conférence sociale et salariale » (p. 19).

La réaction au cœur des mesures annoncées

Si elle est élue, Pécresse aura grand besoin de se concerter avec « les partenaires sociaux » et de « négocier » avec les bureaucrates syndicaux la poursuite de la destruction des acquis sociaux : « augmenter graduellement l’âge légal de départ en retraite jusqu’à à 65 ans » (p. 8-9), « poursuivre la réforme de l’assurance chômage en renforçant la dégressivité des allocations » (p. 9), « mettre fin aux 35 heures » (p. 10).

Le bon accueil du patronat le 21 février s’explique : « réduire les normes », « renforcer le crédit d’impôt recherche », supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés » (p. 10), « aide à l’investissement de proximité » (p. 11).

LR et sa candidate veulent poursuivre l’œuvre de destruction des statuts, d’éclatement de l’école publique, de soumission au profit : « créer des contrats de mission éducative de 5 ans », « créer des établissements publics sous contrat… le chef de ces établissements aura une totale liberté de recrutement », « engager la deuxième étape de l’autonomie de l’université que j’ai réalisée en 2007 »… Remise aux patrons de la formation professionnelle : « laisser des opérateurs privés certifier les formations » (p. 11), « exonérer complètement de charges patronales toutes les entreprises de moins de 10 salariés qui prennent un jeune en apprentissage » (p. 14).

Place à l’endoctrinement « républicain » des jeunes : « je ne déconstruirai pas notre histoire », « chaque année, une journée nationale des héros français célèbrera les grandes figures de la Nation dans les écoles » (p. 17). Pas touche à l’Église catholique et à ses incroyables privilèges (la 5e République fait payer à l’ensemble des contribuables son système parallèle d’enseignement) ! Aucune mention des fanatiques chrétiens et oubli miséricordieux des violences sexuelles des prêtres catholiques contre des milliers d’enfants. Seuls des musulmans peuvent avoir des comportements répréhensibles : « faire de la radicalisation un motif de révocation ou de licenciement », « interdire le port du voile pour les accompagnatrices scolaires » (p. 5)…

Si elle veut « supprimer en 5 ans 200 000 postes de fonctionnaires » (p. 9), elle épargnera ceux qui servent, selon elle, à « protéger » (les anciens Gilets jaunes et les travailleurs étrangers sont moins enclins à trouver les flics si protecteurs). Pour « rétablir l’ordre dans la rue », Pécresse et LR veulent encore renforcer l’appareil répressif de l’État bourgeois, pourtant choyé par Macron : « 5 milliards d’euros à l’équipement de nos forces de l’ordre », « des peines plancher contre tous ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre », « rendre obligatoire l’armement des polices municipales », « porter à 9 milliards par an les moyens des tribunaux », « augmenter de 50 % le nombre de magistrats » (p. 6), « abaisser la responsabilité pénale à 16 ans », « construction de 20 000 places de prison » (p. 7). Il faut ajouter « le recrutement de 10 000 gardes-frontières » (p. 20) et le renforcement du militarisme : « augmenter nos capacités de renseignement », « renforcer la capacité de nos armées de se déployer et à intervenir », dont « la construction du deuxième porte-avion » (p. 21).


La première page du fascicule de campagne de Pécresse ressemble furieusement à la première de celui de Le Pen.

Le premier point du programme électoral de LR est, comme celui du RN, dirigé contre l’immigration. Pas celle des riches, évidemment. Pécresse apprécie « la doctrine sociale de l’Église catholique » mais pas au point d’accueillir des étrangers obligés de fuir la persécution, la guerre ou la misère engendrées par le capitalisme mondial : « mettre en place des quotas », « intensifier l’affrètement des avions d’éloignement », « reconduire d’office dans leur pays les immigrés entrés de manière irrégulière », « supprimer le versement des prestations sociales non contributives », « en finir avec le droit du sol automatique » (p. 4), « renforcer les conditions économiques pour acquérir la nationalité française et pour autoriser le regroupement familial » (p. 5).

Au premier comme au second tour, aucune voix de travailleuse ou de travailleur pour Pécresse ni pour les autres candidats bourgeois (Macron, Zemmour, Le Pen, Jadot, etc.) !

26 février 2022