Les praticiens ont tiré la sonnette d’alarme à temps
Macron en avait fait le pari, la France se passerait d’un nouveau confinement. Le capitalisme français qui n’avait que trop souffert en 2020, ne s’en porterait que mieux. Et lui, Macron, en sortirait grandi. On louerait sa clairvoyance, son audace et sa fermeté, pour avoir su tenir à distance les Cassandre en blouse blanche qui avertissaient dès janvier de la remontée inexorable des contaminations du fait des variants.
Pourtant, le 31 janvier sur LCI, l’infectiologue Karine Lacombe dénonçait le risque pris par le gouvernement en décidant de repousser le confinement :
Le risque d’attendre, peut-être, qu’on soit au pied du mur […] Il vaut mieux prévenir que guérir. Des mesures très en amont d’une catastrophe sanitaire marchent beaucoup mieux que lorsqu’on est dans l’urgence. Le confinement qui sera décidé par la suite sera peut-être plus long, plus difficile et son impact social et économique également.
Le 2 février, l’épidémiologiste Dominique Costagliola tirait la sonnette d’alarme sur France 5 :
À l’heure actuelle, on est sur un plateau très haut […] Arrivent par-dessus des variants plus transmissibles. D’ici la deuxième quinzaine de février, ou la première de mars, le variant anglais sera majoritaire. À mesure égale, les modèles sont terrorisants. On est bien au-delà de la première vague.
Le couvre-feu de 18 h à 6 h du matin étendu à tout le territoire à partir du 16 janvier y suffirait bien. Le 9 mars encore, le ministre de l’économie Lemaire se faisait l’avocat des capitalistes sur France 2 :
L’économie française retrouvera des couleurs très rapidement dès que les mesures de restrictions sanitaires seront levées.
Et d’ailleurs, la campagne de vaccination allait prendre un rythme soutenu. Macron s’engageait dès le 2 février, à proposer un vaccin à tous les adultes d’ici à la fin de la saison estivale. Après un démarrage très poussif, au 13 mars, 5 072 244 doses de vaccins ont été administrées, dont deux doses pour 2 220 608 personnes. Un calcul simple montre qu’au rythme actuel, en prenant la moyenne des sept derniers jours, les 52 millions d’adultes auront été vaccinés début juin… 2022 ! Et encore ce calcul ne prend-il pas en compte les derniers reports de livraisons annoncées. Qu’à cela ne tienne ! Le 3 mars, le porte-parole du gouvernement, Attal, pouvait prétendre :
Pour la première fois depuis des mois, le retour à des vies plus normales est en vue […]. C’est un horizon au bout du tunnel […] Il ne s’agit pas d’un horizon lointain et incertain. Mais un horizon que nous espérons peut-être dès la mi-avril
Macron a choisi le capital contre la santé
Hélas, l’optimisme de commande relayé par tous les thuriféraires et autres coryphées de la pensée macronienne n’y change rien, les contaminations progressent, le nombre de malades dans les services d’urgence atteint un seuil critique dans nombre d’hôpitaux. Le scénario d’un nouvel emballement de l’épidémie prévu et annoncé par les épidémiologistes dès janvier, en l’absence de nouvelles mesures de confinement en plus de la vaccination, se déploie pleinement. Tout juste le gouvernement consent-il en début mars à rajouter un couvre-feu durant les fins de semaine à Nice et Dunkerque, puis dans tout le Pas-de-Calais. Mais la Seine-Saint-Denis où, le 15 mars, le taux de contamination atteint le record de 486 infectés pour 100 000 habitants attendra. Mais l’Ile de France attendra, où 99 % des lits de réanimation sont occupés à la même date avec 1 134 malades. Le directeur de médical de crise de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris Bruno Riou alarme le 15 mars sur France Inter :
La situation n’est pas encore hors de contrôle, mais elle va l’être […] j’entends beaucoup dire qu’une semaine sans confinement est une semaine gagnée, je n’ai pas la même analyse, il faut considérer que chaque semaine qui passe est une semaine perdue pour tout le monde [… ] en l’absence de décision importante, les 15 jours qui viennent, en matière de réanimation, sont déjà écrits puisque ce sont les contaminations qui ont lieu maintenant […] la vaccination n’aura des effets que dans plusieurs mois.
Les opérations chirurgicales sont massivement déprogrammées. Les malades autres que de la Covid attendront. Ou mourront. Les travailleurs hospitaliers peuvent bien alerter depuis des semaines sur la dégradation de la situation, peu importe. L’épuisement des soignants, la santé des patients, comptent peu au regard des affaires du capitalisme, et la région pèse quelque 30 % du PIB national.
En toute connaissance de cause, le gouvernement a préféré continuer à tirer sur la corde des hôpitaux publics. En toute connaissance de cause, Macron avait décidé le 29 janvier qu’il était temps… d’attendre. Il est le principal responsable aujourd’hui. Au bout du compte, il n’y a que peu de différence entre un Macron, un Trump ou un Bolsonaro : les affaires des capitalistes d’abord, la santé ensuite !
