Le 1er février 2019, lors des cérémonies du 80e anniversaire du CNRS, le premier ministre Édouard Philippe, la ministre chargée de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Frédérique Vidal ont présenté les ambitions du gouvernement en matière de recherche pour les années à venir.
Convoqués à la Mutualité à Paris par le PDG du CNRS Antoine Petit, un millier de directeurs de laboratoire a pu entendre que, derrière la loi de programmation pluriannuelle pour la science, dont les premiers effets seront pour 2021, le mot à retenir était restriction de l’emploi scientifique.
Un calendrier étalé sur 2019 prévoyait une phase d’élaboration de l’avant-projet par trois groupes de travail (dont les rapporteurs étaient des députés LREM, des représentants du patronat ou des présidents d’université) concluant sur trois rapports fondés sur l’avis d’anciens scientifiques reconvertis en administrateurs ; au total un rapport sur le financement de la recherche, un deuxième sur l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques, et un dernier sur la recherche partenariale et l’innovation. Avec une période de concertation avec des représentants des organisations syndicales et patronales à l’automne dernier avant le passage de la loi à l’Assemblée en 2020 selon un déroulé hautement éprouvé et efficace sur d’autres questions, comme les retraites.
La France demeure toujours en dessous des objectifs du processus de Bologne (1998), à savoir 3 % du produit intérieur brut consacré à la recherche dont 1% financé par l’État (0,78 % réalisés) et 2 % par les entreprises privées (1,44 % actuellement). Le crédit impôt recherche (CIR), un cadeau au patronat dont le coût est évalué à 6 milliards d’euros par an sur le budget de l’État et aux effets incertains sur l’innovation, représente deux fois le budget du CNRS. Le capitalisme français ne peut pas s’estimer lésé dans l’affaire, car la France est le pays de l’OCDE où le financement public de la R&D privée est le plus élevé (0,42 % en 2015).
Après le renforcement de la sélection en master, après Parcoursup, après la hausse délirante des frais d’inscription pour les étudiants hors CEE, le gouvernement Macron-Philippe donne un nouveau coup d’accélérateur à la casse de l’enseignement supérieur et de la recherche publics. La nature du contenu de l’avant-projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est une nouvelle offensive, tant est longue la liste des mesures régressives.
Modulation de service obligatoire pour les enseignants-chercheurs, ce qui revient au non-paiement de leurs heures complémentaires, évaluation des services des enseignements en crédits ECTS (European Credits Transfer System) en lieu et place des 192 h équivalent TD, instauration d’un système de régulation des charges d’enseignement au niveau de la composante (UFR, faculté, département) avec une décharge pour les « excellents » en recherche.
Recours à l’embauche de personnels sur CDI de mission scientifique, dont la fin du contrat pourra s’aligner avec celle du projet, et titularisations encore plus tardives avec la mise en place de « tenure tracks » (poste précaire d’enseignant chercheur) sur le modèle anglo-saxon.
Renforcement des méthodes managériales, avec modulation des dotations aux unités en fonction des évaluations HCERES et multiplication des primes variables.
Alors que tous ces mauvais coups étaient prévisibles, puisque contenus dans les rapports remis au ministère le 23 septembre 2019, les organisations syndicales (à l’exception de FO-ESR, très minoritaire) ont passé tout l’automne à répondre docilement aux concertations du gouvernement.
S’appuyant sur cette docilité des bureaucrates syndicaux, le directeur du CNRS Antoine Petit n’allait pas tarder à enfoncer le clou lors de la date anniversaire des 80 ans du CNRS.
Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. (Antoine Petit, 26 novembre 2019)
Cette déclaration a suscité une réaction vive dans les laboratoires et dans les universités, en tout cas bien plus que le mouvement sur les retraites qui avait commencé le 5 décembre. Plusieurs assemblées générales se sont tenues à Paris les 2 et 14 décembre, dont la dernière se déclarant « coordination nationale des facs et des labos en lutte », regroupant plusieurs sites universitaires principalement en région parisienne, et se prononçant pour la dissolution de la conférence des présidents d’université (CPU), courroie de transmission des politiques menées depuis plus de dix ans.
Un appel à signature des directeurs de laboratoires pour demander un moratoire à la ministre Dominique Vidal a été lancé le 18 janvier, réclamant l’ouverture d’États généraux de la recherche et de l’enseignement supérieur, pour que le ministère « s’engage dans un véritable processus d’élaboration démocratique » afin de « fixer l’esprit d’une future loi ».
Il n’y a bien sûr rien à attendre de telles initiatives, venues des bureaucraties syndicales, qui sèment des illusions sur les inclinaisons du gouvernement à assouplir ou corriger la trajectoire régressive de sa politique contre la recherche publique. Celle-ci est de plus en plus soumise au bon vouloir de la bourgeoisie qui dicte toujours plus ses désidératas en terme d’orientation scientifique, afin de se positionner dans la compétition internationale.
Le 18 janvier, une nouvelle AG de la coordination nationale avait lieu à Paris Diderot (Université Paris 7), se prononçant pour la démission du président du CNRS, appelant à des actions individuelles de rétention des notes, à un énigmatique « arrêt total des activités », et à étendre la mobilisation au sein de l’ESR pour « converger vers la grève générale ».
Ces mots d’ordre se cantonnent à faire pression sur les instances dirigeantes de l’ESR (présidents d’universités, CPU, directeurs CNRS, ANR) qui jusqu’à présent ont toujours été les plus zélés pour appliquer les mauvais coups des gouvernants. Ces appels ne doivent pas non plus faire oublier que dans le même temps, aucune exigence à cesser le cycle des concertations des directions syndicales avec le gouvernement n’est lancée, ce dernier pouvant se permettre de suivre son agenda en toute tranquillité.
En outre, en réponse à une question d’un des syndicats de son ministère, Frédérique Vidal a confirmé le lien entre entre le projet de loi retraites retraites et le projet LPRR. En effet, la diminution drastique du taux de cotisation employeur (de 74,28 % à 16,87 %) permettrait de récolter d’importantes sommes. Avec cette masse financière dégagée de nos retraites, le gouvernement se propose de financer des projets et chaires d’excellence, de nombreux contrats, des primes individualisées. Dès lors, outre les attaques contre les statuts de fonctionnaires avec la loi de transformation de la fonction publique, la future LPRR aura aussi pour fonction d’accompagner la mise en oeuvre de la réforme des retraites dans ce secteur.
Dirigeants syndicaux cessez immédiatement toute concertation avec le gouvernement sur la LPPR ! Retrait immédiat du projet LPPR ! Quittez les organes de cogestion (CNESER, CA…) !
Assemblées générales démocratiques de l’ensemble des travailleurs de ce secteur et étudiants pour établir de véritables cahiers de revendication à la hauteur des besoins et préparer les comités de grève pour la grève générale de ce secteur en liaison avec la mobilisation sur les retraites !
Augmentation massive des crédits récurrents pour les laboratoires de recherche publique ! Titularisation immédiate de tous les travailleurs précaires de l’ensemble du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche publics en France !
Abrogation de Parcoursup ! Suppression de la double sélection en master ! Gratuité de l’inscription dans l’enseignement supérieur public pour tous !