L’affaire Finkielkraut et la campagne contre l’antisionisme

TelegramWhatsappTwitter Facebook

Un prétexte fallacieux

Le samedi 16 février 2019, l’académicien et ancien maoïste Alain Finkielkraut qui se trouvait à proximité d’une manifestation des gilets jaunes est accueilli aux cris de « sale sioniste de merde ! » et autres insultes par des manifestants salafistes.

Bien que Finkielkraut ait reconnu qu’il n’avait pas été la cible de propos antisémites (« je n’ai pas été traité de sale Juif »), cet incident a déclenché un tollé de réactions politiques et médiatiques contre l’antisionisme et « l’extrême-gauche ».

L’agression d’Alain Finkielkraut aujourd’hui est un acte détestable et choquant, qui illustre la tentative d’infiltration du mouvement des « gilets jaunes » par l’extrême-gauche. (Le Pen, 16 février 2019)

Le lendemain, lors du dîner du CRIF auquel il s’était rendu, le président Macron déclarait que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme » et annonçait que « la France qui l’a endossée en décembre avec ses partenaires européens, mettra en oeuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah », alors que même l’ONU avait en son temps reconnu que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ».

Une accusation abjecte

Déjà, le 16 juillet 2017, commémorant la rafle du Vélodrome d’hiver de Paris, Macron avait déclaré, à l’adresse du Premier ministre israélien Netanyahou, qu’il avait invité : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme » [voir Révolution communiste n° 27].

Les communistes internationalistes s’opposent à tout racisme, toute leur histoire le prouve. Par contre, les sionistes ne sont pas si regardants : le mouvement sionisme a parfois collaboré avec le 3e Reich car les deux partageaient la vue que les Juifs n’avaient pas leur place en Europe ; Israël soutenait l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid et il est aujourd’hui allié à la Turquie islamiste et aux monarchies despotiques et antisémites du Golfe.

Certes, un certain nombre d’antisionistes proclamés (une fraction des fascistes, tous les islamistes) sont des antisémites mais bien des pro-sionistes sont antisémites depuis feu le Premier ministre britannique Churchill jusqu’aux gouvernements polonais et hongrois qui ont voté pour l’adoption par l’UE de la définition chère à Macron en passant par les fascistes islamophobes. Le terroriste admirateur de l’ami de Netanyahou, Trump, qui a assassiné 11 personnes à la synagogue de Pittsburgh (États-Unis) le 27 octobre dernier était un fasciste, comme le fanatique déçu par la défaite électorale de Le Pen en 2017 qui a tué 50 personnes dans deux mosquées de la ville de Christchurch (Nouvelle-Zélande) le 15 mars.

Le précédent de la Grande-Bretagne

La définition chère à l’UE et à Macron a déjà servi à la presse bourgeoise britannique pour faire passer depuis 2015 le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, pour un antisémite : n’était-il pas antisioniste quand il était un simple député ? Elle a justifié une chasse aux sorcières dans le parti lui-même, menée par son aile droite (les blairistes) et une agence du sionisme au sein du parti (JLM), avec la complicité de la direction. Corbyn les laisse faire, fasciné par la possibilité d’accéder au gouvernement et tétanisé par la campagne de calomnies à son égard. Parmi les exclus, figurait le camarade Moshe Machover, un dirigeant en exil de l’ex-Matzpen, une organisation ouvrière révolutionnaire et internationaliste qui regroupait Juifs et Arabes d’Israël contre le sionisme et la bourgeoisie hébreu.

Un ancien conseiller de Blair et dirigeant du Parti travailliste d’Ecosse étend sans vergogne l’équation de l’antisémitisme à toute remise en cause du capitalisme : « L’anticapitalisme masque et normalise l’antisémitisme » (John McTernan, Financial Times, 2 mars 2019). L’objectif est double : justifier Israël à un moment où les Juifs d’Europe et d’Amérique doutent de plus en plus de son évolution, de son gouvernement, de sa politique ; discréditer et réprimer les courants qui se réclament de l’internationalisme prolétarien à l’intérieur et à l’extérieur du Labour Party.

Cette campagne réactionnaire est relayée en France par tous les chiens de garde de l’État d’apartheid.

Si Corbyn s’installait à Downing Street, on pourrait dire que, pour la première fois depuis Hitler, un antisémite gouverne un pays européen. (Alain Finkielkraut, Die Zeit, 21 février 2019)

Le soutien indéfectible de l’impérialisme français à Israël

De même en France, la campagne contre l’antisionisme a d’abord pour but de protéger la politique extérieure de tous les gouvernements de l’impérialisme français (y compris ceux à participation PS et PCF).

La bourgeoisie française s’était facilement accommodée du régime raciste du maréchal Pétain. L’appareil d’État a livré alors au régime nazi nombre de réfugiés politiques et collaboré avec zèle à l’extermination des Juifs d’Europe, en particulier lors de la rafle du Vélodrome d’hiver. Par contre, quand le 3e Reich et ses vassaux se sont effondrés, la démocratie et l’antiracisme sont redevenus des éléments de l’idéologie dominante. Cela n’a pas empêché le maintien par la force des peuples coloniaux dans l’État français en 1944 décidée par De Gaulle avec des ministres PS et PCF, ni la torture en masse en Algérie avec l’approbation de Mitterrand et la participation personnelle de Le Pen père, ni le massacre d’ouvriers algériens désarmés par la police républicaine en 1961 sous l’ordre du préfet Papon nommé par le général De Gaulle et qui avait fait ses preuves dans la persécution des Juifs sous Vichy.