L’hypocrisie et l’incurie sont aux commandes
Cependant, à partir du 15 mars, la gravité de la situation ne peut plus être dissimulée sous le tapis. Vite, Macron s’active pour effacer les traces, il avertit que « nous aurons à prendre dans les jours qui viennent sans doute de nouvelles décisions », il reçoit le 16 mars une délégation du Conseil scientifique, précédemment tombé en disgrâce pour cause d’alarmisme, et organise ensuite une visioconférence avec des médecins en service de réanimation pour les « consulter »… Comme s’il ne savait pas ! Le 17 mars, il se précipite, accompagné par Véran et une escouade de journalistes à l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, et ose lancer à des soignants : « Nous sommes et nous continuerons à être à vos côtés » . Ils lui tournent ostensiblement le dos dans un silence pesant.
Tout cela est conforme à l’incurie doublée d’une insupportable arrogance qui ont présidé depuis le début à la gestion de la pandémie, la seule ligne directrice cohérente et parfaitement suivie par le gouvernement étant de préserver au mieux les intérêts des capitalistes français. Dès le printemps 2020, le gouvernement enclenchait la tartufferie du Ségur de la santé, avec l’obligeante participation de toutes les directions syndicales. Mais la loi fixant les objectifs des dépenses de santé pour 2021 fixe à un milliard les économies supplémentaires à faire dans les hôpitaux et les suppressions de lits ou fermetures de services continuent comme si de rien n’était ! Le 4 mai 2020, Macron déclarait avec une tête de premier communiant sincère qu’une fois le vaccin trouvé,
Il devra être un bien mondial de l’humanité, et pas la propriété de l’un ou l’autre, ajoutant même que personne ne comprendrait que le jour où l’on a un vaccin quelque part, on ne se mette pas en situation de le produire le plus vite possible, sur toute la planète…
Voilà pour le côté cour. Mais pour le côté jardin, la position française dans les discussions en cours à l’OMC au sujet d’une levée temporaire des brevets sur les vaccins, à la demande, pourtant très modérée, de nombreux pays dominés, d’ONG, etc. se range, avec les principaux pays impérialistes, derrière les défenseurs de la propriété privée des groupes pharmaceutiques.
Résultat : pendant que les trusts pharmaceutiques s’arc-boutent sur leurs profits avec le soutien de leurs États impérialistes respectifs, la plupart des pays n’a pas accès aux vaccins. Début février, sept pays concentraient 80 % des doses administrées alors que cent trente pays n’en avaient encore aucune. L’initiative d’aide internationale Covax, censée permettre de vacciner 20 % de la population de 145 pays en 2021, ne sera en mesure d’en vacciner que 3,3 % au cours du premier semestre 2021. La majorité de la population africaine n’aura pas accès aux vaccins avant 2022 et la majorité de la population d’une douzaine de pays africains risque même de ne pas être vaccinée avant 2024. Ce qui signifie, au-delà des conséquences terribles pour les populations de ces pays, le développement inévitable de multiples variants du virus qui reviendront comme des boomerangs au cœur des pays avancés.
Une année noire s’annonce pour les chômeurs
Il y a toutefois des domaines où le gouvernement fait montre d’une grande opiniâtreté. Ainsi, le projet contre l’assurance-chômage, mis en suspens en 2020, a-t-il été toiletté après quelques nouvelles séances de concertation avec les directions syndicales. Celles-ci savaient pertinemment que l’objectif de ces concertations n’était autre dès le départ que de remettre en selle l’attaque. Mais aucune n’a manqué d’apporter sa caution à l’opération. La messe étant dite, juste avant la dernière séance de travail qui avait lieu le 2 mars, les directions syndicales unies ont publié un communiqué commun où elles ont réaffirmé « leur profond désaccord avec le principe fondateur de cette réforme selon laquelle la baisse des allocations chômage inciterait à un retour plus rapide à l’emploi ». Et passez muscade !
La ministre du travail Borne pouvait alors tranquillement annoncer que la réforme s’appliquera en juillet ou en aout prochain, avec à la clé :
- la réforme du calcul du salaire journalier de référence qui devrait impacter 850 000 demandeurs d’emploi selon l’Unedic en diminuant en moyenne leurs allocations de 22 %, et jusqu’à 40 % pour les travailleurs intermittents sur contrats courts.
- l’allongement de la période de travail pour l’ouverture des droits aux allocations, qui passera de 6 mois sur les 24 derniers mois au lieu de 4 mois travaillés sur 28 mois précédemment. L’application de cette dernière disposition restant toutefois conditionnée, pour les jeunes, à une amélioration de la situation de l’emploi…
D’après l’INSEE, 320 300 emplois ont été détruits dans le privé en 2020. Le nombre de chômeurs enregistrés a, quant à lui, augmenté de 267 000 personnes, toutes catégories confondues. En incluant les demandeurs d’emplois en activité réduite, le nombre total de chômeurs a donc atteint 6 millions de personnes. Malgré les prévisions de reprise (entre+ 5 et 6 % de croissance en 2021 %, selon la Banque de France, l’INSEE ou l’OCDE), le chômage devrait augmenter jusqu’à 11 %.