L’État théocratique et colonial israélien a été fondé et s’est renforcé avec l’appui indéfectible des impérialismes occidentaux dont il constitue le gendarme au Proche-Orient. La 4e République a mené une opération militaire conjointe avec Israël et la Grande-Bretagne contre l’Égypte quand Nasser avait osé nationaliser le canal de Suez en 1956. La collaboration française a aidé Israël à se doter de l’arme nucléaire, au mépris de tous les traités internationaux.

Confrontés à l’hostilité de la Turquie, les États-Unis ont plus besoin que jamais d’Israël. Trump a reconnu Jérusalem comme capitale [voir Révolution communiste n° 27] et vient d’entériner l’annexion du Golan. Netanyahou a changé la constitution, sans grande opposition, pour renforcer le caractère raciste de l’État [voir Révolution communiste n° 31]. Ainsi, Israël poursuit sa politique d’annexion à Jérusalem, en Cisjordanie, tout en se moquant des pantomimes de l’assemblée générale de l’ONU. Les tireurs d’élite de l’armée israélienne ont abattu à la frontière de Gaza, depuis un an, 195 Palestiniens et en ont blessé 7 100 par balles alors qu’ils participaient aux manifestations de la « marche du retour ».

L’opération d’union nationale du 19 février

Macron cherche aussi un moyen de réprimer les révolutionnaires et les internationalistes. Pourtant, il a reçu, une fois de plus, l’aide des partis sociaux-impérialistes. Le PS a pris l’initiative le 14 février d’une manifestation d’union nationale tandis que le gouvernement matraquait les « gilets jaunes » et expulsait les migrants, tandis que l’armée israélienne tirait les Palestiniens comme des lapins. Le PS, Ensembles, le PCF et LFI ont donc manifesté le 19 février bras dessus bras dessous avec le Premier ministre et quinze autres membres du gouvernement et tous les partis bourgeois (sauf le RN qui n’était pas convié en tant que tel, même si Olivier Faure avait invité Marine Le Pen).

Le PS n’a pas pris l’initiative d’une manifestation contre la répression des lycéens et des « gilets jaunes », ni pour l’ouverture des frontières aux réfugiés, ni pour la défense des droits nationaux du peuple palestinien. Le PS a aidé Macron à se tirer de la situation de crise politique dans laquelle il était empêtré. Il accrédite l’offensive du pouvoir contre l’antisionisme. Il cautionne le colonialisme sioniste et le régime d’apartheid en Israël.

Avec la menace de la création d’un délit d’antisionisme, avec la nouvelle loi contre la liberté de manifestation, l’État bourgeois entend peaufiner son contrôle des mouvements sociaux et réduire les libertés fondamentales. Le PS, le PCF, LFI, Générations tombent dans le panneau de Macron parce que, entrainant à leur suite LO et le NPA, ils acceptent la solution de deux États de l’ONU et reconnaissent la légitimité d’Israël, de la colonisation de la plus grande partie de la Palestine.

La position des communistes internationalistes

Au temps où l’État français contribuait à l’extermination des Juifs d’Europe (quand Mitterrand était au service du maréchal Pétain), nous disions :

Des grandes affiches couvrent les murs, rendant les Juifs responsables de tous les malheurs passés, présents et futurs. Une exposition antijuive a ouvert ses portes et s’acharne contre des êtres humains, parce qu’ils appartiennent à une certaine « race ». Les Juifs se voient privés de leurs emplois, ne peuvent même plus vendre ce qu’ils possèdent. On les arrête dans les rues ; on les enferme dans les camps de concentration… Les fascistes accusent en outre les Juifs d’avoir créé la doctrine communiste dans le but de dominer le monde. Le communisme n’est, en réalité, ni juif ni aryen, mais prolétarien et internationaliste. S’il y eut toujours dans les rangs des partis ouvriers une forte proportion de Juifs, cela tient aux persécutions subies par eux dans la plupart des pays dits civilisés, en tant que minorité religieuse ou raciale. Cette forte proportion de Juifs dans nos rangs est, d’ailleurs, tout à leur honneur. Nous, internationalistes, sommes les adversaires résolus de tout racisme. Nous combattons l’antisémitisme comme le racisme anti-nègre aux États-Unis, comme l’oppression des peuples de couleur par les Européens, comme du reste l’exploitation des Arabes de Palestine par le capitalisme juif. (La Vérité, 1 octobre 1941)

Aujourd’hui, nous disons : reconnaître les droits politiques, matériels et culturels du peuple palestinien implique d’abattre l’État colonial et raciste d’Israël, d’instaurer un État démocratique, laïque, bilingue et pluriethnique sur tout le territoire de la Palestine dans laquelle pourront vivre ensemble Arabes et Juifs, musulmans, israélites, chrétiens et athées. Une telle Palestine ne peut surgir que de l’action de la classe ouvrière. Elle ne sera viable que par l’extension de la révolution sociale, l’abolition des frontières et la disparition des États bourgeois arabes voisins, l’instauration de la fédération socialiste du Levant.

31 mars 2019