En effet, la levée progressive des mesures d’aides aux entreprises fait craindre jusqu’à 50 000 faillites supplémentaires. De plus la crise structurelle qui frappe les groupes capitalistes de l’aéronautique et de l’automobile avec la restructuration vers le tout électrique n’ont pas fini d’entrainer les fermetures et les suppressions d’emplois. Michelin avait dès le 6 janvier annoncé la suppression de 2300 postes sur les trois ans à venir sur ses 15 sites en France. Quelques 30 000 emplois directs et indirects seraient menacés par les réductions des activités aéroportuaires d’ADP. Ainsi, Bosch va-t-il fermer son usine de Rodez qui produit des injecteurs pour les moteurs diesel, avec 750 suppressions d’emplois. Ainsi, Renault, qui a perdu 8 milliards d’euros en 2020, prévoit-il dans les trois ans à venir la suppression de 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France, mais aussi un plan d’économies qui conduit, par exemple, à la mise en vente de la Fonderie de Bretagne, avec 385 salariés. Condamnés à lutter boîte par boîte et site par site par leurs directions syndicales, les travailleurs qui veulent résister n’ont aucune perspective efficace de centralisation, tous ensemble, contre le gouvernement et le patronat.
Entre dialogue social et élections, les travailleurs laissés sans perspectives
C’est qu’en effet, les directions syndicales sont très occupées par les innombrables réunions de concertation avec le gouvernement et le patronat. Le 15 mars, le premier ministre Castex a donc réuni par visioconférence pour la « troisième conférence du dialogue social » les chefs syndicaux et le patronat
Pour élaborer une méthode pour à la fois travailler sur les scénarios de levée de restrictions sanitaires et trouver le bon calendrier, le bon dosage pour travailler au débranchement progressif des aides.
C’est à cette occasion que le gouvernement a lancé le vœu d’une prime exonérée d’impôts et de cotisations sociales que pourrait verser le patronat et qui tiendra sans doute lieu et place à une augmentation de salaire… Le gouvernement se félicite d’ailleurs de la vigueur du dialogue social : deux accords nationaux interprofessionnels sur le télétravail et la santé au travail viennent d’être conclus et une dizaines d’autres sujets sont en cours de discussion. Bras dessus, bras dessous, tout va donc pour le mieux, comme en a témoigné Borne avant la réunion du 15 mars :
Les organisations syndicales et patronales ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités depuis le premier jour de la crise et joué un rôle déterminant dans les réponses apportées pour protéger les emplois et les salariés. Leur rôle sera tout aussi important pour préparer la sortie de crise.
Le Medef a même pris l’initiative, parallèlement aux concertations à l’initiative du gouvernement, de réunir les directions syndicales sur des sujets allant de la formation professionnelle à l’autonomisation de la banche accident du travail : « c’est en marchant qu’on forgera en quelque sorte ce paritarisme 4.0 ». Son initiative recueille un franc succès auprès des chefs syndicaux. Celui de FO se félicite par exemple qu’ait été « réinstallé dans les esprits le fait qu’il y a un espace de négociation au niveau interprofessionnel porteur d’avancées pour les droits des salariés ».
Ni le PS, ni le PCF ni LFI, ni LO, le NPA, etc. qui prétendent défendre « le monde du travail », ne critiquent la collaboration de classe des bureaucraties syndicales. Les partis réformistes qui ne se réclament plus depuis longtemps de la classe ouvrière mais s’adressent « aux citoyens » ont tous leurs yeux braqués sur l’horizon des élections régionales et départementales de juin prochain et de la présidentielle de 2022. Les places sont aussi chères qu’elles sont indispensables à la survie des appareils et les manœuvres vont bon train. Dans la plus grande indifférence de la classe ouvrière et de la jeunesse, pour qui ces échéances électorales sont le cadet de leurs soucis. Comment croire en effet que les anciens ministres Mélenchon et Hamon, le PS ou le PCF feront autre chose que ce qu’ils ont toujours fait, la gestion honnête et loyale du capitalisme ?
Le combat se déroule ici et maintenant :
- Tous les moyens nécessaires aux hôpitaux, immédiatement, en salaires comme en postes !
- Expropriation de trusts pharmaceutiques, levée des brevets sur les vaccins !
- Interdiction de tout licenciement, de toute suppression d’emploi !
- Allocation immédiate aux jeunes en formation ou sans emploi !
- Annulation des loyers des victimes de la crise !
- À bas le dialogue social qui conforte le gouvernement !